Académie des Sciences d'Outre-Mer. Paris. 1984. 380 p.
La science médicale, sans revêtir bien entendu le même caractère qu'en Europe, existe chez les Kpellé. Certes elle se dissimule derrière ce qu'on appelle la sorcellerie, mais sous cette apparence il y a une réalité tout autre. Comment en serait-il autrement d'ailleurs ? Un peuple qui vit en pleine nature doit en connaître certains secrets. En particulier il doit connaître par habitude les propriétés des plantes qui poussent dans la forêt. Le médecin Kpellé se trouve donc être avant tout un herboriste. La méthode est empirique mais les résultats sont certains et si les Zohonwã n'ont pas la science ils ont au moins le savoir.
Seulement ce serait trop simple s'ils délivraient aux consultants des ordonnaces prescrivant de simples tisanes ; le remède est accompagné et agrémenté de sacrifices à faire, de paroles à prononcer, d'interdits à observer, qui aux yeux des patients semblent le principal et qu'ils payent cher. Il est aussi des médicaments, sang de poulet et autres poudres de perlimpinpin qui relèvent du pur charlatanisme. Mais il reste qu'il serait sans doute intéressant pour un médecin européen de connaître la pharmacopée de son collègue kpellé.
Nous avons séjourné trop peu de temps au milieu des Kpellé pour connaître leurs secrets en médecine. Il faudrait pour cela comprendre parfaitement la langue car si la confiance est établie après de longs et patients préliminaires, le Zohomou ne consentira pas à vous faire des confidences s'il doit passer par un interprète.
En dehors de la thérapeutique, il n'y a guère d'autre « science » kpellé, même en forçant la signification de ce terme.
Dans le domaine de l'astronomie, si les Kpellé nomment la lune, le soleil et les étoiles, ils n'ont à notre connaissance aucune tradition légendaire sur leur origine. Un jour que nous posions des questions à ce sujet, nous nous sommes attiré cette réponse fort pertinente :
« Les Blancs ont inventé les avions : puisqu'ils vont dans le ciel ils doivent connaître les astres, aussi est-ce à nous à te poser ces questions ».
Les Kono disent cependant que les étoiles filantes se transforment en ignames lorsqu'elles tombent à terre, tandis que les Kpellé font de leur vue un mauvais présage annonçant un décès dans l'année.
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Kpellé | Manon | |
Lune | Van | Niam | Zou |
Soleil | Flo | Holo | Mènè |
Étoile | Plè n'go | Pémènè n'go |
Le comput ne concerne pas les années : on compte seulement les jours et les mois sept pour les premiers, douze pour les seconds.
Les noms des jours varient suivant les régions. Les uns sont intraduisibles, les autres tirent leur origine de particularités locales. Nous prendrons comme exemple le canton Kono du Saouro :
Lundi | Terèn | |
Mardi | Takhala | |
Mercredi | Sinzoulogho | marché de Sinzou |
Jeudi | N'Zologho | marché de N'Zo |
Vendredi | Tongara Logho | marché de Tongarata |
Samedi | Sibli Logho | marché de Sibileu |
Dimanche | Terèn Mai | veille de Lundi |
Les noms des mois ont trait à la climatologie ou au calendrier agricole
Janvier | Poro p'la | terre sèche |
Février | Vou Zigné | vent mâle = vent violent |
Mars | Vou N'Za | vent femelle = vent doux |
Avril | Fou gouyé | ? |
Mai | Béré Zigna | semis de Fonio |
Juin | Tèn | ? |
Juillet | Guibé g'po | excréments du chat tigre. Les jeunes herbes leur donnent une odeur forte |
Août | Oué Oua | sec humide, pour marquer l'alternance des ondées et des éclaircies |
Septembre | Gouro | ciel ouvert |
Octobre | Yéké Yéké | onomatopée pour marquer la continuité de la pluie |
Novembre | Tanan | mois du tonnerre |
Décembre | Oué | mois de l'accouchement du Nyomou, de la sortie du Polon |
D'après B. Holas, la semaine dans la société Kono n'aurait été que de cinq jours et le mois aurait correspondu à une lunaison. C'est sous l'influence européenne et administrative que le système de la semaine de sept jours aurait été adopté, le samedi étant d'ailleurs un jour néfaste.
Le Kpellé ne connaît que les mesures naturelles : empan, coudée, enjambée. Mais il n'y a pas de relations fixes entre ces différentes mesures, elles sont variables suivant l'opération.
En ce qui concerne les produits (riz, palmistes, oignons) on considère le volume plutôt que le poids. Ils s'achètent à la mesure : celle-ci, constituée par une petite calebasse, varie d'un canton à l'autre. A titre indicatif signalons que la mesure de riz pèse en moyenne de trois cents à trois cent cinquante grammes.
Pour compter on utilise les doigts de la main et aussi les cailloux, un caillou ne représente d'ailleurs pas un nombre fixe, il peut valoir
Le Kpellé à qui le travail des champs laisse des loisirs nombreux, les occupe soit à voyager, (en saison sèche il se déplace beaucoup d'un village à l'autre pour saluer parents et amis), soit à ne rien faire assis sur la véranda de sa case ou allongé sur un hamac, soit encore à jouer.
Les enfants jouent avec n'importe quoi, les petites filles entourent de chiffons un morceau de bois et c'est une poupée que l'on porte dans le dos. Les bébés ont un hochet sorte de panier fermé dont le fond est fait d'un morceau de calebasse, il contient de petits cailloux et est muni d'une anse.
Avec des morceaux de ban les garçons construisent de petits chariots et maintenant des modèles réduits de camions qui n'ont pas trop mauvaise figure.
Ils ont aussi des cerceaux qu'ils conduisent à l'aide d'une ficelle dont une extrémité est attachée au cerceau et l'autre à un bâton que l'enfant tient à sa main. Il fait rouler le cerceau en relevant le bâton d'un coup sec, l'accompagne dans sa révolution en relâchant la ficelle, puis relève à nouveau le bâton lorsque l'attache de la ficelle est en bas.
Il est un autre jeu plus reposant mais plus compliqué auquel s'exercent hommes et enfants. Il s'agit d'une baguette de ban munie d'une ficelle attachée à chaque extrémité. Elle passe par un trou au milieu de la baguette et forme une boucle autour de celle-ci. Six fruits d'un arbre, ressemblant à des marrons d'Inde ont été au préalable enfilés sur la ficelle tous d'un même côté et un septième que nous appellerons le marron-clef, est enfilé à la fois sur les deux brins de la ficelle à l'endroit où celle-ci fait une boucle autour de la baguette. Le jeu consiste à faire passer tous les marrons d'un secteur à l'autre. Un peu d'adresse et de réflexion rendent la chose plus aisée qu'elle n'apparaît de prime abord. Il suffit de remplacer le marron clef par le premier marron à faire passer tandis que celui-là ira prendre rang dans le secteur vide. On procédera de même pour les autres fruits. Avant de commencer les opérations il faut égaliser la longueur des deux secteurs de ficelle, ce qui est indispensable pour relâcher la boucle, faire passer le marron-clef à l'intérieur de la boucle, remettre en place la boucle en tirant les deux extrémités ce qui permet au marron de glisser sur le secteur à garnir.
Enfin le grand jeu des adultes c'est celui des douze cases que les Toma et les Kpellé nomment Fao. Le damier en bois de fromager est fabriqué par le forgeron. Il comporte deux rangées parallèles de cases et une cavité à chaque extrémité où sont rangés les pions de métal d'un centimètre de côté.
Les joueurs sont assis l'un en face l'autre, le damier entre eux. Chacun prend ses pions dans la main en met deux par case puis prenant ceux de la case no. 1 les dépose dans les cases deux et trois, à ce moment on s'empare de ceux de la case trois de son adversaire si elle est pleine et le jeu continue suivant le même principe. C'est évidemment une question de vitesse et de calcul. Il arrive un moment où l'un des joueurs n'a plus de pions, il est perdant.
Avec l'arrivée des Européens et surtout après la guerre, les jeux de carte se sont répandus avec une facilité déconcertante. Les ravages opérés par le jeu sont importants : la passion pousse les joueurs à consacrer tout leur temps à cette activité, délaissant les travaux des champs et l'entretien de leur famille. Les pertes subies les entraînent au vol et parfois au meurtre, à moins qu'ils ne mettent leurs enfants en gage ou qu'ils ne se sauvent au Libéria pour éviter de payer leurs dettes.
Malheureusement la législation ne permettait pas de combattre efficacement ce fléau, seul le jeu sur la voie publique pouvait être puni et encore les peines étaient-elles trop légères.
La notion de beauté chez les Kpellé est évidemment assez peu compréhensible à nos esprits occidentaux, au premier abord du moins. Si on l'examine d'un peu plus près, elle paraît moins surprenante: après tout qu'y a-t-il de plus sauvage dans le fait de se mettre de l'indigo sur les sourcils, que dans le fait de les épiler et de les remplacer par un trait noir ? Quant à la coiffure, en quoi les châteaux branlants de certaines de nos élégantes étaient-ils plus civilisés que les cimiers et les cornes de cheveux des femmes Kpellé ?
Le tatouage proprement dit n'existe pas, il s'agit plus exactement de ses scarifications ainsi que nous l'avons vu. Celles des hommes n'ont pas de valeur esthétique, c'est la marque de l'initiation, la trace des griffes du Nyomou. Les boursouflures de la peau des femmes obtenues par brûlure ont une valeur esthétique et parfois en même temps une signification magique. Elles sont faites soit sur le bras, soit sur les seins ou le haut de l'abdomen. En certains cas elles sont faites sans raison par simple souci de coquetterie. D'autres fois, à la suite d'un songe qu'elle a eu, la femme déclare qu'il est nécessaire de faire un « tatouage » sur telle ou telle partie du corps si l'on ne veut pas attraper une maladie qui va s'abattre sur les femmes du village. Aussi toutes s'empressent-elles de se brûler avec un fer rougi à l'endroit indiqué.
D. Paulme a observé que presque toutes les femmes Kissi portaient sur le dos, la poitrine ou les bras, des scarifications faites avec un couteau ou un tesson de bouteille et dont les motifs les plus usuels sont la croix, la croix de Saint-André, la roue et la ligne brisée. Elles seraient systématiquement pratiquées vers l'âge de dix, onze ans et n'auraient qu'une valeur esthétique 9.
Dans la région entre l'Oulé et le Diani plus particulièrement, les femmes se font à l'indigo des raies bleues sur le front, les joues et la poitrine.
La véritable coiffure Kpellé n'existe plus guère. Partout elle a été remplacée par celle des femmes Malinké (cheveux partagés par le milieu, tressés et relevés en deux cornes de chaque côté de la tête). En certains villages quelques femmes ont conservé la coiffure traditionnelle. Elle se compose d'un cimier peu élevé fait de raphia noirci sur lequel passent les cheveux, et de deux cornes plaquées contre les joues, la pointe descendant jusqu'à la mâchoire inférieure. L'ensemble rappelle un peu l'aspect d'un casque et a quelque parenté avec la coiffure peule. Les hommes jeunes ont la tête complètement rasée ou portent leurs cheveux crépus très courts. Lorsqu'ils vieillissent ils les laissent pousser et les tressent en petites nattes, trois ou quatre ; ils tressent également leur barbe pour achever de revêtir l'aspect de vrais notables.
Les très jeunes enfants sont complètement rasés mais il arrive que l'on voie des bébés dans le dos de leur mère la tête couverte d'une épaisse toison laineuse, emmêlée et sale à plaisir. Dans le Saouro on dit que ce sont les incarnations d'esprits qui habitaient le marigot Son. Ailleurs les parents ont laissé pousser les cheveux du bébé sur les instructions du devin qu'ils ont consulté lors d'une maladie de leur enfant.
Lorsque le garçon ou la fille grandissent on laisse pousser leurs cheveux mais on les rase partiellement en dessinant les figures les plus variées : tantôt ce sera une croix, une demi-lune ou un croissant, tantôt on ne laissera subsister qu'une touffe sur le sommet du crâne.
Les ornements des hommes et des femmes consistent en bagues, bracelets et gris-gris divers. En 1912, le Lieutenant Bouet note que seules les femmes de chefs Toma portent des bracelets d'argent fondu et d'une façon très rare des bijoux d'or apportés par les dioulas de Siguiri et Kankan.
Les bagues sont des anneaux d'argent ou d'aluminium suivant la nature des pièces de monnaie que le forgeron a prises pour les fondre. Les bracelets sont formés de plusieurs anneaux de faible épaisseur ou d'un seul assez gros et ouvert, l'épaisseur du métal allant en diminuant vers les extrémités qui sont constituées par deux boules ou deux cônes. Parfois des figures géométriques gravées ornent le bijou.
Quelques bracelets ou colliers sont formés de ces coquillages qu'on nomme cauris, fixés sur un cercle de bois ou de peau. Ils se portent très haut sur le bras.
Autour des reins les femmes portent plusieurs rangs de perles bleues ou jaunes apportées dans les villages par les dioulas et qui forment bien souvent le seul costume des fillettes.
Pas un Kpellé, pas un Manon n'a garde d'oublier de porter ses gris-gris. Ce sont soit des dents de panthère, soit des sachets en cuir contenant quelques plantes ou poudre au pouvoir magique. Ils sont suspendus autour du cou par de fines lanières de cuir habilement tressées ; la couleur est en général rouge ou noire. Chaque individu en porte plusieurs et c'est un véritable enchevêtrement de cordons, de dents et de sachets (parfois en peau de crocodile) autour du cou et sur la poitrine, qui permettront à leur possesseur de conjurer le mauvais sort et d'échapper aux influences néfastes.
Nous avons traité du vêtement à propos des industries de protection. Nous n'y reviendrons pas. Signalons toutefois encore que du point de vue esthétique les boubous à rayures bleues et blanches, vertes et jaunes, rouges et noires, sont d'un plus bel effet que les étoffes d'importation, européennes ou américaines, de mauvaise qualité et d'un goût plus que douteux (tomates vertes sur fond rouge, motocyclettes bleues sur fond violet, etc.) et déplorons de voir d'authentiques Kpellé abandonner leurs vêtements traditionnels pour des culottes roses et vertes genre siroual sur laquelle on passe une chemise genre européenne tandis qu'on adopte pour coiffure un chapeau mou crasseux ou un melon acheté chez les commerçants de Nzérékoré. Et quand on est riche on complète avec une redingote ou un habit à queue.
Les seuls produits de la sculpture Kpellé et Manon que nous connaissions sont les masques et les piliers de case. A l'autre extrémité de la région les Kissi ne travaillent pas le bois ; ils n'ont pas de masques et le mobilier vient du pays Toma.
Toutes les cases ne possèdent pas de piliers sculptés, ceux-ci sont très rares. Pour notre part, nous n'en avons vu que chez l'actuel chef du village de Oulo dans le Boo. Les motifs sont soit des dessins géométriques, soit des reproductions d'objets usuels ou animaux familiers: calebasses, jeux des douze-cases, lézards, etc. Le bois utilisé est celui du fromager et le sculpteur est évidemment le forgeron.
Le Lieutenant Bouet a décrit la case à palabres de Soundedou en pays Toma 10. Les colonnes de support du toit étaient torses et évidées, chacune d'elles contenant une boule mobile taillée dans la même pièce de bois. Les colonnes étaient reliées entre elles dans leur partie supérieure par six solives formant un hexagone parfait et dont chaque face était surchargée de festons et de motifs de toutes sortes.
La case à palabres de N'Zébéla située dans la cour de l'ancien chef Togba était sculptée de la même manière.
Notons qu'en pays Kpellé les seules sculptures de case que nous ayons observées se trouvent dans la région du Diani donc à la frontière du pays Toma qui semble bien le berceau de cet art.
C'est également le forgeron qui fait les masques des génies. Ces masques sont de deux sortes : les masques de danse et les masques de sorcellerie, ceux-ci étant la reproduction à une échelle très réduite de ceux-là.
Les masques de génies mâles se distinguent de ceux des génies femelles principalement par leur barbe et leur moustache en poils de Colobe.
Les plus beaux masques sont faits dans la région Est du cercle de Nzérékoré, c'est-à-dire dans les cantons Kono. C'est aussi là qu'ils sont les plus variés. En effet, outre la représentation mâle et femelle de l'Esprit de la Forêt, le Nyomou, il existe de nombreux génies qui ayant perdu toute signification mystique ou magique sont devenus de simples bouffons ou de véritables institutions d'utilité publique (cf. Deuxième partie, chapitre IX).
On peut distinguer deux styles: celui de l'Ouest et celui de l'Est. Ce dernier est caractérisé par un nez très long et busqué, aux narines fortement dessinées, et par un vernis obtenu de la façon suivante: le masque une fois sculpté est enduit d'une résine végétale et enterré dans la boue ; quinze jours ou trois semaines après on le retire, on le nettoie, et il est d'un beau noir, brillant comme la laque.
On complète, s'il s'agit d'un mâle en fixant des poils noirs de colobe au menton et à la lèvre supérieure.
B. Holas a consacré un chapitre de son ouvrage sur « les masques Kono, leur rôle dans la vie sociale et politique », à la technologie du masque 11 mais les rites qui accompagnent cette fabrication ressortant de la religion, nous les avons cités au chapitre VIII de la deuxième partie.
Si les Kissi ne travaillent pas le bois, on a vu qu'on pouvait attribuer à leurs ancêtres la sculpture sur pierre tendre (stéatite) qui a donné les pòmta ou statuettes des morts que l'on découvre en grande quantité sur toute l'aire couverte anciennement par ce peuple.
En quelques endroits cette statuaire, plus grossière qu'autrefois existe encore.
Assez nombreux et variés les instruments de musique appartiennent aux trois catégories : à vent, à cordes, à percussion (ceux-ci étant les plus nombreux).
Les instruments à vent sont représentés par des trompes de forme conique allongée ; l'embouchure est près du sommet sur une génératrice du cône. Elles sont soit en ivoire recouvertes de peau de boeuf, soit en bois poli patiné par l'usage, soit en écorce recouverte de peau de panthère. Un cordon de cuir permet de les suspendre au cou. Les Toma les nomment Pouvougui ; ils ont également des fifres en cornes d'antilope.
Les instruments à cordes ne sont pas très nombreux. On ne les rencontre pas dans les orchestres, ils sont d'un usage individuel.
En premier vient la guitare que les Kono nomment gon et les Kpellé goni. La caisse de résonnance est constituée par une calebasse sphérique munie d'une ouverture à sa partie supérieure. Des lamelles de ban sont fixées sur la calebasse au cinquième de leur longueur. Les cordes sont attachées par un bout à l'extrémité inférieure des lamelles tandis que l'autre bout est attaché en un point de la lamelle de plus en plus rapproché de la caisse de résonnance de façon à obtenir des longueurs de corde décroissantes. Ces cordes autrefois faites en fibres végétales sont aujourd'hui remplacées par des câbles de frein de bicyclette et le son métallique est bien moins agréable à l'oreille.
Parfois une plaque de métal perforée sur son pourtour de trous où passent de petits anneaux, est fixée à la calebasse. Cette guitare est utilisée par les jeunes gens qui accompagnent leurs chants le soir en se promenant dans le village ou durant les longues marches dans la forêt.
Un autre instrument, d'origine Toma croyons-nous, est constitué par une calebasse demi-sphérique sur le sommet de laquelle est fixé un arc dont la corde forme corde vibrante.
Les Toma ont également un luth à huit cordes nommé douso fononigi.
Les instruments à percussion sont de loin les plus nombreux depuis le simple morceau de bois sur lequel on frappe avec une baguette jusqu'au Lone Bara le tambour triple ou quintuple.
Signalons pour mémoire la corne de boeuf et la carapace de tortue que frappent en cadence les vieilles de la société du Togba, le bruit produit ayant pour but d'éloigner les esprits malfaisants. Font également partie de l'orchestre du Togba mais ne sont pas exclusivement réservés à cet usage, le Ké et le Bo Kono.
Le Bo Kono est un cylindre de bois creux, généralement un morceau de bambou compris entre deux noeuds et muni de fentes latérales. On en fait aussi en bois de fromager. Parfois le cylindre se prolonge par deux losanges de bois. Le musicien le tient dans la main gauche et frappe dessus en cadence avec une baguette de bois dur.
Le Ké est formé d'une calebasse entière polie par l'usage, à laquelle on a conservé la queue que traverse un lacet de cuir. Le corps de la calebasse est emprisonné dans un filet en fils de coton de forme conique, la base de celui-ci étant garnie de perles de couleurs vives. Le musicien tient le lacet de cuir dans une main et le sommet du filet dans l'autre. Il scande son chant en montant et descendant la calebasse à l'intérieur du filet, et celle-là frappe les perles de celui-ci. Les perles ont remplacé des os de serpent.
Enfin voici la série de tous les tambours, le plus curieux étant le Damang Kpellé, appelé Vori en Toma.
Damang | Tourou |
Ké |
Le Damang est un double tambour, un cylindre creux de fromager de cinquante centimètres de hauteur présentant un étranglement en son milieu. La peau est en singe (il y en a une à chaque extrémité) serrée par une tige flexible; des cordelettes en fibres de palmier relient la tige du haut à celle du bas. Une autre cordelette ayant un bout libre entoure les premières en leur milieu ce qui permet de régler la tension des peaux. Une lanière en cuir de boeuf, fixée sur le bord de chaque extrémité permet de passer l'instrument sur l'épaule. Parfois, une plaque de métal garnie de petits anneaux sur le pourtour est clouée sur le bord de l'extrémité supérieure.
Lorsque le propriétaire de l'instrument fait un sacrifice il colle quelques plumes avec le sang sur l'étranglement du Damang.
La baguette est en racine de Gorli. Une extrémité est chauffée et recourbée c'est le manche. L'autre est entourée de ficelle et de chiffon, le tout serré dans un morceau de peau de singe.
Pour jouer, le musicien prend l'instrument sous le bras gauche et la baguette de la main droite ; légèrement penché en avant, il frappe en cadence, serrant les cordes plus ou moins fort par la pression du bras, pour modifier la tension des peaux Il peut aussi être pendu au cou chez les Toma et le musicien frappe des deux côtés
Dans le canton du Boo, à Yomou, un musicien jouait de deux damang à la fois, un sous chaque bras, frappant le gauche de la main droite et le droit de la main gauche.
Le Bara est un tambour de forme grossièrement conique, la base étant recouverte de peau maintenue par de grosses ficelles que des chevilles de bois tendent fortement, et le sommet se prolongeant par un évasement.
Ce tambour est suspendu par une corde au cou du musicien qui en passe le sommet entre ses cuisses. Dans la position fléchie il frappe la peau alternativement de la paume et de l'extrémité de ses deux mains. Souvent il accompagne ces battements de cris gutturaux.
Le Lone Bara présente de chaque côté du Bara, un ou deux tambours latéraux de grandeur décroissante, ce qui porte à trois ou cinq le nombre des tambours suivant le rythme à produire. Parfois le musicien frappe du tranchant de la main ce qui rend un son sec et bref.
Le Kon Bara que l'on rencontre maintenant n'est pas traditionnel, c'est une simple imitation de la grosse caisse des musiques militaires. Deux peaux sont tendues par le même système que précédemment sur les deux faces d'un cylindre creux du fromager d'un mètre de diamètre et quarante centimètres de hauteur environ. Cette grosse caisse est suspendue au cou par une corde et le musicien la frappe à l'aide d'un ou deux bâtons dont l'extrémité est entourée de ficelles et de chiffons recouverts de peau.
Nous ne parlerons pas d'innovations moins heureuses comme boîtes de conserves, touques métalliques vides sur lesquelles on frappe à tour de bras avec un bâton.
Lors de nos tournées nous avions l'occasion de rencontrer la plupart des genres d'orchestre de la société Kpellé, en une seule étape d'un village à l'autre.
Il y avait d'abord nous accompagnant pendant toute l'étape, l'orchestre des chefs : celui-ci très simple est composé de deux musiciens, Ké et Damang, qui chantent en s'accompagnant de leurs instruments. Le chef d'orchestre est le joueur de Damang, le joueur de Ké n'étant que l'accompagnateur. Ils ont l'habitude de chanter les louanges du Tomou ou les exploits légendaires des grands guerriers de la région. Nous nous souviendrons toujours d'une interminable étape entre N'Za byaye (Boo) et Ouéta (Ourapeulé) où deux hommes mandés exprès du pays Toma par le chef de l'Ourapeulé, nous emplirent les oreilles des hauts faits de N'Zebela Togba et de Kaman Kekoura sans qu'il fut possible de les arrêter : ces gens avaient été payés pour cela et ils avaient de la conscience professionnelle.
Lorsque nous apercevons les colatiers plus nombreux, le village est proche et nous ne tardons pas à voir s'approcher des jeunes gens et des jeunes filles se trémoussant et chantant au rythme d'une grosse caisse, Kon Bara ; c'est la danse du Koukou. Ce n'est pas un genre traditionnel, il est d'importation toute récente dans cette partie de l'Afrique Noire. Il vient du pays des Mahouka (cercle de Séguéla, Côte-d'Ivoire), il a traversé le cercle de Nzérékoré du nord-est au sud-ouest.
La société du Koukou, qui est la forme moderne de la traditionnelle société des jeunes gens, est une imitation de la société européenne. Son chef est le « gouverneur » assisté du « grand commandant » et du « petit commandant » (le commandant de cercle et son adjoint). Il y a aussi le capitaine, le médecin. Parfois les jeunes gens qui remplissaient ces rôles, s'ingéniaient à reproduire, non sans humour, les défauts des véritables titulaires.
Ils donnent des fêtes, des banquets, où l'on mange sur des tables avec des fourchettes et des cuillers : c'est une véritable parodie.
Les jeunes filles se vêtent de leurs plus beaux pagnes et mouchoirs de tête que leur ont offert leurs galants. Elles tiennent à la main un plumeau formé de fibres de raphia teintes à l'encre d'importation en bleu, vert, violet ou rouge. Elles l'agitent, en chantant, au-dessus de la tête. Les jeunes gens ajoutent volontiers quelque défroque européenne à leur costume : un chapeau mou, un casque, une veste, un insigne, des chaussures, une ceinture et surtout, ce qui est considéré comme le fin du fin de la civilisation, une paire de lunettes de soleil (peu importe d'ailleurs si le danse a lieu la nuit).
La danse n'est pas compliquée : garçons et filles tournent suivant un grand cercle en piétinant et en agitant leurs plumeaux de raphia. Le gouverneur au centre du cercle dirige la danse, aidé pour la discipline générale par le commandant, le capitaine et le docteur. Si la danse a lieu en l'honneur de quelqu'un, les participants avancent vers lui lentement en rangs serrés sur un front d'une dizaine, conduits par le gouverneur. Ils chantent courbés en deux devant l'hôte à honorer puis sur un signe de celui-ci reculent en se relevant et reforment le cercle.
La société du Koukou n'a pas pour seule activité la danse: en tant qu'héritière des traditionnelles sociétés de jeunes gens elle est aussi une association de secours mutuel.
Les cadeaux que reçoivent les danseurs ne leur sont pas personnels, ils vont à la caisse commune. Si l'un des membres du Koukou est fiancé, il doit, selon la coutume, travailler les champs de son futur beau-père ; ses camarades du Koukou vont alors l'aider dans cette tâche. Plus généralement un villageois peut faire appel au Koukou pour ses travaux, à charge bien entendu de nourrir et abreuver les travailleurs.
A l'entrée même du village, les sonneries des trompes éclatent. C'est l'orchestre de guerre. Il comporte en général quatre trompes et un Lone Bara. Chaque trompe donne deux ou trois notes (différentes suivant la trompe) et l'effet est assez curieux, il ne manque pas de valeur musicale à condition de ne pas les entendre trop longtemps. Tantôt cela ressemble à un carillon, tantôt à un morceau de saxophone. Les joueurs soufflent dans l'embouchure et avec la main obturent et débouchent alternativement l'orifice de la trompe. Parfois ils chantent ou émettent plutôt un son rauque du fond de la gorge dans l'intervalle de deux notes.
Le tambour Lone Bara scande et marque le rythme en même temps que le musicien lance des cris rauques.
Ce tam-tam qui joue en l'honneur des guerriers et qui a également sa place à leurs funérailles ou à celles des chefs, vient s'agenouiller devant le Tomou tout en jouant puis sur un signe de celui-ci reprend sa place.
Enfin, un bruit de castagnettes et c'est le Togba qui s'avance, nous l'avons déjà décrit en détail (2e partie, chapitre IX). Trois danseuses principales : l'une portant le fétiche, le Togba, l'autre la bassine « d'eau bénite » et la troisième la queue de boeuf.
La porteuse du Togba martèle le sol en cadence de ses pieds garnis de grelots. La troupe des vieilles femmes aux seins pendants frappe en chantant les carapaces de tortue, les cornes de buf, les cylindres de bois, etc...
C'est plutôt du bruit que de la musique, mais c'est assurément de la danse, le pas est très étudié, chacune des trois danseuses principales a son rôle à jouer fidèlement. Le Togba serait originaire de Oueta dans l'Ourapeulé et de là se serait répandu dans le reste du cercle.
Le soir venu tout le village est en fête et les danses se prolongeront tard dans la nuit accompagnées d'importantes libat
Il est spectacle plus curieux, c'est celui des petites danseuses que l'on trouve dans la région de N'Zao et de Lola. Ces danses acrobatiques sont dignes du cirque de nos pays. Des hommes portant un costume spécial (en particulier une mitre en barbe de bélier ou de colobe) se lancent des fillettes et les reçoivent d'une main, ayant dans l'autre un poignard pour augmenter la difficulté. Les danseuses sont peintes au Kaolin suivant un dessin compliqué. On dit que leur initiation est plus complète que celle des autres jeunes filles.
Les danses des échassiers, celles du Nyomou coureur, déjà décrites, complètent un ensemble assez riche.
En pays Manon, les chants sont presque tous en langue Kpellé, mais la mélodie est très spéciale et pour une oreille tant soit peu avertie il est impossible de se tromper.
Les chanteurs Manon portent en général une mitre noire en poils de colobe ou une sorte de bonnet semblable à celui des guerriers, rappelant un peu le bonnet phrygien et fait de peau de panthère ornée de cauris et de barbe de bélier. F. Bouet attribue à une influence Kpellé le costume des musiciens Toma qui d'après sa description ressemble plutôt à celui des Manon.
C'est aussi chez les Manon que se trouvent les charmeurs de serpents qui sont également des danseurs. On porte le serpent (serpent vert ou serpent cracheur) la partie terminale enroulée autour du cou, le reste du corps le long du bras et la tête dans la main. Un rythme spécial, un produit dont les charmeurs s'enduisent le corps, engourdissent la bête qui d'ailleurs n'a peut-être pas toujours ses crochets. Cette science serait venue du Libéria il y a quelques années.
Bien entendu la littérature écrite n'existe pas et il était grand temps de recueillir les contes, récits, proverbes et légendes, si l'on ne voulait pas qu'ils tombent totalement dans l'oubli, ce qui serait dommage d'ailleurs car il en est de fort intéressants et de fort drôles 12.
Les personnages qui connaissent ces fables ont une réputation qui déborde le cadre de leur village et même de leur canton. Certains vieux (tel Ziga, le chef de Iro) ne peuvent ouvrir la bouche sans dire un proverbe et d'autres ne tarissent plus lorsqu'on les a mis en confiance, contes et récits se succèdent à une cadence accélérée et ils rient de bon cur de leurs propres histoires en se donnant de grandes claques sur les cuisses.
Cependant c'est le soir qui est le plus favorable à l'audition de ces contes et légendes. Après le repas, les hommes arrivent par petits groupes et s'assoient en bavardant. Peu à peu le cercle est formé mais le premier rôle n'est pas là. Le voilà qui arrive sur ses longues échasses : c'est un Nyomou Kuia, les mains et la figure dissimulées, le grand bonnet pointu sur la tête et vêtu du boubou bleu et blanc à longues manches. Dans la nuit on ne distingue que sa silhouette dégingandée et il faudra qu'il vienne s'asseoir éclairé par les lueurs du feu pour qu'on en distingue plus nettement les détails. Ses grandes jambes allongées il s'appuie au sol de ses mains placées derrière ou à côté de lui.
A quelque distance un orchestre de jeunes gens, chur de chanteurs, Ké et bara, s'apprête à l'accompagner, près de lui son interprète.
Le Nyomou chante de sa voix suraiguë et ses phrases sont reprises par le chur, puis le récit s'établit et l'interprète rend intelligible à tous les phrases prononcées par son Nyomou. Lorsque certains passages sont particulièrement importants le choeur les souligne en reprenant mezza voce certains mots, certaines finales.
La morale ou plus exactement la conclusion, quand il y en a une, est paraphrasée par le choeur toujours sur le même ton. C'est là que nous avons entendu les chants Kono les plus doux et les plus harmonieux. Une partie des chanteurs accompagne l'autre en imitant bouche fermée des pincements de cordes : l'effet est saisissant.
Notes
9. D. Paulme. Les gens du riz. Op. cit., p. 57.
10. F. Bouet. Les Toma. Op. cit., p. 54.
11. B. Holas. Les masques Kono. Op. cit., p. 37
12. Outre ceux qui suivent, Th. Mengrelis en a recueilli et publié dans les Etudes guinéennes, no. 1 (Contes de la forêt) et B. Holas dans le no. 9 (Echantillons du folklore Kono).
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