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Histoire politique

Boubacar Yacine Diallo
Yacine Diallo le Guinéen. Pour la Patrie et dans l'Honneur

Paris. L'Harmattan. 1996. 111 p. : ill.


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Plus présent à l'Assemblee Territoriale : 1952-1953

Contrairement aux années passées, Yacine Diallo prendra une part plus active aux débats de la session budgétaire de l'Assemblée territoriale de la Guinée Française.
Parmi les sujets inscrits à l'ordre du jour : la construction d'un pont définitif sur la route Kankan-Guéckedou. Les Conseillers de la République se montreront très critique vis-à-vis de l'Administration.
Bourbonnais : — Le service technique nous a répondu avec beaucoup de loyauté. Les travaux publics font leur travail avec le maximum de conscience. L'ingénieur qui a construit ce pont a compté aussi sur le facteur chance. Nous aurions torts d'attaquer les travaux publics qui rencontrent souvent de grande difficultés.
Yacine Diallo : — Pour répondre à mon collègue, Monsieur Bourbonnais, je lui dirai que nous sommes des êtres humains et que nous ne sommes pas infaillibles. Mais, il faudrait donner à l'Administration le sens de la responsabilité individuelle.
Nous avons vu passer de nombreuses missions d'inspecteurs qui ont fait de nombreux rapports. Mais, il faudrait maintenant que nous imitions le secteur privé où les responsabilités sont bien établies ».
Le soutien de Framoi Bérété aux propos de Yacine Diallo est sans équivoque. Framoi Bérété : — Ces remarques sont parfaitement valables. Je reconnais le souci de Monsieur Bourbonais. Il ne s'agit pas de mauvaise foi, ni de s'attaquer systématiquement aux travaux publics, comme l'a dit Monsieur Yacine Diallo. Il n'y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent pas. Mais, par exemple, pour le wharf de Victoria qui s'est écroulé le jour de son inauguration et le pont de Kouroussa dit définitif que les crues emportèrent comme un pont de branchages. Ce sont des exemples contre lesquels il nous faut sévir, ne serait -ce que pour donner une juste récompense à ceux qui travaillent bien . Yacine Diallo : — Je rappelle à Monsieur Bourbonnais que je n'ai pas hésité hier à dire au chef de cabinet de l'enseignement ce que je pensais de sa gestion. Dans tout le territoire de l'A.O.F., la Guinée est la plus mal desservie au point de vue enseignement. Je vous rappelle que depuis 1947 on parle de cette question de lycée et qu'elle n'est pas encore résolue. Il est toutefois regrettable de constater les erreurs grossières commises par les travaux publics.
Autre sujet crucial débattu au cours de cette session : le minimum fiscal. En voici un extrait :

Doudou Dème : — Je me permets de vous faire remarquer que le conseil des notables a été touché. Le maire a répondu qu'il n'avait pas à en discuter. Je tiens à rappeler l'attention de l'Assemblée sur la situation pécuniaire du contribuable à Conakry qui dépense 60% de son salaire pour l'entretien de sa famille. Je propose de réduire le taux de 700 à 600 francs.
De l'avis de Yacine Diallo, une telle proposition ne peut être que démagogique et inadéquate. Yacine Diallo : — Le devoir n'est pas toujours chose agréable. Il est austère : le service militaire, le minimum fiscal, etc. Mais, quel est l'objet que nous recherchons ? C'est l'équilibre budgétaire. Les élus ont longuement délibéré, ils doivent faire un effort sur eux-mêmes.
Fernandez Louis Henri : — Notre souci est l'équilibre du budget. Il nous faut faire un effort et toute la Guinée entière doit participer à cet effort pour le bien du territoire.
Framoi Bérété : — Après les déclarations de Yacine Diallo et de Fernandez, j'ai cru qu'il n'y avait plus d'autres objections … Nous ne pouvions pas diminuer le taux de l'impôt, car, il nous aurait fallu diminuer l'équipement du territoire.

Le 27 décembre 1952, Yacine Diallo évoque la question du remboursement des frais de voyage des parlementaires guinéens :
— Nous avons deux séances par an, sur convocation. J'ai écrit à l'Assemblée Territoriale pour lui demander si elle était d'accord pour que nous voyagions à nos frais à la condition que nous soyons remboursés par le territoire. Je crois que le Président de la commission des finances a répondu lui-même officiellement. Je n'ai pas reçu de réponse en France. Je me suis adressé directement au chef du territoire. Il était d'accord pour que nous soyons remboursés de nos frais de déplacement. Hier, j'ai reçu une réponse du Secrétariat Administratif donnant une énumération des formalités demandées.
Nos familles ont également droit à un voyage par législature et chacun de nous pour ceux qui sont de l'AOF a droit à trois voyages par an. C'est une somme forfaitaire qui est mise à la disposition des parlementaires de telle sorte que si nous puisons dans les crédits qui nous sont alloués, nous pouvons être privés des possibilités de faire un autre voyage. Je vous demande d'examiner cette situation. Car, il n'est pas juste de payer nos frais de voyage deux fois par an pour venir à Conakry assister à ces séances. Succédant à Yacine Diallo et en guise de réponse, le Secrétaire Général fait remarquer que cette question avait été déjà évoquée en 1949, notamment sur l'interprétation qu'il fallait donner à l'article 10 qui précise que les frais de transport et les indemnités de séjour sont alloués aux représentants élus du territoire pour assister aux sessions sur la caisse de remboursement des frais de transports.
Diawadou Barry estime que la formule la plus simple serait « d'envoyer à chacun de nos parlementaires une réquisition transport qui lui permettrait de prendre directement l'avion. » Une fois encore, Yacine persuade et obtient gain de cause. Par ailleurs, Yacine s'intéresse au fonctionnement du secrétariat administratif de l'Assemblée territoriale. Il commence par demander des renseignements à ses collègues :
— On ne comprend pas, par exemple, la disparition rapide du secrétaire administratif de notre Assemblée, Mamadou Diallo.
Mamadou Diallo de 1946 à 1952 a édité des journaux politiques qui n'étaient pas de mon bord. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il a ensuite écrit dans la Guinée française. Je me souviens d'un certain article qu'il avait écrit sur moi qui n'était pas flatteur. Ce serait une erreur de prétendre parce qu'il a changé de bord, parce qu'il a changé d'opinion, je le défends. Si c'est un changement d'opinion qui a occasionné le départ de Mamadou Diallo, je demande à l'Assemblée de protester. Si c'était une faute professionnelle, je ne dirai rien. C'est l'homme socialiste qui parle. Il se trouve que le successeur de Mamadou Diallo est un adversaire, mon locataire. J'ai été en procès avec lui ; la cour d'appel vient de rendre son arrêt au terme duquel le jugement de première instance est confirmé.
Il peut y avoir une part de hasard. Les Africains murmurent. Je me demande s'il ne faudrait pas un peu d'humanité dans la direction du Secrétariat. J'ai rédigé une motion que je soumets à votre suffrage.
Diawadou Barry, manifestement ulcéré, réplique :
— Mes chers collègues, tout d'abord je regrette profondément que notre collègue Yacine Diallo ait cru devoir soulever cette question spéciale. En effet, depuis que cette Assemblée (entendez territoriale) existe, c'est la première fois que Monsieur Yacine Diallo participe effectivement aux travaux. Par cela même j'avais pensé qu'il y avait eu une certaine évolution en lui-même et qu'il n'était pas celui que j'ai connu il ya quelques temps. Je regrette que ce soit lui qui ait cru poser dans cette Assemblée la question politique.
Monsieur Yacine Diallo a parlé de la Voix de la Guinée et du Progrès Africain. Effectivement, Diallo Mamadou a été sauvé du RDA parce que nous pensons qu'il était dangereux de le laisser dans les mains du parti qui sème la haine entre les races et qui bénéficie de l'oeuvre d'un pays.

Inutile de souligner que les rapports entre Yacine Diallo et Diawadou Barry se sont pratiquement détériorés depuis les élections de 1945, les toutes premières auxquelles ont pris part les colonies.
Par ailleurs, avant la fin de la session budgétaire, Yacine Diallo attirera l'attention de la Fédération Bananière, concernant la taxe sur le chiffre d'affaires. Il regrette que des comptes rendus ne soient pas établis par ladite Fédération. Ce qui fait, ajoute-t-il, que « malgré nos désirs de l'aider, nous manquons d'arguments ».
Et Yacine de révéler : « Nous avons eu à débattre la question du miel dans de semblables conditions. Il s'est ensuite agi de l'allocation de vieillesse. Cette séance a eu lieu la nuit et nous étions absent. De ce fait une taxe de 2 % devait être appliquée pour les Départements de la France d'outre-mer. Mais, malgré tout, nous avons réussi à les exempter ».

Yacine Diallo recevra d'ailleurs les félicitations du Président de l'Assemblée Territoriale, Eric Allégret. A son tour, Yacine Diallo rendra un hommage appuyé aux territoires de la France d'outre-mer qui ont pu obtenir le code du travail.

Au compte de ses interventions à l'Assemblée Nationale pour la même année, le représentant guinéen, Yacine Diallo, présentera (le 25 janvier 1952) un amendement tendant à ne pas maintenir les circonscriptions électorales établies en 1946 et 1948 ; puis un autre amendement visant à réduire à trente jours le délai entre la convocation des collèges électoraux et l'élection.
Et le 25 juin 1952, il interviendra sur le projet de loi relatif à la composition et à l'élection de l'Assemblée de l'Union française, en qualité de rapporteur pour avis.
Depuis près de huit ans déjà, le député Yacine Diallo s'est entièrement consacré à la vie publique. En 1952, ses électeurs lui renouvelèrent son mandat à l'Assemblée territoriale. Contrairement à 1952, l'année suivante sera moins chargée pour Yacine Diallo. C'est au cours de cette année que la mort frappe fort à l'Assemblée territoriale de la Guinée française. Et Yacine a eu le privilège de prononcer l'oraison funèbre du sénateur Désiré Marcou.

« Mesdames et Messieurs,
Le sénateur Marcou n'est plus. Sa disparition prématurée sera ressentie douloureusement par la population de la Guinée française, qu'il aimait d'un profond amour. Le destin nous l'enlève peu de temps après la mort du Conseiller Paul Têteau que nous avons conduit à sa dernière demeure il y a deux mois, à peine.
Comment ne pas s'interroger et s'attrister lorsqu'on se rappelle que ce parlementaire républicain avait succédé à celui qui fut le pôle du Socialisme en Guinée, Jean Ferracci enlevé lui aussi à l'affection des siens juste à la veille du jour qu'il avait choisi pour son départ.
Ainsi, la représentation guinéenne compte trois tombes si rapprochées dans le temps. N'est-ce-pas là, Mesdames et Messieurs, un très lourd tribut payé à un destin inexorable ?
Marcou a siégé avec honneur au Conseil Général de la Guinée française élu sur la liste que patronnait son ami Ferracci. Ses qualités d'ordre, de pondération et de conciliation le signalèrent bien vite à tous et lui valurent notre confiance et la présidence de notre Assemblée Territoriale. A ce poste, il sut donner toute sa mesure, en plaçant l'intérêt général au-dessus de toutes les autres considérations. Son autorité résultait surtout de son sens de l'humain et de son réalisme réfléchi.
L'échec de sa liste aux dernières élections cantonales s'explique par des raisons qu'ils ne convient guère d'évoquer à cette place. Déjà affaibli par la maladie qui devait l'emporter, il n'eut ni le ton, ni la force de se consacrer aux nécessités d'une dure campagne électorale. Mais il laisse des amis fidèles et résolus qui sauront continuer la politique qui fut la sienne. Elle se résume en quelques mots : assurer à la Guinée française un plein épanouissement social et économique dans le cadre d'une Union française faite d'harmonie et de fraternité.
C'est avec une profonde émotion que nous nous inclinons devant la douleur de sa veuve dont nous admirons le courage et le dévouement. Nous lui adressons l'expression douloureuse de nos sincères condoléances.
Mon cher Marcou, la Guinée Française vous assure de sa gratitude et vous dit adieu. Dormez en paix ! » 16

Ironie du sort : neuf mois seulement après cette oraison funèbre, le premier parlementaire guinéen sera fauché par la mort soustrait à l'affection de tout un continent.

10 décembre 1953 : ce jeudi, peu avant son départ pour la France où il se rendait pour l'élection à la Présidence de la République, le député Yacine Diallo a tenu à donner quelques précisions sur le projet d'organisation municipale en AOF, AEF, au Togo et au Cameroun à ses collègues de l'Assemblée Territoriale de Guinée.
Selon lui, l'Assemblée Nationale a repris l'examen de ce projet qui avait été déjà soumis à la deuxième législature en 1951. Le projet déposé par François Mitterrand tend à l'extension des municipalités de plein exercice. Le projet a été repris par Yacine Diallo, Senghor et leurs collègues.
Yacine vient d'ajouter que les communes de plein exercice seront reconnues avant la fm de l'année prochaine. Il sera très important, souligne Yacine Diallo, d'apporter beaucoup de soins au choix des conseillers sans esprit tribal. Des élections auront lieu au scrutin majoritaire ou au scrutin proportionnel. Pour la Guinée, les trois Centres — Conakry, Kindia, Kankan — « seront érigés en communes de plein exercice. ». Si la loi est adoptée telle qu'elle est présentée et le collège unique retenu, tous les impôts perçus sur le territoire de la commune seront à la disposition intégrale de la commune.
Après cet exposé, le représentant de Boké, Mamadou Sampil, réclame pour cette ville le statut de Commune Mixte, et s'étonne de ne pas la voir figurer avec ses soeurs plus favorisées de Guinée.
Yacine Diallo fera remarquer que Boké ne peut se suffire à elle-même faute de moyens financiers. Que n'ont été retenues que les localités ayant une production et une activité commerciale ou industrielle susceptibles de les entretenir. Ces réserves faites, Yacine Diallo accepte de soutenir la proposition en faveur de Boké.
D' autre part, au sujet du mode de scrutin, Mamadi Baro préférera le scrutin majoritaire. Par ailleurs, il estime que ce serait une erreur d'ériger d'un seul coup trois communes en Communes Mixtes. Il conseille de commencer par Conakry, par exemple. « Si les résultats sont satisfaisants, alors Kindia, puis Kankan suivraient ».

Sékou Touré, lui, penche pour le scrutin proportionnel, estimant « trop dangereux de n'avoir qu'un seul parti représenté dans la municipalité ».

Le 6 novembre 1953, Yacine dépose à l'Assemblée Nationale une proposition de résolution sur la célébration du centenaire de la naissance de Noël Bally, fondateur du territoire de la Guinée Française en 1891.

[Note.Noël Ballay fut, avec Dr. Jean Bayol, un co-fondateur du Territoire de la Guinée Française. C'est en sa qualité de lieutenant-gouverneur assurant l'intérim de Bayol, que Ballay consolida la mainmise de la France sur l'île de Tombo, qui devint Conakry. La politique guerrière de Ballay contrasta avec l'approche diplomatique de Bayol. Cela s'explique par la fait qu'en 1881, accompagné de Noirot — le futur tout-puissant résident — Bayol avait été l'émissaire spécial du Gouverneur général Brière de l'Isle auprès de l'Almami Ahmadu alors au pouvoir à Timbo. Bayol découvrit ainsi et connut le Fuuta-Jalon et ses leaders dans un contexte pacifique et bien avant la conquête. Il adopta conséquemment une attitude moins belliqueuse vis-à-vis des Almami que Ballay. — Tierno S. Bah]

Le 26 novembre 1953, il soumet un avis au nom de la Commission des Territoires d'Outre-mer sur la proposition de loi de Monsieur Savary visant à déterminer les conditions d'éligibilité des Hauts Commissaires de la République, des Gouverneurs Généraux et des Gouverneurs exerçant ou ayant exercé leurs fonctions dans un territoire ou un groupe de territoires d'Outre-mer.

Le 14 mars 1954, Yacine Diallo présente un rapport au nom de la Commission des immunités parlementaires sur la demande en autorisation de poursuites concernant Fernand Grenier. Mais, 1954 sera l'année du destin pour le député Yacine Diallo ; le terrible destin qui va priver ses compatriotes et sa patrie de ses éminents services.

Note
16. Bulletin Quotidien d'Information du Jeudi 6 août 1953.


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