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Presse écrite


Silence, on inaugure !

Le Lynx. N° 392 — 27 septembre1999


Dans une semaine, Fory Coco inaugurera le palais présidentiel de Sékou Touréya, situé en face du terminal contenair et de la partie du port de Conakry réservée au stock d'alumine de Friguia. Il inaugurera également le siège de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale de Kouléwondy, et l'Hôtel Mariador Palace de Ratoma, dans la banlieue de Conakry. L'année finit bien. En toute vraisemblance. Le 20è siècle aussi. Le 21è arrive alors avec un grand sourire. On ne peut quand même pas inaugurer tout cela et continuer à se lamenter.

Nous voilà de plein pied dans l'âge adulte. La République a plus de 40 ans.

L'inauguration du Palais présidentiel de Sékou-Touréya est venue "à point nommé". C'est à cet endroit qu'il y a 41 ans, le jeudi 2 octobre 1958 à 7h30, nous avions inauguré le premier gouvernement de la République de Guinée.

[Note. Cette date marque plutôt la proclamation de la République ; la formation du gouvernement eut lieu à une date ultérieure — Tierno S. Bah]

Le PDG l'avait formé. Fort de ses 57 députés sur les 60 que comptait l'assemblée territoriale de la Guinée Française, il avait fait appel aux autres, qui eux-mêmes, avaient appelé à voter « non » au référendum gaulliste du 28 septembre. Tous les partis s'étaient retrouvés dans le même gouvernement dirigé par feu Sékou Touré. C'était peut-être le seul gouvernement d'unité nationale que la Guinée ait connu, même si les représentants de l'opposition de l'époque, le PRA, n'ont pu obtenir que la portion congrue.

Aujourd'hui, 41 ans après, on est en train de rechercher dans les fosses communes les restes de la quasi-totalité de ces héros du premier gouvernement qui venaient d'entrer dans l'histoire par la porte de sortie. Cet ancien palais des gouverneurs français, — Jean Mauberna fut le dernier —, avait lui-même perdu la vie peu avant la mort du Président Sékou Touré. Qui l'a détruit dans l'intention de le reconstruire. Il n'aura été que le symbole de la Révolution du PDG, une oeuvre de destruction sans reconstruction. Il aura également été le centre nerveux de la peur et de la dictature, le tout fondé sur les principes les plus rudimentaires de la science et des fétiches. Le sous-sol du palais de Sékou Touré était un véritable centre d'écoute. On y écoutait les Guinéens pour écourter leur vie. En haut, dans son bureau, le Responsable Suprême de la Révolution « l'homme-peuple », écoutait le peuple qu'il incarnait. Dans la cour, tous les symboles possibles : le paon, l'âne, l'albinos… Les rôles étaient multiples pour perpétuer le caractère multiforme de la révolution. Maintenant que tout est révolu, ce nouveau palais de Fory Coco ne devrait pas être là. Il avait été prévu ailleurs, en banlieue. On y a renoncé. Il a fallu 50 millions de francs guinéens pour refaire les études et les sondages « géologiques » après les rumeurs politiciennes, avant que les Chinois y plantent le premier piquet pour les fondations. Mais puisque le Palais est là, près des contenairs et de la poudre d'alumine, il faut l'inaugurer. Inaugurer aussi une période de … remboursement de dettes. Nous restons devoir un autre palais, celui des Nations. Calciné. Il faut le payer. Ce sera peut-être la prochaine inauguration. On pourra le prêter aux Institutions Républicaines, si mal logées.

A l'occasion de la fête du 2 octobre, Fory Coco coupera aussi le cordon symbolique de l'immeuble de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale. Un symbole quelque peu insolent. Un immeuble de verre au milieu des taudis de Kouléwondy. Pour classer sans suite des dossiers de malheureux travailleurs ayant cotisé toute une vie pour les poches d'une clique qui passe ses week-ends ici et là, entre Rio et Bruxelles. C'est à la CNSS que nous sommes vraiment déficitaires. Un déficit qui s'aggrave et s'exprime tous les jours sous forme de déni de justice et de manque de pitié.

Nous inaugurons enfin l'Hôtel Mariador Palace, également un symbole. Le symbole de toutes les difficultés de nos hommes d'affaires en lutte sans merci avec la justice, les jugements, les banques et la politique. Mais, au fait, pourquoi n'avons nous pas profité de cette période pour inaugurer l'Hôpital Donka? C'est peut-être pour éviter de mesurer la profondeur du gouffre que creusent nos "innovations". Pourtant, on aurait innové là aussi.

Diallo Souleymane


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