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Economie formelle


« Vers une croissance à deux chiffres »

Interview de Ibrahima Kassory Fofana
ministre de l'Economie et des Finances
Jeune Afrique Economie
N° 283 — 15 mars au 4 avril 1999, pp. 148-155


Introduction

A la fin de décembre 1999, la Guinée aura achevé un programme triennal complet d'ajustement structurel. Ce sera une performance sans précédent qui ouvrira la voie à un approfondissement du dialogue avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale en vue d'un règlement durable de la dette extérieure du pays et à une croissance économique à deux chiffres.

I. Kassory Fofana

Après des années de rendez-vous manqués, de négociations interrompues, de tiraillements, les autorités guinéennes et les institutions de Bretton Woods ont conclu, au cours du dernier trimestre de 1996, un accord au titre de la Facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR) sur la période 1996-1999 ayant pour objectif le rétablissement des grands équilibres économiques et financiers, préalable indispensable à toute politique de croissance saine et durable. Cet accord a été approuvé par le conseil d'administration du FMI le 13 janvier 1997.

Les deux premières années du programme ont permis de procéder à de profondes réformes :

Un document-cadre de politique économique (DCPE) a été mis sur pied pour créer un environnement incitatif au développement du secteur privé.

Des résultats encourageants ont été obtenus. La croissance économique a été soutenue, passant de 4,4 %, en 1995, à 4,6 % par an en moyenne durant la période 1996-1997, même si elle a ralenti pour descendre à 4,3 %, en 1998, au lieu des 4,9 % initialement prévus dans le programme. Ce changement de vitesse résulte, selon le dernier DCPE, « en grande partie du recul des importations taxables et des dépenses en capital sur financement intérieur » . Toujours est-il que le produit intérieur brut (PIB), principal indicateur du tableau de bord de l'économie d'un pays, a grimpé de 3,2 milliards de dollars, en 1995, à 4,2 milliards, en 1998 (à comparer à l'encours total e la dette extérieure évalué à 3 milliards, soit 73 % du PIB). L'inflation a été réduite de 5,6 %, en 1995, à près de 3 %, en 1996, et à moins de 2 %, en 1997, pour remonter à 5,1 %, en 1998.

D'une façon générale, les contre-performances observées en 1998 s'expliquent par le fait que cette année « a été marquée par la préparation de l'élection résidentielle du 14 décembre et le ralentissement de l'activité économique associé à une détérioration sérieuse de la sécurité dans la sous-région, ainsi que ar la baisse des prix mondiaux des exportations guinéennes » , indique-t-on dans le DCPE, datant du février 1999. La dépréciation de l'indice des prix est due aussi à la conjonction des fêtes de fin d'année, du ramadan (toujours marqué par une hausse des prix des biens de grande consommation) et à des variations du taux de change et de la masse monétaire. Le franc guinéen a baissé de plus de 12 % par rapport à la devise américaine en 1998, pour s'établir en moyenne à 1232,8 francs guinéens (FG) pour 1 dollar (contre 1099,9 FG en 1997).

En signe d'approbation des progrès accomplis dans la régularisation du service de la dette extérieure entreprise depuis la mi-1997, les bailleurs de fonds réunis au sein du groupe consultatif de la Banque mondiale, à Paris, en juin 1998, se sont engagés à apporter à la Guinée un appui financier de 1,972 milliard de dollars sur la période triennale 1998-2000. Ce montant correspond à 722 millions de dollars sous la forme de remise de dette (soit 37 % du total) et le reste à 28 % en confirmation d'engagements antérieurs et à 35 % en engagements nouveaux.

« L'année 1999 s'annonce difficile pour la Guinée, prévient l'aide-mémoire de politique économique et financière du gouvernement destiné au FMI, n raison de la conjoncture économique mondiale et s risques liés à l'évolution des conflits existant dans es pays. » Malgré tout, les autorités sont résolues à poursuivre les réformes structurelles, en particulier ans l'assainissement des finances publiques. Les révisionnistes guinéens tablent sur un taux de croissance économique de 5 % en 1999, revu à la baisse e 0,5 % en raison de la mauvaise conjoncture économique internationale attendue.

« La croissance prévue devrait provenir d'une augmentation de la valeur ajoutée des secteurs de l'agriculture et de la pêche, de l'eau et de l'électricité en particulier avec l'achèvement du barrage de Garafiri), ainsi que de celui des transports. Le programme vise à réduire l'inflation, mesurée par l'indice des prix à la consommation à Conakry, à 4 % en moyenne sur l'année, à contenir le déficit du compte courant de la balance des paiements (hors transferts officiels) à 7,3 % du PIB, et à maintenir des réserves brutes de change équivalentes à 3,5 mois d'importation environ. »

Le dernier examen à mi-parcours du programme d'ajustement 1996-1999, prévu pour la fin du mois d'octobre 1999, sera décisif. La non-accumulation de nouveaux arriérés de paiement sur la dette extérieure en constituera le principal critère de performance. Cette revue dira si l'an 2000 marquera le tournant attendu par les Guinéens, celui de la haute route vers la croissance à deux chiffres espérée vers 2010.

Franc, chaleureux, direct, Ibrahima Kassory Fofana, la quarantaine scintillante, économiste du meilleur cru de l'université Gamal Abdel Nasser de Conakry et grand argentier du gouvernement guinéen, s'en dit persuadé, lui qui ne compte plus ses navettes entre Conakry et les hauts lieux de la finance internationale. Entre Paris, qui abrite le Club des pays créanciers, Washington, siège des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale), et Monaco, où il a participé au Forum de l'économie qui s'y tient tous les ans, il a trouvé un moment pour nous conter par le menu, dans l'interview qui suit, les modalités de règlement de la dette guinéenne.

Si Ibrahima Kassory Fofana a les yeux fixés sur les grands équilibres économiques et financiers, il ne perd pas de vue pour autant que l'agriculture, plus que le potentiel minier, sera la source principale du développement de son pays. En cette avant-dernière année de la décennie et du siècle, il met l'accent sur l'opportunité qui se présente plus que jamais d'emprunter la route de la croissance forte.

Jeune Afrique Economie : Après de multiples échecs, la Guinée a finalement renoué le dialogue avec le FMI et la Banque mondiale, sur la base d'un programme d'ajustement mis sur pied en octobre 1996. Comment a-t-il évolué depuis lors ?
Ibrahima Kassory Fofana : Le programme tient a route depuis deux ans. Nous avons passé cette période avec brio et nous avons entamé la troisième et dernière année avec confiance. Le programme se déroule normalement, malgré quelques difficultés.

La dernière mission du FMI, en février 1999, sur l'examen à mi-parcours du programme, vous a délivré un satisfecit, mais avec quelques réserves…
La mission a abouti au constat selon lequel notre équipe économique s'est bien tirée des deux premières années de programme, en ce qui concerne les objectifs globaux. Mais, nous avons rencontré, il est vrai, quelques difficultés. Celles-ci portent d'abord sur la mobilisation des recettes non-minières. Le second semestre de 1998 a été difficile à cause de l'attentisme des opérateurs économiques en raison de l'élection présidentielle. Les recettes douanières ont été en deçà des prévisions. Cela a été accentué par le manque à gagner sur les revenus miniers du fait de la dépression des cours mondiaux de la bauxite. Le tout a conduit à des moins-values globales de l'ordre de 31 milliards e FG. C'est certainement la défaillance majeure qui a été constatée.
Cette difficulté est à relier au contexte international. La crise asiatique a eu pour effet la contraction de la demande de produits de base. La Guinée, dont les recettes d'exportation reposent pour l'essentiel sur les mines a été frappée de plein fouet. Le niveau projeté de la croissance du PIB de 5 % n'a pas été atteint. La croissance économique s'est limitée à 4,7 %. Il en est même du niveau prévu des réserves de change qui n'a pas été atteint non plus. Voilà les deux principales difficultés que nous avons rencontrées. Globalement, tous les autres objectifs quantitatifs auront été atteints.
Notamment l'excédent budgétaire primaire [hors service de la dette extérieure] qui a été de 2,7 % du PIB en fin d'année, contre une prévision de 2,6 %, ce qui présente un mieux appréciable. Le niveau d'endettement du Trésor public vis-à-vis du système bancaire été contenu dans les proportions fixées par le programme. L'ensemble des réformes structurelles a été exécuté, à la satisfaction de la mission du FMI.

Qu'avez-vous obtenu, en termes de soutien financier, de la part du FMI et de la Banque mondiale ?
La dernière revue nous donne accès à la 4è tranche annuelle au titre du tirage sur la quote-part, soit 7 millions d'unités de compte (UC). Du côté de la Banque mondiale, nous avons pu tirer, en décembre 1998, la dernière tranche du crédit d'ajustement structurel pour un montant de 25 millions de dollars. Cela dit, la troisième année du programme d'ajustement dont les contours viennent d'être fixés d'un commun accord avec la mission du FMI et qui vont être présentés au conseil d'administration du Fonds à la fin de ce mois de mars supposent des apports bilatéraux et multilatéraux pour combler le gap [écart] financier du programme. Ce gap est de 190 millions de dollars, entièrement couvert, à l'exception d'un solde d'environ 11 millions qui reste à rechercher, soit en termes de rééchelonnement de la dette, soit en termes d'apport en argent frais de la part de l'Union européenne, de la Banque mondiale ou des bailleurs de fonds bilatéraux.

Vous avez évoqué la crise asiatique et la forte dépendance de la Guinée à l'égard des produits miniers. La conjoncture n'étant pas en passe de s'améliorer, anticipez-vous des conséquences négatives sur l'économie guinéenne dans les mois à venir ?
Nous avons revu les projections macro-économiques pour tenir compte des effets de la crise asiatique. C'est pourquoi la croissance projetée ne sera que de 5 % en 1999 au lieu de la prévision initiale de 5,5 %. Car la dégradation des cours des produits miniers pourrait entraîner un manque à gagner sur les recettes d'exportation de l'ordre de 15 millions de dollars. Sans compter que toutes les activités liées à celles des entreprises minières seront limitées du fait de cette situation.

N'est-ce pas la structure de la dette guinéenne, plus que son encours, qui constitue le handicap majeur pour l'économie du pays ?
La dette extérieure de la Guinée a trois composantes essentielles :

Cette dernière représente 49 % de l'encours global alors qu'elle était jusqu'à présent non-rééchelonnable. La dette bilatérale envers le Club de Paris a été restructurée selon les conditions dites de Naples. Si nous exécutons, comme nous l'espérons, la troisième année du programme d'ajustement actuel, nous bénéficierons d'une nouvelle réduction du stock restant de cette dette bilatérale.
En ce qui concerne la dette commerciale, nous avons conclu, en avril 1998, un accord de buy-back soutenu par la Banque mondiale avec une décote de 87 % sur un montant global de 130 millions de dollars. Près de 90 % de ce stock a d'ores et déjà été restructuré. Tout cela a abouti à alléger la dette. Nous espérons accéder à la dernière facilité dans le cadre de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). La mission FMI-Banque mondiale de février à Conakry avait sur son agenda la revue de la structure de la dette guinéenne afin de pouvoir plancher sur l'éligibilité du pays à cette facilité.

L'accès à la facilité PPTE est soumis à une conditionnalité particulière. La Guinée peut-elle y satisfaire ?
Il y a deux conditions-clés. Lune d'elles suppose que le ratio de la dette par rapport aux exportations totales est supérieur à 200 %. Selon la seconde condition, le pays doit avoir accompli avec succès un programme de la FASR sur trois ans au moins. Nous en sommes à la deuxième année de ce programme. La troisième année s'achève à la fin de décembre 1999.
Nous avons bon espoir d'y arriver dans les lignes de l'éligibilité afin d'accéder à cette facilité pour réduire la dette institutionnelle qui a effectivement une part prépondérante dans notre dette globale.

L'éligibilité pourrait-elle être acquise à partir de décembre 1999 ?
Non. Cependant, pour la première fois, nous allons accomplir trois années de programme d'ajustement avec succès. En ce qui concerne la revue globale du portefeuille de la dette, elle va être basée sur une collecte complète des statistiques de l'endettement global.
A partir de l'an 2000, on pourra commencer à parler de l'éligibilité de la Guinée à la facilité PPTE. C'est long. Même les pays qui sont pressentis n'ont jusqu'à présent pas eu gain de cause. Car il ne suffit pas d'être déclaré éligible. Il y a ensuite à fixer la date de prise de décision, puis la date de prise d'effet. Cela peut durer trois ans, à moins que la procédure pour cette facilité ne soit améliorée.

Des discussions sont en cours entre les bailleurs fonds au sein du G7 sur la dette des pays pauvres. Pensez-vous qu'elles puissent aboutir à quelque chose de favorable à l'allégement de cette dette et plus vite que l'initiative PPTE ?
Certains pays, notamment la France, poussent avec ferveur dans le sens de cette nouvelle initiative. Mais je ne suis pas sûr que le président Jacques Chirac soit écouté avec la même détermination par les autres membres du G7. Il faut se rappeler que le discours de La Baule de François Mitterrand en faveur une réduction substantielle de la dette avait fait grincer des dents. Mais par la suite, toutes les formules d'allégement de la dette avaient été améliorées.
Espérons qu'il en sera ainsi des discussions actuelles.

A quoi correspond exactement la remise de dette que vous avez obtenue auprès du Club de Paris ?
Nous émargeons aux conditions dites de Naples. Cela veut dire 50 % d'annulation pure et simple de l'encours de la dette et 50 % de remise en termes de rééchelonnement sur vingt-trois ans, ce qui libère des ressources financières pour d'autres actions dans le cadre du développement.

Quel est le service actuel de la dette guinéenne ?
Environ 120 millions de dollars par an. Si nous parvenons à agir sur le stock de la dette en l'an 2000 et si nous accédons à l'initiative PPTE, notre dette institutionnelle sera considérablement réduite. A ce jour, avec les projections dont nous disposons suivant les schémas actuels de règlement négocié, le service de la dette a tendance à croître. D'où la nécessité d'agir pour l'alléger davantage.

La Guinée a, de toute évidence, une vocation minière. Va-t-elle s'en tenir à l'exportation en l'état sans transformation, de sa bauxite et de son alumine ?
C'est vrai que nous avons des avantages comparatifs dans le domaine minier. La Guinée recèle les deux tiers des réserves mondiales prouvées de bauxite, auxquels quoi s'ajoutent du minerai de fer, de l'or, du diamant… Mais cela ne suffit pas. A titre d'exemple, pour passer au stade de l'alumine puis à celui de l'aluminium, il faut, outre la matière première, c'est-à-dire la bauxite, d'autres facteurs de production : énergie en abondance, moyens de transport, ressources humaines de qualité. Par rapport aux pays concurrents, la Guinée n'est pas encore compétitive sur ce plan. Nous y travaillons. Des initiatives sont en cours. Des investisseurs sont intéressés par l'installation d'une usine d'alumine voire d'aluminium. Mais nous sommes au stade primaire des négociations. Nous n'en resterons certainement pas là. Tous nos efforts sont tendus vers des niveaux d'élaboration avancée de l'exploitation minière pour dégager plus de valeur ajoutée et pour fouetter le développement économique du pays.

Dans tous les plans de développement, on fait actuellement du secteur privé la base sur laquelle repose le développement. Qu'est-ce qui empêche ce secteur déjouer un rôle moteur en Guinée ?
Trois éléments essentiels permettent d'attirer l'investissement privé :

En Guinée, le cadre macro-économique a été assaini. Par exemple, l'inflation a été réduite à moins de 4 %. Sur le coût des facteurs, beaucoup de progrès ont été faits l'eau, l'électricité, le téléphone sont disponibles à des coûts pouvant rivaliser avec ceux des pays voisins, même si des améliorations peuvent encore être apportées en termes de quantité et de disponibilité qualitative. La mise en eau du barrage hydroélectrique de Garafiri, en juin 1999, permettra de fournir de l'électricité à bon marché.
Il y a, certes, à densifier le réseau de distribution d'eau pour aboutir à des économies d'échelle.
Sur le plan de l'environnement des affaires, nous avons codifié tous les secteurs porteurs d'une législation et d'une réglementation simples et applicables. Nous travaillons sur l'appareil judiciaire pour améliorer le climat des affaires en termes de droit. Tout cela est en ligne avec le train des mesures structurelles fixées dans le programme en cours et dont l'exécution devrait débarrasser l'économie des entraves qui gênent actuellement le développement du secteur privé.

Un autre moyen de développer le secteur privé est la privatisation du secteur public productif. En Guinée, certaines privatisations ont été faites hâtivement. Allez-vous revenir là-dessus pour mieux privatiser ?
On a cédé à la mode avec une dose de nationalisme qui n'a pas servi les affaires. Dans la première génération des privatisations, on s'est attaché à la valeur de reprise plutôt qu'aux conditions de continuation de l'activité. L'expérience a montré qu'on a fait l'erreur de chercher à gagner de l'argent en faisant des choix sur cette base, au lieu de s'assurer que l'outil que l'on privatise va dans des mains susceptibles de l'exploiter efficacement pour accroître la valeur ajoutée nationale. La première génération des privatisations a ainsi été globalement un échec parce qu'on a voulu que ce soit essentiellement des Guinéens qui héritent de ces entreprises. Dix ans après, la plupart de ces sociétés ne fonctionnent pas, les repreneurs ayant manqué soit de capitaux soit de savoir-faire soit des deux à la fois. L'affaire a capoté dans tous les cas de figure. C'est pourquoi, nous sommes en train de passer à une deuxième génération de privatisations dans le cadre de la FASR.

Quelles seront Les prochaines privatisations ?
La deuxième génération de privatisations va tenter de reprendre les entreprises qui n'ont pas fonctionné, auxquelles vont s'ajouter d'autres sociétés qui n'avaient pas été touchées, mais cette fois dans des conditions meilleures. On privilégiera l'efficacité et la qualité du repreneur sans tenir compte de son origine. On cédera les entreprises à ceux qui sont susceptibles de les faire marcher efficacement en termes économiques.

Quelles sont les entreprises qui pourraient intéresser d'éventuels repreneurs ?
Il y a d'abord le service de l'électricité. C'est la plus importante privatisation qui est en cours. La Banque nationale de Paris (BNP) a été retenue comme consultant pour traiter techniquement le dossier d'appel d'offres et aider le gouvernement dans l'adjudication de ce marché. Nous allons ensuite réduire le poids de l'Etat dans les entreprises déjà partiellement privatisées par la vente sur le marché de tout ou partie des actions qu'il porte.

Vous avez engagé une restructuration en profondeur dans le domaine des recettes douanières. Quels en sont les résultats ?
Nous sommes l'un des rares pays en Afrique à pousser la transparence jusqu'à privatiser la liquidation et le recouvrement douaniers, remis entre les mains d'une société privée, la SGS. On s'est donné les moyens de l'efficacité en matière douanière. On a parallèlement revu les exonérations abusives qui pesaient sur les recettes. Le tout a permis globalement d'aboutir à une amélioration des rendements douaniers annuels de l'ordre de 17 %, depuis deux ans que nous sommes en collaboration avec la SGS.

Escomptez-vous encore une amélioration continue ?
L'amélioration sera fonction de la lutte contre les exonérations que nous allons poursuivre, mais aussi de la rationalisation des méthodes de travail de la SGS pour mieux cerner les valeurs, les liquider et en assurer le recouvrement à 100 %.

A terme, la douane guinéenne a-t-elle vocation à reprendre les missions actuellement dévolues à la SGS?
J'entrevois ce terme dans deux ans, voire trois ans au plus.

Les rapports quotidiens entre les douaniers guinéens et les experts de la SGS sont-ils bien vécus ?
Pour être honnête, je répondrai par la négative.
Mais ils s'adaptent. Ce qui est important, c'est que nous allons mettre les deux années à venir à profit pour une meilleure organisation des services douaniers, une meilleure formation des agents, pour travailler sur les procédures douanières de telle manière qu'à l'issue du contrat de la SGS, les services soient en mesure, dans les meilleures conditions d'efficacité, de prendre la relève.

L'effort, dans le domaine de la fiscalité, ira-t-il au-delà de la limitation des exonérations ?
Il y a, certes, la réduction des exonérations. Mais il y a aussi la simplification fiscale. Les deux vont dans la même direction en termes de rendement, mais les moyens utilisés ne sont pas les mêmes. Pour les exonérations, il s'agit d'éliminer ce qui est abusif, alors que dans la simplification des procédures, il s'agit d'améliorer l'environnement réglementaire. Il faut que les opérateurs économiques puissent disposer de textes simples, intelligibles pour tous, facilement applicables, ce qui éliminerait la corruption. Nous allons dans les deux directions.

Les avances de la Banque centrale à l'Etat (le Trésor public) ne risquent-elles pas de noyer le circuit économique et financier et de menacer les équilibres macro-économiques ?
Lorsque l'Etat absorbe trop de ressources financières, cela veut dire qu'il en laisse peu au privé, à moins que ce ne soit par l'usage de la planche à billets avec les conséquences inflationnistes que vous connaissez. Il est vrai que, dans les années antérieures, la ponction de l'Etat sur le crédit disponible à l'économie était trop élevée. L'un des objectifs du programme en cours est non seulement de la réduire mais aussi de désendetter l'Etat à l'égard du système bancaire et de libérer les ressources pour le secteur privé.

Il y a eu une profonde restructuration du système bancaire guinéen. Mais il reste encore quelques banques illiquides. Comment les renflouer ?
Il n'y a plus de canards boiteux dans notre système bancaire. En 1998, nous avons recapitalisé toutes les banques en difficulté. Cette opération est terminée. Nous avons fermé l'une des banques qui connaissaient les difficultés les plus aiguës et qui a été jugée absolument insolvable, la Banque internationale pour l'Afrique en Guinée (BIAG). Son passif a été entièrement nettoyé, tous les déposants remboursés. Nous avons aujourd'hui un système bancaire assaini.
Pour éviter de retomber dans les errements du passé, nous avons développé l'inspection bancaire. Au niveau de la Banque centrale, des cadres de haut niveau, choisis par voie de test, opèrent ce contrôle avec des règles prudentielles très strictes

L'Etat va-t-il se retirer complètement du secteur bancaire en laissant le privé jouer pleinement son rôle ou rester actionnaire minoritaire ?
Il est déjà actionnaire minoritaire et il continuera de se désengager des banques pour qu'à terme, elles soient entièrement privées.

Sur le plan social, la situation de l'emploi est très préoccupante, en particulier celle des diplômés, qui connaissent un taux de chômage devenu insupportable. Ne risque-t-on pas d'atteindre bientôt un seuil fatidique ?
La situation de l'emploi est assez critique. Elle est le reflet des difficultés économiques dont nous sortons. L'Etat n'emploie plus qu'à la marge car son rôle été redéfini et limité à l'Administration au sens noble du terme. Il est clair que les diplômés sortant de l'université ne sont pas embauchés par la fonction publique. Ayant du mal à démarrer, le secteur privé ne le peut pas non plus. Au niveau de la fonction publique, les effectifs ont été stabilisés. Globalement, nous avons 50 000 fonctionnaires. Nous allons recruter, au titre du budget 1999, pour l'éducation, la santé et la sécurité, un effectif d'environ 3 000 personnes. En contrepartie, les départs à la retraite vont entraîner une relative stabilisation des effectifs. Parallèlement, nous sommes en train de faire des efforts dans le domaine de la compétitivité des facteurs de production, du cadre macro-économique et de l'amélioration du climat des affaires. Tout cela devrait inciter davantage le secteur privé à investir et à absorber l'offre supplémentaire de travail.

Le secteur agricole dispose d'un potentiel peu ordinaire. Peut-il devenir davantage créateur de richesse qu'il ne l'est à l'heure actuelle ?
La croissance économique guinéenne est tirée principalement par le secteur agricole. Celui-ci est appelé à jouer un rôle clé dans la diversification à la fois des recettes budgétaires et des recettes d'exportation. Il y a une dizaine d'années, nous étions absents du marché international du coton. Nous en sommes aujourd'hui à 40 000 tonnes, soit 40 millions de dollars de recettes d'exportation et des milliers de familles paysannes qui sortent ainsi de la pauvreté. Nous développons à l'heure actuelle le palmier à huile; nous sommes de retour sur le marché du café; les cultures vivrières connaissent un regain de faveur. Nous avons la ferme conviction que, dans les quatre à cinq ans à venir, la Guinée va revenir du bon pied sur le marché international des produits agricoles. C'est un secteur sur lequel nous comptons plus que sur les mines.

Croyez-vous à la transformation locale des produits agricoles ?
C'est une activité qui dépend de l'environnement général. Il y a quelques années, le pays était dépourvu de routes. Aujourd'hui, le réseau routier est très dense, de telle sorte que les centres de production agricole ont été désenclavés. Les conditions sont réunies pour la création d'unités de transformation agro-industrielles.

Quelles sont les grandes lignes du document prospectif qui a été soumis à l'approbation de l'Assemblée nationale et qui est intitulé « Guinée Vision 2010 » ?
C'est une vision globale, à l'horizon des dix à douze prochaines années, de l'évolution économique de la Guinée. Elle repose sur la levée des contraintes physiques, l'investissement sur les ressources humaines pour améliorer la scolarité, qualifier la main-d'oeuvre, mieux préparer l'économie aux besoins du marché. Sur le plan infrastructurel, ce plan prévoit les conditions nécessaires au développement du secteur privé par des investissements dans le domaine des routes, de l'électricité, de l'eau, du téléphone et par la réglementation transparente qui facilite le travail du secteur privé, le tout améliorant le taux de croissance économique qui devrait être à deux chiffres à l'horizon 2010-2012. A condition de diversifier l'économie, de libérer celle-ci des contraintes structurelles et physiques. Nous avons les moyens d'y parvenir en termes de ressources naturelles et de qualité des hommes.

Quel effet de levier l'intégration régionale peut-elle avoir sur le développement de la Guinée ?
Nous sommes partie prenante de toutes les initiatives d'intégration régionale, notamment au sein de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao). Il est vrai que la divergence dans les politiques économiques des Etats n'a pas permis d'accélérer le processus. De plus, les troubles dans plusieurs pays comme la Sierra Leone et la Guinée-Bissau sont des facteurs de déstabilisation. Mais, il y a des motifs d'espérance. L'arrivée au pouvoir d'un gouvernement civil au Nigeria devrait favoriser l'intégration. Certes, les pays de la zone franc, notamment ceux de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ont une longueur d'avance. Mais nous privilégions un engagement à moyen terme dans une intégration régionale plus élargie, au sein de la Cédéao.

Croyez-vous à la création d'une monnaie unique l'échelle de la Cédéao ?
A condition que tous les pays travaillent activement, par des politiques économiques saines, à la réalisation rapide de critères de convergence. Nous devrons consentir les mêmes sacrifices que les Européens.

Quel jugement portez-vous sur le phénomène de globalisation de l'économie mondiale ?
Pour nous, le défi de la globalisation se ramène à celui de l'intégration régionale. Nous sommes à des niveaux si faibles, si disparates en termes de politique économique, monétaire, fiscale, de structures de la production, nos économies sont si morcelées que nous ne tiendrons pas la route de la compétition sans l'intégration. Celle-ci n'est pas un simple voeu politique. Elle est une nécessité économique incontournable.

Structure des exportations en 1998
(en millions de dollars)

 
Produits miniers  
Bauxite CBG (Boké) 302,9
Bauxite SBK (Kindia) 16,3
Alumine Friguia (Fria) 89,9
Diamant 149,5
Or 99,8
Total produits miniers 658,4
Produits agricoles  
Café 21,3
Poisson 38,5
Autres 46,4
Total produits agricoles 106.2
Total exportations 764.6

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