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Presse écrite


Interview de Siradiou Diallo, président de la Commission des Mines et Géologie.

La Lance. N° 152 — 17 novembre 1999


« Dans l'affaire Friguia, il y a eu détournement au profit d'une personne qui se trouve être un ministre. C'est honteux ! Moi, à sa place, j'aurais démissionné…» nous a déclaré M. Siradiou Diallo, président de la Commission des Mines et Géologie.

La Lance : Vous êtes le président de la Commission parlementaire qui devait présenter devant les députés, le 11 novembre, un rapport sur les malversations de Friguia. Cela n'a pas été fait. Pourquoi?
M. Siradiou Diallo : Cela n'a pas été fait parce que les députés du groupe parlementaire PUP avaient sans doute reçu une consigne émanant d'en haut leur disant de refuser que le rapport soit présenté en plénière. Nous avons travaillé pendant 6 mois. La décision nous chargeant de cette mission a été prise à l'Assemblée Nationale lors de la plénière du 11 mai 1999. Six mois au cours desquels les membres de la commission ont travaillé d'arrache-pieds, d'abord ici à Conakry au niveau du ministère de tutelle, le ministère des mines, le ministre lui-même et tous ses collaborateurs, et les avocats de la compagnie. Puis, nous nous sommes transportés dans la ville de Fria où se trouve l'usine. Nous y sommes restés deux jours. Nous avons écouté non seulement le directeur de la société, l'Américain Léonard Jacob, mais aussi toute la direction. Nous avons discuté avec les cadres, les techniciens, les ouvriers, les syndicats et tout le monde. A notre grande surprise, le groupe parlementaire de la majorité a estimé que ce rapport ne doit pas être présenté en plénière.

Qu'y a-t-il de dérangeant dans ce rapport ?
Un certain nombre de députés avait eu le temps, je pense, de l'étudier. Les responsables du PUP, quant à eux, sûrement avaient pris connaissance du rapport et ils ont estimé que le fait de le présenter en public dérange. Ils ont pensé que si on ne le lit pas en public, l'opinion guinéenne et internationale ne sera pas au courant du contenu. Ce qui, soit dit entre nous, est bête et stupide. Puisque de nos jours avec toutes les techniques modernes de reprographie, vous savez qu'un document qui existe, même une ligne, ne peut pas être secrète. Du moment que le document avait été multiplié en 40 exemplaires et distribués à l'Assemblée Nationale, je pense que tout le monde aujourd'hui peut l'avoir.
En tout cas, ce document n'est pas un document secret. Moi-même, en tant que président de la commission, quiconque me le demandera, je le lui fournirai. Par conséquent il y a aucun secret. Je trouve que c'était vraiment ridicule de vouloir dire que ce document ne va pas être rendu public.

Qu'est-ce que vous avez trouvé concrètement sur ces malversations à Friguia ?
Avant qu'on ne s'occupe de ce travail-là, la presse avait écrit beaucoup de choses. Elle avait dit que la compagnie était dans une situation extrêmement difficile et que même la société risquait de fermer. Cela avait inquiété donc l'opinion guinéenne et préoccupait les députés que nous sommes. C'est suite à tout cela que nous avons été mandatés pour y voir plus clair. Nous avons découvert d'abord que la compagnie, l'usine de Friguia, n'est pas dans une situation aussi catastrophique que la presse semblait le dire. Il y a des difficultés incontestables, mais aussi bien les dirigeants que les ingénieurs, les techniciens, les assistants techniques Européens et autres que nous avons rencontrés tant en Guinée ici, à Fria qu'à l'étranger, tous nous ont dit que la société Friguia a toutes les bonnes raisons de demeurer confiante en l'avenir. Que nous avons à Friguia, à l'usine de Kimbo, des cadres, des techniciens particulièrement compétents, sérieux, des gens qui peuvent inspirer confiance. Donc, la société n'est pas vraiment sur le point de fermer.
Ensuite s'agissant des malversations, nous avons autant que possible réussi, en tout cas à notre propre niveau, à démêler l'écheveau et à savoir ce qui est vrai, ce qui est faux. Nous avons vu maintenant qu'il y a eu effectivement des détournements. Nous avons voulu mettre dans notre rapport un certain nombre d'informations relatives à ces détournements, mais nos collègues du PUP, membres de la commission, nous avaient dit que si on mentionnait ces faits-là, eux, ils n'allaient pas pouvoir être d'accord avec nous. Donc, il fallait qu'on reste vague sur un certain nombre de points. Lesquels ? Notamment sur qui a donné l'ordre de ces détournements et qui a fait quoi. Quel montant? Où cela est parti? Qui en a disposé? Comment on a dépensé cela? Nous avons pu savoir exactement de quoi il s'agit, la technique de la fraude, des détournements. Cela figure noir sur blanc dans le dossier. Par respect pour nos collègues de la majorité au sein de la commission, nous étions restés sur certains aspects assez vagues. Mais maintenant qu'eux mêmes ont décidé qu'on ne lit pas le document, je pense que nous sommes totalement libres. Moi, en tant que président de la commission, je n'ai plus aucune raison de taire un certain nombre de faits. Donc, je m'en vais vous dire que jusqu'au jour où nous avons arrêté l'information, plus de 6 milliards ont été détournés suivant des volets différents.
Les détournement ont porté sur un volet fiscal. C'est-à-dire que c'est au niveau des impôts qu'on a opéré les détournements. On en a également opéré au niveau de la douane, des matières premières dont la société a besoin pour tourner, essentiellement au niveau du carburant qu'on a surfacturé… Nous avons compris comment cela s'est passé. Nous connaissons donc le montant.

A quoi à servi l'argent ?
D'abord, il faut dire que les gens qui sont en prison, c'est à dire essentiellement M. Sidy Mouctar Dicko, ancien directeur national des impôts, M. Malal Baldé, qui était un de ses collaborateurs au niveau des impôts, et M. Bokary Ly, qui était le secrétaire général de la compagnie, ce sont des fonctionnaires qui, en fait, quand on y regarde de très près, ont obéi aux instructions de leurs chefs hiérarchiques. En l'occurrence les ministres. Est-ce qu'un haut fonctionnaire qui obéit à son ministre pour se livrer à des détournements conformément à la demande du ministre a raison de le faire ou pas? C'est un problème qui est important qu'il faut clarifier. Mais le fait est qu'une partie de l'argent, c'est clair, a servi à financer le congrès du PUP de l'année dernière. Le montant existe. Une partie de l'argent a servi également à financier la campagne du président sortant à l'occasion des élections présidentielles du 14 décembre 1998. Cela aussi, c'est clair et le montant existe.
Cela, c'est du côté des impôts.
Je dois dire en toute honnêteté que même le ministre qui a donné cette instruction à ces fonctionnaires, c'est parce que sans doute on le lui a demandé aussi en haut-lieu. On lui a dit qu'il faut tout faire pour trouver de l'argent pour financer le congrès du PUP et les élections présidentielles. Par exemple, au congrès du PUP on a fixé cela à 200 millions. Sûrement qu'ils n'ont pas eu besoin de 200 millions pour faire ce congrès, mais on ne doute pas que certains au passage se sont servis. Mais nous devons reconnaître, d'après ce que nous avons vu au niveau de ce ministère-là, nous n'avons pas vu une somme détournée au profit du ministre.
Cela je dois le dire. Peut-être qu'il y a eu des techniques plus subtiles, plus fines, je n'exclus rien du tout. En tout cas, à ce niveau, les gens qui ont été interrogés n'ont pas dit que l'argent qu'ils ont amené, c'est pour le ministre. C'est essentiellement pour des besoins de la politique du régime en place.
Par contre, l'argent qui est parti du côté du ministère des mines et de la géologie, c'est clair, c'est net. Plusieurs centaines de millions ont servi à financer des constructions de villas personnelles du ministre des mines et de la géologie, M. Facinet Fofana, à Forécariah, à Dabompa, à Bonfi, à Mafanco, à Lambandji. Donc, à ce niveau-là, c'est une opération crapuleuse qui a été montée. Même dans la villa ministérielle qu'il occupe à Donka, une partie de l'argent a servi aussi à refectionner cette villa là, à mieux l'équiper. Il y a là détournement au profit d'une personne qui se trouve être un ministre. Tout cela sort directement des informations que nous avons pu recueillir. Le document est celui de M. Hervé Vincent Bangoura, qui a mené des interrogatoires dans une des villas de la cité de l'OUA à Kaloum. Le document est tombé entre nos mains depuis très longtemps... Vous voyez, c'est un rapport de synthèse adressé à la haute attention de Son Excellence Monsieur le Président de la République. Moi, je pense que le ministre en question pour une question d'honneur et de dignité devrait dans un pays normal, adresser sa lettre de démission au Président de la République quand on a découvert qu'il a fait tout cela. Le Président de la République a sûrement lu ce document que M. Hervé Vincent Bangoura lui a envoyé. Moi, à la place de ce ministre, je n'aurais pas attendu que le Président me démette de mes fonctions. Il devrait en toute logique aller donner sa démission au Président parce que c'est honteux, c'est gênant et c'est vraiment pas honorable…

Au delà d'une simple démission de la part du ministre des mines, ne pensez-vous pas qu'il faille intenter des procès ?
Cela n'est pas de notre ressort. C'est au gouvernement de prendre ses responsabilités, comme il semble d'ailleurs vouloir le faire à la demande du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale, et à la demande de nos partenaires étrangers. Tous les bailleurs de fonds qui aident la Guinée ont demandé que désormais, ceux qui détournent soient arrêtés et jugés et de façon transparente. A vu et au su de tout le monde. C'est ce qui ressort d'un document émanent du Fonds Monétaire International. Maintenant comme dans certains pays, regardez ce qui s'est passé en France, le ministre des finances, un homme très puissant là-bas, M. Dominique Strauss Kahn dit qu'il a été même soupçonné non pas d'avoir détourné, mais d'avoir été payé en tant qu'avocat avant de devenir ministre, dans une affaire qui ne semblait pas très régulière, l'affaire de la MNEF. Il n'a pas attendu que le Premier Ministre ou le Président de la République en France lui demande de démissionner. C'est lui-même qui en a pris l'initiative immédiatement, puisqu'il est soupçonné. Pour se présenter devant la justice. Alors dans notre système ici, suivant nos institutions en Guinée, un ministre ne peut pas être jugé par les tribunaux ordinaires s'il s'agit d'une affaire qui relève de ses fonctions. Par contre, il y a une haute cour de justice dans laquelle siègent à la fois des magistrats professionnels et des députés. Mais moi, ce n'est pas mon domaine de dire qu'on doit le juger ou ne pas le juger. Où et quand on va le juger?

Que pensez-vous de la situation économique actuelle de notre pays?
C'est dommage! Le gouvernement semblait nous dire que tout est mieux dans le meilleur des mondes possibles. Que sa gestion est très bonne. Qu'elle est même louée par le F.M.I. et la Banque Mondiale. Même lorsque le Président Conté est revenu des Etats-Unis, la radio et la télévision guinéennes n'ont cessé de clamer haut et fort que le F.M.I. et la Banque Mondiale étaient totalement satisfaits de la gestion du gouvernement. Nous étions sceptiques. Parce qu'on sait que, sans doute, il y a un problème au niveau de la rentrée des recettes. Parce que le F.M.I. exigeait que le gouvernement accroisse ses recettes. Parce que cette année, le dérapage a commencé pratiquement depuis le mois de mars dernier. Les recettes rentrent difficilement. Le gouvernement aurait promis de faire le nécessaire. Mais ces derniers temps, il y a eu cette affaire de l'augmentation des salaires des fonctionnaires, les fameux 7%. Je pense que ce sont des gens à l'intérieur du gouvernement qui, voulant saboter le ministre des Finances, ont attendu qu'il aille négocier notre dette vis-à-vis de la Russie. Pour amener le Président Conté à augmenter immédiatement de 7% le salaire des fonctionnaires. Alors que les accords qui avaient été négociés avec le F.M.I. portaient sur une augmentation simplement de 4%. Les 3% devraient être versés aux pensions des retraités. Indépendamment de ce problème des salaires qui fait déborder le vase, le F.M.I. avait demandé au gouvernement de faire la lumière sur tous les vols et sur tous les détournements. Ça n'a pas été fait. Donc, non seulement il y a un contentieux avec le F.M.I. au niveau des salaires, de la faiblesse des recettes qui entrent dans les caisses de l'Etat, mais il y a aussi le fait que le gouvernement, jusqu'à présent, n'a pas suivi les recommandations du F.M.I. et de la Banque Mondiale, qui exigent que tous ceux qui détournent d'abord cessent de détourner. Et que ceux qui sont pris soient jugés. Ça n'a pas été fait. Donc, il faut bien lier la suspension du programme du F.M.I. avec la Guinée suite à tous ces problèmes de détournements et à leur impunité.

L'horizon devient sombre pour la Guinée avec cette suspension…
Lorsque le Fonds Monétaire arrête son programme, les autres bailleurs de fonds le suivent. Ils attendent généralement le feu vert de cette institution pour pouvoir aider un pays. Alors, si le dossier de la Guinée n'a pas été présenté au Conseil d'Administration maintenant, je pense que le prochain conseil d'administration aura lieu peut-être au cours du premier trimestre de l'an 2000. D'ici-là, nous aurons de très mauvais moments à passer. Et même en ce temps-là, il va falloir savoir si nous allons pouvoir remplir les conditions posées par le F.M.I. pour pouvoir reprendre le programme. C'est peu probable en réalité.

Propos recueillis par Benn Pepito


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