par Marwane Ben Yahmed. 2 mai 2004
Deux mois après sa nomination, le Premier ministre a choisi J.A.I. pour expliquer les raisons de sa rupture avec le président Lansana Conté.
Décidément, il ne fait pas bon être Premier ministre, en ce moment, en Afrique de l'Ouest… Après les limogeages du Sénégalais Idrissa Seck (21 avril) et du Malien Ahmed Mohamed Ag Hamani (28 avril), c'est au tour de François Lonsény Fall, 55 ans, de quitter ses fonctions. Seule différence, lui a choisi — et planifié — son départ.
Dans une lettre datée du 24 avril, dont il nous a remis copie, il informe le président Lansana Conté de sa démission. Une lettre qu'il a fait parvenir à son destinataire le jeudi 29 avril en fin de matinée.
Fait remarquable, Fall est seulement le deuxième personnage politique guinéen d'importance à quitter de lui-même son poste. Le précédent était Jean-Claude Diallo, ministre de l'Information, en 1986. « Les Africains en général, et les Guinéens en particulier, acceptent tout. Il faut apprendre à dire non. Je suis dans l'impossibilité de mener à bien la mission qui m'a été confiée. Le président bloque tout, j'ai donc choisi de partir », nous explique François Fall.
Sa nomination, le 23 février 2004, avait soulevé un certain espoir. Diplomate de carrière, il n'était encarté dans aucun parti politique, avait ses entrées à l'ONU, à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international. La plupart des chancelleries occidentales se prenaient à rêver qu'il parviendrait à amener le chef de l'État à plus de souplesse dans ses rapports avec les acteurs politiques nationaux et avec l'extérieur. C'était sans compter avec la personnalité du numéro un guinéen...
« Ma nomination correspondait à un besoin urgent pour le pays. Les caisses de l'Etat étaient vides, le programme avec le FMI était bloqué, nous ne payions plus nos dettes, nos partenaires nous avaient lâchés… » raconte aujourd'hui François Fall. Les premières semaines l'ont conforté. Epuisé par sa maladie, Conté lui a en effet laissé une réelle marge de manoeuvre. A ses divers interlocuteurs, le président répondait invariablement : « Voyez tout cela avec le Premier ministre, je suis fatigué. » Mais en voulant réformer en profondeur, Fall s'est immédiatement heurté au « système Conté ».
La première cassure dans la relation entre les deux hommes a lieu en mars. Fall s'attaque aux dysfonctionnements du secteur privé. Il obtient du président la dissolution par décret du Conseil national du secteur privé, considéré comme un frein à la politique libérale mise en place. Il souhaite aller plus loin en obtenant également la liquidation de la Société guinéenne d'exportation des produits agricoles et miniers (Sogepam). Premier écueil : il attaque ainsi de front les intérêts d'un homme très proche de Conté, le businessman Mamadou Sylla, dont beaucoup pensent qu'il n'est que le prête-nom du chef de l'État. Sylla intrigue et persuade le président de ne pas toucher à la Sogepam. Conté convoque Fall. En arrivant, le Premier ministre trouve aux côtés du « Vieux » ledit Sylla, accompagné de ses amis. Devant tout le monde, Conté lui intime l'ordre de « ne pas toucher à la Sogepam » en des termes peu amènes. À cet instant, Fall comprend que sa tâche se complique…
Le deuxième incident finira de le persuader qu'il perd son temps. Le 16 avril, une délégation guinéenne était attendue à Bruxelles à la demande du président de la Commission européenne, Romano Prodi. L'UE exige, en contrepartie d'un financement de 240 millions d'euros, certaines concessions du pouvoir : libéraliser les ondes et renouer les fils d'un dialogue politique intérieur plus que crispé. Conté convoque, le 12 avril, son Premier ministre sous le fromager du Palais des nations qui fait désormais office de bureau. « Je ne veux pas négocier avec l'Union européenne », lui dit-il. Fall essaie de lui expliquer qu'il s'agit du dernier partenaire de la Guinée — les bailleurs de fonds ont depuis longtemps « fermé les robinets » — et, surtout, que c'est l'UE qui a financé la plupart des projets d'infrastructure du pays. Peine perdue : « Je t'ai mis là pour exécuter mes ordres, pas pour les discuter », lui lance le président.
Le lendemain, en Conseil des ministres, Conté confirme sa position :
« Il n'est pas question que nous remboursions la dette. Moi, je suis un général. Vous, les ministres, vous êtes mes caporaux. Je donne les ordres, vous les exécutez. Je ne discute pas avec vous ! »
Dès lors, le gouvernement se trouve scindé en deux camps : ceux qui soutiennent la politique initiée par le Premier ministre, et les hommes du président. « On ne peut plus rien faire, ses hommes font le blocus », comprend Fall. Dès lors, il est persuadé que sa tâche est impossible et envisage de remettre sa démission au chef de l'État. Il prépare la lettre chez un ami — on n'est jamais trop prudent — et prévoit de la lui faire remettre le 29 avril.
En mission à Paris pour participer au sommet de l'Autorité du bassin du fleuve Niger (26-27 avril), François Fall a préparé son « départ » depuis Conakry. Alors qu'il était prévu qu'il se rende en France avec une forte délégation, des journalistes et son aide de camp, il a finalement informé le protocole qu'il viendra seul, mesures d'austérité obligent.
Le mercredi 28 avril, il prévient son ambassade qu'il se rend à Montpellier pour affaires personnelles. Son esprit d'indépendance étant connu, personne ne réagit. le même jour, il « disparaît » : il coupe ses téléphones portables et quitte son hôtel. Le Guinéen le plus « connecté » est injoignable, il s'est volatilisé !
Non sans avoir pris la peine de prévenir l'Elysée via Michel de Bonnecorse, le conseiller Afrique de Chirac, et le département d'Etat américain de sa décision.
« Conté utilise tout le monde de la même manière. Après mon départ, il nommera un homme de paille », nous explique un François Fall peiné d'avoir à en arriver là, mais visiblement soulagé.
Ce n'est pas un mystère, le chef de l'État considère que la Guinée est sa propriété. Il ne s'en cache pas et le dit volontiers en public. « Le gros problème de notre pays, c'est que partout où l'on met la tête pour assainir, on trouve Conté au bout... » précise son désormais ex-Premier ministre.
Et si le président tentait de le convaincre de changer d'avis en lui promettant enfin de lui laisser les coudées franches ? « Jamais ! Je ne reviendrai pas sur ma décision, répond-il. D'autant que, depuis Diallo Telli, nous Guinéens avons vu trop de gens mourir pour avoir cru à ce genre de promesses. »
François Fall laisse la Guinée dans une situation dramatique. Le marasme économique, les problèmes d'eau et d'électricité, l'épuisement des réserves en devises, la suspension des décaissements attendus (AFD, Banque islamique de développement, etc.), la crispation politique, la grave maladie du président : tous ces ingrédients donnent un cocktail explosif. Mais, pour l'instant, tout le monde semble se résigner à attendre la mort du « Vieux ». Après ? « Ce ne pourra qu'être radicalement différent, précise un haut fonctionnaire européen.
Aucun Guinéen ne sera comme Conté. Il ne lit jamais un dossier, gère ce pays comme sa propriété privée, vampirise les maigres ressources et ne cède à aucune pression, interne comme externe. La seule fois où il a cédé, c'était le 2 février 1996. Les mutins avaient dû pour cela pilonner son palais à l'arme lourde. Comment voulez-vous faire entendre raison à quelqu'un qui fait ce qu'il veut et n'a peur de rien ? Il se moque bien de tout ce qu'on peut lui dire… Conté est le seul président au monde que George W. Bush n'est pas parvenu à joindre en mars 2003, alors que la Guinée présidait le Conseil de sécurité de l'ONU. Non pas parce qu'on ne l'a pas trouvé mais tout simplement parce qu'il refuse de décrocher. »
Pour François Fall, l'après-Conté est encore incertain. « Soit l'armée prend le pouvoir, mais la communauté internationale et les bailleurs de fonds n'accepteront jamais qu'elle s'y maintienne. Et en Guinée, nous n'avons pas d'Amadou Toumani Touré… Soit, conformément à la Constitution, c'est le président de l'Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, qui assure la transition avant des élections. Si le scrutin est réellement transparent, je vois bien quelqu'un comme Sidya Touré l'emporter. Ce qui serait bon pour la Guinée... »
Marié et père de quatre enfants, François Lonsény Fall ignorait sans doute que son passage à la primature allait être aussi météoritique. Mais il savait en prenant ses fonctions qu'il affrontait le pari le plus risqué de sa carrière. « J'agis par conviction, mais je ne veux pas pour autant entrer en opposition avec le président Conté. Je me retire, je me place en réserve. Je tire le rideau pour quelques mois et je vais en profiter pour me reposer et réfléchir. » Il sait également que le temps joue pour lui. Son pays, lui, n'en a que trop perdu...
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