Christophe Châtelot — Le Monde. 15.01.10
La brise d'optimisme a tourné. De nouveau, la Guinée s'inquiète. “Atmosphère électrique dans les casernes”, “risque de guerre civile” : même les observateurs généralement modérés – à l'image d'un Oury Bah, numéro deux de l'Union des forces démocratiques de Guinée, l'un des principaux partis d'opposition – redoutent des scénarios funestes.
Cette dramatisation est alimentée par la réapparition inattendue, mardi 12 janvier, du capitaine Moussa Dadis Camara sur la scène guinéenne. Certes, il ne s'agit encore que d'un demi-retour. En provenance du Maroc où il était hospitalisé depuis cinq semaines, Dadis a été déposé, contre son gré, à 1200 kilomètres de chez lui, à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso.
“Il pensait arriver à Conakry, il était très en colère. Le président [burkinabé] Blaise Compaoré a dû le calmer au téléphone”, explique une bonne source à Ouagadougou. Mais, même à distance, Dadis Camara menace un fragile processus de transition démocratique, à peine amorcé.
La transmission du pouvoir des militaires aux civils avait pris forme avec l'éloignement de Conakry du capitaine putschiste. Avant son départ, Dadis, qui avait ramassé la mise, le 23 décembre 2008, au lendemain de la mort de Lansana Conté, s'était mis en tête de se présenter à l'élection présidentielle, prévue en janvier. Il avait juré auparavant de n'en rien faire.
Son ambition s'est brisée le 3 décembre 2009. Ce jour-là, le chef de la junte militaire tombait sous les balles de son aide de camp, Aboubacar “Toumba” Diakité. Cette tentative d'assassinat ressemblait à un règlement de comptes entre amis. Les deux hommes, que l'on disait inséparables, se rejetaient la responsabilité du massacre d'au moins 156 opposants, le 28 septembre 2009.
Une enquête de l'ONU sur ce massacre a recommandé à la Cour pénale internationale de les inculper tous les deux pour crimes contre l'humanité.
Faute d'informations fiables filtrant de l'hôpital militaire marocain de Rabat, où Dadis avait été transféré en urgence, tout a été dit sur son état de santé : mort sur le coup; légèrement blessé; réduit à l'état de “légume”. La page Dadis semblait tournée.
Le général Sékouba Konaté, ministre de la défense, épargné par l'enquête sur une tuerie commise par les “bérets rouges” de la garde présidentielle, était devenu le porteur d'espoir d'une issue pacifique.
Certes, il a fallu pousser le président par intérim pour qu'il assume ses responsabilités. “La France et les Etats-Unis l'ont travaillé au corps lors d'une rencontre à Rabat [le 4 janvier]. Ils lui ont fait prendre des engagements fermes”, explique un diplomate africain au fait du dossier.
Deux jours après ce rendez-vous, le général Konaté acceptait publiquement, à Conakry, “un premier ministre issu de l'opposition, nommé par elle-même” et chargé de conduire la transition jusqu'à une future élection présidentielle.
Mais, le 12 janvier, Dadis a réapparu. “Le Maroc voulant s'en débarrasser et la Centrafrique n'ayant pas voulu de lui malgré une demande française”, selon le diplomate africain, Dadis a atterri à Ouagadougou.
Reçu, sans tapis rouge ni honneurs présidentiels, il est logé dans une villa, officiellement pour y poursuivre sa convalescence. “Car Dadis n'est pas, physiquement, en état de reprendre le pouvoir, nous affirme une très bonne source. Il a besoin d'encore au moins trois mois pour se relever de ses blessures et de l'embolie pulmonaire contractée au Maroc.”
Mais rien ne dit que le Burkina Faso, présidé par l'ex-militaire putschiste Blaise Compaoré, que l'on dit proche de Dadis Camara, retiendra son hôte si celui-ci veut réellement partir. Malgré une forte pression internationale, de la France notamment, qui s'oppose fermement au retour du capitaine.
Déjà, plus Dadis se rapproche de la Guinée et plus ses partisans s'agitent. “Géographiquement, le Burkina Faso et la Guinée ne sont pas si éloignés, cela crée une dynamique pour déstabiliser notre pays”, s'inquiète Oury Bah. Le 14 janvier, quelques centaines de “pro-Dadis”, réunis devant l'aéroport de Conakry, réclamaient le retour de leur héros.
Minoritaires dans le pays, ils disposent d'un réel pouvoir de nuisance. Notamment parce que les Forestiers (environ 7 % des 10 millions de Guinéens), l'ethnie du capitaine Dadis, tiennent des pans entiers de cette armée clanique, dont le contrôle et une profonde restructuration sont des éléments indispensables pour stabiliser un jour la Guinée.
Les soldats sont le principal facteur d'insécurité dans le pays et un certain nombre de casernes défient l'autorité du général Konaté. Celui-ci aura-t-il la poigne nécessaire pour contrecarrer le sursaut des pro-Dadis ? Ne sera-il pas tenté de jeter l'éponge, lui que l'on dit dépourvu d'ambitions politiques et qui porte comme un fardeau son intérim ?
Or, il n'est pas acquis que les “forces vives” lui facilitent le travail. Ce front anti-Dadis est aussi large que divisé. Aucun nom de premier ministre n'est sorti de ses discussions.
“Chacun veut placer son homme”, regrette Mamadi Kaba, directeur de l'antenne guinéenne du Réseau africain de défense des droits de l'homme (Raddho). “Américains et Français finiront par imposer leur candidat”, prédit-il. Avant que le “président” Dadis ne revienne à Conakry ? “Alors ce sera la guerre civile”, annonce Mamadi Kaba.
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