La Lance. N° 160 — 12 janvier 2000
Autre temps, autre air. Mais aussi autre régime, autre rhétorique. Du temps du Parti Démocratique de Guinée, les concepts de liberté et de dignité sous-tendaient les tirades du Responsable suprême. A cause des bruits de bottes persistants à nos frontières, le Président Lansana Conté a mis au coeur de ses adresses au peuple de Guinée, le concept de paix. A écouter la phraséologie politique, on finit par avoir le sentiment que la paix est davantage une fin en soi qu'un préalable du développement. Ce qui est une simple lapalissade devient une trouvaille en science politique. Mais comme dirait l'autre, « la paix n'est pas un vain mot, c'est un état d'esprit, un comportement ». Sa promotion, son maintien et sa durabilité renvoient nécessairement à des pré-réquis.
La pauvreté et la paupérisation galopante fragilisent la paix. « Ventre vide n'a point d'oreilles », dit-on. En effet, il est difficile que ceux qui sont constamment en quête de la pitance quotidienne soient très attentifs au discours sur la paix. Comment peut-il en être autrement? La paix pour une famille n'est pas seulement l'absence de la guerre. C'est aussi l'opportunité offerte à chacun de travailler, de se loger décemment, de manger convenablement, de se soigner correctement. C'est dire que la pauvreté et la paupérisation sont les pires ennemis de la paix. L'état de la justice sociale peut être une condition aggravante ou atténuante de cette situation. En effet, la répartition, équitable ou non, des maigres fruits de la croissance peut aggraver ou atténuer les tensions sociales liées à l'état de pauvreté des communautés. De toute évidence, les gens acceptent et vivent stoïquement la pauvreté du pays, s'ils observent que toutes les franges de la population en supportent, toutes proportions gardées, le poids. Vivre heureux étant une ambition légitime de tous les hommes, personne ne voudrait seul consentir des sacrifices à la place de tout le monde. La richesse ou la pauvreté devrait être partagée, équitablement. La marginalisation et l'exclusion suscitent des frustrations dont se nourrit et se raffermit le désordre social. Outre l'aspect économique, la justice sociale suppose l'existence d'un système judiciaire qui favorise l'application pertinente du droit. Dans un Etat de droit, personne ne devrait être au-dessus de la loi. C'est pour atteindre cet objectif que, sur le plan politique, les politologues ont inventé le principe de la séparation des pouvoirs. Qui vise à assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif qu'exercent le Président de la République et le Gouvernement. Le système judiciaire organisé dans cette perspective, précise la procédure permettant de juger chaque citoyen justiciable.
La création des juridictions d'exception (Cour de Sûreté de l'Etat, Haute Cour de Justice (?! ), etc.) répond de ce souci.
Beaucoup de Guinéens et d'observateurs étrangers n'ont pas compris que l'Etat guinéen n'ait pas fait jouer, lors du procès de l'ANAIM et de Friguia, ces dispositions qu'il a pourtant pris soin de prévoir. La loi guinéenne précise la procédure au terme de laquelle la comparution d'un ministre en fonction, devant les tribunaux, est possible. Pourquoi alors les ministres qui ont été cités, avec insistance, par de proches collaborateurs, lors de ces procès, n'ont même pas été entendus comme témoins par les juges? Cela n'est bon ni pour la promotion de l'Etat de droit, ni pour le régime, ni pour les ministres eux-mêmes. Il aurait été mieux que ces derniers se défendent et soient éventuellement blanchis par la justice. Afin que ragots, rumeurs et médisances ne survivent pas aux procès.
Enfin, la paix exige que la tolérance et l'acceptation de "l'autre", tel qu'il est, avec ses convictions et ses croyances, soient cultivées comme des valeurs cardinales sur lesquelles se développent et se consolident la démocratie et la cohésion nationale. En l'absence de ces valeurs, la vie politique en situation démocratique se crispe et les tensions sociales latentes deviennent violentes.
Les Nations Unies font de l'An 2000, celui de la paix. Comme le concept est depuis belle lurette celui du Général Conté, ayons donc désormais le souci d'en avoir le comportement et non pas seulement la rhétorique.
Note de webGuinée. L'amalgame entre la Cour de Sûreté de l'Etat et la Haute Cour de Justice crée ici la confusion. Si la première est une institution d'exception, non prévue par la Constitution, la seconde, elle, est tout à fait constitutionnelle.