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Environnement


Cosme Dikoumé
Projet d'aménagement intégré du massif du Fouta-Djalon

(République populaire révolutionnaire de Guinée)
Identification des facteurs humains
Mission conjointe OUA/PNUE-UNSO/FAO/UNESCO
Douala, Institut panafricain pour le développement. 1981. 44 pages


Chapitre II — La situation actuelle

a) La position du problème

La précédente mission conjointe a, déjà l'année dernière, relevé l'absence ou l'insuffisance des données de base fondamentales pour l'élaboration et l'exécution du projet d'aménagement hydraulique du massif du Fouta-Djalon, et celles des projets connexes.

Rappelons que ces projets consistent en la construction de barrages sur certains des nombreux cours d'eau du massif, afin, d'une part de produire de l'énergie susceptible de provoquer, entre autres, la création des industries, et d'autre part, de permettre une plus grande maîtrise et une meilleure gestion de l'eau.

Des études techniques réalisées ont permis aux autorités guinéennes d'une part, d'établir des priorités et des choix stratégiques sur le plan national, et d'autre part en rapport avec les pays voisins situés dans les bassins versants de certains de ces cours d'eau, d'élaborer des programmes de mise en valeur des ressources énergétiques et minières. Outre la promotion de l'industrie et la couverture des besoins énergétiques, l'autre finalité de ces aménagements est, selon la vocation même du Fouta-Djalon, la rationalisation et l'augmentation de la production agricole et pastorale. Eu égard à la situation stratégique du Fouta-Djalon, les répercussions de ces aménagements sur l'ensemble des bassins versants des cours d'eau, partant sur un grand nombre de pays de cette sous-région, sont inéluctables. L'existence de plusieurs organismes inter-étatiques de mise en valeur constituent déjà la preuve de l'intérêt que les gouvernements des pays de cette sous-région portent à ces différents projets.

Comme dans les autres domaines, les données démographiques, sociologiques et économiques font cruellement défaut. Ou bien elles sont très anciennes, insuffisantes et parcellaires, ou elles sont trop académiques et spécialisées et ne traduisent pas avec satisfaction la dynamique de la situation socio-économique tant du pays que de cette région. Une exception doit être faite au remarquable travail de Jean Suret-Canale, « République de Guinée » publié il y a une dizaine d'années. Il faut ce pendant souligner que, faute de mieux, Suret-Canale a dû souvent recourir aussi aux sources documentaires anciennes, en tout cas datant d'avant l'indépendance, survenue en 1958.

Les publications au Parti Démocratique de Guinée constituent une autre source importante de documentation pour la compréhension des grandes orientations politiques et des problèmes majeurs pour l'ensemble de la RPR de Guinée au cours des 20 dernières années. Le PDG-RDA est en effet le fondement et le centre d'impulsion de toute la vie politique, il contrôle tous les secteurs de la vie nationale et oriente la « voie guinéenne du socialisme » . Il n'en demeure pas moins toutefois que la manipulation et l'utilisation des documents d'un parti politique fût-il unique et Parti-Etat, doivent être faites avec quelque réserve, compte tenu du caractère engagé et militant de tels écrits.

Un rapide examen des titres de mémoires de fin d'études supérieures, en histoire, sociologie et géographie, tant à l'Institut Polytechnique de Conakry qu'à l'Institut National de la Recherche et de la Documentation nous a révélé que certaines études portent sur le Fouta-Djalon. Bien que d'inégale valeur et visant une finalité plutôt académique, elles contiennent des éléments appréciables de connaissance du Fouta-Djalon dans son contexte national et sous régional, ces études constituent aussi une précieuse documentation pour des études systématiques et globales dans le domaine des sciences humaines en rapport avec le projet d'aménagement intégré du massif. La bibliothèque centrale de l'Université de Dakar ainsi que celle de l'institut Fondamental de l'Afrique Noire de la même ville renferment également des ouvrages sur le Fouta-Djalon.

b) Aperçu historique et sociologique

Le Fouta-Djalon est communément considéré dans la littérature historique comme une zone-refuge, un pays carrefour. Il renferme en effet des populations « en fuite » ou en aventure venues de toutes les régions environnantes : région forestière et celle des marécages de la Guinée Maritime. Le gros du fonds du peuplement actuel est cependant venu du territoire connu aujourd'hui sous l'appellation de République du Mali et de la région du Fouta-Toro au Sénégal. On y relève même des échantillons de peuples qui se rencontrent dans la République voisine de Guinée Bissau. L'occupation du Fouta-Djalon reste incontestablement liée aux événements consécutifs, d'une part à l'éclatement de l'Empire du Ghana et du Mali, bref, aux perturbations survenues sur le Soudan médiéval et, d'autre part à l'extension de l'Islam et à la volonté de quelques souverains d'imposer cette religion aux tribus païennes. Parmi celles-ci on dénombre comme groupes ethniques autochtones occupant anciennement ces massifs, les Dialonké, qui ont donné leur nom au Fouta, et qui vivent aujourd'hui refoulés par les envahisseurs, venus par la suite, vers les régions périphériques du massif dans le Nord-Est principalement. Dans le Nord-Ouest, d'au très groupes autochtones sont : les Baga, les Temne et les Landouma qui sont cultivateurs et artisans et surtout les Coniagui et les Bassari. Un autre groupe à signaler dans la région de Gaoual est celui des Diakhanke venus au Mail et qui sont réputés dans toute l'Afrique de l'ouest pour l'enseignement coranique et l'exercice du maraboutisme. A ces groupes autochtones ce seraient ajoutés les Puli ou Peulh animistes. Au 16è siècle, les Peulh islamisés venus du Sénégal et du Mali, à la recherche de pâturages, découvrent le Fouta-Djalon, Ils mettent à profit l'hospitalité qui leur est faite pour déclencher la guerre sainte de 1727 à 1728, soit en l'an 1140 de l'Hégire. Leur victoire leur permet de fonder un Empire Théocratique formé de 9 Provinces (diiwe). L'organisation de cet Empire est basée sur les structures sociales hiérarchisées avec des classes aux intérêts économiques irréconciliables. Au sommet se trouvaient des Almamy, entourés d'une cour et d'une aristocratie nobiliaire constituée par les descendants des vainqueurs musulmans, ayant réduit les autres hommes libres à la condition de vassaux. Venaient ensuite des artisans castes et endogames qui se recrutaient dans tous les groupes ethniques : forgerons, griots, cordonniers, travailleurs de Lois etc. Enfin au bas de l'échelle des esclaves descendants des vaincus capturés ou achetés. Selon certaines sources, les esclaves représentaient encore durant la période coloniale soit jusqu'en 1958 un peu plus du 1/3 de la population ; on les appelait « serviteurs » pour masquer la condition inhumaine à laquelle ils étaient parfois soumis, devant l'opinion nationale et internationale.
Cette organisation solide et bien contrôlée de la société « foutanienne » a permis d'opposer une résistance farouche à la pénétration française : le pays des Coniagui n'a été pacifié qu'en 1904 et l'ensemble du Fouta-Djalon ne fut annexé qu'en 1911.

Certes l'Etat théocratique de la confédération peulhe, centralisé, avec servage et esclavage n'a pas contrôlé l'ensemble des ethnies et ne recouvrait pas la totalité du territoire du Fouta-Djalon. Son existence permet cependant d'expliquer et de comprendre les disparités du peuplement du massif qui comprend des zones à forte densités saturées et exploitées de manière intensive, contiguës assez souvent à des zones vides, sorte de no man's land ou glacis militaire que l'on remarque à la lisière de la confédération peulhe, où l'insécurité régnait de façon endémique. L'existence de ces espaces tampons montre que le passé que nous venons d'évoquer n'est pas si éloigné et qu'il y a des phénomènes de marginalisation et de stratification sociale dont il faudrait encore tenir compte aujourd'hui. Même à l'intérieur, des communautés plus homogènes l'organisation sociale ancienne et les clivages fondés sur les origines n'ont pas encore entièrement disparu.

Les affrontements entre musulmans et animistes ont été à l'origine de la diaspora dialonké et de certains autres groupes ethniques installés sur le massif.

Avec les rivalités entre différents almamy, ils ont aussi très profondément marqué la vie des populations du Fouta-Djalon jusqu'à l'époque de l'intégration définitive de cette région dans l'ensemble national. Ceci n'a cependant pas empêché de multiples brassages, des interpénétrations, de sorte qu'il est malaisé d'établir des frontières entre différents groupes.

Toutefois, l'occupation du sol et la disposition de l'habitat se ressentent dans une certaine mesure encore, des facteurs ethniques et historiques : au village dialonké se substitue le hameau peulh avec des groupements lâches où un habitat dispersé caractéristique de sociétés nomades qui n'ont pas besoin de groupes avec un grand nombre d'individus.

Même sédentarisée, avec la juxtaposition des activités agricoles et pastorales la société a une tendance à l'émiettement en unités familiales conjugales restreintes. La tapade, unité sociale de résidence et de production de substance, avec ses grandes cases peulhes rondes inscrit sur le soi, cette structure sociale caractéristique du Fouta-Djalon.

Il va sans dire que ce substrat socio-historique vieux de plus de deux siècles, constitue une hypothèque et a encore des survivances dans la société du Fouta-Djalon notamment en milieu rural. Des études approfondies dans ce sens s'avèrent indispensables et constituent des préalables dans la mesure où chez les responsables de la République Populaire Révolutionnaire de Guinée il y a une volonté manifeste d'associer toutes les forces vives et de mobiliser toutes les couches de la population pour les actions de développement.

c) Problèmes démographiques.

Selon le recensement du 31 décembre 1972 que nous garderons comme base provisoire d'analyse, pour les problèmes démographiques, la population des 9 régions (diiwe) qui formaient le Fouta-Djalon était estimée à 1.674.381. Elle représentait environ 30 % de la population du pays et se répartissait comme suit :

Tableau N° 1 : Population du Fouta-Djalon au 31 décembre 1972

Régions Superficie km2 Population totale Population urbaine Population rurale Densité hab./km2
Dalaba 5 750 149 667 17 318 132 349 26,02
Gaoual 11 503 129 693 25 524 104 169 11,27
Koundara 5 000 88 427 11 533 76 894 17,81
Labé 3 991 418 648 78 660 339 988 104,89
Mali 8 800 193 973 17 745 176 228 22,04
Mamou 6 159 184 633 40 691 143 942 29,97
Pita 4 000 206 064 17 737 188 327 51,51
Telimélé 8 080 190 981 34 069 156 912 23,63
Tougué 6 200 112 295 16 381 95 914 18,11
Totaux
59 9831 1.674.381 259 658 1.414.723 27,91

Nous n'avons pas pu obtenir la répartition par sexe et par âge de cette population, les responsables du Bureau National du recensement qui préparent activement en ce moment le recensement général de février 1982 estimant ce dépouillement fastidieux et inutile. Cet argument ne convainc pas, puisque la connaissance de ces détails pourra, lorsque les résultats de 1982 seront disponibles, permettre d'avoir des éléments de comparaison sur une période de 10 ans. Il est indispensable de faire ce dépouillement et de collecter les données même au niveau des Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (PRL). Par ailleurs nous avons calculé nous-mêmes les densités ainsi que la population urbaine en additionnant les chiffres de populations de tous les chefs-lieux d'arrondissement, même ceux ayant moins 1.000 habitants. C'est dire que la population du Fouta-Djalon est une population rurale. L'agglomération urbaine la plus importante, Labé, aurait 50.000 habitants aujourd'hui, selon les estimations. L'examen des densités de population révèle de son côté que les régions les plus peuplées se retrouvent dans l'axe Labé-Mamou qui correspond à la zone des hauts-plateaux.
Ceux-ci renferment 57,27 % de la population pour une superficie qui ne représente que 33 % soit le 1/3 de la surface du massif.
Même par rapport à l'ensemble du pays, les régions de ces hauts-plateaux connaissent les plus fortes densités. Les facteurs historiques et les clivages ethniques que nous avons signalés plus haut expliqueraient cette situation.

C'est également dans cette région, coeur de l'Etat théocratique qu'il y a eu des phénomènes d'assimilation. La sécurité née de l'ordre accepté, du moins subi, rendait également la région zone d'accueil et de rétention de la population grâce à la turbulence qu'à connue la région voisine de la Haute Guinée au moment de la colonisation et de la résistance de Samory.
Cette forte et ancienne concentration de la population serait à l'origine de la dégradation des sols et commande l'urgente intervention des pouvoirs publics.
Aussi les membres de la présente mission, à la suite des priorités établies par le gouvernement guinéen et des projets déjà en cours de réalisation, sont-ils unanimes pour faire de cet axe Mamou-Labé, la zone d'actions pilotes et d'expérimentation.

La physionomie (pour ce qui est du sexe et de l'âge) de la population du pays dans son ensemble était la suivante :

Tableau II : Population de la RPR de Guinée 1972.

Groupe d'âges (ans) Totaux Hommes Femmes
0— 4 928 366 462 433 465 933
5—9 750 909 380 222 370 687
10—14 545 178 277 460 267 718
15—19 339 447 174 697 164 750
20—24 321 463 151 565 169 898
25—29 329 175 161 851 167 324
30—34 298 316 146 437 151 679
35—39 285 455 141 299 144 156
40—44 252 020 125 884 126 136
45—49 231 453 113 039 118 414
50—54 180 024 89 927 90 097
55—59 162 011 82 210 79 801
60—64 131 156 64 227 66 929
65—69 113 157 53 950 59 207
70—74 87 436 43 674 43 762
75—79 61 720 30 829 30 891
80—84 46 290 23 122 23 168
85—et plus 79 708 46 245 33 463
Totaux
5.143.284 2.569.071 2.574.213

Ce tableau montre que la population active de 15 à 64 ans représente 49,20 % ; que celle de moins de 20 ans est de 49,85 %, caractéristiques d'une population jeune. De même, on remarque que le nombre de femmes est presque égal au nombre d'hommes puisque le sex-ratio est de 100 femmes pour 99,8 hommes.
Bien que ces éléments ne puissent être pris en considération pour la population de la région du Fouta-Djalon, ils sont une indication qui permette de faire des supputations et d'établir des hypothèses de travail. On constate hélas que les méthodes et techniques de collecte des données démographiques, changent selon qu'il s'agit d'un recensement démographique, d'une estimation et d'un recensement fiscal. Cette situation est susceptible de connaître une solution satisfaisante lorsque les PRL deviendront tous de « véritables unités de base » pour toutes les activités politiques, administratives et surtout économiques et qu'ils disposeront d'agents capables d'assurer ces différents rôles.
Les éléments quantitatifs qu'il nous a été possible de collecter au cours de cette mission que nous considérons comme exploratoire, restent naturellement trop globaux et partiels. Ils auraient en effet été rassemblés à d'autres fins que celle de la compréhension des problèmes démographiques.
Examinons en effet les données du Commissariat Général de la Révolution de Labé concernant la situation démographique de l'année 1980.

Tableau III : population CGR de Labé, 1980

Régions Population totale Population active
Hommes Femmes Hommes Femmes
Labé 77.210 93.259 46.310 55.850
Pita 80.650 94.395 39.210 48.290
Tougué
88.718
44.359
Koubia 29.375 40.138 14.685 20.067
Lelouma 41.940 63.152 24.740 27.804
Mali 66.625 78,375 62.476 67.747

On sait que le CGR de Labé ne couvre pas l'ensemble du Fouta-Djalon. Il concerne cependant la partie centrale à forte concentration de population dont nous avons relevé l'importance dans la stratégie de l'aménagement intégré du Fouta-Djalon.

Aussi les caractéristiques de sa population constituent-elles une indication importante pour l'ensemble du massif. Les deux éléments, la population active et le sex-ratio que comporte essentiellement ce tableau suscitent quelques commentaires. Pour ce qui est de la population active, on relève que celles de Pita, de Koubia et Lelouma se rapprochent de la moyenne nationale que nous ayons trouvée plus haut, soit 49,20 %. Par contre, celle de Labé représenterait pratiquement 60 % et celle de Mali 89,80 % de la population de cette région ; enfin, est-ce un hasard que la population active de Tougué soit exactement la moitié de la population totale ? On ne sait cependant pas s'il s'agit d'un recensement général, fiscal ou d'une estimation, ainsi que les bases sur lesquelles on a établi ce rapport.
Si l'on considère d'autre part le sex-ratio, on voit qu'il y a à :

Ce qui ne se rapproche pas du sex-ratio moyen que nous avons trouvé au niveau national, à savoir 100 femmes pour 99,8 hommes.
C'est ici qu'il faut introduire une autre variable dans l'étude démographique du Fouta-Djalon. Avec ses fortes densités, le Fouta-Djalon se trouve être une région surpeuplée par rapport notamment à ses ressources agricoles et pastorales. Le pays a même connu des périodes de famine extrêmement difficiles après la deuxième guerre mondiale et bien que cette situation de pénurie alimentaire et de famine soit aussi attribuable à des exactions des chefs traditionnels, le tout relié il va sans dire à la persistance des structures sociales de l'Etat théocratique, le massif du Fouta-Djalon est devenu depuis plusieurs années un foyer d'émigration. La pauvreté des sols conséquente aux jachères de plus en plus courtes, la rareté des terres cultivables remarquée sur les zones des hauts plateaux, aboutissent aux phénomènes d'appauvrissement d'une partie de la population qui ne peut trouver effectivement à s'occuper dans la région qu'une partie de l'année. Certes des migrations ont des causes plus anciennes et plus diverses. Mais ce phénomène de migrations saisonnières et de l'exode rural prennent des proportions inquiétantes en ce moment. Depuis moins d'une décennie en tout cas depuis que le gouvernement a pris des mesures d'assouplissement concernant la libre circulation des personnes, on note une recrudescence des migrations saisonnières. On estime que 20 % au moins de la population masculine jeune du Fouta subit l'exode saisonnier de saison sèche. Cet exode communément connu sous le terme de navétanat, consiste pour les jeunes hommes à quitter leur village pour aller au Sénégal.

Aujourd'hui, les jeunes du Fouta vont aussi en Sierra Leone, ils reviennent après la saison des cultures dans leurs villages respectifs, souvent avec des économies et des biens qui leur permettent non seulement de payer des compensations matrimoniales mais aussi d'acquérir des biens de prestige qui leur donnent un certain ascendant au sein de leur communauté d'origine. Ceci a un pouvoir de suggestion considérable sur les autres jeunes restés au pays et les incite à partir le moment venu. Le navétanat a cependant des effets multiples sur la population. Entre autres conséquences du navétane, le déficit de la population masculine que nous avons constaté ci-dessus. La plupart des hommes laissent leurs épouses, et parfois pendant un à deux ans et compte tenu des contraintes sociales et de la religion, ces épouses sont obligées de rester chastes durant cette période. Une inconduite remarquée chez elles entraîne en effet des sanctions sévères, voire le divorce. Aussi voit-on apparaître de plus en plus des comportements autrefois inconnus dans la région : avortements provoqués, infanticides, abandons de nouveaux-nés etc...
Outre cet exode saisonnier, s'exerce comme partout ailleurs, l'exode rural à Conakry et Kindia en Guinée, et surtout Dakar au Sénégal, attirent particulièrement les jeunes du Fouta-Djalon. A titre indicatif, voici la situation de l'émigration dans les 5 tapades que nous avons visitées près de Labé et de Pita :

Tapade No. Nombre de personnes 1 Résidents 2 Conakry Kindia Ailleurs en Guinée 3 Dakar Sierra Leone
1 23 13 1 9
2 24 16 2 3 7 6
3 21 11 3 7
4 25 21 3 1
5 13 5 3 2 2 1
1. indique l'ensemble de personnes de droit qui devaient selon les rapports sociologiques vivre à l'intérieur de la tapade.
2. nombre de personnes qui vivent effectivement à l'intérieur de 2e tapade.
3. personnes ayant émigré soit vers un milieu rural pour créer des tapades, soit vers d'autres localités que Conakry et Kindia.

Bien que cet échantillon soit trop réduit pour être représentatif de la situation des migrations, le fait que ce choix ait été fait au hasard confère à ces résultats une signification particulière pour l'étude du phénomène migratoire en milieu rural dans le Fouta-Djalon. Des études plus approfondies devront permettre de déterminer quantitativement et qualitativement l'ampleur du problème et des phénomènes socio-économiques qui lui sont souvent connexes. Certains de ceux-ci n'ont été que très peu abordés au cours des interviews.

La coexistence inter-ethnique à la suite des migrations qui se traduisent par une nouvelle stratification sociale au sein des zones d'accueil, problèmes fonciers, limitations de quartiers ou de zones résidentielles, nouveaux métiers, distinctions sociales basées sur l'ancienneté d'installation. Ces questions devront être éclaircies dans les régions où seront faits les aménagements. Dans les villes et selon le principe du peulh, qui veut « qu'il n'y a pas de sot métier » les émigrés du Fouta-Djalon travaillent comme gardiens de nuit, blanchisseurs, domestiques. Toutefois, il s'est révélé que tant pour l'exode saisonnier que pour celui de plus longue durée, les gens du Fouta reviennent inéluctablement pour construire la maison ainsi que la tapade dans la perspective de vieux jours, à leur hameau d'origine. Il y a donc un ancrage social très fort, lié à la fierté traditionnelle du foutanien en général et du Peulh en particulier.

d) Aspects de l'économie

Malgré les potentialités et les ressources minières et énergétiques certaines, l'économie du Fouta-Djalon est dominée par les activités agricoles et pastorales. Devenus sédentaires et fixés au sol le Peulh reste compagnon du boeuf et cultivateur de la terre. Il est vrai que dans la partie occidentale du massif se pratique encore la transhumance qui entraîne par ailleurs la double résidence. Avec la disparition quasi totale du métier de berger sur les autres plateaux du massif, les animaux pâturent en liberté, cette absence de sédentarisation rend l'élevage du Fouta-Djalon assez irrationnel. On estime à environ 1 million de bovins le cheptel foutanien. En réalité, ce chiffre ne peut être qu'une estimation. Comme chez bon nombre de peuples pasteurs, les paysans refusent de donner le nombre exact de leurs bêtes ; ce qui entraîne entre autres une mauvaise couverture sanitaire du cheptel, les services vétérinaires n'assurant que le traitement des bêtes présentées et déclarées. En outre, le boeuf n'est considéré que comme une ressource et un trésor et non comme un capital, une source de prestige et de considération sociale, un objet de transaction pour les alliances matrimoniales et enfin un objet de consommation ostentatoire pour les fêtes religieuses ou familiales.

C'est que pour l'élevage comme pour l'agriculture, l'économie du Fouta-Djalon reste marquée par le caractère d'auto-subsistance. L'agriculture est en effet dominée par les cultures vivrières : céréales et tubercules, ainsi que par des plantes arbustives : manguiers et orangers. Au nord-ouest au massif et dans la région de Dalaba au Sud se cultive l'arachide, dans cette dernière zone et le Sud-Ouest le palmier à huile, le caféier et le kolatier sont recommandés et encouragés par les pouvoirs publics, mais leur importance dans l'économie est encore faible et marginale.

Le système d'exploitation du sol est à prédominance familiale, notamment à l'intérieur des tapades, domaines de l'agriculture vivrière intensive et du travail féminin. Le riz et le fonio qui viennent en complément de la ration alimentaire produite dans les tapades sont cultivés hors de celles-ci. L'usage de la culture attelée est très ancien dans le Fouta-Djalon puisqu'elle se pratiquait même avant la colonisation européenne.

II faut mentionner ici les préoccupations constantes du gouvernement guinéen pour la modernisation du monde rural en général et de l'agriculture en particulier. Depuis une vingtaine d'années, plusieurs expériences ont été menées avec plus ou moins de succès. Elles ont commencé en 1961 par la création des centres de modernisation et de développement rural (CMDR) suivis une année plus tard par de centres d'enseignement rural (C.E.R). En 1972, l'expérience des Cités Socialistes visant surtout les jeunes ne fera pas long feu ; elle sera suivie en 1975 par les Brigades Mécanisées de Production (BMP) et les Brigades Attelées de Production (BAP). Tirant les leçons de ces diverses expériences, le gouvernement est en train de tenter une autre formule, celle des Fermes Agro-pastorales d'arrondissement (FAPA) relevant d'un ministère distinct de celui de l'Agriculture. La grande innovation des FAPA est que leur réalisation est confiée aux ingénieurs agronomes, à ceux du génie civil et aux zoo techniciens ; pour la première fois ceux-ci ne seront pas uniquement des encadreurs, des conseillers, ils sont entièrement impliqués et concernés par le projet. Sil'ensemble du programme des FAPA se réalise, il aura entre autres incidences, celles de rapprocher des paysans un nombre important de techniciens. Ce qui à terme est susceptible de permettre non seulement des progrès sensibles de l'agriculture et de l'élevage, mais encore une connaissance approfondie des problèmes agricoles et une meilleure maîtrise des techniques par les paysans.

En dehors des fruits (mangues, oranges) qui sont exportés parfois jusqu'à Dakar au Sénégal, des peaux et quelques animaux sur pied, le Fouta-Djalon commercialise très peu sa production. Il ne nous a pas été possible des chiffres fiables au niveau du CGR à Labé sur les différents flux économiques ; cela rentre dans les lacunes que nous avons signalées ci-dessus.

En réalité, par suite de l'usure de plus en plus remarquée ces deux dernières décennies des sols du Fouta-Djalon et du phénomène de bowalisation, l'augmentation de la production agricole, selon les techniques culturales actuelles, est limitée. Une assistance technique sous forme de conseil et de distribution de semences sélectionnées voire d'engrais chimiques, la mécanisation et la sédentarisation du cheptel, à partir du système des tapades jusqu'aux Fermes Agro-pastorales d'Arrondissement (FAPA) pourront certainement avoir des effets sensibles sur la production agricole et animale. L'avenir de l'économie foutanienne reposera toutefois sur l'exploitation des importants gisements découverts et sur l'industrie qui absorberont l'excédent de main d'oeuvre non utilisée dans les autres secteurs de production rurale.

e) Problèmes de Formation

Le système de formation en vigueur en RPR de Guinée est entièrement appliqué dans le Fouta. Ici cependant et en raison au fait que la majorité de la population est musulmane, subsiste à côté des écoles de type moderne, des Medersa pour l'enseignement coranique, mais le nombre de celles-ci est en diminution constante. Une autre caractéristique de ce système est que l'enseignement est régionalisé, en d'autres termes, les jeunes peuvent suivre le cycle de formation depuis le CER (école primaire) jusqu'au 1er degré (les premières années de l'enseignement supérieur) sans quitter leur région d'origine, sauf cas d'orientation scolaire et professionnelle pour certaines spécialisations ; ces orientations, au demeurant sont assez rigoureuses et tiennent compte des besoins en ressources humaines du pays tout en visant comme objectif l'utilisation maximale des cadres formés. Il est en effet prévu une école du 1er cycle dans chaque Pouvoir Révolutionnaire Local (PRL) (commune), une école de 2ème cycle dans chaque arrondissement, une école de 3ème cycle et un Institut Polytechnique dans chacun des Chefs-lieux de région. Mais ces établissements n'existent pas encore partout. Les effectifs pour l'année académique 1980/81 dans le CGR de Labé étaient les suivants :

Tableau V : Statistiques scolaires de Labé : récapitulation générale 1980/81

Indication Sexe 1er Cycle (primaire) 2e Cycle (Sec I) 3e Cycle (Sec II) I.P.S E.S. Santé E.N.I Totaux
Effectif Elèves G 19.856 3.846 2.387 273 87 304 26.753
F 8.819 1.586 881 119 120 119 11.644
T 28.675 5.432 3.268 392 207 423 38.397
CER = Centre d'Enseignement Révolutionnaire
IPS = Institut Polytechnique de Sciences (Agro-Zootechnie)
ENS = Ecole des Sciences de la Santé (infirmiers)
ENI = Ecole Normale d'Instituteurs
SEC I = Secondaire I, correspondant à la 6, 5, 4, 3e de l'enseignement secondaire.
SEC II = correspondant à la 2e, 1ère et Terminale.

Toutefois, par suite de l'utilisation des langues nationales dans les CER (primaire), les niveaux ne peuvent être comparés au cycle français.

Ainsi, malgré la volonté des pouvoirs publics de rendre l'école obligatoire et d'assurer la scolarisation de l'ensemble des enfants, ces objectifs sont loin d'être atteints. Le nombre de filles fréquentant l'école reste assez faible, surtout si on sait que selon le sex-ratio le nombre de femmes est plus élevé que celui des hommes. Cette situation trouve son explication selon diverses sources, fondamentalement dans la religion islamique et la situation particulière de la femme dans ces sociétés rurales où l'on estime qu'elle doit être épouse, mère et gardienne du foyer. Dans les centres urbains les changements sont notables et il y a des CER où les effectifs féminins sont égaux ou plus élevés que ceux des garçons.

En outre, cette formation dans des cycles qui débouchent sur l'exercice d'un métier est très marquée par la production rurale : agriculture, foresterie, géologie, zootechnie.

Certains jeunes du Fouta-Djalon sont inscrits à l'Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser (IPGAN) de Conakry, surtout dans les disciplines que l'on n'enseigne pas à l'IPS de Labé. D'autres bénéficient aussi de bourses étrangères dans les pays socialistes d'Europe mais surtout à Cuba. La formation dans ce dernier pays semble efficace et les cadres que l'on rencontre sur le terrain donneraient plus satisfaction que d'autres.


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