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Histoire politique

Boubacar Yacine Diallo
Yacine Diallo le Guinéen. Pour la Patrie et dans l'Honneur

Paris. L'Harmattan. 1996. 111 p. : ill.


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De la famille à l'administration

18 octobre 1897 : après ses rituelles ablutions, Thierno Bacar Nouma avait rouvert son Coran qu'il relisait déjà depuis quelques jours pour la énième fois. Toumant les pages les unes après les autres il entame la sourate Ya-Sin, lorsque des cris de joie l'interrompirent. Ces cris qui lui parvenaient de la case voisine où « était en travail » son épouse annonçaient la naissance d'un fils.

Alors, Thierno Bacar de son vrai nom Alpha Boubacar, plus que comblé, décide de faire appeler ce fils bien-aimé Mamadou Yacine. Et la nouvelle, comme une traînée de poudre, fit le tour de Toulel-nouma (cercle de Labé) 2 et environs. Le baptême sera sûrement grandiose, l'heureux père étant considéré comme l'un des érudits du Fouta-Djallon et conseiller du roi de Labé Alpha Yaya Diallo.
Celui-là même que le roi Alpha Yaya Diallo mandata, avec succès, auprès de l'Almamy Samory Touré, avec comme mission d'empêcher l'entrée des troupes de ce dernier dans le territoire du Fouta-Djallon.

Les sources orales soutiennent que Thierno Bacar résida à Labé, avant d'aller fonder le village de Toulelnouma, après sa désignation comme Chef du canton de Koura-Mangui.

Les travaux de construction de la mosquée et de la case dans laquelle est né bien plus tard Yacine Diallo ont été entrepris parallèlement.

Son père Tierno Bacar eut deux épouses : Djénabou Diallo, mère de Yacine et Madioula Diallo.
Quatrième des neuf enfants dont deux filles, Yacine a eu le privilège de n'être pas un fils unique, mais aura la chance d'être le plus choyé de tous dans une famille où les parents et les grands-parents étaient de condition féodale et théocratique.

De grands marabouts de la contrée prédisent déjà que l'étoile du petit Yacine est celle d'un chef. Peut-être que son père le savait aussi, du moins à en juger par l'attention particulière dont la famille entoure le nouveau-né.

C'est dans cette atmosphère que grandit Yacine. Orgueil de ses parents certes. Mais cela ne l'empêchera pas d'aller aux champs, comme ses petits camarades du village. Là, il fit déjà son apprentissage d'homme. Et jusqu'à l'àge de dix ans, il se familiarisera avec le Coran, avec un intérêt et une intelligence qui se découvrent en lui au moindre contact.

Son premier maître aura été incontestablement son père. Le second et certainement le plus important aura été le vénérable Tierno Aliyyu Ɓuuɓa-Ndiyan 3. Ainsi, avant de fréquenter l'école française, Yacine Diallo connaissait déjà le Coran et même maîtrisait certains de ses « secrets », Alors, il abordera l'école française avec aisance, les dures épreuves de récitation du Coran ayant forgé sa mémoire. Tout comme d'ailleurs son intelligence.

Comme tous les jeunes de son àge, le petit Yacine n'échappait aux coups de fouet d'un père austère qui réprimait les espiègleries et les maraudes dont ses petits camarades étaient victimes de sa part.

Pendant que le jeune Yacine poursuivait ses études coraniques chez Tierno Aliyyu Ɓuuɓa-Ndiyan auquel son père l'avait confié, il lui arrivait à Labé de rôder autour de l'école primaire élémentaire française de Kouroula, tout en prêtant une oreille intéressée aux cours dispensés. Il restait attentif des heures sous les fenêtres de l'école.

Un jour, au grand étonnement de l'instituteur blanc, le petit Yacine répond de son refuge extérieur à une question à la place d'un élève collé en classe. L'instituteur fit appeler dehors le curieux visiteur et lui dit : « qui es-tu petit ? Je suis très content de ta réponse. Tu vas venir avec tes petits camarades à l'école et je vais maintenant t'apprendre à lire et à écrire en français ». Tremblant et heureux à la fois, le petit inconnu répond par l'affirmative. Le maître colonial fit venir son tuteur pour le lui confirmer. Voilà comment Yacine Diallo est admis pour la première fois dans une salle de classe de l'école de Kouroula, construite trois ans après sa naissance, précisément en 1900.

Ses débuts studieux à l'école primaire de Labé le projetteront dans l'avenir avec succès. Il a dix-sept ans lorsqu'il quitte, pour la première fois, son Fouta natal pour rentrer en 1914 à l'École normale William Ponty 4. Yacine Diallo met avant toute chose ses études. En classe comme pendant les heures consacrées aux loisirs, il a un compagnon inséparable : son livre.

Sur les recommandations de son vieux père, les aventures, les distractions de la vie ne le préoccupent guère. Il lui a promit de réussir. Il en sera ainsi !

Il se consacre plus encore à l'histoire et à la géographie. Et après ses études supérieures à l'Ecole Fédérale William Ponty de Dakar, il sort brillamment major de sa promotion avec la mention « Très Bien ». En octobre 1917, il est nommé instituteur : il a vingt ans.

Désireux de faire partager l'instruction à laquelle il s'est donné corps et àme, il reçoit sans délai une affectation. Le sort le ramenera dans son Fouta natal pour son tout premier poste administratif, en l'occurrence Pita où il est nommé le 6 novembre 1917.

Particulièrement soucieuse de son fils célibataire, qu'elle disait abandonné seul sans secours dans une grande ville, la mère de Yacine [épousera] arrangera pour lui le mariage d'une des superbes jeunes filles de Labé. Elle la conduira en personne jusqu'à son domicile. Quoique surpris, Yacine Diallo acceptera [l'offre] la démarche de sa maman, qu'il aimait tant.

De cette première épouse il aura trois enfants dont un garçon. Par la suite, Yacine Diallo épousera successivement quatre autres femmes. Deux d'entre elles feront chacune un garçon. Après dix années de vie conjugale sans enfant, il divorcera d'avec la troisième épouse. La toute demière, avec laquelle il paraissait régulièrement lors des manifestations publiques ou officielles, est décédée le 3 mai 1995.

Sont encore en vie quatre de ses cinq enfants :

C'est à vingt ans donc que Yacine Diallo fera son baptême de feu. Son contact avec ses élèves lui permit de se faire toute une pédagogie qu'il mettra d'ailleurs au service de l'enseignement dans la Colonie de la Guinée Française d'alors. Yacine fut le premier directeur d'école du corps enseignant guinéen. Juste récompense !

«Yacine pour apprendre le latin, pour mieux maîtriser la langue française, se fit convertir au catholicisme (c'était une condition pour apprendre le latin) et se fit prénommer Louis Yacine » 5.
Simple boutade sur l'itinéraire d'un érudit assoiffé de culture et qui ne s'embarrassait pas de préjugés.
Témoignage suspect qui ignore volontairement une grande tradition du Fouta. Qu'un fils de mandarin lettré cherche à satisfaire sa soif d'érudition, quoi de plus normal ! Que les missionnaires exigent un nom chrétien sur leur registre d'inscription au cours de Latin ? Qu'à cela ne tienne ! Mais, ne nous éloignons pas du sujet. L'essentiel ici est la soif d'érudition qui l'avait amené à fréquenter plus que de coutume le milieu fermé des missionnaires.

D'ailleurs, le français enseigné était à l'époque officiellement classique. Il fallait être patronné pour s'initier au latin et l'apprendre surtout pour un « Major de l'Ecole William Ponty ».

Ainsi, il ouvrira l'esprit à des générations d'enfants et de jeunes gens. Après Pita, il enseignera successivement à Kissidougou et à Fotoba en 1919.

A Fotoba 6, cet instituteur volontaire sauvera la vie à un des amis intimes de son père, Tierno Cellou Sombili, un autre lieutenant du roi de Labé, Alpha Yaya Diallo, prisonnier politique.

L'histoire m'a été rapportée par Alpha Ousmane Kakoni, fils de Tierno Cellou Sombili :

« Lorsque mon père fut intemé à Fotoba pour des raisons politiques par l'Administration coloniale, Yacine s'est beaucoup occupé de lui, à cause de l'amitié qui liait nos deux pères. Il a réussi à l'extraire du pénitencier de Fotoba et à le loger au village où il était enseignant. Mon père, lors d'une conversation, lui a demandé un livre religieux spécial. Il a profité de ce que Yacine était en vacances à Nouma pour passer par mon intermédiaire et avoir ce livre qu'il lui remit à son retour dans l'île.
L'opinion raconte que sa mainmise sur ce livre et sa libération définitive se suivirent. Donc, elle impute sa libération à l'usage de ce livre. Ce livre, c'est moi qui l'ai retrouvé dans la bibliothèque de mon père à Sombili. Je l'ai porté à Yacine, alors en vacances à Nouma. J'ai marché à pieds pour ce faire. A l'époque, il n'y avait pas de véhicule dans ces villages ».

En 1920, Yacine Diallo est muté au Cours normal de Conakry. De 1924 à 1936, il enseigne successivement à Coyah, Kindia, Guéckédou et le revoilà de nouveau à Conakry.
Le 8 février 1943, père de cinq enfants, il est nommé directeur de l'École de garçons de Boulbinet. Il enseigne déjà depuis vingt six ans. Il en a 46. Et ne l'oublions pas, la seconde Guerre Mondiale fait rage.

Notes
2. Aujourd'hui district, sous-préfecture de Tyangel-Bori, préfecture de Lélouma. 3. Erudit du Fouta-Djallon (1859-1927).
4. Ecole Normale installée alors sur l'Ile de Gorée (Sénégal). Elle fut déplacée par la suite à Sébikotane, près de Rufisque.
5. Source : Construire la Guinée après Sékou Touré, Mahmoud Bah, pp. 14, 16, 17, L'Harmattan 1990.
6. Une île située au large de Conakry, et où se trouvait un célèbre bagne.


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