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Presse écrite


Affaire Friguia.
De curieuses “failles” qui troublent…

L'Indépendant N° 151 — 29 novembre 1999


Le scandale financier découvert à Friguia occupe l'essentiel de l'actualité ces derniers jours. Il a provoqué une polémique monstre où chaque partie tente visiblement de tirer son épingle du jeu. C'est le constat troublant qui s'impose en passant en revue certaines pièces réunies jusque-là. Pour le moment, nous nous limitons au volet fiscalité. Aussi, nos remarques ne prennent pas en compte le second rapport de la Commission Hervé Vincent Bangoura.
Depuis le début de cette affaire, plusieurs documents ont circulé. Il y a notamment celui des enquêteurs du ministère des Finances — que nous n'avons pas obtenu —, très vite “mis à l'écart” au profit de celui de la Commission Hervé, désignée par le Chef de l'Etat, avant que le rapport de la commission parlementaire des Mines dirigée par Siradiou Diallo ne vienne se mêler de la danse. Au moment où tout le monde croyait définitif le mutisme des deux ministres “cités” dans le scandale, surtout après l'arrestation de Bocar Ly, Dicko et autres Malal Baldé, Facinet Fofana, ministres des Mines et Géologie, rompt le silence pour afficher clairement sa position. Mais dans tous ces documents (en considérant l'interview du ministre des Mines comme une pièce à conviction), nous avons relevé de curieuses “failles”.

Confusion dans les chiffres, contradictions, prises de positions hâtives, et zones d'ombre nous ont amenés à nous poser certaines questions importantes…

La confusion dans les chiffres
Les chiffres concernant le montant du redressement fiscal, communiqués dans cette affaire sont différents, selon les sources. Pour la Commission Hervé, en tout cas selon le premier rapport de synthèse, le contrôle fiscal de la société Friguia portait sur un montant de 2 084 000 000 FG. Selon ladite commission, 521 000 000 FG avaient été payés en 1993, ce qui conduisait à un reliquat de 1 563 000 000 FG. Après réclamation de la direction nationale des impôts, un paiement de 500 000 000 FG fut effectué, en 1997, ramenant le montant dû au fameux 1 063 000 000 FG. Le rapport, citant Dicko, précise que c'est ce montant qui aurait fait l'objet de paiement aux comptes de trois sociétés privés “pour satisfaire la demande du ministre des Finances” — Ndlr : selon Dicko, cette demande était relative au financement du congrès du parti au pouvoir, le Pup, estimé à 200 000 000 FG —. Tous les autres détails ont été mentionnés dans nos précédentes éditions.
Pour la commission parlementaire des Mines,

« En 1993, Friguia et le ministère des Finances sont convenus par un accord transactionnel que le paiement de 500 000 000 FG aux impôts réglait définitivement un redressement fiscal de 2 063 000 000 FG établi par le directeur national des impôts. Friguia ayant payé les 500 000 000 FG, le reliquat égal à 1 563 000 000 était donc éteint. »

Le rapport de l'Assemblée poursuit :

« Profitant de l'arrivée des syndics à Friguia de juin à décembre 1997, les impôts réclamèrent à nouveau le paiement des 1 563 000 000 FG en adressant à Friguia un rôle en date du 16 septembre 1997. Un chèque de 500 000 000 FG fut effectivement payé par Friguia et viré en compte des impôts à la Banque centrale. Le solde réclamé, soit 1 063 000 000 FG fut payé par manipulation de chèques à des sociétés-écrans (…) »

La version du ministre des Mines, publiée dans “L'Indépendant Plus N°150”, apporte un peu plus de confusions dans cette bouillabaisse. Selon Facinet Fofana, tout au moins en ce qui concerne la fiscalité, il y a deux dossiers. Un premier de 1 063 000 000 FG et un second de 1 119 000 000 FG. En additionnant ces deux montants, on aboutit à la somme de… 2 182 000 000 FG. Pourquoi pour la même affaire les sources communiquent-elles trois chiffres différents ? C'est la première “faille”.

Contradictions et zones d'ombre
En ce qui concerne ce chapitre, nous avons fait des remarques au niveau du premier rapport de synthèse de la Commission Hervé, du rapport de l'Assemblée et à propos de l'interview du ministre des Mines. Concernant les 130 millions FG remis à l'électricien Sékou Sylla qui, à son tour, a indiqué les noms des bénéficiaires :

la Commission Hervé écrit clairement, à la page 11 du rapport

« (…) Ces remises de fonds des cent trente millions (130 000 000 FG) de francs virés dans le compte de Sékou Sylla ont été reconnues et confirmées par les bénéficaires qui disent tous évoluer dans les chantiers du ministre des Mines. »

Plus loin, on lit :

« Nous disons que Diallo Ibrahima Diogo et Lazare Camara n'ont pas été entendus sur les montants de 65 millions et 30 millions qu'ils auraient respectivement reçus sur les 463 millions FG (…) »

Pourquoi ? Comment la commission peut-elle alors dire qu'elle les entendus tous ? Mieux, en reprenant le calcul, sur la base des chiffres communiqués à la commission par Sékou Sylla, on aboutit à 120 000 000 FG. Où est la différence (10 millions) ? Comment se justifie-t-elle ? Aurait-elle servi à “acheter” des Splits (partages) et autres goulottes ? Seconde “faille”.

Le rapport de l'Assemblée se distingue par ses contradictions. A la page 9, il est écrit :

« (…) Monsieur le ministre des Mines, de la Géologie et de l'Environnement persiste comme son collègue de la Justice à confondre notre commission générale avec une “commission d'enquête parlementaire”. Ce qui permet d'habiller son refus de nous communiquer le rapport d'audit effectué par Price Waterhouse Coopers d'une vernis légal (…) »

A la page 50, il est mentionné ceci :

« Un second audit fut commandé à Price Waterhouse Coopers, l'auditeur attitré de Friguia, qui reçut mandat d'approfondir et d'étendre ses investigations, y compris sur la période précédant le redressement judiciaire. C'était en septembre 1998.
L'audit a mis en évidence d'importantes malversations commises sur l'ensemble de la période considérée, et en a décrit les mécanismes. (…) D'autres investigations furent alors menées à la Douane où des détournements de fonds plus importants encore allaient être découverts, puis précisés par Price. »

A la page 55 et 56, les choses deviennent plus évidentes :

« L'auditeur Price Waterhouse a vite découvert l'astuce et l'a expliqué comme suit :

Au vu de tous ces détails précis, la commission parlementaire peut-elle prétendre n'avoir pas eu “accès” au rapport de Price Waterhouse ? Pourquoi a-t-elle voulu maquiller l'évidence ? C'est la troisième “faille”.

Pour sa part, le ministre Facinet Fofana s'en prend violemment au Rapport Hervé. Son irritation est manifeste alors que, à notre sens, elle ne se justifie pas. Car les troisième et quatrième paragraphes du rapport Hervé sont on ne peut plus précis.

« Mis en cause par leurs ouvriers collaborateurs dans le détournement de un milliard zéro soixante trois millions (1 063 000 000) de francs, nous pensons qu'une confrontation pourrait se faire dans le cas où l'autorité la jugerait nécessaire entre les deux en vue de permettre aux deux Ministres mis en cause, de confirmer ou infirmer les allégations de leurs accusateurs. Nous n'émettons ici que des observations, les conclusions ne pouvant être faites qu'après avoir confronté les parties en cause. »

Les termes sont clairs, nets et précis. Pourquoi le ministre des Mines “s'énerve-t-il” alors qu'il sait pertinemment — tout comme son homologue des Finances — qu'il n'a pas été entendu par la Commission Hervé ? Pourquoi vouloir faire croire que la Commission Hervé a tiré des conclusions définitives ? Pourquoi véhiculer l'idée selon laquelle la fuite du rapport a été délibérément “organisée” par la Commission Hervé ? Quatrième “faille”.

Autre remarque, dans l'affaire d'Alumina Company of Guinea, la réponse du ministre est bien évasive. Alors que la question :

« C'est quoi la société ACG, Ltd. J'ai appris que vous avez des actions au sein de cette société » est précise.

Répondre que :

« C'est très simple, c'est la société qui a été créée pour gérer Friguia. Maintenant, si “L'Indépendant Plus” est interessé par des actions, il faut le dire à votre directeur de publication, qu'il peut acheter des actions. Ce n'est pas interdit… »

prête à équivoque. Or, on se demande si la fonction de Facinet Fofana lui permet d'être actionnaire dans une telle société. Une zone d'ombre qui mérite d'être éclaircie…

Sami Souaré


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