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Tierno Monenembo
Grand prix littéraire d'Afrique Noire 1986

Entretien avec Cheick Oumar Kanté
Marcel Sow
Alhassane Diallo

Littérature guinéenne
Notre Librairie. N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 106-109

Tierno Monenembo

Il a 40 ans puisqu'il est né à Porédaka (Mamou) le 21 juillet 1947. Il est titulaire d'un doctorat de 3e cycle en biochimie et enseigne cette matière à Honfleur, en France. Lui, c'est Tierno Saïdou Diallo.
Après les études primaires dans son village natal, son entrée au collège coïncide avec les premières grandes réformes de l'enseignement instaurées en Guinée en 1962. Commence alors pour lui une valse qui va le mener du Collège technique de N'Zérékoré à celui de Kankan et du Lycée de Kindia à celui de Donka à Conakry où il obtient le baccalauréat complet en 1969 (option biologie).
Après la valse, l'exil. Tierno Saïdou Diallo fréquente alors successivement l'Université de Dakar et celle d'Abidjan de 1970 à 1972.
En 1973, c'est le départ pour la France après avoir échappé de justesse à une extradition en Guinée. Il s'installe d'abord à Grenoble, puis à Lyon où il obtient le doctorat en biochimie.
Entré dans la vie professionnelle, il part en coopération en Algérie (de 1979 à 1981) puis au Maroc (de 1981 à 1985) avant de retourner en France où il vit actuellement avec sa femme.
Après la valse et pendant l'exil, c'est la mutation: Tierno Saïdou, le biochimiste, publie en 1979 son premier roman, Les crapauds-brousse (Editions du Seuil), sous le nom de Tierno Monenembo. L'ouvrage connaît ausitôt un grand succès. En 1986, Les écailles du ciel, son deuxième roman, vient confirmer la consécration, Tierno Monenembo appartenant désormais à la classe des grands écrivains africains grâce à l'obtention du Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire.
De passage en Guinée où il a été l'invité des services culturels de l'Ambassade de France à Conakry, La Nouvelle Ecole a rencontré pour ses lecteurs Tierno Monenembo.
L'écrivain, en dépit d'un programme lourd de conférences et de rencontres, a accepté de se prêter à nos questions.
Nos lecteurs suivront sans doute avec intérêt le regard que porte Tierno Monenembo sur la société africaine contemporaine.

Hermétisme ou ésotérisme ?

Tierno Monenembo, « Les crapauds-brousse », « Les écailles du ciel » … La Nouvelle École trouve vos titres hermétiques, sinon ésotériques. Que répondez-vous ?

— Il est évident que ces titres expriment un certain ésotérisme, d'autant plus que je les puise dans un fonds culturel assez vieux, qui est le fonds traditionnel guinéen en général et en l'occurence peul.
Les crapauds-brousse est un titre emprunté à une légende peule qui veut qu'à l'origine du monde, l'être élu de Dieu soit le crapaud. Pour une faute mythique, ce crapaud a été maudit et a été transformé en l'être hybride et niais que l'on connaît aujourd'hui.
Dans Les écailles du ciel, je suis parti d'un dicton peulh qui veut que les signes annonciateurs du désastre universel soient le chimpanzé blanc, les racines de la pierre et les écailles du ciel.
Mais il ne faut pas se laisser piéger. Les titres en eux-mêmes sont peut-être ésotériques, mais l'expression, le contenu de ces deux romans est assez moderne. Le contexte culturel assez vieux cède la place à l'imagination politique d'une certaine Afrique moderne.

Vos personnages sont excessifs, ils sont outrés, paumés. Même les nationalistes dans « Les écailles du ciel» ont très peu de caractère

— Je l'ai fait à dessein, parce que j'estime que l'Africain moderne exprime un certain désarroi, un désarroi profond. Ce désarroi n'est pas seulement politique, il est interne, psychologique et même affectif et peut-être culturel. Je crois, quitte à choquer, que le personnage africain moderne est un peu inconsistant. C'est Williams Sassine qui a parlé dans Le Jeune homme de sable d'« être sans noyau ». Ce que je veux exprimer, c'est ce passage à vide que nous vivons, suite à un traumatisme historique assez important depuis quelques siècles.
Ce sont aussi les différents blocages qui nous empêchent d'exprimer correctement nos problèmes et d'envisager leur solution.

Être moins manichéen

Comment expliquez-vous ce passage à vide?

— Les raisons sont nombreuses. Je ne sais pas si je les connais bien, mais je les sens. Je sens bien que le déracinement culturel y est pour quelque chose. Il est évident que l'avenir un peu flou qui nous est imposé, du moins proposé, y est pour quelque chose. Je crois qu'il y a un grand problème de réadaptation de l'Africain par rapport à la donnée moderne. L'Africain se sent ballotté entre un monde traditionnel un peu idéalisé par les intellectuels et un monde assez terrible. C'est dur pour nous. Il faudrait trouver un équilibre entre ces deux mondes. On a souvent opposé malheureusement ces deux conceptions qui ne sont pas si différentes, si opposées, mais qui coexistent en chacun de nous. Car chaque Africain part d'un fonds culturel assez solide en général et il est obligé de vivre une sorte d'aventure culturelle, psychologique du monde moderne. Il faudrait essayer de concilier les deux. Au début des indépendances, les intellectuels africains ont souvent posé le problème sous forme de dilemme et j'en suis étonné. On a opposé les intellectuels militants, c'est-à-dire ceux qui sont très politisés, aux autres. On a opposé plusieurs choses qui, en vérité, n'étaient pas aussi séparées, aussi dissociées. J'aimerais qu'on soit aujourd'hui un peu moins manichéen, qu'on essaie au maximum de concilier les choses qui sont apparemment contradictoires et qui, finalement, vivent en nous de manière douloureuse et incomprise.

On ne voit aucun personnage positif chez vous. On ne voit même pas l'émergence de l'Africain, du Guinéen de demain. Vous campez bien les personnages désemparés; mais on ne voit pas se profiler, pour l'avenir, des personnages tels que vous les souhaiteriez.

— C'est peut-être une réaction à une certaine manière de voir les choses qui a fait beaucoup de ravages en Afrique depuis le début des indépendances. A cette époque, nous nous sommes laissés prendre dans une euphorie générale et nous avons beaucoup perdu, alors, de notre lucidité, de notre discernement. Nous avons cru finalement que nous étions devenus des héros et que nous avions définitivement en main notre destin. Nous ne connaissions pas très bien le terrain, un terrain qui était miné. Regardez bien la Guinée, elle en est le meilleur exemple.
Moi, j'ai voulu relativiser les choses. Je veux dire et faire sentir aux gens, notamment aux intellectuels, qu'il s'agit beaucoup plus d'exploration intérieure, sociale et culturelle que de prise de position. Je veux dire que l'Afrique est tellement complexe en tant qu'elle-même qu'avec son additif européen qu'on ne peut plus extirper, il faut la prendre avec un énorme souci du détail, de la compréhension. On verra, par exemple, qu'en Guinée, il n'y a pas de modèle de héros que l'on peut utiliser dans un roman. Il n'y a pas eu de héros en Guinée depuis l'indépendance en 1958. Ce sont les raisons pour lesquelles je présente ainsi mes personnages.

Biochimie et littérature

Vous êtes biochimiste de formation. Comment en être-vous venu à la littérature ?

— J'ai toujours aimé lire. J'avais aussi un père qui aimait lire et qui a même voulu écrire. Il n'a pas pu le faire. Je crois qu'il m'a beaucoup incité à écrire. Au lycée, j'étais plutôt un élève moyen qui comprenait relativement bien les sciences et les lettres. J'ai donc combiné les deux en faisant de la biochimie d'une part et en écrivant de l'autre.

Arrivez-vous facilement à concilier les deux ?

— Oui, je pense que c'est très facile. Je considère que je fais de la biochimie pour manger et de la littérature pour vivre. La biochimie est une profession. La littérature ne l'est pas. Il y a une formule que je déteste, c'est « carrière littéraire » ou « profession: écrivain ». L'écriture n'est pas une profession, mais un acte, un simple acte d'existence. La biochimie me permet effectivement d'assurer l'indispensable petit quotidien.

— Est-ce que la méthode de recherche en biochimie vous aide à tisser l'étoffe psychologique de vos personnages ?

— Je ne le crois pas. Parce que la biochimie est plutôt analytique alors que la littérature est une synthèse. La biochimie prend un élément, le démolit pour en connaître la structure. Quant à la littérature, elle prend un élément, soit psychologique, soit social, ou un élément de caractère, de culture, elle le fixe, le grossit pour en faire une sorte de représentant général d'une société, d'un mode de vie ou d'une sensibilité donnée. Les méthodes sont inverses donc.
La grande force de la littérature est de tirer un tout petit détail à un moment donné de la vie et d'en faire un modèle général de vie.

Comptez-vous venir en Guinée, dans les prochains jours, en tant que professeur de biochimie? Par exemple dans le cadre du projet Tokten ?

— J'en ai bien l'intention. Il semble que c'est possible pour l'année prochaine et je déposerai une demande.

Enrichir la langue française

Parlons de la langue dans laquelle vous écrivez. Elle contient beaucoup « d'africanismes ». Ne rencontrez-vous pas des difficultés au niveau du Comité de lecture de votre éditeur ?

— Je rencontre quelques difficultés, mais c'est bien cela qui est à la base de ma publication aux éditions du Seuil. Je suis souvent obligé de venir expliquer certaines tournures de phrases et certaines expressions au Comité de lecture avant ma publication. Les membres de ce Comité considèrent que c'est un enrichissement de la langue française. Je crois qu'il y a quelque chose qui est en train de se produire aujourd'hui dans l'espace francophone, c'est tout l'apport africain, antillais, québécois, belge et suisse à la langue française.
L'écrivain africain vit par rapport à la langue française tout un cycle qui peut aller du dégoût le plus total à la sublimation la plus totale. Si je prends mon cas : lorsque je m'exprime en français, il y a toujours quelque part en moi la langue peule qui m'interpelle et me demande des comptes pour ainsi dire.
Lorsqu'un Français écrit en français, c'est un acte banal. Lorsqu'un Africain s'exprime en français, c'est un acte très grave. Il y a là déjà sinon prise de position, du moins une forme d'engagement. Cela crée une atmosphère assez complexe et en même temps assez intéressante parce qu'elle éclaire la littérature d'une lumière nouvelle. Ce n'est plus quelqu'un qui veut dire quelque chose; c'est toute une culture d'une autre structure — qui est une structure orale — qui a une autre manière de voir le monde, qui a d'autres formes de métaphores, d'autres vocables, qui se transfère par un phénomène d'osmose assez complexe et assez douloureux dans une autre langue. Cela produit non pas un double langage mais une double culture.
Cette double culture n'est pas vécue dans la même manière par les écrivains africains. Certains la vivent très heureusement, je crois que c'est le cas, par exemple, de Tchicaya Û Tam'si. Mais d'autres, comme moi, la vivent un peu douloureusement.

Vous êtes Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire. En quoi consiste ce prix ? Recouvre-t-il, comme le Nobel, une valeur monétaire importante ?

— Le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire a été créé au moment des indépendances par l'Association des Écrivains de Langue Française qui est présidée par l'historien africaniste Robert Cornevin. On le considère comme le « Goncourt africain ». C'est un prix honorifique car la littérature africaine n'a pas encore atteint un degré de publication pouvant être source de gain. C'est donc un prix honorifique et pour moi cet honneur revient d'abord à mon pays.

Vos retrouvailles avec la Guinée vous inspirent-elles un livre ?

— Plusieurs livres ! Mais on dit toujours qu'un écrivain ne porte jamais un seul livre en lui. J'ai tellement de titres en tête depuis mon arrivée que je me demande par lequel commencer et si je pourrai les écrire tous avant de mourir.

Propos recueillis par Cheick Oumar Kanté, Marcel Sow et Alhassane Diallo
La Nouvelle École. Conakry

Note
1. Entretien avec Jacques Chevrier. Jeune Afrique N° 1241 du 17 octobre 1984.

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