Les Guinéens, comme en décembre 1993, ont encore vécu l'ambiance folle des élections présidentielles pluralistes avec son cortège de morts, de blessés, de pillage et de vives tensions ethniques. Pourtant, ces élections sont censées consacrer la rupture avec un passé politique dominé par le cynisme, l'iniquité et l'exclusion. Mais cette seconde expérience à l'instar de la première se résume dans les propos, désormais célèbres, tenus par l'ex-président Congolais Pascal Lissouba : « On n'organise pas des élections pour les perdre » .
Ainsi les moyens très souvent contraires à la démocratie sont employés pour assurer l'élection du candidat sortant. L'objectif visé s'inscrit davantage dans une logique de réaménagement du système existant que dans une perspective de sa remise en cause véritable. Tout laisse à croire que chez nous les élections sont perçues par les dirigeants comme un simple moyen de légitimation d'un pouvoir confisqué au nom de l'ordre et de l'intégrité territoriale.
Que devrait-on retenir de ces consultations du 14 décembre 1998 ? D'abord une certitude : par leurs prestations en campagne, aucun des cinq candidats n'a répondu effectivement à l'attente du public. Ils ont eu en commun l'orgueil de la forte mobilisation et tous ont procédé à une dupe par caméra au lieu de présenter et d'éduquer les électeurs sur un programme de société précis. Comme si le critère d'éligibilité dépendait du rassemblement d'un grand nombre de personnes à un meeting. S'éloignant ainsi et très loin des problèmes cruciaux tels que le chômage, la santé, l'éducation, l'insécurité, le droit, le vol de deniers de l'Etat, le népotisme, etc. Les candidats ont épuisé tout leur temps d'antenne à répondre à des insinuations, en implorant tout de même les électeurs à leur accorder massivement de voix.
Ensuite, les situations que nous avons vécues tant dans les préparatifs, le déroulement et la centralisation des résultats de ces élections assombrissent l'image de notre pays. Au point de corroborer l'afro-pessimisme, d'accréditer l'idée que la démocratie serait un luxe pour le continent, ou encore de donner raison aux partisans d'une démocratie spécifique « à l'africaine » .
C'est dommage pour la Guinée, que le jeu politique reste encore gouverné par des caciques de la dictature « révolutionnaire » , qui ne voient plus d'inconvénients à se proclamer « démocrates » pour se conformer au nouveau lexique de la scène internationale. C'est encore triste, car l'opposition qui constitue le plus grand espoir continue de briller par son manque d'initiatives constructives, piaffant d'impatience à la porte du pouvoir. Cette fois, il n'y a guère eu de surprise, l'opposition guinéenne a aidé à préparer le lit de son propre échec. Sinon comment peut-on comprendre que cette opposition puisse accepter des élections organisées dans la confusion la plus nette et dans le même contexte qu'il y a cinq ans :
Bref, il est clair que prendre part aux élections dans ces conditions c'est bien se livrer à « l'abattoir ». Seule l'existence d'une commission électorale indépendante peut être un gage certainà une consultation crédible. En Guinée, une telle structure pourrait veiller
Ceci pour éviter les quêtes de dernière heure auprès de la communauté internationale qui transforme l'éventail des possibilités de fraude.
C'est malheureux pour les agences de coopération du Nord et les institutions internationales qui ont dépêché des observateurs à l'occasion de ces scrutins. En se fiant au rapport final qu'ils ont concocté, n'ont-ils pas joué le rôle d'une complicité active dans cette manigance en vue de faire plaisir à un gouvernement en quête de confiance et de légitimité? Ou bien pensent-ils que s'agissant de la Guinée, la démocratie n'a pas le même sens qu'ailleurs? La démocratie telle que nous l'avons apprise a partout les mêmes éléments constitutifs :
Enfin, tous les Guinéens doivent comprendre que la démocratie est d'abord un état d'esprit, mieux : une culture. Elle suppose l'existence d'une opposition à part entière. Il convient alors qu'elle puisse s'exprimer et jouer pleinement son rôle au sein des institutions de la République : Médias, Assemblée Nationale, mais aussi partout sur le territoire national.
Ici, le gouvernement « démocratique » en place n'autorise une prise de parole de l'opposition qu'en de rares occasions, notamment lors des élections présidentielles. Au nom de la déontologie, parce qu'il ne doit pas écrire « n'importe quoi » , un journaliste se retrouve souvent en prison, condamné à une forte amende. C'est pourquoi la société civile, force régulatrice du jeu démocratique, doit s'impliquer davantage dans la vie politique, en se donnant les moyens d'agir, sur une base non partisane, à travers la création de réseaux nationaux, régionaux et internationaux. Malheureusement, une bonne partie des élites guinéennes s'est illustrée non seulement en désertant les lieux de la connaissance et de diffusion du savoir, préférant les allées du pouvoir beaucoup plus rémunératrices.
Quel désarroi !
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