Fabienne Pompey, envoyée spéciale — Jeune Afrique 01/02/2010
Sékouba Konaté et Moussa Dadis Camara sont parvenus à un accord à Ouagadougou, mi-janvier.
Malgré de nombreuses interrogations, l’accord signé le 15 janvier par le capitaine Dadis et le général Konaté sous l’égide du président Compaoré semble satisfaire tout le monde. Pour l’instant ?
Jusque tard dans la nuit, le 18 janvier, le général Sékouba Konaté et son staff préparaient, depuis leur hôtel à Ouagadougou, le retour au pays. Par téléphone, ils donnaient des ordres afin que leur arrivée soit parfaitement sécurisée. L’entourage du chef de l’État par intérim avait beau assurer que, sur place, tout était sous contrôle, l’effervescence trahissait une certaine inquiétude. Pendant tout son séjour dans la capitale burkinabè, le général a tenté de rallier, sinon de neutraliser, les partisans du capitaine Dadis Camara, qui, visiblement, ont du mal à lâcher prise.
À Conakry, des mouvements de soutien s’étaient organisés pour réclamer le retour du chef de la junte, hébergé à Ouaga depuis le 13 janvier, et s’étaient installés à l’aéroport. Au téléphone, le capitaine Jean-Claude Pivi Togba, ministre chargé de la Sécurité présidentielle, et le lieutenant-colonel Moussa Tiégboro Camara, ministre chargé des Services spéciaux, menaçaient : si le général Konaté ne rentrait pas avec le capitaine Dadis, ils descendraient l’avion. « Nous avions laissé tout un dispositif derrière nous. Nous avions placé nos petits. Ils ne pouvaient rien faire », affirme un proche de Konaté, qui soutient que les deux hommes fomentaient un coup qui a été déjoué. Il n’empêche. Il ne leur était pas possible de repartir avant d’être certains que le climat soit apaisé.
La sortie de l’hôpital du capitaine Camara, dont l’état de santé a suscité nombre de spéculations depuis le 3 décembre, a donné de l’espoir à ses partisans, qui le voyaient déjà revenir aux affaires. Une forte délégation venue de Guinée était à Ouagadougou pour lui apporter son soutien : une dizaine de militaires et quelques civils, dont Boubacar Barry, le ministre d’État chargé de l’Habitat, de l’Urbanisme, des Travaux publics et du Patrimoine bâti public, un ami d'affaires , son neveu et attaché de cabinet, Théodore Siba Kourouma, ou sa secrétaire particulière, Kadiatou Biro Diallo. Sont ensuite arrivés au Burkina l’épouse du capitaine Camara et quelques autres membres de la famille, qui s’occupent de lui dans la grande villa du quartier Ouaga 2000, où l’État burkinabè héberge des hôtes de passage. Le chef de la junte est encore soutenu par sa famille, ses vieux amis et une partie de son groupe ethnique, les Forestiers, ainsi que par ceux qui, comme lui, pourraient être inquiétés par la justice internationale. Parmi lesquels Jean Claude Pivi et Moussa Tiégboro Camara, indexés par le rapport des Nations unies sur le massacre du 28 septembre, dans le stade du même nom, à Conakry, où au moins 150 personnes ont été abattues et des dizaines de femmes violées.
Il a fallu le talent diplomatique du médiateur, Blaise Compaoré, pour apaiser les tensions et remettre sur les rails un processus de transition fragile. Les Burkinabè devaient essayer de faire oublier les déclarations du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui, en décrétant publiquement que Dadis ne devait pas rentrer en Guinée, a contribué à radicaliser les positions. Dans l’entourage du chef de l’État burkinabè, on regrettait que les Africains — Blaise Compaoré, mais aussi les voisins de la Guinée — n’aient été consultés ni par les Français ni par les Américains sur la façon de gérer l’avenir du capitaine Camara.
En quelques jours, le vendredi 15 janvier, le médiateur est parvenu à un accord, signé par le général Konaté et le capitaine Dadis, qui présente d’énormes avancées. Dans ce texte, le chef de la junte reste président de la République et Konaté n’est qu’intérimaire, chargé de nommer un Premier ministre civil et de conduire le pays à des élections d’ici à six mois. Aucun membre du Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD) ni aucun des membres du gouvernement de transition ne pourra être candidat.
Le texte de l’accord du 15 janvier a été salué par les partis d’opposition comme une avancée importante. « Il correspond à ce que nous avions demandé au président Compaoré », se félicite Sidya Touré, de l’Union des forces républicaines (UFR), rentré à Conakry le 20 janvier. François Fall, du Front uni pour la démocratie et le changement (Fudec), regrette quant à lui que les Forces vives n’aient pas été partie prenante de l’accord, mais précise qu’il le soutiendra car il « va dans le bon sens ».
Ces deux anciens Premiers ministres appuient également la nomination de Jean-Marie Doré à la tête du gouvernement, au soir du 21 janvier : « Il était le porte-parole des Forces vives et a traversé avec nous toutes les difficultés depuis l’avènement du CNDD. Il connaît nos aspirations pour nous mener rapidement à des élections », estime François Fall. « Nous avions proposé son nom au poste de Premier ministre. Il avait accepté cette charge et de ne pas se présenter à l’élection », rappelle Sidya Touré.
Mais c’est maintenant tout un gouvernement qui doit tenir autour de lui, dont la composition est plus que jamais complexe. « Le Premier ministre doit avoir les mains libres, il ne faut pas qu’on lui impose des noms aux postes stratégiques, s’inquiète Fall. Mais une page est tournée, il faut qu’on se réconcilie et qu’on avance », conclut-il, avant de saluer les « déclarations sincères de Dadis Camara, qui ont apaisé les esprits à Conakry ».
Ce long et pénible discours télévisé était nécessaire, aussi, pour convaincre les supporteurs du président, qui avaient l’impression que leur chef avait été manipulé.
Diffusé sur une chaîne burkinabè et, quelques heures plus tard, par la télévision guinéenne, le document est poignant. On y voit un Dadis extrêmement diminué lire péniblement un long texte expliquant qu’il a signé l’accord en toute connaissance de cause, qu’il accepte de rester de son plein gré en convalescence hors de la Guinée et que son intérimaire, le général Konaté, a toute sa confiance. Un exercice difficile.
Pendant l’allocution, le chef de la junte a dû plusieurs fois s’interrompre pour tousser et se moucher, perdant souvent le fil de sa lecture. Flottant dans un blouson de couleur sable bien trop large, chassant mollement du revers de la main une minuscule mouche décidée à rester sur son front, l’homme était visiblement épuisé. « C’était le but. Il fallait montrer à la fois qu’il est parfaitement au courant et soutient le processus, mais il fallait aussi que ses partisans comprennent qu’il n’est pas en état de gouverner, ni prêt à rentrer », explique un proche du général Konaté. Pendant l’enregistrement de cette adresse à la nation, la dizaine de militaires en treillis attablés autour de lui cachaient mal leur émotion. Le colonel Moussa Keita, fidèle parmi les fidèles, pleurait.
Il n’a pas pour autant baissé les bras. Et en plus des efforts diplomatiques, il a fallu toute l’autorité du général Konaté, qui est sorti de son habituelle réserve. C’est ainsi que, soupçonné par le général de continuer à œuvrer dans l’ombre pour remobiliser les pro-Dadis, le colonel Moussa Keita a essuyé publiquement les foudres du nouvel homme fort de Conakry. « Je vais te gifler », lui a lancé, tonitruant, le général excédé alors que le colonel Keita venait à sa rencontre dans le hall de l’hôtel Laico, à Ouaga 2000, qui hébergeait la délégation officielle. Devant le personnel de l’hôtel éberlué, le président par intérim a menacé : « Si nous étions à Conakry, je t’aurais fait enfermer ! » Et de citer en exemple le cas du ministre de la Communication, Idriss Chérif, qui, avant même l’attentat contre Dadis le 3 décembre, avait pris la mesure des « dérives » du CNDD.
Le retour au pays, organisé avec minutie, s’est finalement bien passé. Mais ce n’est qu’une étape, la transition ne sera pas facile. À Ouagadougou, les proches de Dadis insistent sur le fait qu’il est libre de ses mouvements et espèrent l’accueillir à Conakry « d’ici un mois ». D’autres ne le voient pas sur pied avant trois mois. Que se passera-t-il si le capitaine décide de rentrer avant la fin de la transition ? Pour le moment, il reste au Burkina, mais des tractations sont en cours pour lui trouver un autre pays d’accueil. Le Maroc est fortement sollicité.
Quand à la mise en place de la transition, elle se réglera en Guinée, avec en premier lieu la formation d’un gouvernement. Cependant, beaucoup considèrent déjà le délai de six mois bien trop court, et évoquent l’exemple ivoirien où un accord prévu pour dix mois n’est pas encore arrivé à son terme trente-six mois plus tard. La question devrait être débattue très prochainement à Ouagadougou, où le général Konaté est à nouveau attendu autour du 28 janvier pour mettre en place, avec les autres partenaires de la transition, un chronogramme précis.
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