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François Lounseny Fall


Les péripéties d'une démission

3 Mai 2004


Démission de François Lounseny Fall Sur les raisons fondamentales de sa démission, l'ancien premier ministre s'en est lui même longuement expliqué.

A Conakry, certains détails présageaient déjà ce coup de foudre politique.

Nul doute que François Lounseny Fall, après sa nomination, était animée d'une réelle volonté de servir loyalement et fidèlement le Général Lansana Conté. Aussi, il espérait que ce dernier réalisant l'état du pays était désormais déterminé à accepter une certaine forme d'ouverture. Il faut préciser que Fall, bien avant sa nomination, avait été sollicité par le secrétaire général de l'ONU. Le ghanéen Koffi Annan, qui avait eu tout le temps d'apprécier et d'évaluer Fall d'abord entant que représentant résident de la Guinée aux Nations Unies, ensuite entant que ministre des Affaires Etrangères et surtout lors de la présidence guinéenne du Conseil de Sécurité de l'ONU, souhaitait l'intégrer dans le dispositif onusien. Selon certaines confidences, le président des travaux du Conseil de Sécurité à la veille de la guerre contre le régime de Saddam Hussein en Irak, devait s'occuper, pour un premier temps, du dossier burundais avant de jouer d'autres rôles, de premier ordre dit-on, au siège de l'ONU à New York. Il semble que cette sollicitude du patron de l'ONU aura eu l'effet contraire en Guinée de faire de Fall, alors que peu d'observateurs l'attendaient, le favori de la course engagée pour la primature. Ainsi, à la demande officielle de Koffi Annan adressée au chef de l'Etat pour demander les services de Lonseny Fall, le Général Lansana Conté manifeste son refus par un acte officiel qui nomme François Lounseny Fall au poste de premier ministre. Il faut cependant dire que le Général avait certainement fait la proposition et demandé l'avis de Fall par rapport au choix qu'il portait sur sa personne. Après avoir consulté ses amis tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, il opte pour la primature. Le ministre Ivoirien des Affaires étrangères, un de ses amis, l'encouragera dans ce sens : « Vas y si ça ne va pas tu prends tes responsabilités »

« Je suis le seul Général, vous êtes tous des caporaux ».

C'est donc un homme enthousiaste, souriant mais reconnaissant vis à vis du Général et surtout conscient de la difficile mission qui l'attends qui arrive le 23 février 04 à la Primature. Avec l'accord du Chef de l'Etat, un train de mesures pour sortir du marasme est décidé. Mais dès la première phase d'application, le nouveau premier ministre constate que des blocages surgissent.
Ainsi, le monopole retiré à la SOGEPAM par le gouvernement est restauré par le Général. Les partenaires suspendent leur assistance à la Guinée. Après l'AFD, la Banque Européenne d'Investissement a décidé, la semaine dernière, de geler son programme d'assistance à la Guinée. Aussi sur le plan politique, Lonseny Fall qui misait sur les 260 millions d'euros d'aide de l'Union Européenne dans le cadre du 9e FED se heurte à l'obstacle présidentiel par rapport aux conditionnalités: la libéralisation des ondes et l'ouverture du dialogue politique avec l'opposition. Ainsi, la mission programmée à Bruxelles, le 14 avril 04, est annulée faute de réponses à fournir aux anciens 15 désormais 25 de Bruxelles. A Kankan où il effectue sa première sortie, du 8 au 11 avril 04, Fall tente de mobiliser l'opinion en faveur du chef de l'Etat. Mais, le premier ministre accompagné par de nombreux journalistes médite sur l'ampleur de sa tâche, s'interroge sur l'impact que pourrait avoir son action face aux premiers blocages présidentiels.
Durant les 4 jours qu'il passe dans sa ville, plus que jamais poussiéreuse et archaïque, le premier ministre, à ses moments de solitude, commence à réaliser que la primature ne sera pas une partie de plaisir. Ainsi, avant le retour à Conakry, le 11 avril 04, il implore la grâce divine et se trace une ligne de conduite : la démission contre l'humiliation et l'échec. Fall qui semble accorder un fort crédit à l'honneur, à la dignité mais aussi à la réussite de sa mission avait même juré, quoi qu'il advienne, de ne jamais chasser les bottes de son prédécesseur. Les jeux étaient ils déjà faits ?
Pas si sûr.
D'autant que le premier ministre, son séjour durant, s'était investit pour que Kankan ouvre son cœur au régime et s'engage dans le processus de développement engagé par le gouvernement. Mais de retour à Conakry, le premier ministre constate que les obstacles se multiplient. Pis, surgit l'affaire ''complot'' UFR. Par rapport à ce dossier, il marque dès le départ toute son opposition. Face à toutes ces situations, il décide d'engager l'offensive en direction du chef de l'Etat. A force d'insister sur les réformes annoncées, le Général, lors du conseil des ministres du mardi 20 avril 2004, oppose une vive réaction aux demandes de son premier ministre en des termes que Fall jugera «'très humiliants».
—Je suis le Général, vous êtes tous des caporaux. Vous exécutez mes ordres, c'est tout » rétorque sèchement le Chef de l'Etat.
Il est vrai que la même phrase avait été prononcée lors du tout premier conseil des ministre, le Mardi 9 mars 04. Mais à l'époque l'ambiance était très détendue et les propos présidentiels avaient la saveur humoristique. Pour le Mardi 20 avril, la reprise de la même phrase appuyée par d'autres et dans un climat tendu, signifiait pour le premier ministre, déjà dubitatif, ''la dernière fumée avant le feu''. C'est ce jour, avec un cercle très restreint de proches, que Lounseny Fall a définitivement pris la décision de se démettre. Même la visite surprise, le mercredi 21 avril 04, du Chef de l'Etat, le Général Lansana Conté à la primature, n'a pas eu raison de la secrète mais ferme décision du Premier ministre. Ce jour, le Général, après l'humiliation de la veille, s'était montré particulièrement bienveillant vis à vis de Fall auquel il avait même demandé de procéder à l'arrestation des chefs de quartiers accusés d'avoir détourné le riz destiné au ravitaillement des populations de Conakry. Mais, le Premier Ministre ne prête qu'une oreille trop éloignée à cet ordre présidentiel. La décision de démission prise, il faut la gérer dans la totale discrétion. Cependant, le Premier Ministre a tout de même révisé son emploi du temps de travail. Alors qu'il ne quittait souvent que tard la nuit, depuis ce 20 avril 04, au delà de 14 heures il n'était plus trouvable au bureau.
Dans la perspective de la mission de Paris pour le sommet sur l'autorité du Bassin du Niger, le Premier ministre invoque les contraintes budgétaires, et annule de se faire accompagner par son aide de camp, les journalistes etc.
Seul un conseiller, dont l'absence aurait laissé planer des doutes sur ses intentions, effectue le voyage de Paris. Le vendredi 22 avril, à la veille de son départ de démission, il initie une soirée “d'adieu'' avec ses amis dans la banlieue de Conakry. A cette soirée, il tente de parler aussi longtemps que possible avec chacun de ses amis. Mais personne ne saura déceler le moindre indice chez Fall. Le samedi 23 avril, il se rend le matin dans sa ferme située à Dubreka. Le soir avant son départ pour l'aéroport, donne à ses amis et proches des poignées de main qui s'avéreront significatives. Quant le Premier ministre, qui a même laissé les effets personnels dans son bureau, est monté dans le véhicule pour l'aéroport, il est resté figé, crispé dans son fauteuil, les yeux rivés devant et n'a pas levé la main comme cela se fait habituellement pour dire au revoir à tous ses accompagnateurs. Le message était clair. Il semble que Fall avait déjà des larmes difficilement contenues et se préparait à s'habituer de ne pas revoir de sitôt ce monde si proche.

Pourquoi la date du 24

Si le Premier ministre a effectivement quitté Conakry avec la décision de ne plus revenir, il faut dire que tout le reste a été fait à Paris. Ainsi, au sommet de l'Autorité du Bassin du Niger, au milieu des chefs d'Etat, il apprend l'arrestation de l'ancien Premier ministre Sidya Touré à cause d'un « complot » dont il ne croit guère. Pas moins que le autres chef d'Etat présents au sommet. Avec cette évolution, il procède lui même sur son portable à la saisie informatique de sa lettre de démission. Il prend contact avec RFI et Jeune Afrique, deux médias auxquels il accorde l'exclusivité de la fracassante nouvelle. Mais à condition que le Général Lansana Conté reçoive d'abord la lettre officielle. Ainsi, la lettre adressée au Général arrive le jeudi avril 04 à 10 heures à la Primature avant d'être acheminée à la Présidence de la République à 10h 30. Après avoir eu la certitude que la lettre est effectivement arrivée à bon part, François Lonseny Fall lève l'embargo et RFI annonce, en exclusivité mondiale, la nouvelle dans son journal de 11 heures, le vendredi 30 avril 04. Mais avant, la veille, la rumeur et les commentaires ont fait le tour du monde. Les téléphones entre Paris – Conakry – Washington – New York- Montréal etc. ne cessaient de sonner. Le Premier ministre, lui était pratiquement injoignable.
Cependant, avec de nouveaux numéros, lui a joint quelques amis qui étaient dans la confidence.
En choisissant la date du 24 avril 04 comme celle de démission, François Lonseny Fall a voulu signifier au Général que sa mission a cessé le 23 avril 04 date de son départ de Conakry qui coïncide à deux mois d'exercice. Et que sa présence au sommet était à titre consultatif d'où l'annulation du voyage de l'officier de garde et des journalistes.

Quel message pour le Général ?

C'est entre 11 heures et 12 heures 30 le vendredi 30 avril 04 que de nombreux observateurs ont vu le cortège du chef de l'Etat quittant le village pour l'ancien Palais des Nations. Selon des témoins, c'est dans la cour de ce palais que le Général a écouté sur RFI à 12h 30 son ancien Premier ministre expliqué les raisons de sa démission. Le choc, dit-on, a été terrible et il a tremblé. Le ministre secrétaire général, Elhadj Fodé Bangoura n'a pas retenu ses larmes. Dans une telle situation, chacun est allé de son commentaire. En conclusion, le Général est ses interlocuteurs ont estimé que l'ancien Premier ministre a été piégé par Koffi Annan qui, dit-on, lui a fait miroiter la possibilité d'occuper son poste de secrétaire général. Vrai ou faux, François Lounseny Fall a fait le choix de définitivement tourner la page du régime Conté. A cet égard, il a bien jaugé les avantages et inconvénients de sa décision.
Reste à savoir dans quel sens, le Général tirera les leçons de cette majeure crise politique. Cette démission de Fall, plus qu'un événement, reste un acte historique dans les annales de la Guinée indépendante. Habitué à la cour des hauts cadres à la recherche permanente des postes, le Général se trouve confronter à une dure épreuve. En attendant la réaction officielle, les indiscrétions font état de son refus de la démission de Fall. Le Général, dans cette logique, a stoppé l'élan de son parti, le PUP qui voulait, dans une sortie perçue démagogique, condamner la démission de Fall.
Ce dernier, pour l'instant, est déjà à New York. Mais tout est possible. A suivre.

Abdoulaye Condé


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