Paris. L'Harmattan. 1996. 111 p. : ill.
Début difficile pour l'Assemblée Territoriale de la Guinée Française. A propos de l'élection de son président, Yacine Diallo, à la fois Député et Conseiller territorial de la Guinée, se montre catégorique :
« Si nous pouvons vivre l'exemple de la Métropole, nous sommes, mes amis et moi, disposés à porter nos suffrages au Colonel Eric Allégret, qui n'est pas un membre du RPF au sein d'une Assemblée Territoriale. Mais un Guinéen, un résistant dont le patriotisme mérite l'admiration de tous ceux qui ont le sens du patriotisme … »
Le voeu de Yacine Diallo sera exaucé. Et le Colonel gaulliste Eric Allégret sera élu président de l'Assemblée Territoriale de la Guinée Française. Un mandat qui sera renouvelé d'ailleurs jusqu'après la mort de Yacine Diallo.
Le 27 février 1947 à Paris, l'élection de Yacine Diallo est validée et il est secrétaire de l'Assemblée Nationale. Puis, le 6 mars, Yacine Diallo et Mamba Sano regagnent Conakry, après avoir participé à Versailles à l'élection du Président de la République, Vincent Auriol. Le Gouverneur résistant Edouard Terrac 9 s'était rendu à l'aéroport pour accueillir les deux parlementaires. Parmi la foule des parents et sympathisants qui attendaient l'avion, on pouvait noter la présence de Fodé Mamoudou Touré, conseiller de la République et du vice-président du Conseil Général, Simon Hasid.
En descendant de l'avion, Yacine Diallo, toujours souriant, déclara qu'il avait enregistré avec satisfaction la formation de l'actuel gouvemement. Il démarrait au milieu de grandes difficultés. Nul doute, pourtant, que celles-ci seront finalement résolues.
Yacine Diallo, parlant des Assemblées territoriales, annonce que le Parti Socialiste a déposé sur le Bureau de l'Assemblée Nationale un projet de loi relatif au mode d'élection des Conseillers Généraux des Territoires d'Outre-mer 10.
Avant son voyage en France pour l'élection de Vincent Auriol à la Présidence de la République, le député-sénateur Yacine Diallo avait effectué une tournée émouvante en Haute Guinée, les 26 et 27 janvier 1947. Une tournée d'autant plus délicate que cette région était réputée lui étre hostile. Curieusement, la chaleur de l'accueil prouva tout simplement que le triomphe de Yacine était désormais total sur l'ensemble du territoire de la Guinée française.
D'ailleurs, interrogé par la presse à l'issue de la tournée, Yacine a tenu en particulier à souligner l'importance politique de l'accueil que lui a réservé la population de Kankan.
Les députés Yacine Diallo et Mamba Sano qui étaient des adversaires farouches pendant les campagnes électorales avaient pu se rencontrer dans cette ville et adresser chacun une allocution à la foule enthousiaste.
A l'issue de la grande prière du Vendredi à la mosquée dans un élan unanime, rapporte le Bulletin Quotidien d'Information, l'assistance a invité les deux représentants de la Guinée à se serrer la main, geste symbolique et historique de loyale collaboration pour le bien de tous les Guinéens, de toutes ethnies et de toutes origines.
D'après Yacine Diallo, la situation politique se présente désormais sous un jour favorable. Des anciens combattants qui ont acquis l'expérience des choses de l'Europe, mûris par la guerre, feront apprendre aux villageois l'importance du travail libre, organisé et leur donneront des notions d'hygiènes, de belle tenue des agglomérations.
Un peu partout se manifestent les effets salutaires de la politique adoptée par la France en Afrique noire. Les Guinéens qui avaient immigré dans les colonies voisines au cours des dernières années de guerre reviennent en masse, désireux de se mettre librement au travail dans un champ d'activités moins étroitement délimité.
« Du point de vue économique, certes, il reste encore à faire : le transport laisse à désirer, les anciennes routes et les ponts sont à refaire. Partout, on réclame de nouvelles routes. Par suite des défaillances du matériel, le chemin de fer donne un rendement insuffisant. Les agriculteurs attendent avec impatience un outillage moderne annoncé et voudraient que fussent modifiées certaines règles des Eaux et Forêts considérées par eux comme une entrave au développement des cultures. Dans le domaine de l'organisation sociale, les populations demandent des écoles françaises rurales où les petits villageois pourront acquérir les indispensables premiers éléments d'instruction.
Le service de santé est encore insuffisant. On a besoin dans les campagnes de médecins, d'infirmiers et de sages-femmes ».
Pour conclure, Yacine Diallo se dit heureux d'avoir constaté la confiance de son pays en la France nouvelle et salue l'Union Française, entrain de « croître et de se développer, harmonieuse et forte, en cette terre favorable qu'est notre Guinée ».
Pour tout dire, Yacine Diallo envisage l'avenir avec optimisme. Ce souci sera d'ailleurs largement partagé lors du Conseil des Ministres réuni sous la présidence de Vincent Auriol, le 4 mars 1947, à l'Elysée.
Les délibérations ont porté principalement sur le problème de la France d'Outre-mer : attributions et mode d'élection des Assemblées de l'Union, conférence des Gouverneurs et Hauts commissaires sur la situation générale, assimilation administrative des vieilles colonies.
Sur ces questions, le Conseil a entendu une communication de Marius Moutet, ministre de la France d'Outre-mer. Le Conseil a décidé en particulier de déposer deux projets de loi, l'un fixant le mode d'élections et les attributions des assemblées de groupe, l'autre précisant les conditions de la représentativité territoriale à l'Assemblée de l'Union.
Une idée toute nouvelle vient d'être émise : l'Assemblée doit être composée pour moitié de membres représentant la France métropolitaine et pour moitié des membres représentant les départements, les Territoires d'Outre-mer et les Territoires associés.
En ce qui concerne les Départements et Territoires d'Outre-mer, on sait que ce sont les assemblées territoriales qui éliront les membres de l'Assemblée de l'Union. Cependant, il est prévu que les Etats associés peuvent y désigner des délégués dans les limites des conditions fixées par les lois et actes intérieurs de chaque Etat.
D'autre part, le Conseil a étudié le régime des assemblées territoriales de l'Afrique Occidentale Française, de l'Afrique équatoriale française et de Madagascar. Celles-ci, comme toute assemblée, doivent en consultation avec l'Assemblée de l'Union, fixer le statut et l'organisation intérieure de chaque territoire d'Outre-mer, en tenant compte de ses intérêts particuliers.
Les délégués aux assemblées de groupe seront élus par les membres des assemblées locales. Le premier projet, adopté par le conseil, fixe le mode d'élection et les attributions de ces assemblées de groupe.
D'après ce projet, les représentants élus aux assemblées locales au sein des deux collèges désigneront les membres des assemblées de groupe. Le scrutin aura lieu à la représentation proportionnelle et le cas échéant, des listes incomplètes pourront ètre présentées. Une suggestion émise précédemment par la Commission de la France d'Outre-mer à laquelle appartenait Yacine Diallo, tendant à adjoindre aux représentants élus des assemblées locales une quinzaine de membres désignés à l'échelon fédéral, n'a pas été retenue par le Conseil des ministres.
Le jour même de son départ pour Paris, où il devait prendre part au Congrès national de la SFIO, le 18 mars 1947, Yacine Diallo lance un appel à ses compatriotes lors du passage du député sénégalais Lamine Guèye à Conakry.
Ce dernier, député socialiste comme Yacine Diallo, était le doyen d'âge des parlementaires africains à l'Assemblée Nationale Française. Depuis quelques temps, le doyen se trouvait talonné par un brillant benjamin et second : Léopold Sédar Senghor qui était lui-méme impressionné par les résultats acquis et le succès de Yacine Diallo en Guinée. Il souhaitait que le Doyen Lamine Gueye adopte au Sénégal la méme stratégie. De là, des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles Yacine Diallo et Lamine Gueye n'étaient plus sur la même longueur d'ondes.
Le passage de Lamine Gueye à Conakry fut l'occasion pour Yacine Diallo de dissiper ce malentendu.
Tout d'abord, Yacine Diallo s'honore d'être un homme politique et de consacrer toute son activité à la chose publique. Certes, il aura couru la rumeur d'une amitié qui aurait pris fin entre les deux élus africains.
Yacine Diallo dissipe précisément ce malentendu en rappelant ces multiples occasions que Lamine Guèye a su trouver de lui témoigner sa profonde et sincère amitié. L'orateur rappelle qu'il fut toujours l'apôtre de l'union et de la conscience. Les efforts qu'il a déployés pour réaliser cette union si nécessaire à l'obtention des libertés désirées par tous les Africains ont été couronnés de succès. Yacine Diallo cite en exemple l'instauration en Guinée du collège unique en matière d'élections législatives.
« Le grand parlementaire Noir a su en de multiples occasions se montrer pour ces jeunes, les députés guinéens, l'aîné qui hante la voie sur laquelle on peut toujours compter », rappellera Yacine Diallo. Et de lancer : « Aussi, la Guinée française, reconnaissante, est-elle aujourd'hui toute à sa joie d'accueillir et de remercier publiquement Lamine Guèye ».
Un mois après la visite du député sénégalais, Conakry, la capitale de la Guinée française, accueillera dans la plus grande solennité le Président de la République, Vincent Auriol, fraîchement élu.
De nouveau, et à cette occasion solennelle, Yacine Diallo s'adresse à ses compatriotes, le 16 avril 1947. Cet appel est typique de la stratégie de Yacine Diallo dans les relations qu'il souhaite voir s'établir entre la Guinée et la France. Des relations de confiance et de respect mutuels. D'abord respect des engagements pris par la France vis- à vis des populations d'Outre-mer notamment dans le fameux discours du Général de Gaulle prononcé à Brazzaville en 1944. Discours qui implicitement reconnaît à ces dernières, le droit à l'auto-détermination et à la gestion des affaires locales. Pour le député de la Guinée, ces engagements devaient être respectés parce que les populations d'Outre-mer les avaient mérité par l'énorme sacrifice consenti pour la libération de la France. En échange, la France était en droit d'attendre de la Guinée toute la loyauté requise entre partenaires dans le projet commun que constitue l'Union française. Projet auquel Yacine Diallo croit et prend au sérieux. C'est pourquoi il n'a cessé d'inciter les deux partenaires à respecter leur part d'engagement, à le faire loyalement, dans l'intérêt de tous. En d'autre termes, les relations entre la France et les Territoires d'Outre-mer évoluaient.
La Constitution de la 4è République consacrant cette évolution, il s'agissait désormais, pour les différents acteurs, d'agir en sorte que cette évolution se concrétise dans les faits et qu'elle se poursuive. Autant dire que les choses n'allaient pas de soi. Il fallait que chacun y mette du sien, avec appréhension, certes, mais avec confiance.
« Mes camarades, accueillez dans l'enthousiasme le président Vincent Auriol et toutes les hautes personnalités qui l'accompagnent dans son voyage. Que vos manifestations soient la preuve de la joie immense qu'éprouve la Guinée de recevoir ses hôtes éminents ; qu'elles montrent aussi par leur harmonieuse coordination que vous êtes prêts, quant à vous, à buriner, à sculpter et à faire l'Union française dont le président de la République est aujourd'hui le vivant symbole.
Pour la première fois dans l'histoire de la France, un Président ajoute en effet à son titre habituel de Chef de l'État celui plus prestigieux encore de Chef de l'Union. Il en représente les « intérêts permanents ». Mots combien lourds de sens, mais qui magnifient étrangement une charge que Monsieur Vincent Auriol assume avec tant d'autorité et de compétence.
Ce rôle d'ailleurs, le président l'a sans cesse présent à la mémoire. J'ai plaisir à me souvenir que dans son message à l'Assemblée Nationale il a non seulement tenu à rappeler son affection profonde à l'égard des populations des territoires d'Outre-mer mais encore, a affirmé sa certitude que le rayonnement de cette Fédération de peuples unis par l'amitié qu'est l'Union française sera le rayonnement même de la Patrie.
Les hommes qui, dans la Métropole, occupent les postes les plus éminemment représentatifs, j'ai nommé le président du Conseil Paul Ramadier, le président de l'Assemblée Nationale Edouard Herriot, le président du Conseil de la République Gaston Monnerville, le ministre de la France d'Outre-mer Marius Moutet, veulent avec une égale ferveur que dans l'Union française toutes les races évoluent librement afin d'accomplir leur destin. Mais cette évolution entraîne pour nous des devoirs dont nous sommes pleinement conscients.
Quand la France par exemple entend nous initier à ce régime de liberté qui est sa propre définition, nous savons qu'elle a le droit d'exiger de tous une loyauté pareille à la sienne. De cette loyauté, nous sommes coutumiers.
Ai-je besoin de rappeler qu'au cours des années 1914-1918 et 1939-1945, tant sur le sol métropolitain que sur les chemins qui vont du Tchad à Strasbourg en passant par l'Afrique du Nord et l'Italie, nos soldats ont écrit ce mot « loyauté » en lettres de sang. Si nous l'avons fait, c'est parce que la France et ses principes républicains présentent une immense espérance, une espérance de fraternité, une espérance de solidarité, une espérance de liberté, principe même de la condition humaine qui a su inspirer ces hommes de 1848 « véritables découvreurs d'inconnus » qui proclamaient fièrement » « nulle terre française ne doit porter d'esclaves » 11.
L'oeuvre de ces aînés ne fut pas vaine, puisqu'elle a abouti aujourd'hui à cette Union Française qui, sous nos yeux, a commencé à vivre. Manifestez donc votre joie, fêtez nos hôtes ! En les fêtant, c'est la France que vous honorer, cette France qui a si parfaitement compris les nécessités de l'évolution de sa politique coloniale, évolution d'ailleurs conforme à son génie. »
Les populations de la capitale, à la fois motivées et comblées, ont accueilli avec faste et apparat Vincent Auriol, le 25 avril 1947, soit cent vingt ans après le passage de René Caillé. Et le président français indiquera aux Guinéens que la liberté n'est pas la licence. « L'Union franco-guinéenne était si chère à Yacine Diallo d'ailleurs qu'il fondera une organisation politique du même nom et le 9 mai 1947. L'Union franco-guinéenne publiera ce communiqué :
« Le camarade Yacine Diallo reçoit de Monsieur le Haut commissaire, Gouverneur Général de l'A.O.F. lettre dont teneur suit :
« Me référant à votre télégramme du 15 avril 1947, j'ai l'honneur de vous faire connaître que par télégramme du 16 avril 1947 j'ai autorisé le Gouverneur de la Guinée Française à prendre un arrêté local portant rétablissement des cercles de Pita et de Guéckédou. « L' Union franco-guinéenne » se joignant à son président Diallo Yacine salue avec enthousiasme le rétablissement de ces nouvelles circonscriptions administratives auxquelles elle souhaite un plein épanouissement dans l'ordre et la paix au sein de notre chère Guinée française ».
L'Administration du Territoire de la Guinée française dans le cadre de la nouvelle Union française supposait des réformes importantes dans le statut de la colonie. En effet, trop d'injustices, d'inégalités et d'arbitraires se dégageaient des pratiques administratives en cours dans le territoire auxquelles il était urgent de remédier en les corrigeant par des réformes profondes. Ces réformes étaient d'autant plus nécessaires que les lois métropolitaines se greffaient sur des lois et coutumes des populations indigènes qui avaient toujours cours. Yacine Diallo s'attellera énergiquement à la promotion de telles réformes. Ce faisant, pour lui, tout changement doit nécessairement prendre en considération les us et coutumes des populations indigènes.
18 juillet 1947 : La commission de la France d'Outre-mer met en discussion la proposition de loi Yacine Diallo portant fixation du statut des Chefs indigènes. A cet égard, plusieurs rapporteurs sont nommés en vue de faire une proposition de résolution sur la base de celle introduite par le député Yacine Diallo tendant à inviter le gouvernement à préciser le statut des Chefs indigènes de l'AOF, de l'AEF, du Togo et du Cameroun.
Cette action parlementaire initiée par Yacine Diallo se poursuivra lors de la séance du 21 août 1947.
L'application pure et simple de la coutume sera souvent reconnue comme légitime par le peuple. C'est-à-dire qu'elle aura en fait une valeur démocratique, même si strictement la forme n'y est pas. Un rapport récemment présenté à la Commission a relevé que des élections démocratiques à l'échelle du village étaient impossibles tant que l'état-civil indigène ne serait pas établi et que les partis ne seraient pas organisés pour les contrôler. Raison de plus donc de confirmer la coutume en attendant.
Pour ce qui est des Chefs de canton, les formules de suffrage indirect permettant d'associer transitoirement les Chefs de villages et les intellectuels sont de nature à favoriser une évolution nuancée. Elles ne sauraient être applicables pour toutes les régions sans discernement. Mais la condition ayant, de l'avis de la Commission de la France d'Outre-mer, le plus d'importance pour l'émancipation des masses serait d'imposer qu'ils soient issus de leur sang, il faut obtenir par des conditions strictes d'éligibilité la désignation d'autochtones au sens étroit du mot et écarter tous les étrangers.
La question des sanctions a souvent éloigné de l'autorité française les Chefs naturels, les véritables, pour ne laisser à la portée de l'Administration qu'un Chef de paille.
Ce résultat n'est dans l'intérêt ni du peuple, ni de l'administration. Des sanctions pénales ne semblent admissibles qu'en cas d'atteinte à l'ordre public et à la sécurité de l'État. Reste, selon la Commission, à voir comment pourrait être obtenue une amélioration de la situation matérielle des chefs. Les prestations coutumières en la matière résultent d'accords tacites et naturels qu'on ne peut supprimer, mais seulement réduire par l'éducation des masses.
On peut les régulariser, en alléger le poids d'une part en consacrant officiellement ce qu'elles comportent de légitime ; d'autre part en assurant une rétribution budgétaire plus substantielle …
Et le rapport de poursuivre : certains des cadres organisés dans des territoires d'A.O.F. comportant douze échelons d'avancement, ne serait-il pas plus conforme à leur caractère représentatif d'instituer une indemnité attachée d'une manière fixe à la fonction et par assimilation à une catégorie de fonctionnaires ?
Dans l'état actuel des choses, l'indemnité des chefs de village pourrait correspondre à un échelon moyen des cadres locaux et celle des chefs de canton à un échelon des cadres supérieurs. Et enfin, s'il est d'usage et désirable souvent que les vieux chefs demeurent dans leurs prérogatives jusqu'à leur mort, il n'en est pas moins juste qu'après un temps de service suffisamment long qu'il aient le droit de prendre une retraite méritée.
La formule de l'honorariat rétribué est évidemment la seule compatible avec la dignité de leur fonction. Toutefois, l'affiliation à une caisse de retraite semblerait leur donner plus de garantie de sécurité.
Au reste, les deux formules ne sont pas incompatibles. Telles sont, mentionne le rapport, les suggestions qui peuvent être formulées pour résoudre les problèmes que pose la situation des chefs de l'Afrique noire.
Il appartient au Gouvernement, après avis des assemblées locales, d'adopter de telles dispositions précises compatibles avec la nécessité de reconnaître le rôle éminent des chefs par la régularisation de la situation morale et matérielle et d'assurer le respect des coutumes conformes aux principes de la morale naturelle qui constitue une part de la responsabilité des peuples d'Outre-mer.
En conséquence, la commission propose à l'Assemblée d'adopter la résolution suivante :
« L'Assemblée Nationale invite le Gouvemement à préciser, après avis des assemblées locales, le statut des chefs indigènes en AOF, AEF, au Togo et au Cameroun, au triple point de vue de la situation morale, de la situation matérielle et des sanctions dont les chefs peuvent étre l'objet. »
Après cette session dont le premier député guinéen peut s'enorgueillir, Yacine Diallo, en compagnie de Fodé Mamoudou Touré, regagne Conakry le 4 septembre 1947. Et dans sa livraison du 5 courant, le Bulletin quotidien d'Information s'en est largement fait écho :
Le député Yacine Diallo et le Conseiller de la République Fodé Mamoudou Touré sont arrivés hier à Conakry au milieu de la joie générale. Interrogés sur leurs impressions Yacine Diallo fait un exposé rapide des travaux auxquels il avait participé d'une façon si heureuse pour la Guinée et notamment des textes de lois et propositions de résolutions dont il a pris l'initiative. Il ajoute que la Guinée se trouve en très bonne posture auprès de la Métropole, en raison de son activité fructueuse et du bon soutien de ses populations.
« Notre voyage a été excellent, malgré le mauvais temps. Cette session parlementaire s'est déroulée dans de très bonnes conditions et m'a permis d'obtenir des résultats positifs, avait confié Yacine Diallo, avant d'avertir :
Cependant, tout n'est pas fini. Je compte rester en Guinée pendant deux mois pour étudier les principales questions économiques intéressant notre Territoire, organiser l'Union Franco-Guinéenne et essayer de réaliser l'une des politiques du Fouta.En 1945, il y a eu un congrès des Chefs (coutumiers) à Pita, tandis qu'en avril 1947 les intellectuels de l'Amicale Gilbert Vieillard tenaient un congrès à Labé. Maintenant, je vais essayer d'organiser un congrès d'intellectuels et de Chefs pour établir un programme commun. Au Parlement, la Guinée jouit d'une excellente réputation que nous allons tâcher de lui conserver », conclut le député.
De son côté, le Conseiller de la République, Fodé Mamoudou Touré, laconiquement, déclare :
« Nous avons fait tout l'effort nécessaire pendant cette Session pour servir la Guinée. Les résultats obtenus sont fort encourageants. Maintenant, il nous faut à tout prix réaliser l'union des Guinéens. C'est indispensable ! Nous y consacrerons tous nos efforts ».
Ces allocutions vivement applaudies terminées, les deux parlementaires montent dans la voiture du Chef du Territoire qui s'ébranle aussitôt aux acclamations des populations de la banlieue. Le cortège file sur la route goudronnée. Un arrêt imprévu près du parc à bétail, arrêt plus long qu'on aurait pu le penser; car la foule qui s'est amassée veut voir de près les deux parlementaires et surtout leur serrer la main.
Au pont de Tombo, trente cyclistes à brassard tricolore encadreront les véhicules jusqu'au domicile de nos élus. Partout retentissent de vives acclamations qui saluent les occupants de la voiture officielle qui remercient de la voix et du geste la foule enthousiaste. Sur le carrefour de la Route du Niger des milliers de Guinéens sont rassemblés. Trente jeunes filles entourent le fanion du « Comité d'Union de la Basse Guinée » et la pancarte de « L'Union Franco-Guinéenne ».
Accompagnés du Gouverneur, les deux parlementaires saluent les notables qu'ils remercient pour l'accueil qui leur a été réservé. C'est toujours au milieu des acclamations et vivats que le cortège parvient jusqu'à l'Annexe du Gouvernement, où seront logés Monsieur et Madame Yacine Diallo pendant leur séjour à Conakry. A la descente de voiture, le Député et le Conseiller de la République sont accueillis par une foule avide de voir de plus près ses représentants et qui se massent aux abords de l'édifice.
C'est dans une atmosphère jusque-là réservée aux grandes fêtes : cris, rires, vivats, tam-tam que le Gouverneur et les personnalités officielles prennent congé des deux parlementaires, qui voudraient bien prendre un moment de repos. Mais leurs sympathisants ne leur en laissent pas le loisir.
Rassemblés devant l'Annexe, femmes, hommes, enfants, de toutes ethnies et de toutes régions de Guinée, attendent un discours. Le Député et le Conseiller se consultent, puis, par l'intermédiaire d'un interprète soussou, s'adressent à la foule. C'est d'abord Fodé Mamoudou Touré qui manifeste sa joie de retrouver son pays natal parmi ses électeurs auxquels il apporte une ample moisson de résultats.
De son côté, Yacine Diallo décide d'ajouter quelques mots à « ce que vient de déclarer notre jeune Conseiller » :
« Nous revenons de France avec des résultats dont vous pouvez aisément apprécier l'importance. On peut tout obtenir de la France lorsque l'on s'adresse à son coeur et à son sens inné de la justice. Ce que nous vous rapportons en est une preuve irréfutable. C'est pour cela que je vous demande de vous appuyer sur vos droits, seulement sur vos droits dans ce qu'ils ont de légitime. On vous a dit que vous étiez tous égaux, vous savez bien que cela n'est vrai que deyant la justice, cette justice que la France incame si justement. C'est pour cela, que je vous demande d'éviter toute effervescence en vous rappelant que les libertés dont vous jouissez aujourd'hui, c'est encore la France qui vous les a apportés. Nous vous expliquerons les buts et les résultats de notre mission. Le reste de notre programme s'étale encore sur quatre années de législature, années pendant lesquelles vous pouvez nous faire confiance.
Nous vous exposerons tout cela bientôt ; nous n'attaquerons personne, mais si certains vous ont mis de mauvaises idées en tète, ce sont des idées que nous attaquerons et non des hommes. La France a assez fait pour nous pour que nous lui accordions notre confiance sans réserve. Nous sommes tous ses élèves. Elle est notre maîtresse, toute disposée, elles l'a déjà montré à nous traiter comme ses enfants. Nous obtiendrons d'elle ce que nous méritons d'obtenir, si nous le lui demandons avec elle, à cause d'elle, à cause de cet idéal qui l'a guidée depuis qu'elle est la France.
Je vous l'ai déjà dit, je vous le répète, tout avec la France, rien contre la France. Et à cause de cela, je vous convie à crier tous avec moi. Vive la Guinée ! Vive l'Union Française ! »
Un tonnerre d'applaudissements, de cris de joie et d'acclamations enthousiastes saluent la fin du discours de notre parlementaire. Fodé Mamoudou Touré qui habite en plein centre de la ville prend congé de Yacine Diallo qu'entoure un groupe d'amis politiques qui paraissent bien décidés à ne pas quitter la place de sitôt.
A regret, la foule immense rassemblée en l'honneur de ses représentants quitte le jardin et s'écoule lentement dans la rue se retoumant de temps à autre pour apercevoir encore une fois les deux Guinéens qui ensemble dans le même esprit de conciliation et d'entente défendent ses intérêts au palais Bourbon et au Luxembourg.
Voilà pour ce qui est du commentaire fait par la presse française présente en Guinée. A cela il faut ajouter l'improvisation de chansons par des ensembles folkloriques, reprises en choeur à longueur de cérémonie. La plus inoubliable de toutes reste encore vivace dans la mémoire des Guinéens, celle qui symbolise les liens entre Yacine Diallo et le peuple de Guinée.
« Yacine Diallo, Fodé Mamoudou yô, dunya bara liberté ! Yacine Diallo, Fodé Mamoudou yô, dunya bara khosa don ! » 12
C'est le plus bel hommage qu'un peuple puisse rendre à un dirigeant que de le louer pour avoir su conjuguer liberté avec prospérité.
Les rapports Yacine Diallo et Fodé Mamoudou Touré ont toujours été particulièrement excellents.
« Fodé Mamoudou Touré était crédible, licencié en droit, fils de Naby Bakoro, une personnalité très appreciee en Basse-Côte. Il était poli, très conciliant. Yacine a adopté Fodé Mamoudou. Il en a même fait un colistier lors d'une candidature» 13
Le 27 novembre 1947, Yacine Diallo rejoint son poste au Palais Bourbon. Auparavant, le 25 novembre précisément, le député préside une réunion publique devant une foule nombreuse rassemblée sur le terrain de la CFAO. Yacine avait tenu à mettre ses compatriotes au courant de ses projets.
Sur l'estrade à ses côtés avaient pris place ses partisans et ses amis de l'Union Franco-Guinéenne. Successivement prirent la parole Karim Bangoura, Secrétaire Général de l'Assemblée Territoriale et Fodé Mamoudou Touré, Conseiller de la République.
On remarquera tout de suite une certaine agitation qui s'élevait par vagues pour tenter de couper la parole aux orateurs, notamment pendant l'allocution de Fodé Mamoudou Touré.
Elle s'apaisa lorsque Yacine Diallo avec son « autorité tranquille » prit possession du microphone. Mais, vers la fin, à l'instigation, des meneurs venus dans le but de saboter la réunion, poussèrent des acclamations ; des cris fusèrent émanant de groupes où se mêlaient ces jeunes désoeuvrés, toujours prêts à saisir une occasion de désordre. Notre député ne se laissera pas démonter pour si peu et poursuivit jusqu'au bout son exposé qui fut salué par les applaudissements de tous les citoyens sérieux, couvrant les efforts des opposants et des troublions.
Peu avant de prendre place dans son avion et sur un ton plein d'optimisme, Yacine Diallo déclare notamment :
« J'ai effectué d'excellentes tournées en Guinée. J'ai constaté partout que le pays travaille, les masses accomplissent leurs tâches quotidiennes dans le calme, la sagesse et une confiance totale en leurs élus et en leurs chefs. Aussi, leur attitude est-elle un grand stimulant pour nous auxquels incombe la lourde tâche de les défendre et de hâter leur émancipation.
Le congrès de Pita aura lieu en 1948, quand les intellectuels et les chefs auront élaboré leur programme.
Partout où j'ai été, je me suis efforcé de réconcilier ces deux éléments qui ont fait de part et d'autre preuve d'un réel esprit de compréhension.
Le congrès prévu permettra de sceller leur entente qui aura les plus heureuses répercussions non seulement au Fouta-Djallon, mais aussi dans toute la Guinée. Je déplore la grève actuelle. Le Secrétaire Fédéral des cheminots, Monsieur Sarr Ibrahima m'a saisi. J'interviendrai avec mes collègues le plus tôt possible pour trouver une solution efficace qui mette fin â ce tragique conflit.
J'ai donc hâte de repartir à Paris où avec mon ami Mamba Sano au Palais Bourbon et les autres élus aux Assemblées métropolitaines j'espère obtenir des résultats positifs, au profit d'une Guinée forte, et fière de ses enfants et de son guide aimée : la France Républicaine. »
Notes
9. Edouard Terrac, Français d'origine antillaise, fut Administrateur-maire de la Commune Mixe de Conakry. Il fut l'un des animateurs de la Résistance des Forces Françaises Libres (FFL) en Guinée. Il fut arrêté, torturé à Conakry et déporté avec une vingtaine de Guinéens patriotes à la Prison Civile de Dakar en 1941 par les autorités vichystes de la Guinée Française. A la libération, le Général de Gaulle le nomma Gouverneur de la Guinée.
10. Bulletin quotidien d'information. 7 mars 1947.
11. 17 Avril 1848 : date de l'abolition de l'esclavage par la France sur la proposition du député Victor Schoelcher.
12. Yacine Diallo, Fodé Mamoudou: grâce â vous le peuple a recouvré sa liberté ! Yacine Diallo, Fodé Mamoudou: grâce à vous le peuple est nourri de la meilleure qualité de riz : le riz blanc ! Riz blanc différent du riz sakkarba, riz à peine décortiqué souvent réservé aux troupes. (ndl).
13. Alpha Ousmane Kakoni.
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