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Histoire politique

Boubacar Yacine Diallo
Yacine Diallo le Guinéen. Pour la Patrie et dans l'Honneur

Paris. L'Harmattan. 1996. 111 p. : ill.


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L'homme et son temps

Pour mieux situer l'action de tout homme d'État et lui restituer toute sa teneur, il faut la situer dans son temps. Celui de Yacine Diallo était un temps particulièrement riche. D'abord par la nature et l'ampleur des événements. La qualité des hommes ne l'était pas moins. C'était le temps florissant des empires coloniaux que la première, puis la seconde guerres mondiales vont mettre à rude épreuve avant de les ébranler dans leur certitude. En Europe, l'idéologie communiste, depuis 1917 et l'idéologie fasciste, depuis 1925, ont fait leur chemin et progressé sinon dans les esprits, du moins, dans l'espace conquis. Ainsi, aux rapports de forces, peuples colonisateurs/peuples colonisés, sont venus se superposer deux autres axes : l'axe idéologique où s'affrontent communistes et capitalistes d'une part, celui où s'affrontent fascistes et antifascistes, de l'autre. Le fait que ces axes ne sont pas parallèles, mais se recoupent, ajoute à la complexité de la situation.

En effet, si l'expansion coloniale est une idée généralement partagée par tous les gouvernements européens, leurs rivalités n'en sont que plus vives. Anglais, Français et Belges veillent sur leurs domaines et les Allemands et les Italiens, un peu pris de cours par les événements, cherchent activement à rattraper ce qu'ils considèrent comme un retard dans la conquête coloniale. Et. pour ce faire toutes les négociations sont une occasion pour réclamer leur part « du gâteau colonial ». Les communistes sont opposés à la colonisation parce qu'ils considèrent les colonies comme des réserves du système d'exploitation capitaliste, qui comme telles, sont toujours susceptibles d'être utilisées contre la révolution mondiale. Par conséquent, la Révolution globale ne doit pas épargner les bases arrière du capitalisme dans les colonies.

Les nazis et les fascistes quant à eux, ont partagé le monde en deux groupes : celui des races pures, celle des Aryens, blonds aux yeux bleus, race des seigneurs, et celle des bâtards, c'est-à-dire tous les peuples cosmopolites. De ce fait ils se proposent de créer dans le monde un ordre nouveau dominé par les Aryens et leurs vassaux, appelés pour la circonstance, Alliés].

[Erratum. — L'Allemagne nazie et ses partenaires formèrent l'Axe. Leurs ennemis de guerre (Grande Bretagne, USA, France de la Résistance, etc.) s'appelaient les AlliésTierno S. Bah]

Ils développent à cet effet une formidable machine de guerre dont l'efficacité prouvée sur les premiers théâtres d'opération en Europe, surprendra le monde entier.

A côte de ces acteurs Européens, la conjoncture internationale de cette période entre deux-guerres est également dominée par l'éveil des mouvements de libération dans les Empires coloniaux. En Inde, Indonésie et bientôt en Indochine, les mouvements nationalistes s'organisent et se manifestent publiquement. En Afrique, animés bien souvent à partir du Caire, les mouvements nationalistes prennent pied et s'enracinent. En Tunisie, l'équipe du jeune Habib Bourguiba façonne le parti du Destour qui deviendra le Néo-Destour.
Au Maroc, l'Istiqlal prend corps et âme. En Algérie, le croissant Rouge Algérien de Messali Hadj est populaire. Les thèses communistes en faveur de l'auto-détermination des peuples, et la défaite des armées françaises et britanniques devant l'Allemagne à Dunkerque en juin 1940, vont contribuer à accélérer le courant de l'Histoire en faveur de l'auto-détermination des peuples sous domination coloniale.

En effet, l'Armistice (du 22 juin 1940) entre la France et l'Allemagne va consacrer l'occupation d'une partie de la France.
Mais l'Armistice consacrera du même coup, la division de la France entre les partisans du régime de Vichy. Les colonies n'échappent donc pas aux conséquences de la scission intervenue en Métropole. En d'autres termes, dans les colonies, on retrouve les partisans du régime de Vichy et ceux du Général de Gaulle. Mieux encore, les colonies sont l'objet d'une convoitise de la part des deux camps qui cherchent chacun à les contrôler pour les utiliser. En effet, de Gaulle, dans sa démarche, considère les territoires coloniaux comme des territoires français non occupés par l'Allemagne qui ont, de ce fait, le devoir de se battre aux côtés des Alliés contre les défaitistes de Vichy et contre l'Allemagne et ses alliés Japonais et Italiens en particulier. « La France n'est pas seule. Elle a un empire derrière elle », dira-t-il dans son fameux Appel du 18 juin 1940. Et, plus loin, il précise sa pensée : « l'Empire est une nécessité » qu'il faut « rassembler dans la guerre ».

En raison des ressources naturelles et humaines considérables que recèlent les territoires coloniaux, ces derniers vont devenir en cette période de guerre, des enjeux de taille. Bientôt les nécessités de l'effort de guerre vont mettre les colonies à rude contribution dans le domaine de la main-d'oeuvre et des matières premières.

De la situation d'enjeu, les colonies se voient projetées dans celle d'acteurs dans la Seconde Guerre Mondiale. Dakar est même pressenti comme capitale de l'Empire. Devant l'hostilité des autorités de Vichy à Dakar qui reçoivent le Général Charles de Gaulle à coups de canon, l'homme du 18 juin se rend au Cameroun via le Tchad où le rejoignent des compagnons tels que le gouverneur Antillais Félix Eboué et le Général Leclerc. En octobre 1940 Brazzaville est proclamé capitale de la France Libre. Plus tard, c'est à Alger que sera formé le Comité Français de Libération Nationale. Voilà les populations de ces territoires attelées à l'effort de guerre aux côtés des Alliés dont la France. C'est à Fort-Lamy, au Tchad, que la première Armée française, celle qui libéra la France, sera constituée. Elle est composée essentiellement d'Africains. De Fort-Lamy jusqu'en Allemagne, en passant par Tobrouk, Koufra, Bir, Hakeim, MonteCassino et l'Alsace, par centaines de milliers, ces troupes coloniales marcheront de victoire en victoire jusqu'à la libération totale de la France et la capitulation de l'Allemagne et des forces de l'Axe.

La Deuxième Guerre mondiale confirme l'entrée sur la scène internationale des États-Unis d'Amérique, comme une des grandes puissances mondiales aux côtés des vainqueurs de la guerre, en particulier l'Angleterre, l'Union Soviétique, la France et la Chine. La liberté du commerce international reste une des grandes préoccupations des États-Unis. Ce pays souhaite qu'elle soit véritablement instaurée. Ils imposent aux puissances coloniales le principe d'une tutelle internationale sur les colonies par le truchement des Nations Unies. Le principe de l'autodétermination des peuples se trouve ainsi consacré. Il dégage la voie vers l'autonomie puis l'indépendance des territoires coloniaux. L'enjeu que sont devenus les territoires coloniaux pendant la Seconde Guerre Mondiale, leur part dans l'effort de guerre et l'évolution des idées dans le monde à travers l'Union Soviétique et les États-Unis, ouvrent la voie de l'indépendance aux peuples d'Asie et d'Afrique. C'est la fin d'une aventure et le début d'une autre.

A la fin de la guerre, en juin 1944, le Général de Gaulle réuni à Brazzaville une sorte d'états généraux des territoires africains sous domination française qui dessinent les grandes lignes d'une évolution de ces territoires, en association avec la France vers ce que l'on appellera tour à tour, l'Émancipation, l'Autonomie, l'indépendance dans la dépendance, puis enfm l'indépendance. Objectif de ces assises : associer les Africains, chez eux, à la gestion de leurs propres affaires.

Il ressort de ces concertations une réorganisation des territoires qui sont désormais répartis entre deux grandes entités : L'Afrique Occidentale Française et l'Afrique Équatoriale Française. L'Empire colonial devient Union française en 1945.

La Constitution du 13 octobre 1946 reconnaissait trois collectivités de droit intemational : La République Française (France métropolitaine et anciennes colonies devenues DOM ou TOM, y compris les huit colonies d'AOF) ; les futurs territoires associés (Togo et Cameroun) et les États associés, anciens protectorats. Parmi les 3 organes centraux, on relèvera l'Assemblée de l'Union française. Elle est composée à égalité de représentants de la Métropole et de l'outre-mer. Hélas, elle n'avait qu'un pouvoir consultatif. En définitive, les constituants accordèrent aux peuples d'Outre-mer 38 députés pour 29 millions d'habitants contre 544 députés métropolitains. Déséquilibre légèrement plus réduit au Conseil de la République, qui comptait 44 sénateurs d'Outre-mer sur 320.

Le débat politique en Métropole se situe entre les partisans de la politique d'assimilation des colonies au fonctionnement des institutions françaises, d'une part, et les partisans de l'Association, de l'autre. Il n'y a pas un clivage très net entre les partis sur la question, c'est-à-dire que même à l'intérieur des partis, les opinions sur cette question sont partagées.

Pour les nouveaux élus des territoires d'Outremer, soit une dizaine de députés, Yacine Diallo se retrouve sur les bancs de l'Assemblée nationale française avec des compagnons tels que : Mamadou Konaté du Mali, Léopold Sédar Senghor et Lamine Guèye du Sénégal, Félix Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, Sourou Mignan Apithy du Dahomey et Fily Dabo Cissoko de la Haute-Volta, pour ne citer que ceux-là. Tous, nous le savons aujourd'hui, avec un certain recul, furent des hommes de qualités exceptionnelles. Pour eux, la nouvelle constitution leur offre un tremplin pour l'émancipation des peuples qu'ils représentent. Étant donné leur petit nombre par rapport aux élus de la Métropole, les élus d'Outre-mer doivent s'organiser pour faire valoir leur point de vue.

Leur première décision est d'ordre stratégique : liberté d'affiliation aux différents groupes parlementaires de la métropole est accordée à chaque député d'Outre-mer. Ils décident, dans leur propre intérêt, de ne pas s'affilier à différents groupes à l'Assemblée Nationale. Ce qui leur permettait de se faire entendre dans la plupart des partis politiques influents en Métropole. Car ce qui importait ici, c'était d'abord la défense des intérêts des territoires africains. Ils décidèrent de défendre ces intérêts ensemble.

Yacine Diallo. par exemple, est affilié au Parti Socialiste SFIO dont il devient le vice-président du Groupe à l'Assemblée Nationale.

Les nouveaux élus d'Outre-mer pousseront plus loin leur stratégie. Ils décident de créer le premier Mouvement politique issu des territoires coloniaux français : le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), dont Félix Houphouët-Boigny deviendra, plus tard, le président. Yacine Diallo fait partie des six parlementaires signataires de la Déclaration portant création du RDA.

[Erratum. — Les signataires étaient au nombre de sept : Félix Houphouet-Boigny, Lamine Guèye, Jean Félix-Tchicaya, Sourou-Migan Apithy, Fily-Dabo Sissoko, Yacine Diallo, Gabriel d’Arboussier. — T. S. Bah]

Le Congrès Constitutif du RDA est convoqué à Bamako; Yacine Diallo s'abstient d'y participer avec d'autres élus d' Outre-mer.

Entre autres raisons, on notera les frustrations que sa participation aurait pu engendrer au niveau des Chefs féodaux du Fouta-Djallon et des commerçants de la Haute Guinée qui constituaient sa base électorale. Quant à Léopold Senghor, il reconnaîtra en 1957 son tort qui a été, selon lui, d'obéir aux ordres qui lui avaient été imposés de l'étranger.

Le doyen des élus Africains, Lamine Guèye, quoique solidaire de ses collègues, rejetait toute alliance avec les communistes. Il voulait contribuer ainsi à détruire le système.

[Note. — Sur le Congrès du RDA ` Bamako lire Pierre Kiprè, André Lewin, Ruth Morgenthau, Gabriel Lisette, Jean Suret-Canale… — Tierno S. Bah]

A Bamako d'ailleurs, Fily Dabo Cissoko s'en prendra publiquement à ce qu'il qualifiera de « manoeuvre communiste ». Du coût, il sera dévoyé par Houphouët-Boigny désireux de lui porter la contradiction. Or, de tous les partis métropolitains, seul le parti socialiste était présent dans la capitale du Soudan.

Lors de la séance d'ouverture du Congrès qu'il présidait, Fily Dabo Cissoko se désolidarise tout simplement. Il est isolé. Le Congrès frise le chaos, après l'appel de Houphouët-Boigny en faveur du Manifeste qui insiste du reste sur la réconciliation des Chefs locaux.

Au bout du compte, les participants s 'accordent sur le fait que le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) « n'était pas un parti nationaliste, mais un mouvement démocratique affirmant la personnalité africaine, acceptant une union dans un cadre étatique avec la France et les autres pays associés à celle-ci », comme le note si bien Gabriel d'Arboussier qui présenta au Congrès la résolution finale.

Avec la fin du congrès, le lundi 21 octobre et après le discours de clôture de Houphouët-Boigny, Mamadou Konaté du Soudan et Fily Dabo Cissoko de la Haute Volta se réconcilièrent publiquement, même si ce fut provisoirement.

De retour dans leurs pays respectifs, les délégués au Congrès de Bamako appliquent sans délai l'une des grandes articulations des Statuts du RDA qui fixaient à un le nombre de parti par territoire.

Le PDG est créé officiellement comme section du RDA en Côte d'Ivoire et ce sur les cendres de l'Alliance qui regroupait le Rassemblement africain, le Parti démocratique et le Mouvement de « Six Cercles » de l'Ouest.

Au Sénégal, Doudou Guèye fonda l'Union démocratique, tandis qu'au Niger, Hamani Diori et bouba Hama fonderont le Parti progressiste.

En Guinée, le Parti progressiste de Madeira Keita et la filiale de la CGT dirigée par Sékou Touré donneront naissance à la Section du RDA le 14 mai 1947.

[Erratum. — Sur la composition des 1er et 2e comités directeurs de la section territoriale guinéenne du RDA (PDG), consulter A. Lewin 1947 et 1948. Sékou Touré fut désigné (et non pas élu) secrétaire général seulement en 1950. — Tierno S. Bah]

Au Soudan, Mamadou Konaté rebaptise le Parti démocratique. Il prendra le nom d'Union Soudanaise. Sous l'impulsion de Ouenzzin Koulibaly Ouezzin Coulibaly, le Parti démocratique voltaïque devient Section du RDA en 1948, avec notamment la reconstitution de la Haute Volta.

Le Dahomey, lui, ne mettra pas en place une Section du RDA à proprement parler, Sourou Mignan Apithy s'étant séparé très vite du RDA.

Notons qu'avant la rencontre de Bamako, l'administration coloniale dressera tous les obstacles possibles sur la voie du rassemblement. Des délégués de l'Afrique Équatoriale française ont été empêchés de rallier Bamako. Quant aux élus socialistes, ils reçurent tous la fameuse consigne d'abstention.

Après Bamako, les difficultés n'ont pas été des moindres. En Guinée, de 1947 à 1950 le PDG survit à peine, du fait des intimidations et de la répression dont sont victimes ses membres. D'ailleurs, en octobre 1948, la dernière association ethnique, l'Union mandé de Mamba Sano, affiliée jusque là, quitte les rangs du RDA.

Et le 28 juin 1949, tous les groupes régionaux forment un comité d'entente guinéenne, avec deux objectifs prioritaires : lutte contre le RDA et respect des traditions.
Mais, tous comprendront que l'union des Africains devrait leur permettre de se libérer du colonialisme, en vue de jouir de tous les droits, avant d'intégrer une union librement consentie des populations d'Afrique et du peuple de France.

Ce qui mérite de retenir notre attention dans cette évolution générale, c'est le fait que la guerre a permis aux Africains de se placer en situation de créanciers vis-à-vis de la Métropole. Celle-ci s'est engagée à la conférence de Brazzaville, à laquelle aucun Africain n'a été invité, à promouvoir l'émancipation des colonies.

Pour les élus Africains à l'Assemblée Nationale Française, Brazzaville était une simple promesse qu'il fallait concrétiser. Or, en Métropole, la volonté politique et générale pour travailler dans ce sens n'était pas évidente. Les partis étaient partagés sur ce qu'il y avait lieu de faire et surtout le Général de Gaulle, l'Homme de Brazzaville avait décidé de démissionner en janvier 1945 sous les coups de boutoir des partis. Ceci dit, la rivalité idéologique Est -Ouest, la reconstruction de l'Europe et l'Alliance Atlantique, avaient pris le pas sur le sort des colonies. Cependant, la pression des nationalistes ne se relâchait pas. En 1945, des soulèvements de populations furent sauvagement réprimés par les troupes métropolitaines à Dakar et à Sétif. En 1947, à Madagascar, la répression avait coûté la vie à quelque 90 000 Malgaches.

En Indochine, la lutte de libération du Vièt-rninh s'intensifiait. Dans une telle conjoncture, où personne ne pouvait défendre les intérèts de leur population à leur place, les élus d'Outre-mer pratiqueront ce que De Gaulle appellera plus tard, « une coopération amicale, réciproque et calculée ». Une politique unie par une volonté d'émancipation qui sera opposée aux partisans du statu quo, que Senghor qualifiera de « Oukases, gardiens des marais stagnantes ».

Témoin privilégié de cet état d'esprit, le Général De Gaulle confiera plus tard à un de ses interlocuteurs : « Il n'y a que les imbéciles qui n'ont pas compris que l'Afrique voulait s'émanciper. Il n'y a qu'à ne pas leur en parler ». Cette volonté se maintiendra jusqu'à l'indépendance. A des proches collaborateurs qui le félicitaient pour son idée de communauté française, de Gaulle rétorquera : « Dès qu'ils entreront dans la communauté, ils chercheront à en sortir ». En 1956, la loi Gaston Deferre ouvre la voie à l'autonomie interne des territoires. Le 28 septembre 1958, une nouvelle constitution est adoptée qui crée une communauté française dans laquelle chaque Etat associé disposera de son propre destin. En août 1960, l'ensemble des États de l'AOF et de l'AEF accède à l'indépendance : la communauté franco-africaine association des États indépendants est née, comblant ainsi les voeux de Yacine Diallo. Institution en laquelle il avait fondé tant d'espoir dans la coopération entre la France et ses anciennes colonies d'Outre-mer.

Une page de l'histoire de la Guinée venait d'être tournée. Un combat politique hardi s'achevait : la lutte contre la colonisation prenait fin, mais le combat pour la construction nationale commençait avec ses nouveaux défis dont on mesurait encore mal l'ampleur et la complexité devant lesquelles peu de gens en Afrique était préparé, exceptés ceux qui, comme Yacine Diallo, Houphouët-Boigny, Léopold Senghor et une poignée de leurs compagnons, ayant mené le combat libérateur, savaient que l'Afrique allait passer de la navigation sur un fleuve à la navigation en haute mer.

Le peu de recul que l'histoire nous donne aujourd'hui, nous permet de mesurer à sa juste valeur l'oeuvre accomplie par les députés africains, dont Yacine Diallo, à l'Assemblée Nationale.

Ce fut une oeuvre politique de tout premier ordre exécutée par des hommes réputés pour leur compétence, leur dévouement à la cause de leur peuple, en un mot: par leur exemple. L'objectif fixé : la libération nationale, n'a jamais varié, ni d'ailleurs été dissimulé. La stratégie adoptée : le dialogue avec la France dans la confiance, le respect et dans la sauvegarde des intérêts réciproques n'a jamais varié jusqu'à la création de l'ultime cadre de la coopération entre États indépendants : la communauté franco-africaine.

Rappelons que c'est en 1944 que l'AOF a été dotée d'une charte appliquée par Emest Roume, souvent considéré comme le « père de cet ensemble géopolitique». D'après le recensement de 1943, sa population était estimée à 15 938 849 habitants.

Justement la Guinée, avec ses 2 163 521 habitants dont 4 382 métropolitains, faisait partie de cet ensemble qui comptait 8 colonies.

En 1945, déjà, quatre groupements ethniques et un parti politique s'étaient formés : l'AGV (l'Amicale Gilbert Vieillard). l'union de la Basse Guinée, l'union forestière guinéenne, l'union mandé et le parti progressiste de Guinée, dissous aussitôt après.

En 1947, le PDG est créé, tandis qu'en 1951 les ententes électorales aboutissent à la compétition entre deux mouvements : l'Union franco-guinéenne de Yacine Diallo et le Comité d'entente guinéenne de son adversaire Mamba Sano.

En 1954, de véritables partis politiques sont mis en place : la Démocratie socialiste de Guinée, le Bloc africain de Guinée, les Indépendants d'action Sociale et économi-que et bien sûr le Parti démocratique de Guinée.

Pour Yacine Diallo, l'Émancipation était le maître-mot qui devait passer par un certain nombre de domaines essentiels :

  1. Education : Développement des ressources humaines pour former la jeunesse et la préparer à ses responsabilités de demain. Une formation à la fois technique et morale de l'élite.
    Il porte un intérêt réel sur tout ce qui concerne l'éducation et la culture. Beaucoup de projets d'écoles primaires virent le jour et certains comme celui du Lycée climatique de Dalaba furent avortés.
  2. Equipement : La Guinée devait investir dans son équipement et ses infrastructures — Investir dans les équipements d'avenir et non plus de fortunes existants qui répondaient davantage aux besoins de la guerre qu'aux besoins d'avenir …
    Tout cela aboutira en 1957 aux importants projets d'industrialisation de la Guinée présentés par le Gouverneur Roland Pré et qui était censé débuter avec la construction du barrage de konkouré en 1957, la création et le développement de l'Institut Pasteur à Kindia et de l'Institut de Recherches Fruitières à Foulaya.
  3. Développement des Institutions : de par ses différentes fonctions, Yacine Diallo consacrera beaucoup de son temps à la mise en place des institutions locales, préludes à toute organisation du Territoire de la Guinée. C'est ainsi que très vite, la Guinée se placera au rang des territoires des plus riches et des mieux gérés de l'A.O.F., avec un budget excédentaire, tout comme la Côte d'Ivoire.
  4. L'Unité nationale : son expérience d'enseignant avait conduit Yacine Diallo a s'imprégner des réalités de toutes les régions naturelles de Guinée. (Il avait enseigné au Fouta, à N'Zérékoré, à Kindia, à Conakry, même à Fotoba. Ses enfants sont nés à Labé, N'Zérékoré et Kindia; c'est-à-dire en Moyenne Guinée, en Guinée Forestière et en Guinée Maritime). Il s'est battu pour maintenir une représentation ethnique équilibrée dans les instances nationales, même si cela devait se faire au détriment de son propre parti, parce qu'il voyait la Guinée comme un tout inséparable dont les composantes s'enrichissent mutuellement.
  5. Tradition et modernité. Pour Yacine Diallo ces deux éléments doivent aller de paire dans l'émancipation de la Guinée. Les élites doivent s'enraciner dans la tradition pour mieux enrichir et conduire celle-ci. En d'autres termes, culture et développement sont inséparables. L'ouverture sur le monde extérieur est également source d'enrichissement spirituel.
  6. Liberté d'association et d'expression : Profondément attaché aux traditions du terroir, Yacine Diallo était très ouvert au progrès et au dialogue également sources d'enrichissement. Ses activités au sein du syndicat des enseignants, son adhésion au Parti Socialiste alors que son électorat comportait une bonne frange de féodaux conservateurs, en dit long sur la nature indépendante de son caractère et des relations très étroites tissées avec des hommes comme le grand syndicaliste Keita Koumandjan, nous enseignent sur son attachement profond à la justice sociale et à la justice tout court.

Un homme de vision et d'action

La stratégie de l'action politique du premier député de la Guinée était articulée autour de trois axes : le premier était ce pari dès le début de son action sur la libération nationale et la coopération franco-africaine à travers le dialogue dans la confiance et dans le strict respect des engagements pris entre partenaires.

La finalité d'une telle action n'était pas l'indépendance, mais bien la libération nationale. Il avait, dans sa stratégie, intégré la nécessaire émancipation de la Guinée. C'est-à-dire préparer les Guinéens à la gestion de leurs propres affaires nationales. Le troisième axe de son action consistait à convaincre et à intéresser la France au développement de l'important potentiel de la Guinée.

Dans leurs actions en faveur de leurs populations respectives, les élus d'Outre-mer étaient naturellement placés en situation de compétition sur le point de savoir qui obtiendrait le plus d'attention possible de la part des autorités françaises en faveur de son pays. Ici, la Guinée prendra l'avantage sur les autres territoires, en raison même du potentiel économique exceptionnel de ce « pays complet », comme aimait le répéter Yacine Diallo.

C'est ainsi qu'en 1957, les autorités françaises avaient opté pour la Guinée comme un des pôles du développement industriel des huit pays de l'A.O.F., articulé autour de la construction du barrage de Konkouré.

Sur le plan agricole le premier Institut de recherche agronomique de l'A.O.F. s'est établi à Foulaya, dans la Région de Kindia ; de même, verra-t-on la création de l'Institut Pasteur dans la même région pour la promotion de la recherche fondamentale. Plus tard, se développera à Macenta le centre de recherche sur la quinine. « L'émancipation de la Guinée en association avec la France et non contre elle », répétait constamment Yacine Diallo, ce fut exactement la même stratégie adoptée par Félix Houphouët Boigny en Côte d'Ivoire, cet autre aristocrate de son État, qui accepta que son pays poursuive une partie de son histoire en compagnie de la France, dans leur intérêt et respect mutuel. C'est probablement ce qui fait écrire à l'historien Ibrahima Baba Kaké, dans sa biographie consacrée à Yacine Diallo : « s'il avait vécu, Yacine Diallo aurait été un autre Houphouët-Boigny en Afrique ».

Foi et vision, rigueur, modération et éclectisme, sens aigu de l'honneur et de la dignité, tels sont les traits de caractère de Yacine Diallo traits qui caractérisent ces rares hommes d'États qui confèrent à la politique ses lettres de noblesse.


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