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Premier ministre Lansana Kouyaté
Mains liées, horizon bouché, quelle option pour le Premier ministre
Lansana Kouyaté ?
Avec tous les souhaits de réussite que je formule pour le Premier ministre guinéen, Lansana Kouyaté, il me semble néanmoins que le noeud de l'affaiblissement se resserre davantage sur lui, et que son horizon politique se bouche graduellement. J'espère que ce sont là des constatations
prématurées. Mais en cette étape de départ, la position du nouveau chef de gouvernement n'est guère brillante. Si elle empirait, une telle éventualité ne devrait ni surprendre ni décevoir.
Car elle serait le dénouement naturel du piège tendu par le Général
Lansana Conté dans le replâtrage temporaire et superficiel de la profonde
crise guinéenne. Les dirigeants syndicaux et civils figurent au premier
rang des victimes —consentantes ou non— de la roublardise du président
de la république. Quant à M. Kouyaté, il est un acteur-clef,
volontaire voire volontariste, de l’épisode en cours de l’histoire
guinéenne. Je m'explique.
- Dès le début de la 3è grève,
en janvier dernier, les syndicalistes et la société civile eurent
recours à des
formules frappantes pour résumer leurs démarches. Les premiers
proposèrent
l'idée d'un Premier ministre de consensus. Et les seconds suggérèrent
le changement apaisé. En dépit de leur consonance attrayante, les
deux expressions étaient —et restent— désespérément
vides de bon sens et de raison. Particulièrement dans le conflit systématique
opposant le Général Lansana Conté aux populations guinéennes
; une confrontation qui se traduit par la victoire continue du Président-paysan
contre son peuple acculé dans la pauvreté et le désespoir.
D'où l’insurrection populaire dirigée contre son pouvoir.
Il y a certes eu un Premier ministre, “chef de gouvernement”. Mais
la nomination ne s'est pas opérée dans l'apaisement. Au contraire,
elle est le résultat tragique des bains de sang du 22 janvier et du 12
février
dernier. En ce qui concerne le consensus autour de la personne de Lansana Kouyaté,
il a eu lieu entre les oppresseurs (Lansana Conté et ses tueurs à gages)
et les opprimés (les populations, les syndicats et la société civile).
De sorte qu'à l'issue de négociations arbitrées par l'ancien
dictateur nigérian, Général Ibrahim Babangida, Lansana Conté peut
aujourd’hui logiquement conclure qu'il l'a emporté sur la contestation
qui a secoué son régime. Son système répressif est
intact. Il garde la main haute sur l'armée et les corps de sécurité.
Ses adversaires finiront, plus tôt que tard, par s'en rendre compte. Que
feront-ils alors?
- Entre-temps, je me demande pourquoi les syndicalistes
et la société civile
ont opté pour un compromis équivalant à une défaite.
Naïveté ou inexpérience ? réalisme ou optimisme ? C’est
difficile à dire … On se rappelle par exemple le pacifisme affiché par
la société civile à travers son initiative du mouvement
bakha [symbolisant le bleu de la paix, disait-on]. Les guides de ces institutions
sont eux-mêmes pétris dans l'action, d'une part. Ils jouissent —individuellement
et collectivement — d'une longue et riche connaissance de la Guinée,
d'autre part. On notera toutefois que les contacts féconds, le recul nécessaire,
et les conditions propices à la réflexion, leur font défaut.
Ils ont des adresses email personnelles, certes. Mais leurs institutions manquent
de sites Internet pour mieux informer et communiquer avec la planète qui
les observe. Par-dessus tout, il faudrait peut-être souligner leur compassion
et leur souci d'écourter l'impasse et son corollaire de souffrances découlant
d'une prolongation de la grève générale…
- Un
certain esprit de suffisance, ou le dédain des idées d'autrui
ont fait surface au plus fort du soulèvement populaire conte le régime
de Conté. Ainsi, les syndicats ont refusé toute concertation avec
les politiciens de l'opposition. Ce faisant, ils se sont privés d'idées
stratégiques véhiculées par certains leaders politiques,
concernant spécifiquement le statut non constitutionnel de la Primature.
Chat échaudé craint
l'eau froide, dit le proverbe. Ancien Premier ministre (1996-1999)
de Lansana Conté, Sydia Touré n'a
pas oublié les brûlures et les déboires de son contact avec
Conté. On l'a d'abord
porté au huitième ciel, le laissant marquer des coups d'éclat,
par exemple une fourniture plus régulière du courant électrique à Conakry.
Mais lorsque sa cote de popularité parut menaçante, Conté utilisa Kassori
Fofana pour
grignoter les attributions de son Premier ministre. Et Sydia fut
graduellement réduit à un rôle de figurant jusqu'à son
remplacement par Lamine Sidimé. Tirant donc les leçons
de sa mésaventure gouvernementale, il avait suggéré un
amendement rapide de la Loi fondamentale afin de légaliser la Primature
et lui conférer
juridiquement du moins, un rôle réel de contrepoids de la présidence.
Hélas ! Les syndicats et la société civile ne l'ont pas
entendu de cette oreille. Aujourd’hui, on doit admettre qu’aussi
longtemps que le Premier ministre ne sera qu’un simple détenteur
de pouvoirs délégués par le président de la république,
il n'y aura pas de véritable chef de gouvernement à la Primature
guinéenne. Dès lors, en dépit de la pression populaire et
du poids —déjà évanescent — des syndicats, Lansana
Kouyaté est l'héritier d'une solution floue. Il pourrait donc à tout
moment être pris dans un engrenage explosif, qui n'a pas lâché sa
dernière détonation.
- On ne cessera de le répéter
: ce qu'il faut en Guinée,
c'est le changement total de régime, c'est-à-dire la destitution
du Général Lansana Conté, son inculpation pour violations
graves des droits de l'homme, pour crimes de génocide —dans l'intention
et dans les actes— contre la Guinée, et un procès conforme
aux normes internationales de droit criminel.
- En attendant, il faut regarder
la réalité en face et admettre
que le Premier ministre va vers l'impasse. Déjà, la présence
du Général Arafan Camara à la tête du ministère
de la défense, limite considérablement les prérogatives
et sa marge de manoeuvre de M. Kouyaté. Celui-ci aurait dû réhabiliter
et promouvoir un officier réellement républicain de la trempe du
Colonel Toto Camara. À défaut, Kouyaté aurait pu désigner à ce
poste un technocrate civil, spécialisé dans la gestion moderne
et/ou dans les questions militaires. Au contraire, il se voit imposer un rival
direct dans la direction des forces armées et de sécurité,
entités
néfastes, agents du pourrissement de la Guinée, baignant dans l'impunité.
- J’en viens à présent au bilan temporaire du Premier
ministre Kouyaté. Les rumeurs sur son éventuel choix avaient circulé bien
avant sa nomination. Et l'on se rappelle avec quelle précipitation il
s'est présenté à Conakry le lendemain de la promulgation
du décret.
Son accueil populaire contrasta fortement avec la réserve, sinon la froideur
du cercle présidentiel. Etant patriote M. Kouyaté ne saurait évidemment
prendre son accès à la Primature pour le diamant sur la couronne
de son résumé et son curriculum vitae de fonctionnaire national
et international. Plutôt, il sait que les populations voient en lui un
sapeur-pompier. Les plus démunis de la société le prennent
pour un messie, une sorte de sauveur. J'ai confiance qu'il fera son possible
pour ne pas décevoir
les uns et les autres…
Cela dit, durant trente jours environ, il a été pris dans de longues
négociations. Cet état de choses a produit une atmosphère
inutile d'attente, d'impatience, de rumeurs, de suppositions… Et, en fin
de compte, pour quoi ? Pour rien car avec le gouvernement de M. Kouyaté,
la montagne d'espoirs de sa nomination a accouché d'une souris.
Pis. Depuis la constitution du cabinet, on attend les grandes initiatives annonciatrices
du changement qui a coûté la vie à des centaines de Guinéens.
En ce temps de crise, invoquer la période de grâce normale est superflu.
Le Premier ministre sera jugé au jour le jour. Et aujourd’hui le
bilan est plutôt maigre du fait de la suspension ou de l’absence
d'activité gouvernementale.
On note ainsi les faits ci-après :
- Depuis la promulgation du décret,
le conseil des ministres, ou de gouvernement ne s'est pas réuni, que
je sache.
- Les passations de service entre ministres entrants et sortants
se déroulent
en l'absence du Premier ministre.
- M. Kouyaté a bien signé des
instructions officielles à l'intention
des ministres. Mais elles sont limitées car elles portent sur l'inventaire
des biens meubles et du parc automobile de l'Etat. Et en la matière
l'intervention du Premier ministre est précipitée et déplacée.
Car il existe bien un ministère du Contrôle économique
et financier, de l'Ethique et de la Transparence. Le Premier ministre devrait
donc s'en remettre à l'expertise
comptable de ce département. Quitte à se reserver légitimement
le dernier mot sur l'analyse des rapports d'inspection des Garages du gouvernement
et de la Direction nationale du Patrimoine bâti et les mesures à prendre.
- Le
président de la république, Général Lansana
Conté,
n'a pas daigné rehausser de sa présence la cérémonie
de passation de service entre Eugène Camara et Lansana Kouyaté.
Par contre, le 4 avril courant, il a dirigé en personne l'investiture
de son protégé et homme de main, le ministre de la Défense,
Général
Arafan Camara. Le message est clair : que Lansana Kouyaté et ses ministres
civils se débrouillent entre eux. Mais qu'il ne leur vienne même
pas l'idée de se mêler des affaires du ministère de la
défense.
Durant la cérémonie Lansana Conté n'a fait aucune allusion
au soi-disant gouvernement de consensus ou au nouveau rôle de son Premier
ministre désigné chef de gouvernement par la lettre de mission.
Au contraire, il a mis l'accent sur la solidarité militaire. Arrogante
et brutale, l'armée guinéenne se conforte ainsi dans son rôle
répressif.
Elle se lave une fois de plus de ses crimes et des massacres de citoyens,
abattus à bout
portant.
- La présence du Premier ministre guinéen aux cérémonies
marquant la fête nationale du Sénégal, le 4 avril courant,
est une bonne chose. Mais le seul endroit où M. Kouyaté peut
s’éterniser
aujourd’hui, c’est à l’intérieur de la Guinée
(Conakry et provinces). Mieux, c’est dans les préfectures et
les sous-préfectures
du pays qu’il peut tâter le pouls de ce pays malade et recueillir
les avis des habitants sur les priorités à définir et à respecter.
M. Kouyaté n’aurait pas dû passer la nuit à Dakar,
donc. Il aurait dû revenir dare-dare à Conakry le jour même
pour se pencher sur les dossiers brûlants qui l’y attendent.
Avant de s’embarquer
pour une tournée “en brousse”, empreinte d'humilité et
de sobriété.
- L'aspect le plus regrettable de l'inaction
de M. Kouyaté, à ce
jour, est l'absence d'un projet —ou d'une ébauche, d'une proposition— de
gouvernement. S’il n'entend pas diriger l'administration à l'aveuglette
et au pifomètre, le Premier ministre devrait distribuer publiquement
un tel document dans les plus brefs délais. Ce serait là une
manière
efficace d'associer les citoyens à sa gouvernance. Et d’éviter
l’isolement autodestructeur au sommet.
Tierno S. Bah
Editeur, webGuinée