Paris. L'Harmattan. 1996. 111 p. : ill.
L'année 1950 ne sera pas des moindres pour le député-sénateur Yacine Diallo, particulièrement chargé tour à tour à l'Assemblée Nationale au Palais Bourbon de Paris et à l'Assemblée Territoriale de la Guinée Française à Conakry.
Dès janvier, il est nommé membre de la Commission chargée d'enquêter sur les faits relatés par le Président du Conseil dans sa déclaration du 17 janvier 1950, ainsi que juré à la Haute Cour de Justice. Ses interventions concernent des sujets économiques — mévente du miel, utilisation des avances de la Caisse Centrale de la France d'Outremer, marché du quinquina ou des arachides — et des questions politiques, qu'il s'agisse de l'extension des mesures d'amnistie ou du collège unique.
En mars au cours d'une des houleuses sessions de l'Assemblée Territoriale de la Guinée Française, Yacine Diallo lance à ses Collègues : « Je précise que le tiers du budget a été voté pour les services de l'enseignement et de la santé. En effet, près de 566 millions ont été attribués à ces deux services sur un budget de 1 500 000 000 de francs ». Ce qui calmera du coup, bien des esprits surchauffés.
Puis, les Conseillers de la République en viennent à la question controversée du double collège et du collège unique.
Yacine Diallo : — J'ai posé deux questions : la première est de porter le nombre des Conseillers généraux à cinquante Africains. Que toutes les régions soient bien représentées ; la deuxième : quel était le sentiment du Conseil Général sur la proposition de loi actuellement à l'étude en France tendant à instituer le Collège Unique ?
Diawadou Barry :— … ma position n'a pas changé. Le Collège unique est la seule solution que nous pouvons retenir .
Simon Hassid : — Je suis partisan du double
Collège pour les raisons suivantes : Il est certain que nous, Assemblée Territoriale, avons la gestion des intérêts du Territoire. Nous avons surtout à confronter nos points de vue et à prendre des solutions, non pas sur le plan politique, mais économique et veiller aux intérêts de la masse africaine et de la minorité métropolitaine.
Si nous votons le Collège Unique, nous risquons ne voir prendre part aux délibérations du Conseil Général que les Européens choisis par les Africains. Ce n'est en effet pas la masse africaine qui choisira les Européens. Mais seulement les dirigeants africains qui feront les élections et ne porteront sur leurs listes que des Européens qui leur plairont.
Yacine Diallo : —Je vous demande à vous mes collègues européens de vous dégager de nos préoccupations futures. Vous avez parlé ce matin du nombre d'élus européens qu'il y aurait, si on applique le Collège unique. Vous faites bon marché du bon sens et du patriotisme des Africains qui reconnaissent tous l'égalité des citoyens français qu'ils soient dans la Métropole ou dans les Territoires d'Outre-mer. Je demande carte blanche pour les dispositions futures.
Après quoi, Yacine Diallo proteste vigoureusement et menace de se retirer de la session. A l'issue du vote demandé par le Président de l'Assemblée, 13 voix se prononcent pour la première proposition de Yacine et 5 contre.
Résultat : Le Conseil adopte une résolution fixant le nombre de Conseillers généraux africains à 50 au lieu de 40. Par contre, le Conseil lui refuse la carte blanche. Donc, logiquement, Yacine Diallo ne devrait pas évoquer la question du Collège Unique à l'Assemblée Nationale à Paris.
Toutefois, le 30 novembre 1950, le représentant guinéen prendra part à la discussion d'une proposition de loi relative à la révision de la Constitution. De même, il participe activement à la discussion générale d'une proposition de loi relative à l'élection des députés dans les territoires d'Outremer.
Le 17 juin 1951, après une campagne électorale véhémente, Yacine Diallo est réélu à la tête de la liste socialiste qui compte deux députés. Yacine Diallo obtint 67 480 voix pour 393 628 inscrits dont 224 182 votants. Le score de Barry Diawadou tombe à 20 423 voix. Par contre, le troisième siège revient à Mamba Sano chef d'une liste d'“indépendants”.
Diawadou Barry ne sera élu qu'en 1954 à l'Assemblée Nationale et Sékou Touré bien plus tard le 2 janvier 1956.
Albert Liurette est le deuxième élu de la liste socialiste.
L'élection du député Yacine Diallo est validée le 23 août. Bien avant, le 17 juillet, il est nommé membre de la commission des pensions. Cumulativement, il siège à la commission des immunités parlementaires.
Le 8 septembre 1951, il introduit une proposition de loi sur l'institution des Assemblées territoriales de l'Afrique Occidentale française, du Togo et du Cameroun, ainsi que des Etablissements français de l'Inde.
Le 13 novembre 1951, il émet une proposition de loi sur l'institution des assemblées territoriales de l'Afrique Occidentale française. Peu avant, il avait pris part à la discussion du rapport sur les opérations électorales du territoire de la Guinée, au sujet notamment du collège unique. En plus, Yacine Diallo soumettra un sous-amendement visant à augmenter de deux le nombre des représentants de la Guinée.
Sans répit, le député de la Guinée cherche, par des avis réfléchis et des propositions mesurées, à préparer les conditions d'émancipation des Africains.
Consulté sur les modalités d'élection des membres de l'Assemblée de l'Union française, il conclut à une élection, pour six ans, de membres désignés par l'Assemblée Nationale et le Conseil de la République. Il suggère une amélioration de l'enseignement, le développement des lycées ; la création d'académies qui donneraient une plus grande autonomie aux enseignants par rapport aux gouverneurs. Il intervient ponctuellement en faveur de la production aurifère, de la réglementation du travail et d'un véritable système mutualiste qui offre de meilleures possibilités de formation que les anciennes sociétés de prévoyance.
Une participation croissante des Africains aux affaires publiques est son souci; et c'est pour favoriser l'autonomie morale des électeurs qu'il souhaite que l'inéligibilité des gouverneurs à des fonctions représentatives soit portée à dix ans.
Dans le même esprit il demande d'étendre en AOF et en AEF les communes de plein exercice et de créer un grand nombre de communes mixtes. Il propose d'améliorer les Assemblées territoriales par le scrutin majoritaire et le collège unique. Cette haute appréciation d'un métropolitain de l'efficacité de Yacine est sans doute flatteuse.
Comme on le voit depuis 1945, Yacine Diallo a constamment renouvelé son mandat de député à l'Assemblée Nationale Française et ce, jusqu'à sa mort.
Naturellement, Yacine Diallo a rencontré beaucoup d'opposition, même au sein de l'Amicale Gilbert Vieillard, parti pourtant qui l'avait projeté au devant de la scène politique dès la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.
Panni les principales raisons de cette opposition, « les visées personnelles de certains de ses compagnons de route » méritent d'être notées, du moins à en croire Alpha Ousmane Kakoni Diallo :
« Yacine, c'est nous, de l'Amicale Gilbert Vieillard qui l'avons fait élire. Mais beaucoup de nos camarades avaient des intentions inavouées. Ils pensaient que Yacine, une fois député, faciliterait la révocation des chefs de canton et le remplacement de ces derniers par eux. Il y en a qui ont eu cela à l'esprit. Mécontents, ils ont fait dissidence. Les fidèles à Yacine, Saliou Popodara Diallo, père de Alpha Abdoulaye Diallo “Porthos”, Boubacar Barry de la Mairie, Saïdou Sow du chemin de fer et moi, nous avons fait bande à part et avons renouvelé notre fidélité à Yacine. Les autres — qui soutenaient Diawadou Barry — ont tenté de l'abattre. Ils ont entamé alors une vaste campagne de dénigrement contre lui.
Pour preuve, un jour, j'étais de passage à Kouléwondy pour saluer une grande personnalité en partance pour la Mecque. Je l'entendis déclarer : “Les rivalités entre Soriya et Alfaya ont surtout fait que Yacine pesait beaucoup plus sur les Alfaya que sur les Soriya. Ce sont ces rivalités qui ont porté préjudice à Diawadou Barry. On lui a conseillé de se présenter contre Yacine Diallo, comme député, alors qu'il avait rejeté l'offre de l'AGV, lors des premières consultations internes. Je lui ai conseillé pour ma part de ne pas écouter ceux qui l'encourageaient à se présenter, estimant que Yacine était en meilleure position”.
Après, nous avons tenu une réunion au siège de l'Amicale à Manquepas. Tous les dissidents se sont rangés du côté de Diawadou Barry et ont prononcé des discours haineux à l'encontre de Yacine. Je leur ai dit de nouveau qu'ils tentaient des efforts vains ».
Les évènements donneront raison à Kakoni Diallo.
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