Paris. Editions Git le Coeur. 1972. 270 p.
Le gouvernement français essaie, en 1958, d'obtenir la solidarité de ses alliés de l'OTAN face au gouvernement guinéen. Mais les Etats-Unis, s'ils désirent ménager leurs alliés européens, n'en nourrissent pas moin le désir de les supplanter en Afrique, tout comme ils l'ont déjà fait en Asie. C'est ainsi que chargée, en 1956, de « définir » les intérêts amércains en Afrique, la « Mission France Bolton » écrit :
Les Etats-Unis ont des objectifs précis en Afrique. Ils sont intéressés à ce que l'évolution en Afrique ne soit pas hostile… à notre forme d'administration, à ce que soient exclues les influences défavorables à notre mode de vie, à ce qu'il y ait pour nous un espoir d'accès aux matières premières de ce continent et en particulier à ce que soient assurés nos besoins stratégiques. Les Etats-Unis ont intérêt à développer le commerce avec tous les pays africains et à assumer leur direction morale.
Le vice-président Nixon déclare, lui aussi, après sa tournée africaine :
Contrôler l'Afrique, c'est contrôler le monde. La crise coloniale occidentale est à la fois une gageure et une chance d'étendre l'influence directe des EtatsUnis. Les puissances européennes en Afrique y compris la France et la Grande-Bretagne, portent les stigmates irrévocables de leur passé colonial. Les Etats-Unis n'ont pas de passé de ce genre en Afrique. Je considère nécessaire de souligner que dorénavant, les Etats-Unis devraient faire progresser plus rapidement le renforcement de leur position en Afrique.
Avec ce but en vue, ils devraient se mettre à augmenter leurs missions diplomatiques en Afrique, à y envoyer leurs experts politiques et économiques les plus avertis, à créer de nouveaux centres d'information et d'éducation et à encourager le déversement dans le pays d'un flot considérable de capitaux privés.
Les futurs intérêts des Etats-Unis en Afrique sont si vastes qu'ils nous donnent le droit de ne pas hésiter même à aider au départ des puissances coloniales en Afrique. Si par cette action, nous parvenons à gagner l'opinion indigène, l'avenir des Etats-Unis en Afrique est assuré 1.
Cependant, les républicains, au pouvoir aux Etats-Unis, se montrent assez prudents à l'égard de la Guinée. C'est ainsi qu'alors que l'Angleterre et l'Allemagne fédérale reconnaissent la nouvelle République de Guinée dès octobre 1958, les Etats-Unis attendent jusqu'en novembre. Si le premier ambassadeur de Guinée à Washington est accrédité en avril 1959, le premier ambassadeur des Etats-Unis n'arrive à Conakry que le 23 juillet. Quelques temps après le « non » historique du peuple guinéen, le gouvernement de Sékou Touré adresse par le canal du gouvernement libérien, une requête aux Etats-Unis en vue d'obtenir des armes légères nécessaires à la sécurité du pays. La requête ne reçut jamais de réponse. Lorsque le gouvernement guinéen demande des professeurs américains pour enseigner l'anglais aux dirigeants les Etats-Unis, après de multiples démarches de leur ambassadeur à Conakry, envoient une seule personne. Enfin, lors du voyage officiel de Sékou Touré aux Etats-Unis, en octobre 1959, le président Eisenhower, qui s'était auparavant rendu à l'aéroport pour recevoir le président du Mexique ainsi que Krouchtchev, se garde de faire le même geste pour le président guinéen. Quant au chef de protocole, Wilay Buchaman, s'il a accompagné lui-même Krouchtchev lors de ses déplacement, il se contente de confier M. Sékou Touré à son députy. Mais avec la victoire démocrate et l'arrivée au pouvoir de Kennedy, l'attitude du gouvernement américain change. Déjà, lors de la campagne électorale, les démocrates avaient critiqué la politique du « tout ou rien » de Foster Dulles, qui condamnait le « neutralisme » de certains pays en voie de libération comme une « attitude immorale ». Après une tournée en Afrique, en compagnie d'Edward Kennedy, le sénateur E. Moss critique, lui aussi, la politique de temporisation de l'administration républicaine “qui a coûté trop cher aux Etats-Unis” et laissé échapper la Guinée, faute d'aide après son indépendance.
La nouvelle attitude du gouvernement américain, faite de souplesse, ressort d'une déclaration de M. A. Harriman : « Les Etats-Unis doivent manifester la plus grande courtoisie à l'égard des jeunes Etats africains. » Aussi, John Kennedy, après son élection, inaugure-t-il son mandat en nommant un secrétaire d'Etat adjoint pour les questions africaines, Mennen Williams :
J'ai demandé au gouverneur Williams d'accepter un poste de responsabilité qui ne le cède à aucun autre dans la nouvelle administration. Les pays africains forment le 1/4 des nations représentées à l'ONU. Le continent africain est maintenant le polygone d'essai où sera résolue la question de savoir si la liberté peut être maintenue dans les régions où de grandes masses vivent dans des conditions précaires.
Le nouveau sous-secrétaire a des idées bien nettes sur ce qui doit être son action. Ne déclare-t-il pas que « ce qui se produira sur le continent africain au cours des prochaines années décidera sans doute si le restant de ce continent verra une expansion de la liberté ou de nouveaux gains du communisme sur le monde libre. Je ne peux imaginer une tâche plus vitale dans le domaine de la politique étrangère que celle de représenter les Etats-Unis dans leurs efforts pour aider les peuples africains à trouver la voie vers un gouvernement autonome stable, et un standard de vie qui devrait être l'héritage de l'humanité tout entière au 20e siècle ».
Il n'y a plus d'obstacle désormais à la collaboration entre les deux gouvernements.
En février 1961, le président Kennedy désigne M. William Attwood comme ambassadeur des Etats-Unis en Guinée avec la mission expresse de la « récupérer ». Attwood est assez confiant :
Je pouvais accepter l'argument défaitiste consistant à dire qu'un pays est irrécupérable tout simplement parce que les soviétiques y sont arrivés les premiers. En ce qui concerne la Guinée, je suggérais qu'au moins nous fassions, un effort pour savoir si Sékou Touré était en fait un nationaliste africain ou un compagnon de route des communistes avant de jeter l'ostracisme sur lui 2.
En général, je trouvai un soutien aux échelons les plus élevés pour faire un grand effort en Guinée. je fus heureux du fait qu'Allen Dulles (chef de la CIA) au moins ne pensait pas que la Guinée fut une cause perdue 3.
Sa confiance est d'autant plus grande qu'il n'ignore pas le désir du gouvernement guinéen de se rapprocher des Etats-Unis, désir apparu lors d'un entretien entre Harriman et Sékou Touré :
Sékou Touré m'a dit qu'il voulait développer les relations avec l'Ouest et encourager les investissements privés. La France est partie de Guinée en octobre 1958, laissant le pays s'effondrer ; les Guinéens reçurent l'aide des communistes… Sékou Touré m'a déclaré fermement qu'il ne voulait pas tomber sous la domination des pays de l'Est. Il n'a pas beaucoup aimé ce qui s'est passé pour les étudiants qui furent envoyés à Moscou et qui reçurent une formation doctrinale plutôt qu'une formation technique. Je ne sais pas s'il réussira à contrer la situation, mais je pense que nous devons essayer de l'aider.
Le nouvel ambassadeur dont l'arrivée était attendue « avec impatience », selon le ministère des Affaires Etrangères de Guinée, peut présenter aussitôt ses lettres de créance. Selon ses propres dires :
C'était apparamment, un nouveau record local dans la présentation des lettres de créances 4.
Déjà confiant avant de quitter Washington, Attwood est renforcé dans ce sentiment après son premier entretien avec Sékou Touré ; aussi n'hésite-t-il pas à se montrer exigeant lors de leur deuxième rencontre : les Etats-Unis sont “prêts à aider la Guinée, à renforcer son indépendance et à maintenir sa politique de non-alignement, mais pas si la Guinée échangeait une forme de colonialisme contre une autre 5.”
Pour renforcer ce dernier point de vue, il cite quelques déclarations « pro-communistes » de ministres guinéens et l'orientation des informations de la radio guinéenne, qui peuvent faire croire à certains que Sékou Touré est un pantin du bloc soviétique. Loin d'être choqué, Sékou répond sur un ton amical qu'une nation comme la Guinée, “ne pourra jamais être communiste… la révolution guinéenne rejetait l'athéisme, le matérialisme historique la lutte de classe et l'idée d'un parti d'élite tout puissant.” 6.
Lors de leur troisième rencontre, l'ambassadeur Yankee suggère à Sékou d'adhérer au Fonds Monétaire International (FMI) pour faciliter les investissements privés 7. Il critique les informations de la radio de Guinée dont l'orientation est si manifestement procommuniste 8 qu'il lui est difficile de convaincre les dirigeants de Washington du non-alignement de la Guinée.
Sékou se tut, mais peu de jours après il donna l'ordre de ne plus diffuser les attaques des pays socialistes contre les Etats-Unis ou l'Europe Occidentale 8.
Après cet entretien, Attwood estime que le moment est propice pour une action des Etats-Unis car :
sans quelque assurance que l'Amérique était prête à lui tendre la main, Sékou Touré serait sous une pression de plus en plus grande et probablement irrésistible de la part des ministres radicaux pour aller jusqu'au bout avec les communistes, ne serait-ce que pour maintenir le pays à flot… une telle situation serait désastreuse. Elle entrainerait la nationalisation, sous la direction des sovétiques, de Fria, c'est-à-dire d'une ébauche d'usine d'aluminium et de 150 millions de dollars appartenant à l'Occident. Avec cette socialisation de la Guinée, les soviétiques auraient une solide base de subversion pour toute toute l'Afrique de l'Ouest. Au contraire, un changement favorable du climat polifique serait une meilleure assurance pour les trusts d'aluminium ferait plus pour encourager des investissements ultérieurs que les prêts et garanties du guvernement US en ce moment 9.
Il se rend aux Etats-Unis et en revient avec une série de propositions d'aide immédiate.
Lors de leur troisième entretien, à la veille du départ de M. W. Attwood, pour Washington, Sékou Touré exprime son souhait de recevoir le président Kennedy en visite officielle et charge l'ambassadeur américain de transmettre l'invitation. Kennedy décide de répondre à cette invitation en envoyant son beau-frère Sargent Shriver, directeur des Peace Corps.
Shriver, représentant personnel de Kennedy, est reçu en grande pompe. Accueilli à l'aéroport par quatre ministres, il est reçu aussitôt à déjeuner par Sékou Touré et invité à 17 h 30 à une discussion avec ce dernier, entouré de tous les ministres et de tous les membres du bureau politique. Le lendemain Sékou Touré lui sert personnellement de guide pour une petite tournée à l'intérieur. A Forecariah, il fait crier à la foule « Vive les Etats-Unis » et « Vive le président Kennedy ». « C'est la première fois que de tels slogans sont lancés sur le sol guinéen depuis l'indépendance. Quel chemin parcouru depuis le télégramme envoyé en janvier 1961 à Kennedy au sujet de la mort de Lumumba 10 » (Dans ce télégramme, Sékou Touré accusait les Etats-Unis d'avoir trempé dans l'assassinat du grand patriote congolais), pense Attwood. De retour à Conakry, Shriver entame les discussions sur la vraie raison de sa visite : l'envoi des Peace Corps en Guinée. Deux jours avant son arrivée en Guinée, le journal gouvernemental, Horoya avait publié un article dénonçant les Peace Corps comme une tête de pont de la CIA. Une heure après sa parution, tous les numéros sont saisis par la police. « Peu de gens virent cet article parce que la police avait confisqué tous les numéros une heure après leur mise en vente. C'était la première fois que je voyais un gouvernement saisir son propre journal » 11. Le gouvernement guinéen accepte l'envoi des Peace Corps pour l'éducation et la santé. Cet accord est très important pour l'impérialisme américain.
C'était très important ; le fait pour un pays comme la Guinée qui a la réputation d'être sous l'influence communiste, d'accepter de recevoir le Peace Corps au moment même où Moscou et Pékin faisaient une propagande tapageuse pour les discréditer, ouvrait la voie à la pénétration des peace corps dans les autres pays africains en la rendant politiquement plus acceptable 12.
Peu de temps après, les premiers Peace Corps débarquent à Conakry ; leur nombre s'accroît progressivement pour atteindre et dépasser le chiffre 400. Expulsés en 1966, après l'arrestation et la séquestration du ministre guinéen des Affaires Etrangères à Accra, ils sont autorisés à revenir de nouveau en 1969.
Lors des événements de novembre-décembre 1961, et du prétendu complot communiste, Sékou Touré qui hésite à s'en prendre à l'URSS est vivement encouragé par l'ambassadeur américain.
Quelle décision prendre ? tel était le dilemne auquel était confronté Sékou Touré et son entourage. L'économie guinéenne dépendait largement du bloc soviétique, et le non-fonctionnement d'une bonne partie de la machine soviétique pouvait avoir les mêmes conséquences que la rupture avec la France en 1958. D'un autre côté, dénoncer un « complot » de l'étranger était toujours un moyen politique sûr pour détourner le peuple des difficultés économiques.
L'ambassadeur de l'U.R.S-S. quitte discrètement la Guinée le 15 décembre. Sékou Touré hésite encore à lancer une campagne anticommuniste. Il reçoit l'ambassadeur des Etats-Unis trois jours après, le 18 décembre. Ce dernier lui parle de leur programme d'aide et se plaint de la bureaucratie locale. Il met l'accent sur l'importance relative prise par leur aide (9 millions et demi de dollars) et suggère la désignation d'un coordinateur ayant pleins pouvoirs pour mettre à exécution le programme d'aide. (Sékou désigne sur le champ Alassane Diop).
L'ambassadeur lui parle ensuite de ses « difficultés avec le bloc soviétique » et lui propose l'appui des Etats-Unis.
S'ils commencent à vous serrer de trop près, appelez-moi. je ne peux rien vous promettre, mais nous ferons ce que nous pourrons pour vous aider. Sékou Touré sourit pour la première fois. Au moment de le quitter, il nous dit : je ferai peut être appel à vous » 13.
En proposant à Sékou l'aide des Etats-Unis, l'ambassadeur vise un but précis :
Je m'imaginais que cela pouvait renforcer la position de Sékou Touré face à ceux de ses associés qui s'opposaient à la rupture avec les soviétiques ou la redoutaient 14.
Assuré de l'appui américain, Sékou lance pour la première fois, une semaine plus tard, une violente campagne contre les pays socialistes. Il accuse ouvertement les ambassades des pays de l'Est de participation au complot visant au renversement de son gouvernement. Alors que les autorités accueillent chaleureusement et avec une grande publicité, Edward Murrow, directeur de l'USIA 15, en 1962, l'arrivée d'une délégation soviétique conduite par Anastase Mikoyan [vice-premier ministre de l'URSS. — T.S. Bah] passe inaperçue ; Sékou refuse d'ailleurs de recevoir ce dernier. Lorsqu'il accepte enfin de le rencontrer plus tard, c'est pour se plaindre de la qualité de l'aide du « bloc soviétique », citant l'exemple des haut-parleurs de la RDA et le théâtre de plein air inachevé.
Dans les mois qui suivent, la position des pays impérialistes se renforce.
Au printemps de 1962, l'atmosphère politique était très différente de ce qu'elle avait été il y a à peine quelques mois. Les ministres réputés pour leurs sympathies occidentales ne craignaient plus d'être vus en notre compagnie. Les programmes de la radio étaient devenus agréablement neutres. La librairie communiste avait été fermée… C'était une intéressante année. Ben Bradlee m'apprit plus tard que Kennedy avait fait observer en plaisantant que ce fut dommage que je n'aie pu revenir en Guinée avant l'expulsion de Solod. J'aurais pu de la sorte revendiquer le bénéfice de cette expulsion.
Durant toute l'année 1962, le gouvernement guinéen intensifie sa campagne anticommuniste. C'est ainsi que Sékou Touré dénonce explicitement le 2 octobre « tous les impérialismes » (ce qui, dans le langage neutraliste, était la terminologie utilisée pour attaquer le communisme). Il adresse un memorandum, à tous ses ministres pour leur rappeler que) « tous les diplomates communistes doivent être considérés comme des espions ». (En septembre une école de journalisme dirigée par un allemand de l'Est et un communiste français est fermée et réouverte sous la direction d'un professeur suisse. La distribution des brochures des ambassades socialistes est étroitement surveillée par le ministre des affaires étrangères.) 16.
La campagne anticommuniste se poursuit en 1963 avec comme principal agent exécuteur, Ismaël Touré, demi-frère de Sékou Touré, ministre et membre du bureau politique. C'est ce même Ismaël qui s'était fait, dans les années 1959-1961, le principal défenseur de la collaboration avec les pays socialistes. Devenu agent zélé de l'impérialisme américain, il multiplie désormais les discours anticommunistes et abreuve les pays socialistes d'injures. Attwood écrit qu'au moment de son départ de Guinée, Ismaël Touré, évoquant leur entretien en juillet 1961, lors duquel il défendait la politique soviétique, affirme :
Vous avez dû penser que j'étais un peu insensé. Je souhaitais vous dire que je l'étais effectivement 17.
En contraste avec l'hostilité à l'égard des pays socialistes, le gouvernement guinéen livre le pays aux impérialistes. Il promulgue au début de 1962, un nouveau code d'investissement pour encourager les investissements privés ; il annonce son désir d'adhérer au Fonds Monétaire International et signe avec les Etats-Unis un accord garantissant les investissements.
Les bons rapports établis entre les Etats-Unis et le gouvernement guinéen sont favorisés et renforcés par les liens entre John Kennedy et Sékou Touré. La première rencontre entre les deux hommes a lieu en octobre 1959 à Los Angeles, alors que Kennedy est encore sénateur.
L'événement le plus significatif, de la visite de Sékou Touré à Los Angelès fut sa rencontre avec le sénateur du Massachusetts, Kennedy 18.
Kennedy qui est alors président de la sous-commission Afrique au sein de la Commission des Affaires Etrangères du Sénat, lui exprime son vif intérêt pour l'indépendance de la Guinée et pour la lutte menée par son président pour sauvegarder cette indépendance. Il lui affirme que si le parti démocrate gagne les élections présidentielles de 1960, il s'intéressera beaucoup au progrès de la Guinée et des autres nations en voie de développement de l'Afrique. Il lui souhaite plein succès dans ses efforts pour développer son pays. De son côté, Sékou Touré répond que de tels contacts personnels sont d'une grande importance pour la bonne compréhension et renforcent les relations entre nations. Il ne cache pas à quel point, il a été impressionné et séduit par Kennedy.
Quelque chose dans la personnalité du jeune et beau et lucide sénateur avait touché la corde sensible des Guinéens. Ils ne se montrèrent jamais plus aussi enthousiastes avec les autres Américains qu'ils l'avaient été avec Kennedy. Ils vantaient sa jeunesse, son courage, sa connaissance étonnante des affaires mondiales en général, et des problèmes des pays sous-développés en particulier… Ils avaient confiance en ce que Kennedy avait dit sur la politique des démocrates, s'ils gagnaient les élections envers la Guinée et l'Afrique. A leur retour, à Conakry, Kennedy reste encore leur sujet de discussion favorite. « Le ministre Keïta Fodeba me dit que s'il était américain, il aurait certaiaement voté pour Kennedy à cause de ses qualités d'homme d'Etat 19. ».
En novembre 1960, Sékou Touré qui avait accusé le gouvernement Eisenhower (qui soutenait Kasavubu contre Lumumba), de travailler contre l'Afrique, espérait obtenir le soutien du nouveau président élu, Kennedy. Mais son message ne reçoit que rebuffade de ce dernier. En effet, Kennedy lui fait savoir qu'il soutient la position prise par le président Eisenhower.
Il semble que la réponse de Kennedy surprit et vexa Touré, qui espérait une différence d'opinion entre Eisenhower et Kennedy 20.
A la suite de l'assassinat de Lumumba en janvier 1961, Sékou adresse à Kennedy un violent télégramme dans lequel il accuse les Etats-Unis d'y avoir trempé. Le charme semble ainsi rompu entre les deux hommes. Mais ce n'est que momentané. Kennedy confie un message à son nouvel ambassadeur en Guinée, Attwood, dans lequel il affirme que s'il comprend l'émotion légitime de Sékou Touré à la suite de la mort de Lumumba, le Président des Etats-Unis a été choqué par le télégramme. A la réception de ce message, Sékou Touré se contente d'acquiescer.
Le 6 septembre 1962, Sékou Touré fait savoir à l'ambassadeur américain par son représentant permanent, à l'ONU, Diallo Telli, qu'il désire rencontrer Kennedy dans les plus brefs délais, avant la fin du mois si possible, pour lui expliquer l'état pitoyable et désespéré de l'économie guinéenne et lui demander une aide. Il propose de prendre comme prétexte l'ouverture de l'Assemblée générale de l'ONU, pour se rendre aux Etats-Unis, afin que sa visite à la Maison Blanche apparaisse comme une visite de courtoisie. Kennedy donne son accord et propose le 10 octobre. Sékou Touré se rend à l'ONU en compagnie de Ben Bella. Tous deux sont invités par Castro pour visiter Cuba. Seul Ben Bella accepte. Un membre de sa délégation fait remarquer à Attwood, que Sékou est politiquement plus avisé que Ben Bella :
Il comprend qu'on ne peut aller voir Kennedy et de là, se rendre à Cuba du moins, si vous voulez faire bonne impression à la Maison blanche.
Sékou explique à Kennedy ses difficultés avec le « bloc soviétique», admet qu'il a fallu deux ans à son gouvernement pour comprendre que les programmes d'aide de l'URSS comportaient des agents politiques déguisés en techniciens et affirme que le système communiste n'est pas ce dont la Guinée a besoin. Il parle du barrage de Konkouré et de son désir de normaliser les relations entre la Guinée et la France. Kennedy lui répond que les intérêts des Etats-Unis seraient mieux servis par une Afrique unie, indépendante et stable (bien sûr, il faut entendre indépendante des pays socialistes et si possible des impérialistes européens, mais dépendante des Etats-Unis et stable pour leurs capitaux) et affirme qu'il est bien au courant des difficultés de la Guinée.
Les conversations sont si satisfaisantes pour Sékou qu'il déclare lors du toast avec Kennedy:
Si l'Afrique est indépendante aujourd'hui c'est grâce à des gens comme vous.
Un peu plus tard, lors de sa conférence de presse à Blair House, Sékou Touré déclare aux journalistes :
Ne nous jugez pas sur ce qu'on dit de nous ni même sur ce que nous disons, jugez-nous seulement sur nos actes.
Dean Rusk lui promet que les Etats-Unis l'aideront à résoudre ses problèmes avec la France, ne serait-ce qu'au moins pour que les relations commerciales puissent être reprises entre les deux pays.
L'ambassadeur des Etats-Unis en Guinée peut être satisfait, sa mission est accomplie :
C'était une courte mais très fructueuse journée. Touré avait été séduit par le charme de Kennedy, fait d'un mélange d'attention, d'humour, de franchise et de grâce 21.
En quittant les Etats-Unis, Sékou y laisse trois de ses ministres pour informer les Américains de toutes les données sur l'économie guinéenne et répondre à toutes leurs questions.
Par la suite des rapports étroits s'instaurent entre les deux hommes !
Depuis lors, Sékou le considérait comme un ami à qui il voulait se confier. Il lui adressa fréquemment de longues lettres personnelles 22.
Il lui donne dans ses lettres, toutes les informations dont il a besoin, et Kennedy lui envoie personnellement des chèques en dollars pour le remercier de ses bons et loyaux services. Cette communion de pensée entre Kennedy et Sékou, entre un maître généreux et un serviteur zélé, explique les trois jours de deuil que Sékou décide à la disparition du président américain assassiné et le fait que la Guinée est le premier pays au monde à faire un timbre à l'effigie du président Kennedy.
Le gouvernement de Sékou Touré devient utile pour l'impérialisme arnéricain sur plusieurs plans. D'abord, Sékou Touré joue le rôle de conseiller de Kennedy. C'est ainsi qu'à la suite de l'affaire des fusées de Cuba, Kennedy lui envoie une lettre pour le remercier de sa coopération. L'ambassadeur US profite de cette occasion pour lui dire que les Etats-Unis espèrent qu'il usera de son influence sur Castro, qui empêche toute solution réelle en refusant d'accepter la présence de l'ONU à Cuba. L'ambassadeur lui demande ce qu'il pense de Castro.
Je regrette pour Castro, répondit-il. Je pense qu'il est un nationaliste et un neutraliste convaincu, quoi qu'il dise parfois. Mais il n'a ni la formation intellectuelle, ni l'expérience idéologique pour comprendre les communistes. J'ai eu ces deux choses grâce au syndicalisme, aussi, je sais comment ils opèrent. Mais Castro est naïf, et s'est laissé utiliser par eux. Cependant, si vous êtes souples, je pense qu'il peut devenir un neutraliste 23.
Le gouvernement guinéen assiste aux conférences des mouvements progressistes pour pouvoir informer l'impérialisme américain. Peu importe les discours anti-impérialistes que ses délégués peuvent prononcer à ces occasions. Sékou affirme à Attwood que quiconque attaque les USA ne parle pas pour la Guinée. Il n'hésite pas à désavouer un discours anti-américain de son ambassadeur à Pékin.
Le gouvernement amércain utilise le gouvernement guinéen dans ses contradictions avec l'impérialisme français. En 1963, la Guinée et la France négocient pour rétablir des négociations économiques et commerciales normales. Cela ne plaît pas aux Américains ; aussi, utilisent-ils la clique de rechange qu'ils ont formée avec notamment Keïta Fodeba, Ismaël Touré, Conté Seydou et Kaman Diaby. Ceux-ci font défiler, lors des fêtes du 1er mai, des militaires guinéens déguisés en soldats de l'armée française pour ridiculiser celle-ci. L'ambassadeur de France quitte la tribune officielle ; le lendemain Sékou doit lui faire des excuses, mais les Américains ont atteint leur but. De Gaulle, furieux, signifie aux milieux économiques français qui faisaient pression pour le rapprochement avec la Guinée : « Tant pis pour lui' s'il n'est pas capable d'être maître chez lui ».
Lors de la conférence d'Addis-Abeba, en mai 1963, les journaux français annoncent que la délégation guinéenne a présenté une réslution à l'OUA, critiquant violemment le président Kennedy au sujet des violences raciales de Birmingham. L'ambassadeur US à Conakry dit alors au ministre des Affaires étrangères qu'il a une autre lettre de Kennedy pour Sékou, mais qu'il la garde jusqu'à ce que ces rumeurs soient vérifiées. Kéïta Fodéba, un des ministres les plus proches de Sékou, répond platement que c'est une machination française et ajoute :
Les Français ont déjà mis des propos pro-communistes dans ma propre bouche. Maintenant, ils essaient de saboter nos bonnes relations avec les USA. Ils pensent pouvoir revenir en Guinée et y faire la loi comme avant. Ils se trompent. Maintenant, nous sommes indépendants et nous désirons établir de bonnes relations avec tout le monde et spécialement avec les Etats-Unis et l'Allemagne de l'Ouest 24.
Quelques jours plus tard, Sékou fait à Addis-Abeba une déclaration soutenant entièrement et « sans aucune réserve » l'attitude de Kennedy lors de ces événements raciaux, démentant catégoriquement les fausses nouvelles répandues par les journaux français.
Les Français boycottent toutes les manifestations américaines en Guinée (exemple la foire, ou le récital de Cozy Cole) ; ils traitent les négociateurs de la Harvey de « marionnettes de Wall Street » ; selon l'ambassadeur US, les officiels du ministère des Affaires étrangères de Paris, reflétant les pointes personnelles de de Gaulle admettaient en privé qu'ils préféraient une « Guinée soviétique » à une « Guinée américaine ».
En 1965, sur les renseignements fournis par la CIA, le gouvernement guinéen lance des attaques violentes contre la France, accusée de comploter contre Sékou. Il s'ensuit la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.
L'incapacité de la bourgeoisie de gérer sainement l'économie guinéenne l'a contrainte à faire de plus en plus appel à l'aide américaine.
En septembre 1960, sont signés entre les deux gouvernements des accords de coopération technique et économique, à la suite du voyage d'une mission commerciale américaine (mars 1960). La Guinée reçoit un don de 5 000 tonnes de riz et de 3 000 tonnes de farine. Les mois de juin-juillet 1961 voient le début d'une intensification au point que l'aide du deuxième semestre 1961 est supérieure à celle de toute la période antérieure.
A partir de 1962, une série d'accords sont signés.
Le 2 février, un accord économique et d'assistance, prévoyant une aide de 7,5 millions de dollars de riz, de farine et de blé, et une autre de 10 millions de dollars pour l'installation de plusieurs établissernents industriels et l'octroi de 150 bourses est signé. En Juin 1962, de nouveau, deux accords de modernisation des télécommunications et d'extension de l'Ecole d'administration : le gouvernement américain s'engage à fournir pour ces travaux une somme de 6 750 000 dollars plus un équipement radiophonique à haute fréquence, la formation du personnel guinéen et la formation aux USA de professeurs guinéens. Des experts américains seront envoyés en Guinée pour y « appliquer le programme et la méthode d'enseignement en vigueur outre-Atlantique ». Le 30 juin, sont passés de nouveaux accords, portant l'aide US à 20 millions de dollars, avec livraison de produits alimentaires et envoi d'une équipe d'ingénieurs chargés du défrichement de 15 000 hectares théoriquement destinés à la culture du riz. En juillet de la même année est consenti un prêt de 2,4 millions de dollars pour l'électrification de 10 centres administratifs, la formation de cadres et l'élargissement du potentiel industriel et agricole de la Guinée. Bien entendu, le matériel, les techniciens et autres conseillers doivent venir des USA.
Enfin, à partir de 1964, l'aide américaine devient le principal moteur de la vie économique guinéenne, la bouée de sauvetage du régime de Sékou Touré. En quatre ans (1964-1967), le montant de l'aide des impérialistes américains atteint 105 millions de dollars (35 millions pour la seule année 1967).
Pourquoi toute cette aide ?
Est-elle désintéressée ou vise-t-elle des objectifs politiques bien précis ?
Si nous laissons de côté les propos démagogiques, hypocrites de certains dirigeants américains, que constatons-nous ? L'aide américaine n'est pas une œuvre de bienfaisance, bien au contraire.
En été 1961, le président Kennedy avait demandé au Congrès de soutenir son programme d'aide à l'étranger parce que ce programme était indispensable pour empêcher ces pays de passer au camp socialiste.
Je préfère de beaucoup accorder notre aide de cette façon là, que de me retrouver par la suite devant la nécessité de confier cette tâche à nos boys américains (c'est-à-dire aux marines).
Le même Kennedy déclarait en décembre 1962 :
L'aide étrangère est une méthode par laquelle les Etats-Unis maintiennent une position d'influence et de contrôle sur le monde entier et soutiennent un grand nombre de pays qui s'écrouleraient définitivement, ou bien passeraient au bloc communiste 25.
En mars 1965, dans un article paru dans la revue Tiers-Monde, M. J.P. Palewski, parlant de l'aide américaine, écrit :
Les Etats-Unis dépendent de l'étranger dans des proportions de plus en plus grandes, tant pour l'approvisionnement en matières que pour l'écoulement des productions ; l'aide est devenue une nécessité politique.
Les objectifs de l'aide américaine ont été ainsi résumés par Magdoff :
En ce qui concerne l'Afrique, un rapport de l'AID de 1968, cité par Magdoff, indiquait :
Alors que l'Afrique représente en général moins d'un dollar pour chaque tranche de 20 dollars du commerce étranger américain, cette proportion augmente annuellement de 10 % — soit deux fois plus vite que le taux de croissance du commerce américain, avec le reste du monde en voie de développement. Sur ce total, les exportations américaines vers les pays africains les moins développés (plus de 750 millions de dollars en 1967) ont plus que doublé depuis 1960 et ont augmenté à un rythme plus rapide que ne l'ont fait les exportations vers l'Afrique du Sud.
Ces statistiques indiquent un dép lacement marqué de la dépendance traditionnelle de l'Afrique par rapport aux fournisseurs européens. Les exportations commerciales américaines vers les pays africains recevant une aide, ont augmenté de plus de 55 % au cours de ces dernières années.
L'aide américaine a imposé et impose d'énormes sujétions au gouvernement guinéen. D'ailleurs certains, même parmi les dirigeants, dénonçaient dès 1961 la nature de l'aide américaine. C'est ainsi que le journal gouvernemental « Horoya » dénonçait l'aide américaine comme « cheval de Troie de l'impérialisme américain » 18. L'ambassadeur américain ayant protesté, Ismaël Touré, ministre et membre du bureau politique, s'empressa de le rassurer. Horoya ne parlait pas au nom du gouvernement», il accusa un jeune homme de la rédaction 18.
Des exemples de sujétions imposées au gouvernement guinéen :
Les conditions américaines sont ainsi énumérées :
Sékou Touré accepte toutes ces conditions. Roger Soumah est nommé à l'AID ; la conférence de la Fédération Syndicale Mondiale est annulée. Il promet que les syndicalistes iront aux Etats-Unis et que le personnel du bloc soviétique sera progressivement éliminé. On demandera aux soviétiques de reprendre leurs avions dès que Air Guinée pourra les remplacer. C'est cette réponse que Karim Bangoura rapporte le même jour à Attwood.
L'impérialisme ouest-allemand était présent en Guinée avant l'indépendance puisqu'il participait au capital de Fria. Mais c'est surtout en 1962, après la visite du président Luebke que, suivant son chef de file yankee, l'impérialisme allemand commence à s'implanter sérieusement . Les camions et les tracteurs Krupp sont fournis avec des conditions extrêmement favorables de crédit, des techniciens les accompagnent pour voir si on prenait soin des machines. Les Allemands prévoyaient le moment où les pays africains deviendraient un client potentiel pour les marchandises allemandes et désiraient édifier à l'avance une vitrine avec quelques échantillons gratuits. L'aide économique allemande s'élève progressivement pour atteindre 30,3 millions DM en mars 1964. La République Fédérale Allemande (R.F.A.) construit un certain nombre d'entreprises, des bateaux de pêche et un studio de cinéma en noir et blanc ainsi qu'en couleur. A l'aide économique s'ajoute l'aide et la coopération dans le domaine militaire et policier.
La première mission militaire ouest-allemande arrive en Guinée dès 1962.
Ils (les Allemands) acceptèrent aussi d'envoyer en Guinée une mission militaire de cinq membres pour enseigner la construction des routes à une compagnie de génie. « Pour quelque raison — peut-être — pour vexer Russes et Français, les guinéens insistèrent pour qu'ils débarquent en uniforme, et je n'oublierai jamais l'air ahuri de la délégation culturelle de la DDR à la vue d'officiers en tenue de Wehrmacht dans la salle à manger de l'Hôtel de France 20.
Progressivement étoffée, la mission militaire allemande devient bientôt la principale collaboratrice de l'armée guinéenne, l'aidant à réparer les camions soviétiques, à construire des routes, à monter des usines, etc. Les experts militaires allemand remplacent les Tchèques. C'est la République Fédérale allemande qui se charge de la formation de l'unique compagnie de parachutistes guinéens, entraînés et équipés sur le sol allemand.
Les installations perfectionnées des prisons sont aussi l'œuvre de l'Allemagne de l'Ouest. Imitant les Peaces Corps américains, elle envoie elle aussi ses volontaires de la paix.
L'impérialisme français était l'impérialisme dominant en Guinée en 1958.
A partir de 1958, les relations entre l'impérialisme français et le régime guinéen vont devenir plus complexes : antagonisme avec une fraction de l'impérialisme français, collaboration avec une autre fraction.
La bourgeoisie guinéenne, qui est faible économiquement en 1958, aspire au contrôle d'un certain nombre de secteurs économiques afin de consolider sa base matérielle encore fragile. Le secteur économique qui rapporte le plus de profits à court terme est le secteur de la circulation, contrôlé par le capitalisme français à travers les maisons coloniales.
Celles-ci ont le monopole de l'import-export, contrôlent le commerce de gros et de demi-gros, concurrencent les indigènes dans le commerce de détail grâce à leurs points de vente qui sillonnent le pays. Dès la loi-cadre [1957], l'embryon de la bourgeoisie guinéenne s'engage dans le processus d'élimination de ces maisons coloniales. Mais la présence du colonisateur empêche ce processus d'aboutir. L'indépendance permet de le mener à bien. La création du Comptoir Guinéen du Commerce extérieur (CGCE), avec le quasi-monopole pour certains produits, est un premier coup porté aux maisons coloniales. Avec le monopole total accordé peu après au CGCE, le contrôle de l'importexport passe aux mains de la bourgeoisie guinéenne. La création du Comptoir Guinéen duCommerce Intérieur et des magasins d'Etat pour le commerce de détail, achève d'autant plus la liquidation du capitalisme français que la plupart des planteurs français ont quitté le pays.
Le capitalisme traditionnel français ne reste pas sans régagir. Désormais, des intérêts économiques antagoniques l'opposent à la bourgeoisie guinéenne ; celle-ci l'ayant éliminé, il tente de reprendre ce qu'il a perdu. Il trouve des alliés parmi les commerçants guinéens farouchement opposés à l'étatisation du commerce. Le capitalisme traditionnel français place sa lutte sur plusieurs terrains :
Ainsi, une bonne fraction de l'impérialisme français, c'est-à-dire toutes les sociétés qui ont des intérêts dans le commerce, l'agriculture, les transports, les petites industries, en Afrique, est opposée à la bourgeoisie guinéenne. Opposition basée sur des intérêts économiques antagoniques. Elle aspire au renversement du régime guinéen qui doit se défendre constamment pour sa survie contre ses menées. D'où la virulence des responsables guinéens contre l'impérialisme français et leur soutien à tous ceux qui luttent contre lui (F.L.N., U.P.C.).
L'affrontement entre l'impérialisme traditionnel français et la bourgeoisie bureaucratique guinéenne passe par plusieurs péripéties :
Ayant échoué dans toutes ses tentatives de subversion intérieure, l'impérialisme traditionnel français tente d'organiser ses agents à l'extérieur. Il créé le soi-disant Front de Libération Nationale de Guinée (FLNG).
L'impérialisme traditionnel français est opposé à la bourgeoisie bureaucratique guinéenne, qui a liquidé ses intérêts à l'intérieur et résisté victorieusement à toutes ses tentatives de liquidation (échec des complots, de la tentative d'étranglement financier) d'une part, qui a liquidé ses débouchés et ses sources de ravitaillement au profit de l'impérialisme américain d'autre part. La bourgeoisie est contrainte de lutter contre cet impérialisme pour sa propre survie.
Cependant, elle est contrainte de lutter pour sa survie contre seulement un certain « impérialisme » français : celui du capitalisme colonial français qui lui est violemment opposé. Par contre, elle collabore avec les grands trusts miniers français. En effet, il n'y a pas d'opposition d'intérêt entre les trusts miniers français et la bourgeoisie guinéenne ; ils ont toutes les facilités qu'ils désirent. Après le « Non » du 28 septembre, le Conseil d'Administration de FRIA a procédé à une augmentation de capital et félicité vivement le gouvernement guinéen. La collaboration entre la Guinée et les trusts français est si manifeste que Sékou Touré n'a pas hésité à recevoir comme invité d'honneur lors des fêtes du 1er mai 1967 un représentant de Rothschild.
Ainsi, si la Guinée est contre l'impérialisme traditionnel français et si elle le dénonce, elle collabore totalement avec les trusts miniers et les grandes banques d'affaires françaises. Si l'aspect d'opposition à l'impérialisme français apparaît le plus, cela est dû à la grande influence qu'a l'impérialisme traditionnel français et ses alliés sur la politique africaine du gouvernement français.
Notes
1. Rapport Nixon, 1956.
2. W. Attwood. The Reds and the Blacks. Harper et Row Publishers. New York, 1967, p. 23.
3. Id., p. 26.
4. W. Attwood, The reds and the Blacks, Harper et Row Publishers. New York, 1967, p. 23
5. Attwood, op. cit., p. 34.
6. Id., op. cit., p. 35.
7. Attwood, op, cit., p. 37.
8. Id., op. cit. p. 38.
9. Attwood, op. cit., p. 38.
10. Attwood, op. cit., p. 45.
11 . Id., op. cit., p. 66..
12. Id., op. cit., p. 104.
13. Id., op. cit., p. 130.
14. John H. Morrow. First american ambassador to Guinea. Rutgers University Press. New Jersey, p. 106.
15. Id., op. cit., p. 108.
16. Id., op. cit., p. 217.
17. Id., op. cit., p. 107.
18. Attwood, op. cit., p. 107.
19. Id., op. cit., p. 111.
20. Id., op. cit., p. 129.
21. Magdoff. L'âge de l'Impérialisme. Maspero.
22. Id.
23. Attwood, op. cit., p. 52.
24. Id., op. cit., p. 104.
25. Id., op. cit., p. 77.
26. Id.