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Histoire politique

Boubacar Yacine Diallo
Yacine Diallo le Guinéen. Pour la Patrie et dans l'Honneur

Paris. L'Harmattan. 1996. 111 p. : ill.


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De la libération de la France à la nouvelle Constitution

De 1940 à 1945, Charles de Gaulle rassemble autour de lui la résistance et rallie l'Empire Français. Il y a eu la guerre ; il s'agit maintenance de reconstruire la France libérée. Mais une France ruinée par la guerre.

Conséquence : l'Union Française est mise en chantier. De Gaulle a estimé que par leur énorme contribution à la libération de la France, les peuples d'Outre-mer avaient bien mérité les droits des métropolitains. La même idée était non seulement entièrement partagée dans les Territoires, mais, bien plus elle était devenue une revendication.

Le Général de Gaulle demande alors qu'une nouvelle constitution soit élaborée, consacrant ainsi la 4ème République. Naturellement, « tous les fils de la France dans le monde entier sont conviés à cette merveilleuse construction ». Pour ce faire, la France élabore de nouvelles structures politiques devant déboucher sur l'intégration des Africains. Les élections pour la première Assemblée Constituante sont fixées au mois d'octobre 1945 en Guinée.

Des commissions administratives et des commissions de jugement sont mises en place. Le corps électoral est divisé en deux collèges, le plus important étant évidemment le second collège.
Le premier collège est celui des citoyens français.
Quant au second collège, il regroupe les électeurs autochtones non citoyens qui élisent les deux représentants du territoire au suffrage direct. Quatre groupes dits des « évolués » (les autres Guinéens n'ayant pas le droit de vote à l'époque) composent ce corps :

Pour la députation à l'Assemblée Constituante de 1945, trois candidats : Yacine Diallo, Mamba Sano et Lamine Kaba sont en compétition. Ils sont tous les trois instituteurs.

Pour le deuxième collège, « les jeunes intellectuels de l'Amicale Gilbert Vieillard auraient voulu présenter le fils du chef de canton de Dabola, Diawadou Barry. Mais celui-ci était « trop progressiste » aux yeux des chefs Peuls qui lui préférèrent Yacine Diallo, un autre Peul originaire du Fouta-Djallon, qui dut son élection à son prestige de directeur d'école ayant formé des générations entières en Guinée d'une part, et d'autre part, à l'importance démographique des Peuls, qui à eux seuls représentaient 50 % de la population » 7.

Cependant, il faut souligner que Yacine Diallo avait largement bénéficié du soutien du Foyer de la Basse-Guinée et du Comité de la Basse-Guinée.
Pour les élections de 1945, la campagne électorale se fit principalement sur deux noms : Yacine Diallo qui bénéficiait de l'appui de l'Amicale Gilbert Vieillard et Mamba Sano de l'Union Mandé.

En dépit de toutes les pressions exercées sur lui par ses amis, Lamine Kaba ne se désistera pas.

On sait que depuis 1943, les associations ethniques se sont formées. L'Amicale Gilbert Vieillard porte ce nom en souvenir d'un métropolitain, socialiste, qui vivra pendant longtemps au Fouta en tant qu'administrateur. Progressiste, comprenant parfaitement bien le Pular, Gilbert Vieillard a publié plusieurs ouvrages sur le Fouta-Djallon. Né le 31 décembre 1899 au Havre, il a été tué le 6 juin 1940 dans la Meuse. D'ailleurs, l'Amicale créée en 1943 succédait à la Voix du montagnard, qui fut fondée à l'École Normale William Ponty de Dakar par les élèves guinéens Peuls.

Le choix de Yacine Diallo

Ce choix répond surtout à la neutralité et à la personne intrinsèque de Yacine Diallo. Mais comment le choix s'est-il opéré ? Alpha Ousmane Kakoni raconte :

« Après avoir reçu un document qui nous a été envoyé par Léopold Sédar Senghor du Sénégal et Apithy du Dahomey de Paris, nous nous sommes consultés entre camarades au sein de l'Amicale Gilbert Vieillard. Nous avons pensé à plusieurs camarades crédibles, ils ont rejeté la proposition. Alors, nous avons pensé à Yacine, parce qu'il était neutre et indépendant, il n'avait pas de parti-pris et était autant instruit en arabe qu'en français. C'était un enseignant. Yacine Diallo était en vacances à Nouma dans son village natal. Nous lui avons demandé de venir à Conakry pour une communication urgente. Il est arrivé précipitamment, et nous lui avons alors fait la proposition. Il l'a acceptée. Nous avons organisé notre électorat dans la cohésion. Sans failles. A la fin des élections, Yacine en sortait victorieux. Il est parti en France comme député constituant. Il est parti dans la compagnie des Lamine Gueye, Houphouët-Boigny, Apithy, Fily Dabo Cissoko ».

Le Général Chevance Bertin se présenta pour le premier collège. En 1945, Yacine Diallo est donc élu à la première Assemblée Nationale constituante, sous l'étiquette socialiste dans le collège des non-citoyens français par 5 774 voix sur 16 233 inscrits. Maurice Chevance, résistant métropolitain, est l'élu du collège des citoyens, avec 692 voix sur 1 410 suffrages exprimés. Mamba Sano récoltera 5065 voix, tandis que Lamine Kaba n'en obtiendra que 1711. Ainsi, c'est avec enthousiasme que Yacine Diallo répondra “présent” le 21 novembre 1945 au Palais Bourbon de Paris, il est de ces pionniers africains que leurs frères ont envoyé sièger à la première Assemblée Constituante. Le studieux enfant de l'école coranique est devenu le représentant dûment mandaté de son pays. Il consacre tout son temps, toute son intelligence à remplir ce mandat qu'il a sollicité comme un devoir 8.

Quelques jours après sa brillante élection à l'Assemblée Nationale française, Yacine Diallo se rendit à Nouma pour y remercier ses parents, recevoir leur bénédiction et pour remercier ses coreligionnaires pour leur soutien, avant ses premières activités parlementaires.

C'est une impressionnante mobilisation qui l'accueille dans son village natal que dirigeait l'aîné de la famille, Tierno Mamadou Daye, depuis la mort de leur vénéré père, qui malheureusement n'aura pu se réjouir de ces moments mémorables.

Après les salutations d'usage, Yacine Diallo s'adressant à la foule déclara :

« Je suis heureux de venir ici vous annoncer que je suis élu. Je suis déterminé plus que par le passé à défendre vos intérêts et ceux plus vastes de notre colonie à l'Assemblée Nationale française. Je vous demande de prier pour moi. Le combat sera dur parce qu'il va s'agir de libérer chaque citoyen de notre pays de son prétendu maître blanc ou indigène. C'est pourquoi, je vous demande d'abolir dès aujourd'hui la fourniture obligatoire de caoutchouc et de bétail, ainsi que l'esclavage. Je demande à tous les esclaves de rejoindre leurs foyers ».

Ce qui fut fait et ce fut un grand courage face aux tenants du servage millénaire. Ce furent des paroles pathétiques qui firent verser des larmes de joie à cet émouvant ralliement de Nouma. Naturellement, Yacine ira défendre les mêmes intérêts avec d'autres élus africains à Paris.

Institués dès la fin du 19ème siècle, l'Indigénat et le travail forcé sont supprimés. Les populations guinéennes étaient tellement satisfaites de Yacine, leur représentant au Palais Bourbon, qu'elles l'ont appelé « Aldyana Yacine ». Il conserva d'ailleurs cette popularité jusqu'à sa mort.

Juin 1946 : Yacine Diallo est réélu avec 10 100 voix sur 22 522 inscrits au premier tour dans le second collège. Mamba Sano, Lamine Kaba et Amara Cissoko sont battus. Jean Baptiste Ferraci est élu dans le premier collège avec 692 Voix sur 1 320 suffrages exprimés, sans difficultés. Chevance Bertin avait décidé de ne pas briguer un nouveau mandat.

Yacine est nommé membre de la Commission des Territoires d'Outre-mer de la deuxième Assemblée Constituante, le 26 juin 1946. Quant à son élection, elle est validée le 19 juillet de la même année.

Yacine Diallo dépose sans délai une proposition de loi tendant à l'amnistie des infractions commises lors des incidents d'octobre 1945 à Conakry, incidents qui firent cinq morts. Plusieurs Européens et policiers furent également molestés.

D'autre part, il s'attaque immédiatement aux problèmes sociaux. Ainsi, il intervient pour exposer le malaise des fonctionnaires tant européens qu'autochtones en Afrique : les premiers se plaignent d'inégalité de traitement et des difficultés du regroupement familial. Pour les seconds, épris de justice et d'égalités, existent d'incompréhensibles discriminations dans les traitements, une quasi impossibilité d'accéder aux cadres supérieurs et la relégation dans la demière classe des transports et des hôpitaux.

Yacine Diallo exprime son espoir d'une intégration de la Guinée sous la forme d'une province française et d'une meilleure représentation de l'Afrique dans le projet constitutionnel auquel il a donné sa voix.

Le 20 juillet 1946, les États-Généraux de la colonisation se tiennent à Paris. Les Métropolitains décident de s'opposer au texte constitutionnel favorisant les colonies, ayant déjà bénéficié de la liberté de la presse et d'association, de même que la suppression du travail forcé et de l'indigénat.

Devant cette décision jugée périlleuse pour les colonies, les élus d'Afrique noire font bloc et contraignent le Gouvemement Français à renoncer au double collège pour les élections législatives.

Le 22 juillet 1946, les députés « autochtones » se réunirent sous la présidence du doyen Lamine Guèye. Ils se déclarèrent « fermement décidés à lutter pour le maintien des droits qui ont été déjà acquis par les populations des T.O.M. dans la constitution du 19 avril 1946 et qui représente à leurs yeux un minimum », rapporte un communiqué du 23 juillet de la direction de l'information du Ministère de la France d'Outre-mer.

Aprês avoir voté la nouvelle Constitution, les députés africains décident de convoquer en septembre 1946 à Bamako « tous les partis, mouvements ou unions démocratiques, progressistes ou populaires en vue d'un grand rassemblement » sur lequel « ils comptaient s'appuyer afin de poursuivre leur action parlementaire ».

Près de mille délégués venant de Guinée, de Côte d'Ivoire, du Sénégal, du Dahomey, du Niger, du Soudan, du Cameroun et du Tchad répondent « présents » au Congrès constitutif du RDA (Rassemblement Démocratique Africain).

Trois députés socialistes très influents : Yacine Diallo, Lamine Gueye et Senghor ne prendront pas part à ce forum qui s'est tenu à Bamako du 18 au 21 octobre 1946. Le congrès regrette ces absences très remarquées. Sept mois après, Sékou Touré, Madéira Keita entre autres — qui avaient pris une part active au congrès de Bamako — créent le PDG (Parti Démocratique de Guinée), le 14 mai 1947.

Le même Sékou Touré optera pour l'indépendance de la Guinée Française le 2 Octobre 1958, avec le rejet de la Communauté Franco-Mricaine à l'issue du référendum du 28 septembre de la même année. La Guinée devient ainsi indépendante et souveraine.

Le 6 août 1946, de nouveau, Yacine Diallo introduisit une proposition de loi portant amnistie des infractions commises en Guinée Française à l'occasion des incidents des 16 et 17 octobre 1945. Le 12 novembre, il émettra un avis au nom de la Commission des Territoires d'Outre-mer portant amnistie de ces infractions.

Au titre des interventions, il participe à la discussion :

- d'une proposition de résolution tendant au reclassement et à la revalorisation de la fonction enseignante, le 3 septembre 1946 - d'une proposition de loi tendant à établir la Constitution de la République française, le 18 septembre 1946.

10 novembre 1946 : Pour la première législature de la weme République, le collège électoral de la Guinée française est élargi à 131 309 inscrits. Yacine remporte un beau succès à la tête de la liste socialiste et progressiste avec 60 555 voix. Également élu au second collège son compatriote Mamba Sano du Parti Socialiste de Guinée.

Lamine Kaba du Parti Républicain Socialiste de Guinée et Fara Millimono du Parti Républicain de Gauche sont battus. Au total, ce sont 17 élus africains qui siégeront au Palais Bourbon à Paris.

Pour prendre une part plus active et directe à l'évolution de la Guinée, Yacine Diallo se présente en janvier 1947 au Conseil Général.

Les élections se firent sur une base régionale. Chacun des candidats fut élu dans son fief : Yacine Diallo, Almamy Ibrahima Sori Dara et Diawadou Barry dans le Fouta, Mamba Sano dans le Haut Niger en pays malinké et Fodé Mamoudou Touré chez les soussous-bagas en Basse-Guinée.

Les rapports entre Yacine Diallo et Fodé Mamoudou Touré sont particulièrement bonnes. A preuve, lors des élections de novembre 1946 à l'Assemblée Nationale Française Fodé Mamoudou Touré qui pouvait ravir les voix de la Basse-Guinée se désista en faveur de son concurrent Yacine Diallo au cours d'une réunion à huit clos de grands électeurs qui eut lieu en juin 1946.

Au cours des mêmes élections, Mamba Sano et Diawadou Barry (président de l'Amicale Gilbert Vieillard) étaient inscrits sur la même liste du parti socialiste de Guinée. Mamba Sano est élu tête de liste.

Par ailleurs, il faut signaler que l'Assemblée Constituante est le nom donné aux deux Assemblées élues au suffrage universel après la libération de la France. Elles ont siégé respectivement du 6 novembre 1945 au 26 avril 1946 et du 11 juin au 5 octobre 1946. Le premier projet constitutionnel voté le 19 avril fut repoussé moins d'un mois plus tard par le référendum du 5 mai 1946 et le second adopté le 13 octobre 1946, avec 9 297 470 Voix pour et 8 165 459 contre.
A rappeler que le texte définitif de la Constitution fut adopté le 28 septembre par 446 Voix contre 105. Enfin, c'est en 1946 que l'Assemblée législative prendra la dénomination d'Assemblée Nationale française.

Notes
7. Joseph Roger de Bénoist. Afrique Occidentale Française de 1944 à 1960. NEA. 1982.
8. Allocution du Président de l'Assemblée Territoriale de la Guinée Française, Eric Allègret-14 avril 1954.


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