Recherches africaines. Conakry. No. 1. janvier-mars 1960. p. 3-11
Du 2 au 11 novembre 1959 s'est tenue à Dalaba, en République de Guinée, la IIIe Conférence Interafricaine des Sols.
Sous l'égide de la Commission de Coopération Technique pour l'Afrique au Sud du Sahara, elle a réuni 130 spécialistes de tous les pays de l'Afrique tropicale.
Nous donnerons dans notre prochain numéro un compte-rendu détaillé de cette importante manifestation scientifique internationale.
Nous publions ci-dessous le discours d'ouverture de la Conférence, prononcé par Monsieur Diallo Abdourahmane, membre du Bureau polsitique du Parti Démocratique de Guinée (R.D.A.), Ministre d'Etat, Président de la République par intérim en l'absence du Président Sékou Touré.
Monsieur le Secrétaire Général de la C.C.T.A.
Messieurs les délégués et observateurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous remercier et de souhaiter la bienvenue sur la terre guinéenne au nom du Président Sékou Touré, du Gouvernement et du Peuple de Guinée à l'occasion de cette importante session de la C. C. T. A.
En effet, je suis heureux que malgré les difficultés de toutes sortes, cette session de la C.C.T.A. ait pu voir le jour en terre guinéenne, une année seulement après notre accession à l'indépendance.
Vous n'ignorez pas que quelques mois à peine après cette accession à l'indépendance, la Guinée a cherché immédiatement à apporter sa contribution aux activités de la C.C.T.A. d'abord et avant tout en lui apportant son adhésion.
Il n'est pas superflu de rappeler ici dans quelles conditions eut lieu cette adhésion. C'était au cours de la 14e session de la C.C.T.A. tenue à Monrovia du 16 au 28 février 1959, soit seulement quatre mois après la proclamation de l'indépendance guinéenne ; la candidature de notre République avait été proposée à la suite d'un échange de correspondances entre notre Gouvernement et le Secrétariat Général de l'Organisation.
Le vendredi 25 février 1959, l'Assemblée Générale de la C.C.T.A. en session à Monrovia devait admettre la Guinée à l'unanimité de ses adhérents comme 9e membre. Notre drapeau devait alors être hissé immédiatement à la même date avec solennité aux côtés des drapeaux des autres nations membres de l'Organisation.
Après quoi une délégation guinéenne conduite par son Excellence Michel
Collet, ambassadeur de la République de Guinée au Liberia, et comprenant en outre les camarades Diallo Alpha, Secrétaire Général du ministère des Affaires étrangères, Joachim
Eugène et Camara Moustapha, députés, devait immédiatement participer aux travaux de la session.
Avant de se séparer la session de Monrovia décida de tenir les présentes assises à Dalaba.
La Guinée était ainsi à l'honneur. Elle devait dès lors accepter d'organiser cette session de gaîté de coeur. Si la moindre insuffisance en ce domaine apparaissait à une délégation amie à la conférence, que ceci soit mis au compte de notre inexpérience mais non pas au compte de notre manque de bonne volonté. Et sur ce point nous remercions d'avance tous nos hôtes de leur haute compréhension.
Il est agréable aux autorités de la République de Guinée de voir réunis à Dalaba, pendant 10 à 15 jours, 150 personnalités représentant divers pays possédant la technique et la science des problèmes agricoles qui auront à se pencher sur l'avenir des sols en Afrique au sud du Sahara.
Je n'aborderai pas ici l'aspect technique de ces problèmes de la conférence, laissant ce soin aux éminents spécialistes qui sont parmi vous.
De son côté la délégation guinéenne apporte à votre conférence une étude importante sur l'action des Services des Eaux et Forêts guinéens en matière de conservation des sols au Fouta-Djalon. Cet exposé est suivi d'un second rapport consacré aux plantations de résineux de Dalaba.
Ces deux documents attestent suffisamment l'intérêt que notre République porte à la conférence.
Permettez-moi d'insister sur l'aspect politique et social des questions que vous aurez à débattre au cours de vos travaux,
La colonisation contemporaine, comme système économique avait la caractéristique fondamentale d'intégrer au marché mondial des pays vivant jusque là en économie fermée à prédominance agricole et qu'elle venait désormais au rôle exclusif de réservoirs de matières premières minérales ou agricoles des industries des nations avancées.
L'économie de ces pays était ainsi conçue dès le début de l'ère coloniale contemporaine en fonction des besoins uniques de l'économie de ces nations en vertu du pacte colonial et de telle sorte qu'elle devenait de ce fait de plus en plus unilatérale, déséquilibrée.
Examinons dans le cas concret de l'Afrique Occidentale, les effets de ce système et de ses pratiques sur l'équilibre des sols.
Avant l'intervention de la colonisation jusqu'aux environs des années 1880, la péjoration des sols n'avait pris un caractère inquiétant que dans des secteurs limités où la surcharge pastorale jouait, semble-t-il, un rôle important comme an Sahel et au Foutah Djallon.
Ailleurs cependant, les techniques rudimentaires si l'on tient à l'outillage, et fort savantes si l'on considère leur complexité et la somme d'expérience qu'elles mettaient en oeuvre, réalisaient mi équilibre satisfaisant entre les besoins des hommes, les conditions du sol et du climat. Et cela non seulement dans les formes de culture extensive le plus généralement répandues, mais aussi dans les formes intensives, là où l'imposait la pression démographique, tant par exemple chez les riziculteurs Baga en Guinée, que chez les montagnards des plateaux camerounais ou encore de l'Atakora
Et maintenant, examinons quels furent les effets de la colonisation sur cet équilibre traditionnel.
Tout d'abord nous pouvons attester sans crainte d'être démentis que ces effets se traduisirent en premier lieu par un développement considérable des cultures d'exportation, au bénéfice non du paysan africain, mais des sociétés commerciales de traite jouissant d'un monopole de fait sur l'ensemble économique de l'Ouest Africain. Monopole pour les compagnies coloniales et leurs agents intermédiaires des importations et des exportations, quasi monopole des planteurs européens sur les terres propices à l'exploitation agricole.
Ces effets se traduisirent également par l'institution d'une sorte de monoculture par territoire colonisé; c'est ainsi par exemple qu'à l'origine le Sénégal ne devait produire que des arachides, le Soudan du sisal, la Mauritanie de la gomme arabique, la Guinée de la banane, la Côte-d'Ivoire du cacao et du café, le Togo et le Dahomey du palmiste. Certes par la suite d'autres formes de cultures ont dû être pratiquées dans ces régions, mais il n'en demeure pas moins vrai que la spécialisation agricole fondamentale demeurait celle définie plus haut.
En contre-partie d'ailleurs ces contrées devaient servir de marché de placement des produits résultant de la transformation des denrées ou sortant des usines et des manufactures métropolitaines.
Ces exemples valables pour l'Afrique d'influence française l'étaient tout aussi pour les parties du continent d'expression anglaise, portugaise, belge ou autre.
Il en est résulté en définitive une stagnation du niveau de vie du paysan noir. Qu'il soit du nord, du centre ou du sud, ce paysan même a depuis plus de soixante années une vie misérable.
Le professeur Auguste Chevalier qui a parcouru en 1946 des régions du Sénégal qu'il avait visitées cinquante ans plus tôt, au lendemain de l'implantation coloniale, a observé que pourtant, des centaines de millions de francs-or ont été tirés pendant la môme période de la vente des arachides. Les sociétés de traite, bénéficiaires de ces millions de francs-or loin de les réinvestir sur place, les ont en presque totalité rapatriés.
Les investissements pratiqués, au demeurant, fort modestes, portèrent essentiellement sur le secteur commercial et les moyens de communication destinés à faciliter le commerce de traite notamment en construction de ports, de voies ferrées et de pistes.
Avant la guerre 1939-45, l'application stricte de la règle de l'autonomie financière posée par le décret de décembre 1912 sur le régime financier des colonies pour ce qui est de l'Afrique d'obédience française avait pratiquement exclu les investissements publics provenant de France, à de rares exceptions près. L'essentiel des investissements avait ainsi été fourni par le capital privé. Selon une étude faite par le Ministère français des Colonies, 28 milliards de francs 1940 seulement auraient été investis de 1900 à 1940 dans l'ensemble africain de l'Ouest dominé par la France. Et sur ce total, 37 % avaient été investis dans le commerce et seulement 17 %, dans l'agriculture.
Dans la période d'après-guerre, cette situation ne s'est pas améliorée. Sans doute les investissements publics ont-ils pris la relève des investissements privés mais les plans d'investissements du FIDES, institution autour de laquelle on a fait tant de bruit, ont consacré rigoureusement 65,95 % de leurs investissements à l'infrastructure (routes, ports, aérodromes,) pour le premier plan (1949-1952) et 45,82% pour le second plan (1955-1951), contre respectivement 19,28 % et 34,72 %à la production agricole.
Au demeurant, la portée de ces investissements agricoles fut extrêmement limitée. Dans le secteur privé il s'agit exclusivement de plantations européennes, qui n'existent que dans quelques secteurs géographiques, et même là ne fournissent qu'une partie de la production. Dans le secteur public, d'énormes capitaux ont été engloutis en pure perte, dans des expériences mal préparées, dont l'échec est suffisamment connu (Office du Niger).
En définitive, l'augmentation de la production agricole exportable s'est faite pour la masse du paysannat africain sans amélioration des techniques mais uniquement par l'extension des surfaces cultivées et l'accélération des rotations, et en entraînant souvent une dangereuse réduction de la part absolue ou relative des cultures vivrières. Les conséquences de cet état des choses sur l'équilibre, des sols se déduisent d'elles-mêmes.
Certes on ne saurait nier que des techniques de conservation des sols avaient été élaborées pendant la même période. Mais on est obligé de convenir pareillement que les résultats des travaux scientifiques comme les efforts administratifs déployés à ces occasions se révélèrent et se révèlent encore impuissants devant un phénomène dévastateur qui s'amplifie et se généralise avec la fatalité d'un fléau naturel.
La question que nous sommes en droit de poser et à laquelle seule une conférence comme la vôtre serait en mesure de donner une réponse sera de savoir s'il est techniquement possible d'introduire en Afrique Noire au sud du Sahara des méthodes spécifiques, inspirées de celles en usage dans les pays tempérés, permettant à la fois l'élévation des rendements agricoles et la conservation des sols.
On peut comprendre que, des échecs répétés et souvent retentissants aient pu conduire à un certain scepticisme. Mais ces échecs ne sauraient en conscience être à eux seuls suffisamment démonstratifs. Car ces échecs ont été souvent dûs à l'insuffisance des études préalables, à la méconnaissance des pratiques ancestra. les des habitants et surtout à l'introduction mécanique de moyens qu'on ne s'est pas préoccupé d'adapter aux conditions du sol et du climat. Des milliards ont été en effet engloutis dans des expériences douteuses où comptait moins l'objectif officiellement proclamé que des marchés fructueux au bénéfice des entreprises européennes de génie civil ou des fournisseurs de matériel; cela au même moment où les crédits étaient parcimonieusement mesurés aux organismes scientifiques de Recherches agricoles et pédologiques.
L'idée première qui nous vient donc à l'esprit est qu'on aurait sans doute pu obtenir de meilleurs résultats en agissant autrement.
Mais le drame est aussi que même des méthodes modernes valables mises au point, resteraient dans l'état présent des choses économiquement inapplicables.
Le système économique décrit précédemment a consommé la ruine de l'agriculteur noir. C'est ainsi que le revenu moyen annuel par habitant en ex-A.O. F. était évalué par l'I.N.S.E.E. français pour l'année 1951, à 8.000 frs C. F. A. au Sénégal. Ce chiffre tombait à 7.000 frs en Guinée et au Dahomey, à 5.000 frs au Soudan, à moins de 4.000 frs en Haute-Volta. Compte tenu de ce que ces moyennes intègrent les catégories à revenu élevé, on peut aisément en déduire que le revenu moyen du paysan est encore notablement inférieur. Une bonne partie des disponibilités monétaires dudit paysan étant absorbée par l'impôt, cette absorption atteint les 3/4 de ce revenu en Haute-Volta selon le professeur Capet, le restant non seulement ne permet pas au paysan de subvenir à ses besoins élémentaires mais encore moins de réaliser des investissements productifs.
Donc le premier obstacle à lever après une étude scientifique rationnelle des conditions de restauration des sols, pour l'introduction de toute amélioration technique, dans l'agriculture, sera l'impossibilité présente d'assurer l'accumulation du capital au niveau de la production agricole, et tant que cet obstacle ne sera pas levé, la dégradation des sols se poursuivra et s'aggravera inéluctablement.
Mais comment résoudre ce problème ?
Il y a une première source possible d'accumulation de capital au niveau de la production agricole par la mise en braille du système du capital-travail des campagnes, encore connu sous la dénomination d'investissement humain.
En raison même du caractère rudimentaire des techniques, la vie paysanne comporte à côté de brèves périodes de travail intensif des mortes saisons prolongées.
Utiliser ces temps morts à des travaux d'amélioration des sols suppose évidemment deux conditions :
Je n'en veux pour preuve que l'expérience propre de la Guinée en la matière. Jadis, dans ce pays le paysan redoutait de ne travailler que pour le commandant ou pour le chef de canton car il y avait l'indigénat et le travail forcé. La conséquence fut qu'il travailla très peu et surtout en détruisant la végétation notamment au moyen des feux de brousse.
L'abolition de la chefferie dite traditionnelle et de ses exactions, l'indépendance nationale de la Guinée, ont entraîné dès cette année un développement considérable et spontané de la production agricole cependant qu'au niveau des 4.625 comités de villages installés par lui dans le pays, le Parti Démocratique de Guinée a entrepris toute une campagne d'éducation portant sur le caractère nocif des feux de brousse, la nécessité de préserver les forêts des hauts monts et de protéger les sources, etc ...
Désormais, en Guinée, ceci chaque délégué à cette conférence pourra s'en convaincre en interrogeant n'importe lequel de nos paysans, il existe les conditions favorables d'investissement humain tant vers les travaux d'infrastructure que vers des activités destinées à améliorer le rendement agricole et à assurer une meilleure conservation des sols.
L'intensification de tels travaux suppose toutefois une conjonction, une adaptation réciproque de la technique scientifique et de l'initiative paysanne dont on ne peut dissimuler qu'elle pourrait poser des problèmes délicats à résoudre.
Une deuxième source d'accumulation peut enfin être utilisée,: il s'agit de faire bénéficier la production agricole des profits jusqu'ici détournés par les circuits parasitaires de l'économie de traite.
En accédant à l'indépendance nationale, la Guinée pour sa part a posé, ce problème consciemment et s'efforcera de lui trouver une solution juste assurant la complète défense des intérêts des paysans guinéens.
En réalisant le contrôle de tout son commerce extérieur et le monopole de certaines importations-clés par le Comptoir Guinéen du Commerce Extérieur, comme en éliminant à tous les stades et au bénéfice des coopératives les intermédiaires parasitaires de tout ordre, le Gouvernement de Guinée, a eu pour objectif la restitution au paysan guinéen des profits dont il était spolié. Cette restitution servira pour partie à améliorer le niveau de vie du paysan, et pour partie à des fins d'accumulation productive. Cette prise de position sans équivoque se trouve, exprimée dans l'ouvrage remarquable de notre camarade le Président Sékou Touré, « Rapport au Ve Congrès National du Parti Démocratique de Guinée R.D.A. »
Ainsi donc, nous avons examiné le contexte économique de l'Ouest Africain dans le cadre des structures anciennes et nouvelles pour une politique hardie de restauration, de conservation et d'utilisation des sols pour et par le paysan africain.
Ce paysan est pleinement conscient de son retard technique et n'a aucune fausse honte à le déclarer. Mais longtemps exploité au profit des puissances coloniales, il mesure aujourd'hui son grand retard dans le domaine scientifique et technique. Il est pleinement conscient de ce retard et il est décidé à le combler rapidement. Il espère le faire par le déploiement d'un effort surhumain sur lui-même mais aussi par la solidarité et la coopération fraternelle et désintéressée des peuples, des nations techniquement avancées.
Pour celui qui aura compris que la nation africaine longtemps dominée, se trouve aujourd'hui face à l'indépendance comme l'Europe à la période historique des nationalités, tout sera rendu facile et la coopération certaine et efficace.
C'est cet acte de foi, et cet effort qui sont demandés par surcroît à la C.C.T.A. car il ne servirait à rien de définir des principes scientifiques et, même des conditions de réelle collaboration destinés à rester lettre, morte parce que le cadre de leur application aura été mal défini. Ainsi que l'a si souvent dit le Premier Guinéen :
« Toute institution qu'elle soit nationale ou internationale ne peut être pour nous qu'un moyen au service du peuple. Notre système politique est démocratique et comme tel il veut tout par et pour le peuple. »
La Guinée n'a d'autre ambition que de mettre partout son dynamisme au service des causes justes militant en faveur des idéaux de l'Afrique à savoir son indépendance et son unité. Dans la mesure où la C.C.T.A. cherche une solution juste aux problèmes vitaux d'une partie de l'Afrique, vous pouvez compter sans réserve, sur notre dévouement et sur notre contribution effective pour le triomphe de notre cause commune qui est l'établissement de la paix dans un monde de prospérité, de démocratie et de liberté.
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