Académie des Sciences d'Outre-Mer. Paris. 1984. 380 p.
Deux orphelins avaient reçu deux oeufs de leur mère. L'un se nommait Mo'Horoboa (ce qui signifie je ne gagne pas, c'est-à-dire le malchanceux), l'autre Lamana Missa.
Après le décès de leur mère, les deux jeunes gens partirent en voyage. Lamana avait les deux oeufs dans son bagage. En arrivant au village de Gaman, Lamana casse un oeuf :
— Pourquoi as-tu fait cela, demande Mo Horoboa.
— Allons calme-toi, répond Lamana, notre mère nous a bien recommandé de ne pas nous disputer, puisque nous sommes frères.
Mo Horoboa avait une amante dans ce village, elle leur fait chauffer de l'eau pour leur bain. En se couchant Lamana casse la cuvette. Ma Horoboa se met en colère contre Lamana qui tente de le calmer en disant :
— Pourquoi nous disputer, puisque nous sommes deux frères orphelins ?
Ils repartent et s'arrêtent pour coucher au village suivant. Un ami leur donne l'hospitalité et leur sert à manger. Le repas fini, Lamana casse la calebasse. Mo Horoboa se fâche avec violence, cette fois il n'accepte pas les excuses de son frère et déclare qu'il veut se séparer de lui.
— Nous nous séparerons, rétorque Lamana Missa, mais auparavant je casserai l'oeuf restant .
En vérité il fabrique un oeuf de Kaolin et c'est celui-là qu'il casse devant Mo Horoboa, cachant le vrai dans son sac. Et ils s'en vont chacun de leur côté.
Arrivé au village de Kani, un vieux le loge pour la nuit. Lamana lui montre l'oeuf et lui demande de le mettre à couver. Le vieux va le mettre dans le poulailler. Le matin avant le chant du coq, Lamana se réveille, sort sans bruit de la case, se dirige vers le poulailler, casse son oeuf et en enduit de jaune le bec du coq, puis il retourne se coucher.
Lorsque le moment de partir est venu, il salue le vieux et lui réclame son oeuf.
— Va le chercher toi-même, il est au poulailler, rétorque le vieux. Lamana va au poulailler, feint de chercher et pousse un cri :
— Ton coq a cassé mon oeuf, un si bel oeuf que m'avait donné ma chère mère.
Le vieux vient se rendre compte, réunit la famille et décide qu'en compensation on donnera le coq.
Lamana continue donc sa route avec son coq dans une cage conique comme en fabriquent les Kpellé et les Kono. Quand le soir tombe, il s'arrête à un village et confie son coq au chef qui le met avec les moutons.
Avant le lever du soleil, Lamana se glisse dans l'enclos, tue son coq, enduit de sang les cornes du bélier et retourne se coucher.
Au moment de partir, il va saluer le chef de village et lui réclame son coq. Ils vont à l'enclos et découvrent le coq crevé, du sang sur les cornes du bélier. Il se lamente tant, qu'après avoir réuni le Ton, on décide de lui donner le bélier à titre de compensation.
Lamana continue sa route avec son bélier au bout d'une corde. A la fin de la journée, il arrive dans un village et confie son bélier à un notable qui le met avec ses boeufs. Le matin avant le lever du soleil, Lamana sa faufile jusqu'à l'endroit où se trouvent les boeufs. Il tue son bélier, enduit de sang les cornes du taureau et retourne se coucher.
Au moment du départ, il va saluer son hôte et lui demande son bélier. Ils vont ensemble le chercher et découvrent le malheur. Lamana s'arrache les cheveux, vante son bélier et déclare qu'il aurait mieux aimer mourir. Le Ton se réunit et après une journée de palabres décide que le notable réparera le tort causé à l'étranger en remplaçant le bélier par un boeuf.
Lamana continue sa route avec son boeuf. A l'entrée du prochain village il rencontre un cortège funèbre et interroge les gens.
— C'est une jeune fille qui est morte ce matin, disent-ils.
Lamana propose alors d'échanger son boeuf contre le cadavre à condition qu'il soit habillé de tous les vêtements que possédait la défunte. Le marché est conclu et l'on remet à Lamana le cadavre dans un grand Fou-fou, qu'il charge sur sa tête. Il dépasse le village et ne s'arrête qu'au suivant où le chef le loge dans la case de son propre fils. Lamana habille le cadavre et le place sur le canapé le dos appuyé au mur.
Lorsque le fils du chef rentre, il s'étonne de trouver du monde dans sa case, se renseigne auprès de son père et va trouver Lamana.
— Quelle est cette femme que tu as avec toi ?
— C'est ma soeur.
— Je veux coucher avec elle cette nuit.
— Non, cela ferait des histoires.
Après avoir vidé plusieurs gourdes de bangui en palabrant, ils se mettent d'accord sur le prix.
Le fils du chef est tellement saoul qu'il passe la nuit avec le cadavre sans s'apercevoir de rien. Lamana avait d'ailleurs pris la précaution de lui dire :
— Eteins le feu pour que ma soeur n'ait pas honte, je te préviens qu'elle est peu sensible, on a beau lui tordre les mains, elle ne bouge pas plus qu'un morceau de bois.
Au petit jour, Lamana va réveiller les amants disant qu'il est temps de se mettre en route. On secoue la jeune fille, elle ne se réveille pas. Malgré tous les efforts on ne peut la ranimer. Lamana approche une torche du visage de sa soeur et pousse un cri qui ameute tout le village :
— Voyez ce scélérat, il a tué ma soeur en passant la nuit avec elle, qui me la rendra maintenant ? s'écrie-t-il en se roulant sur le sol de la case.
Les vieux du Ton se réunissent et décident qu'on ne peut réparer un tel acte qu'en donnant une autre jeune fille à l'étranger de passage.
Lamana poursuit sa route avec une compagne bien vivante cette fois.
Lamana était ambitieux, il voulait devenir chef de toute la région dont il avait si bien dupé tant d'habitants et il promit de s'en prendre maintenant au Tomou. Il était à ce moment dans la région de Guéasso, que parcouraient souvent des marabouts à cheval. Il en rencontre un et pendant qu'il faisait sa sieste, lui dérobe un cheval tout blanc avec lequel il va trouver le Tomou auquel il propose de le vendre. Ce cheval, disait-il, a des propriétés merveilleuses, on trouve de l'or dans son crottin.
Il avait pris la précaution de cacher une petite pépite d'or dans l'anus de la bête dérobée et proposa de faire une expérience devant tous les notables. Elle fut bien entendu concluante.
Le Tomou voulait se porter acquéreur, mais Lamana lui répondit qu'un tel cheval n'était pas à vendre. Le Tomou insiste disant qu'il est prêt à payer n'importe quel prix.
— Mon prix serait trop cher pour toi, répond Lamana.
— Dis toujours.
— Un cheval, dix boeufs et deux jeunes filles.
Le Tomou accepta et paya sur le champ Lamana, qui s'éloigna acclamé par la population.
Les jours suivant, le Tomou ne quittait pas son cheval guettant le moment où sa queue se levait, mais on ne trouvait jamais d'or dans son crottin. Au bout d'une semaine comprenant qu'il avait été joué, il devint furieux et envoya ses guerriers à la poursuite de Lamana. Celui-ci fut rattrapé et amené ligoté devant lui.
Le conseil des notables décide qu'on mettra l'imposteur dans un panier et qu'on le jettera au marigot. Lamana est donc enfermé dans un fou-fou et emporté sur le bord du Bafing infesté de crocodiles. Mais on s'aperçoit qu'on a oublié les fouets et laissant Lamana sur place, on repart au village. Pendant ce temps, notre homme se démène tellement qu'il réussit à sortir du fou-fou. Un jeune homme revenant des champs passait à ce moment, il se jette sur lui, le bâillonne, le ligote et l'enferme dans le fou-fou. Puis il va se cacher dans un fourré voisin. Les gens du village reviennent armés de fouet dont ils frappent le fou-fou où ils croient Lamana toujours enfermé et finalement ils le jettent dans la rivière.
Lamana attend qu'ils soient partis et prend la route de Foumbadougou, qui en ce temps-là était peuplé de Kono (il n'y avait que très peu de Konianké). On avait tué un boeuf pour une fête. Pour sa part, il ne demande que la queue et retourne chez le Tomou qu'il trouve en train de boire le bangui avec les vieux du village. Il s'amuse fort de leur surprise et les remercie de lui avoir permis d'aller rendre visite à ses ancêtres dans le Nyomata, maintenant il est ressuscité grâce à cette queue de boeuf dont il suffit de frapper sept fois un cadavre pour lui rendre la vie. Les assistants sont tout de même un peu sceptiques, aussi Lamana Missa leur propose de faire l'expérience devant eux sur sa propre femme le lendemain matin.
Pendant la nuit, il tue un poulet, en prend le gésier, le vide, le remplit de sang et le met au cou de sa femme qui le couvre de son pagne.
Le lendemain tout le village est réuni, les gens des environs sont même venus avec les griots, les danseurs et les musiciens. Tous forment cercle autour de la cour du Tomou, qui est assis devant sa case avec ses notables. Le bangui coule à flot, les gourdes vides sont aussitôt remplacées par des gourdes pleines.
Lamana paraît avec sa femme qui va se placer à l'ombre du fromager. Un grand silence règne.
Lamana danse avec son cheval qu'il fait caracoler devant le Tomou, puis sortant son sabre, il l'aiguise et fait sept fois le tour de la cour en le brandissant, à la septième fois il se dirige vers sa femme, la prend par la tête et lui frappe le cou du tranchant de son sabre. Elle s'écroule tandis que le sang se répand, lance deux fois les jambes en l'air puis reste immobile.
L'assistance est terrifiée. Lamana souriant remet le sabre au fourreau, va chercher sa queue de boeuf et ayant prévenu les joueurs de damang d'avoir à frapper leurs tambours pour accompagner ses gestes, sept fois il frappe le cadavre de la queue, demande de l'eau, lave la plaie et prend par la main sa femme, qui se lève ressuscitée.
La foule acclame Lamana et le Tomou demande à ce que l'expérience soit tentée sur lui, tout le monde voudrait aller faire un tour au Nyomata; mais Lamana déclare qu'il vaut mieux commencer par le chef et les notables. Ceux-ci font faire à l'envie de beaux cercueils, car pour les chefs et les notables, le cadavre, dit Lamana, doit passer deux nuits dans la tombe avant de ressusciter.
Avec le même cérémonial que pour sa femme, Lamana tue le Tomou et les notables, mais leur tranche complètement la tête.
Un jour, deux jours se passent, puis trois, puis quatre, une semaine, un mois sans que le chef ressuscite. Les villageois s'étonnent, alors Lamana les réunit et leur annonce que le Tomou ayant voulu le faire mourir en le jetant à l'eau, il l'a tué et qu'il ne le ressuscitera pas. C'est lui qui maintenant est leur propre Tomou. Il hérite de ses biens, de ses femmes et gouverne un grand canton, craint et respecté de ses sujets, qui ne se sont pas souciés d'attirer sur eux la colère d'un tel sorcier par une fidélité trop active à leur ancien Tomou trépassé.
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