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Ethnographie


Jacques Germain
Administrateur en chef des Affaires d'Outre-Mer (ER)
Guinée. Peuples de la Forêt

Académie des Sciences d'Outre-Mer. Paris. 1984. 380 p.


CONTES KONO

Tel est pris qui croyait prendre

Il y avait une fois dans la région que l'on nomme le Saouro, deux hommes qui se nommaient G'bana et Teguélé. Ils passaient pour des malins et on évitait plutôt d'avoir affaire à eux tellement leur roublardise était grande et connue.

Un jour une famine terrible éclata dans le pays voisin qui était celui des Dan et des Mahouka. Les habitants en étaient arrivés à manger de la terre qu'ils faisaient cuire.
G'bana, un soir qu'il était assis devant sa case entendait les voyageurs venus du pays des Mahouka décrire l'état lamentable dans lequel se trouvaient les voisins. Une idée lui vint. « Je vais, se dît-il, me rendre au marché de ces gens avec un sac de gravier que je recouvrirai de quatre mesures de riz. »

Téguélé de son côté eut la même pensée et prépara un sac de pierres recouvertes de quatre mesures de fonio.

Le jour du marché venu, les deux compères partent de bon matin et se rencontrent peu après le marigot à la sortie du village où les femmes venues puiser l'eau pour la toilette et la cuisine du matin les saluent.

— Où vas-tu demande Téguélé à G'bana ?
— Au marché de Sinzou vendre un peu de riz qui me reste. Il faut bien aider ses voisins quand ils sont dans la misère.
— Tu as bien raison, reprend Téguélé. Un jour ces gens nous viendront en aide quand ce sera notre tour d'être en difficulté. J'ai eu la même idée que toi, et pour ma part j'emporte avec moi un grand sac de fonio. Je l'avais gardé pour une fête que je voulais offrir à mes amis, mais je le donnerai de grand coeur à nos voisins.

Ainsi devisant, ils parviennent à Sinzou. Sur la place du marché, il n'y avait que des individus faméliques à terre et mâchant des lanières de peau de boeuf, il n'y avait rien à échanger. Grande fut donc leur joie de voir arriver ce sac de riz et ce sac de fonio qu'ils payèrent de sept boules d'or.

Riant de leur tour en leur for intérieur, G'bana et Téguélé retournent chez eux, lestés de leurs sacs mais cachant précieusement les sept boules d'or.

Ils habitaient deux villages différents, G'bana avait sa case dans le plus proche. Il dit à Téguélé :
— Il faudra soigneusement nous cacher pour opérer le partage car si les chefs apprennent la chose, ils vont vouloir prélever leur part, or je suis d'avis que nous gardions tout pour nous.
— Le mieux, semble-t-il, répondit Téguélé, est de partager immédiatement dans ta case pour que je puisse rentrer rapidement chez moi.
— Non, non, rétorque G'bana, car si on nous surprenait on nous infligerait des amendes. Je vais mettre les boules dans mon coffre et dans trois jours tu reviendras pour que nous partagions.

G'bana tue un poulet et offre à manger à son ami qu'il accompagne jusqu'au marigot qui sert de limite à leurs deux villages.

Le soir dans le secret de la case, G'bana confie son projet à sa femme :
— Je vais ôter les boules de mon coffre, bien les cacher. Quand Téguélé viendra, je te demanderai où tu les as mises, tu feras la sotte et je te battrai pour te faire avouer, mais prends bien garde de dévoiler quoique ce soit, laisse-toi battre et réponds que tu ne sais rien.

Trois jours après Téguélé se présente ; G'bana lui fait boire du bangui, lui offre des colas et appelle sa femme pour qu'elle serve le riz, la sauce et le poulet. Lorsque celle-ci arrive il lui dit à l'oreille d'apporter les boules d'or qui sont dans le coffre.

La femme revient disant qu'elle ne les a pas trouvées.
— Ne fais pas la sotte, dis-moi où tu les as cachées, répond G'bana.
— Mais je ne les ai pas cachées.
— Tu les as volées pour donner à tes amants.
— Non, je ne les ai pas volées.
— Ah, tu ne les a pas volées, coquine, et cela tu ne l'as pas volé ?

En même temps, G'bana prend son bâton et en assène de grands coups sur le dos de sa femme qui par ses cris ameute tous les voisins. Mais les coups ne lui arrachent pas le secret. Elle joue parfaitement la comédie.

A la fin G'bana se tourne vers Téguélé et prenant un air désolé lui demande pardon d'avoir une femme aussi voleuse, qu'il va tout mettre en oeuvre pour retrouver les boules.

G'bana accompagne de nouveau Téguélé et le quitte au marigot, puis il va au champ. Téguélé au lieu de continuer s'assied près du marigot. Le soir quand la femme de G'bana vient puiser de l'eau, il la salue et lui murmure :
— Ton mari a eu tort de te battre, mais c'était pour mieux tromper les gens du village. Il vient d'entrer dans ce fourré pour faire ses besoins et il a dit que tu apportes l'or afin qu'on le partage à l'abri des regards.
— Est-ce bien vrai, interroge la femme ?
— Que le gris-gris me prenne si je mens, répond Téguélé. La femme laisse là calebasses et canaris, et court chercher les boules d'or qu'elle remet à Téguélé puis elle rentre à la maison avec sa provision d'eau.

Téguélé se hâte de regagner son village. Il réunit sa famille et donne ses instructions :
— Voici sept boules d'or, cachez-les bien et répandez le bruit de ma mort. Creusez ma tombe et enterrez-moi en prenant la précaution d'y placer un bon plat de riz et un roseau pour que je puisse manger et respirer.

Ainsi fut fait.

Pendant ce temps, G'bana qui avait travaillé son champ en pensant au bon tour qu'il avait joué à Téguélé et à la fortune qui était désormais la sienne, rentrait à sa case. Il dit à sa femme:
— Je t'ai frappé ce matin, mais maintenant nous sommes riches.
— Combien t'est-il échu en partage ? demande la femme. G'bana s'étonne, questionne, comprend soudain et tombe sur sa femme qu'il rosse pour tout de bon. Puis il se hâte vers le village de Téguélé où il trouve les femmes pleurant et les hommes buvant le bangui.
— J'apprends que mon cher Téguélé est mort, dit-il, moi qui ai encore mangé avec lui ce matin. Où l'avez-vous mis ?
On le conduit sur sa tombe. Il prend alors deux colas et dit :
— Je vais te rejoindre cher ami. Je vais dire adieu aux miens et je reviendrai mourir près de toi, garde ma part de nourriture, quelle que soit celle que tu manges aujourd'hui.

G'bana rentre à son village et prend une trompe puis la nuit venue retourne en se cachant au village de Téguélé et soufflant dans la trompe il en fait le tour en imitant le cri de la hyène.

Téguélé croyant entendre le cri de la hyène hurle, et saisi de frayeur demande à ses frères de venir le déterrer avant que la hyène ne le fasse. Les villageois prennent des torches, font le tour du village, tirent des coups de fusil.

G'bana cache sa trompe, se mêle à eux et rencontre Téguélé. Il simule un grand étonnement et demande comment on peut se faire enterrer pour une simple question d'or.
— Et toi, n'as-tu pas battu ta femme pour une simple question d'or, répond Téguélé.

Le ton s'élève et les amis en viennent presque aux mains, lorsque les gens s'interposent et conseillent aux compères d'aller devant le chef de village. Bon gré, mal gré ils acceptent. Le chef de village prélève une boule et en donne trois à Téguélé, trois à G'bana.

Contents quand même Téguélé et G'bana s'en vont ensemble boire le bangui de la réconciliation. A la lueur de la lampe à huile, ils font miroiter leur or, soupèsent les boules et les ouvrent pour voir si l'éclat intérieur correspond à l'éclat extérieur. Leurs mines s'allongent quand ils constatent que leurs pierres et leur gravier recouverts de riz et de fonio ont été payés en pierres rondes recouvertes d'une mince couche d'or.


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