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Bohumil Holas

Assistant d'Ethnologie à l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN)

Les Masques Kono (Haute-Guinée Française):
leur rôle dans la vie religieuse et politique

Paris. Librairie Orientaliste Paul Geuthner S.A. 1952. 200 p.


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Chapitre XX
Le masque et la femme

Emploi de masques par les femmes

A) Chez la plupart des populations de l'Ouest africain, le masque n'est pas l'affaire des femmes. Mis à part les déguisements cérémoniels, le masque (vrai) porté par des femmes apparaît surtout dans les cérémonies d'initiation, telles que nous les connaissons par la littérature (sous les noms de sandé, boundou ). Les masques « à cloche » des sociétés des femmes mendi (Sierra Leone), si souvent évoqués, en sont un excellent exemple.
Il nous a été particulièrement difficile de recueillir quelques vagues informations à ce sujet, dans le pays kono. Aussi conviendra-t-il d'en user avec beaucoup de prudence.
Dans chaque village kono, une dzogo-néa est chargée de la conservation des objets rituels appartenant à la collectivité des femmes initiées (ou excisées, dans le secteur où l'initiation n'a pas lieu). C'est toujours une femme âgée, n'ayant plus de rapports sexuels et habitant, seule, une case située à la lisière du village, à l'endroit, d'où le sentier mène au bosquet sacré réservé aux réunions féminines. Elle est la présidente du « sandé » et la maîtresse des excisions-initiations (néa kplon). Dans sa case, la dzogo-néa conserve un masque renfermé dans une corbeille tressée en fibres végétales, le tout couvert d'un pagne rouge. Il ne s'agit pas, très probablement, d'un masque taillé en bois, mais plutôt d'une cagoule, ou d'un objet de ce genre, confectionné en tissu.

Manlou-kplon ou Kohoun

Dans les cantons Lola et Mossorodougou, ce masque mystérieux est toujours désigné par un nom euphémique 1 de manlou kplon ( « corbeille » du poro). Dans le Vépo et dans le Saouro, on l'appelle kohoun.
Dans le secteur fidèle à la tradition ancienne, le manlou-kplon avertit les hommes, par un chant spécial, de sa prochaine sortie afin qu'ils se cachent dans leurs maisons. Le kohoun du Lola et du Mossorodougou, par contre, toujours « habillé », sort en public, mais il choisit pour se manifester une heure tardive.
Dans le premier cas, l'objet sacré sera simplement tenu à la main par la dzogo-néa même, tandis que dans le second cas, le masque sera porté par une kohoun ngou-lo, qui est une jeune fille spécialisée, vêtue tout en rouge.
Il paraît que dans ce cas c'est un vrai masque en bois qui recouvre la figure de la porteuse, et il aurait, à en croire nos informateurs, un aspect semblable une nyomou néa ordinaire. Du reste, la partie faciale sera toujours cachée le plus possible aux regards des hommes. Le kohoun est coiffé d'un mouchoir de tête rouge, descendant jusqu'à la naissance du nez, tandis que la partie inférieure de la face est voilée d'un autre tissu, également rouge, de sorte que seules les ouvertures ménagées pour les yeux restent visibles. Le costume qui recouvre entièrement le corps de sa porteuse est rouge également.

Sa fonction

Le manlou-kplon (ou le kohoun) ne sort qu'à l'occasion des initiations du « sandé » (des excisions) qui, en temps normal 2, sont espacées dans ces régions de 2 à 3 3 et durent actuellement de 4 à 6 mois (au lieu des 2 ou 3 ans « coutumiers »). Il se montrerait tout d'abord à l'ouverture des fêtes, et plus tard, à la sortie des femmes excisées hors de leur enclos d'initiation. Il se manifestera aussi, semble-t-il, dans le cas où un décès se serait produit dans le « sandé ».
Notons à cette occasion l'interdiction rigoureuse de sortir, imposée aux masques de la société d'hommes pendant toute la durée des initiations féminines. Nous connaissons un cas d'infraction qui a eu des conséquences tragiques (mise à mort du porteur de masque coupable, au village de Nion, canton de Bossou).

Cas exceptionnel d'une femme admise au poro des hommes

B) Exceptionnellement, une femme peut être admise aux secrets des masques du poro. En 1901, T.J. Alldridge a déjà d'ailleurs signalé ce fait dans son ouvrage The Sherbro and its Hinterland (London, 1901).
Et en 1941, G.W. Harley (Notes..., p. 8) relate: « There were a few rare women who were consecrated as men, and went into the men's school, or Poro. Only one at a time reached official status and as the consort of the zo who was the head of the Poro. She was called wai 4 ». Et G. Schwab en 1947 (op. cit., p. 268) d'affirmer : « Women may be admitted to the Poro under certain rare conditions, but not into every lodge 5 ».
Chez les Kono, cette possibilité ne peut se produire qu'accidentellement ; aucune institution rappelant la wai de Harley ou de Schwab n'y est connue, sauf le cas où une femme aura été surprise par nyomou « non habillé », au moment des initiations du poro. Elle est alors saisie de force et emmenée dans l'enclos sacré. Toutefois, si cette femme a un enfant avec elle, I'enfant sera tout de suite renvoyé au village et confié, en attendant, aux soins de ses grands-parents. La femme, elle, subira une sorte d'« initiation d'urgence » durant les 7 jours qui suivent. Elle n'est pas scarifiée, mais tous les secrets du poro (ceux que l'on enseigne habituellement aux hommes) ne lui en sont pas moins dévoilés pour autant.
Au cours de la cérémonie initiatique qui a lieu quelques heures après la saisie, le maître du poro fait boire à cette femme une décoction de ngouana-ngouana (Mareya spicata, de la famille des Euphorbiacées) qui la rendra stérile — à moins que son mari ne paye sur-le-champ une grosse rançon aux dirigeants du poro.
Le huitième jour, après de nombreuses menaces renouvelées, la femme doit solennellement jurer de garder ses connaissances en secret, et elle est ensuite relâchée.
Désormais, on l'appellera dzogo-néa lyopou ; et tous les habitants du pays en seront avisés.
Le statut social de la dzogo-néa lyopou s'en trouvera complètement changé : aux scarifications près, elle égalera un homme initié. Elle ne se cachera plus avec les autres femmes, et elle sera même autorisée à prendre part aux manifestations des nyomounga, lorsqu'ils sortiront « non habillés ».
En bref, elle sera désormais soumise au statut des hommes; et, en conséquence, elle est virtuellement un homme; l'accès au néa kplon, au kpinga (« rasoir magique »), d'importation récente de l'intérieur libérien) et aux autres institutions féminines lui sera désormais interdit.
Si elle a été déjà mariée au moment de son initiation au poro, elle demeurera néanmoins avec son mari et ses enfants ; seulement, dans la plupart des cas, nous l'avons vu, elle ne pourra plus procréer ayant été rendue stérile par les charmes du poro. A part cela, rien ne s'oppose, d'après nos renseignements, à la régularité de sa vie sexuelle. Toutefois une femme qui, moyennant une amende, a pu conserver sa fécondité intacte, devra veiller à ne pas concevoir durant une certaine période (dont la durée reste pour nous in dubio) partant du jour de son initiation.
Lorsqu'il s'agit d'une jeune fille, celle-ci devra ne jamais se marier ; mais, à condition d'éviter la grossesse, rien ne s'opposera à ce qu'elle ait des rapports sexuels normaux avec les hommes.

Quelques cas spéciaux (androgynie, gynécomastie)

Au cours de nos enquêtes nous avons touché à plusieurs cas d'ordre physio-pathologique, parmi lesquels notamment deux individus vraisemblablement (une observation visuelle ayant été rendue impossible, nous ne pouvons être absolument affirmatif) androgynes (l'un au village Pinè, canton de Saouro, et l'autre à Fanha, dans le Mossorodougou) dont la condition spéciale n'empêche pas pour autant le premier des deux d'être le porteur qualifié du masque nyomou kpman néa (et alors représentant d'un être féminin) ; il ne sera par contre jamais autorisé à porter un masque mâle, d'après les déclarations de nos interlocuteurs. Deux circonstances auraient visiblement favorisé cette exception : dégradation en général de la valeur magico-religieuse de ce type de masque, et appréciation particulière de la haute tonalité vocale de l'individu en question, ce dernier reproduisant remarquablement la voix féminine.
Par principe, un hermaphrodite ou gynécomaste prononcé ne sera jamais admis ni à la circoncision ni à l'excision dans le pays kono ; en conséquence, il sera plus ou moins ouvertement méprisé et par les hommes et par les femmes, dans la vie privée 6.
Ainsi se traduisent, en projection locale, les traditions mythologiques anciennes, qui tenaient l'« Etre primordial », de l'Humanité pour un être bisexué, androgyne, avant qu'elles ne l'eussent dissocié en un couple ancestral (p. ex. M. Eliade, op. cit., p. 360-363), c'est-à-dire en deux êtres de sexes opposés.

Notes
1. Pour cacher le vrai « contenu », nous ont dit nos informateurs.
2. Etant donnée la très grande proportion des cas mortels par suite de l'opération chirurgicale (clitoridectomie), l'Administration française a décidé de prendre, çà et là, des mesures sévères, p. ex. dans le cercle de Nzérékoré, l'excision a été défendue depuis plusieurs années. Et ce n'est que récemment que ces coutumes anciennes (le poro, le sandè), autorisées de nouveau, commencent à manifester un essor remarquable. 3. Pour comparaison : sept ans pour les hommes.
4. En dialecte manon du Libéria.
5. Ici encore, cet auteur prend visiblement comme point de départ de sa conception les degrés multiples du système hiérarchique du poro.
6. Contrairement à tout autre tare congénitale, à condition que celle-ci n'affecte pas la puissance sexuelle.


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