Secrétaire Général du PUP, chef de la majorité parlementaireLa Lance
N° 155 — 8 décembre 1999
“La malgouvernance n'est pas évidente en Guinée …”
La Lance : Un politique français estime qu'en Europe les gens viennent à la politique étant riche. Tandis qu'en Afrique, on vient à la politique pour s'enrichir. Qu'est-ce que vous en pensez?
Aboubacar Somparé : Ce n'est pas exact ! En Europe, c'est vrai que beaucoup de politiciens ont des possibilités financières avant qu'ils ne commencent à faire la politique. Il y en a beaucoup aussi qui sont issus de la classe moyenne, même de la classe ouvrière. Qui n'ont aucune possibilité financière. Je vais vous donner des exemples dans l'histoire. Si nous prenons la classe politique française actuelle. Je ne connais pas un seul responsable qui soit venu avec beaucoup d'argent si ce n'est peut être M. Giscard d'Estaing. Qui est issu d'une famille de banquiers. Tous les autres, c'est la classe moyenne. C'est à dire, c'est les métiers libéraux: des professeurs d'université, des avocats, des médecins qui font la politique. Par contre aux Etats-Unis, on ne peut pas prétendre faire les élections si on n'a pas quelques assises financières, ne serait-ce que par le sponsoring de certains groupes financiers. Mais pour le cas de l'Europe Occidentale, c'est un peu différent.
S'agissant de l'Afrique, nous sommes déjà le continent le plus pauvre du monde. Au début des indépendances, la politique a été menée par une classe de jeunes intellectuels qui avaient pris conscience de la situation dans laquelle se trouvait notre peuple. Et des intellectuels pour la plupart, c'était des gens qui s'étaient arrêtés au niveau du brevet. Des instituteurs, des infirmiers, quelques commis de l'administration, des vétérinaires etc. Ce sont ceux là qui ont commencé la politique. C'est normal avec les indépendances qu'ils soient propulsés au rang de ministres et qu'ils bénéficient des avantages dus à la dignité de la fonction. Que l'on parle d'enrichissement, je dis que c'est un peu exagéré. Il y a eu par contre, une politique volontariste de création d'une classe bourgeoise. Cela a été effectif. Dans un certain système à la suite de la décolonisation, la France a voulu à un moment donné, organiser une bourgeoisie africaine. Pour pouvoir conduire la capitalisation de l'économie africaine. Cela est exact. Aujourd'hui après 40 ans d'indépendance, cela ne se justifie plus. Il faut qu'on prenne en compte la situation de pauvreté dans notre pays. Que ceux qui sont appelés à gérer l'intérêt général, aient le maximum de conscience patriotique, d'honnêteté, de loyauté, de pudeur. Il faut que le scrupule se développe. C'est pourquoi, je dis qu'il y a une nécessité d'élaborer un code de conduite pour la classe politique africaine. Non seulement en matière de gestion financière, en matière de gestion de la chose publique, des deniers publiques mais également d'éthique pour ce qui concerne la mise en place de la construction de la société politique, de la société nationale, la constitution d'une nation forte, de l'esprit de solidarité. C'est extrêmement important. Tôt ou tard les partis politiques seront obligés à l'échelon national, continental ou régional, d'élaborer une telle charte, un tel code de conduite. Pour essayer de civiliser le débat et aider nos sociétés à s'affranchir de la politique de prébende.
A la veille du troisième millénaire, est-ce que vous concevez qu'on parle encore d'un parti-Etat ?
Ecoutez! Le cas de l'Ouganda est là comme un exemple. Dans ce pays, ils sont en train de mettre la démocratie par la filière d'un parti unique. C'est petit à petit… Je pense qu'on est en train de tolérer la création d'autres partis. Je dis, moi, que le pluralisme est une nécessité. La société étant ce qu'elle est. Il est important que l'on donne la possibilité à chaque sensibilité de s'exprimer. Mais cela doit se faire dans le cadre d'un moule idéologique, moral qui oblige les différents acteurs à respecter une sorte de balise. C'est comme si on engageait des coursiers dans un sérail, il y a une balise à gauche et à droite que l'on ne doit pas franchir. Cette balise c'est quoi? Le respect de la personne humaine, le respect de la propriété privée, le respect de l'intégrité territoriale, le respect de l'unité nationale, la lutte pour la solidarité et la lutte pour la défense de la femme, de l'enfant et beaucoup d'autres valeurs. Qui, je crois doivent être recensées pour servir de chenal à l'action des hommes politiques.
Deux cent millions ont été détournés des caisses de l'Etat pour couvrir le congrès de votre parti et les frais de la campagne présidentielle du PUP en décembre 1998…
C'est vous qui l'affirmez ! Moi, je crois que le PUP est en dehors de tous les scandales financiers que l'on décrit, que la presse décrit actuellement. Je vous l'affirme de façon catégorique et impérative. Nous sommes un parti politique comme n'importe quel parti politique dans ce pays. Les partis de l'opposition en Guinée ont la chance d'être financés par quelques grands commerçants de la place. Nous, nous n'avons pas cette chance. Nous n'avons comme bailleurs de fonds que notre président honoraire et les cotisations de nos militants. C'est ce qui est la vérité. Si on vous a dit qu'on nous a financés lors de la campagne 98, oui. Nous avons été financés avec l'ensemble des partis qui sont représentés à l'Assemblée et qui ont présenté des candidats. L'Etat a débloqué un milliard de francs pour l'ensemble de ces formations politiques. Et cela a été partagé au prorata de leurs représentations à l'Assemblée. Mais en dehors de cela, je ne connais pas un seul cas de financement du parti par l'Etat.
Pourquoi vous vous êtes opposés à la lecture du rapport d'informations de la commission des mines et géologie de l'Assemblée Nationale qui a enquêté sur les détournements à Friguia ?
Parce que simplement l'affaire se trouve au niveau du tribunal. L'Assemblée a la vocation, la compétence et le devoir de nommer des commissions d'enquêtes parlementaires. Mais dès l'instant que l'objet de cette commission d'enquête est déjà au niveau du tribunal, la commission cesse d'exister. Il faut laisser chaque institution jouer son rôle. Ce qui est lié à l'étude des faits de ce genre-là, relève de la justice. Donc à partir du moment où la justice est saisie, j'estime que le rôle de l'Assemblée s'arrête. C'est pourquoi le groupe parlementaire PUP/PCN a demandé que l'information qui a été glanée par la commission reste comme une consommation locale à l'Assemblée. Mais, on ne peut plus en débattre pour ne pas empiéter sur les attributions de la justice.
Pourtant, le président de l'Assemblée Nationale avait donné des assurances que la commission ne marchait pas du tout sur les plates bandes de la justice. En plus, vos mandants ont droit de savoir aussi ce qui s'est passé exactement dans cette société.
Mais nous attendons tous le verdict de la justice. Une fois que la justice se sera prononcée, nous pourrons alors informer valablement nos mandants. Si nous le faisons avant, nous aurons informé nos mandants à partir de thèses unilatérales. Ce qui a été dit dans le rapport, ce sont des informations qui ont été recueillies d'une source ou d'une autre source. Mais, nous n'avons pas encore la confrontation. Nous n'avons pas encore toutes les circonstances qui ont amené ceci ou cela. Les raisons profondes? Ce n'est que le verdict du tribunal qui pourra les révéler. Et une fois qu'on aura su exactement les raisons profondes qui ont amené telle situation ou telle autre, alors nous serons forts d'informer correctement nos mandants.
Vous avez lu l'interview dans La Lance n° 153 de M. Facinet Fofana, ministre des mines et géologie. Il y ressort la lenteur de l'appareil judiciaire à s'exécuter pour faire la lumière dans cette affaire. Alors que les populations sont pressées de savoir.
Je n'ai pas eu l'avantage de lire l'interview du ministre Facinet Fofana. Mais je dis qu'il faut laisser la justice faire son travail. La lenteur, c'est possible. Mais cela dépendra de la complexité des problèmes. Si les juges d'instruction ne disposent pas des éléments dont ils ont besoin tout de suite, le dossier ne peut pas être transféré au tribunal. Il faut leur laisser le temps, je crois.
Si vraiment le PUP est propre dans ce scandale financier. Pourquoi quand le président de la commission des mines a affirmé comme quoi que 200 millions de francs auraient été détournés en faveur du PUP, vous n'avez pas porté plainte pour diffamation ?
Ecoutez ! Hé ! Il n'a pas accusé le PUP. Il a rapporté des informations qu'il aurait obtenues. Et cela encore par écrit. Cela n'a jamais été diffusé par qui que ce soit. Donc nous considérons toujours cela comme faisant partie des documents qui circulent. Comme il y en a beaucoup qui circulent en Guinée. Le jour où cela sera exposé à la place publique, nous allons répondre.
Parmi ces documents il y a le Rapport de M. Hervé Vincent Bangoura. Dans lequel ceux qui ont été arrêtés et interrogés pour ce détournement disent l'avoir fait pour le PUP ?
Le Rapport de Hervé Vincent dit que les gens ont déclaré ceci. Mais cela ne veut pas dire que c'est exact. Quand vous rapportez la déclaration de quelqu'un cela ne confirme pas la véracité du fait. Vous ne faites que rapporter sa déclaration. Donc, jusqu'à présent, nous en sommes au stade des présomptions.
Comment vous allez vous y prendre pour convaincre les gens qu'effectivement aucun sou n'a été détourné pour la campagne du PUP ?
Quand le jugement sera établi. Quand le verdict tombera. Eh, bien! Nous aurons les éléments nécessaires pour répondre. De toutes les façons, nos militants sont tranquilles. nos responsables sont tranquilles. Si nous avions eu deux cent, trois cent millions, je crois que le parti n'en serait pas à ce stade là.
Pourtant le PUP se dit grand parti…
Mais c'est le plus grand parti par le nombre des électeurs. Et les électeurs cotisent. C'est comme cela que nous fonctionnons. Mais ce n'est pas parce qu'un journal a écrit ou un rapport d'enquête a révélé que quelqu'un aurait déclaré avoir donné au PUP 200 millions. C'est trop facile de dire qu'on a donné au PUP 200 millions. Parce que, c'est la mode un peu partout au 20e siècle. En France, aux Etats-Unis, en Allemagne, un peu partout il y a des scandales sur les financements des partis. Ce n'est pas étonnant qu'ici les gens veillent emprunter le même sillage. Mais, je vous dis de façon catégorique que le PUP n'a rien reçu de qui que ce soit.
La malgouvernance est évidente en Guinée. La preuve en est que le FMI a suspendu son programme avec le pays.
La malgouvernance n'est pas évidente en Guinée. Le Fonds Monétaire, la Banque Mondiale sont les censeurs de l'économie mondiale actuelle. Quand un pays adhère à leur programme, il est assujetti à un certain nombre de contraintes. Il y a le taux de croissance qu'il faut maintenir ou développer, le taux d'inflation qu'il faut maîtriser, les recettes qui doivent s'améliorer, les dépenses qui doivent être contrôlées. Il y a le taux de change, pour ce qui concerne la Guinée, qui doit être maîtrisé et également contrôlé par la loi du marché. Il y a un certain nombre de contrainte auxquelles nous sommes assujettis. Si nous dérapons dans l'un des aspects des programmes que nous avons signés avec le Fond Monétaire, évidemment, il dénonce. C'est ce qui a été le cas en Guinée. Il y a eu un dérapage. Mais le dérapage est dû à quoi? Nous avions inscrit à la loi des finances initiales de 1999, huit (8) milliards au compte par exemple de l'ECOMOG. Enfin d'année, nous avons dépassé onze (11) milliards. Donc, il y a eu un dérapage de trois (3) milliards entre autre. Ce n'est qu'un élément que je vous cite là. Pour cette raison, le Fonds monétaire dit: “Ecoutez, on n'était pas convenu sur cela. Il faut que vous réajustez les choses.” Mais nous savons tous que nous sommes actuellement dans une économie de crise. Nous avons la guerre à nos frontières. Nous sommes obligés, pour notre propre sécurité, de faire des dépenses qui n'étaient pas prévues. Des dépenses contingentes qui n'étaient pas prévues, qu'on ne pouvait pas programmer. Mais, pour autant, nous ne pouvons pas croiser les bras, laisser les rebelles venir perturber la sécurité de notre pays. Je crois que le Fonds Monétaire et la Banque Mondiale ne peuvent discuter avec la Guinée que dans la mesure où il y a la paix à l'intérieur du pays. Et c'est cette paix qu'on a essayé de sauvegarder.
Ce qui est choquant en Guinée, c'est qu'on demande aux populations de faire des efforts à cause de cette guerre à nos frontières. Pendant ce temps il y a un groupuscule d'individus qui détournent des milliards. Comment concevez-vous cela ?
D'abord ce n'est pas propre à la Guinée. Mais pour ce qui concerne notre pays, j'ai dit que cela n'est pas normal. Et que ceux qui détournent il faut les sanctionner.
Propos recueillis par Benn Pepito.
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