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Littérature francophone


Tierno Monenembo
Un attiéké pour Elgass

Paris, Editions du Seuil. 1993. 170 pages


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Chapitre 5


Treichville, encore Treichville. De nouveau le remue-ménage du port, le bastringue des livreurs de boissons. Les veilleurs de nuit ont quitté leur guérite devant les chantiers et les pavillons. Les portefaix ont repris possession de la chaussée. Rue 18 maintenant, sous un auvent, dans une cabane, sous un appentis, qui sait ? Dehors, on dirait qu'il pleut. Non, ce n'est que la houle du vent, le bain de chaleur, le contact hérissant de l'air humide et salé. Je suis appuyé contre un mur, à moins que ce ne soit contre une pyramide de mangues — odeur de pourriture, débris qui me collent aux coudes, de la mousse ou de la pelure avariée — et j'en suis réduit à compter mes doigts, mes lustres, les dingues décibels de la rue. Impossible à estimer, le chaos qui est en moi, trop de décharges et de secousses. Ma tête est un joli nid de bourdons labouré d'éclairs: le vin, le sang, le sommeil, tout ce qui est rouge et qui fait peur.
Tout à l'heure, alors que je quittais cette maison où je ne reviendrai jamais, c'est probablement Laho qui m'a dit :
— Va-t'en, mais va-t'en donc, tu ne vois pas que ce serait pire si tu restais ? Tu n'as plus rien à faire ici !
Et je lui ai probablement répondu :
— Je n'y suis pour rien. Ce n'est pas moi, Badio, qui ai fait cela. Il y a des choses comme ça que je ne peux pas faire, j'ai trop de freins dans la tête. Dès que c'est vraiment grave, j'embraye, je patine. Ce n'est qu'un accident, je ne savais pas où j'avais la tête, et ne me parle pas de sang. Tout cela n'est qu'un mauvais rêve, attends que la nuit se dissipe, que se dissipent dans nos têtes les vapeurs de l'alcool. Bientôt, tout redeviendra normal…
Mais non, je n'ai rien dit de tel, les mots n'ont pas pu sortir de ma bouche. Depuis peu, tout ce qui me vient du coeur remonte à ma tête, ce grand trou irisé qui surmonte mon cou. Où je suis, il n'y a pas de porte.
Entre deux évanouissements, je peux voir le camaïeu du ciel où le soleil a bien du mal à déchirer les nuages. Au loin, la cacophonie d'une décortiqueuse de riz paddy, l'agitation des teinturières dans le fouillis des arrière-cours, les voix ensommeillées des éplucheuses de manioc, le clapotis que font les toutous en rendant au caniveau le bilan de leurs seaux hygiéniques. Tintement modulé des petits mécanos de quartier, clin-clin des vendeurs de soda, moteurs diesel des bus, joyeux bruits des vieux fétiches. Laptots du Ghana et moussaillons des Philippines, parrains corses et drapiers de Tanger. Soudain, les muezzins qui appellent à la prière du haut des minarets…
« Ici, il est permis de vivre ! »
Zélote ou profane, chacun a sa place à Treichville, pourvu qu'il consente à mêler le rituel et la baise, la gaieté et le chapardage. Tantie Akissi a raison :

« On y trouve ce qu'il y a de plus fou au monde, les camelots, les prophètes, les corps en chaleur et les odeurs fétides. »

La bombance, la trime, le délire et l'apoplexie, c'est Treichville for ever. Le wharf est toujours là, les barges, les petits voyous et les fiers-à-bras. J'ai fait le tour du front de mer, rencontré le nabab, suivi de près le paralytique. J'ai remonté le chemin banal des marchandes de tubercules. J'ai humé l'air saturé par les odeurs de foufou et de café grillé. J'ai jeté une petite pièce au chien, une ou deux prières au mendiant. J'ai touché la statuette sénoufo, je me suis ému devant l'oeil visqueux du surmulot sorti des taudis. J'ai longé les pavillons au crépi rose de la cité de la Zone 3, les barres décolorées du Parc des sports.
Une fleur est née sur le terre-plein du Collège moderne : c'est une saponaire rose pâle, fragile et touchante comme le visage d'une jeune fille en pleurs. Je la vois maintenant avec une extrême précision, jusqu'aux figures invraisemblables de son réseau d'étamines. La lucidité me vient souvent d'un excès de désarroi, comme chez un opiomane qui ne retrouverait ses esprits qu'à la faveur d'une surdose. Je suis au comble de ma perte, cela me rend perspicace, cela me donne des forces.
Me voilà sur l'avenue Ouezzin-Coulibaly, le bus y passe, en semaine. On change rue de la Mairie, près du cinéma Piazza. Ensuite, c'est tout bon, le 8 jusqu'à la Cité rouge. Voilà, je descendrai seul et je laisserai à Diallo le soin de supputer à loisir, je n'aurai qu'à penser à autre chose, au visage de l'infirmière ou à mes improbables examens, tout ce qui compte à présent. Bizarre comme la mémoire se met à travailler quand on court à sa perte !

Je sais la seconde exacte à laquelle cette idée d'examen a commencé à me turlupiner, je sais comment elle a grignoté un à un les espaces de ma conscience jusqu'à en devenir le seul pivot, l'obsédante matière. C'est quand Mafing a parlé d'indices et de coïncidences avec les circonlocutions qui sont les siennes quand il vous met au pied du mur. C'est à ce moment-là que cette idée d'examen a supplanté toutes les autres. Il doit se passer la même chose dans la tête de certains malades : le souvenir d'une migraine infantile devient plus important que le code tragique de la vie et de la mort.

« Antonine, le couteau ! Apporte-moi le couteau ! »
Le délire contraignant de tantie Akissi ? Il n'occupait plus mon esprit que comme un détail insignifiant apporté au décor. Quant aux autres, je ne les voyais plus, ne les entendais plus vraiment. Des tronches familières que je ne reconnaissais plus. Autrement, des bruits de pieds et de chaises, des mots lointains et durs qui devaient plus ou moins parler de moi.

Avaient-ils remarqué la disparition du couteau ? Leur avait-elle dit quelque chose avant de quitter la salle ? J'ai même cru qu'Arsike plaisantait quand il a parlé du vin versé à terre.
— Tu en as foutu jusque sur l'escalier. Tiobendo, mon vieux, contrôle-toi un peu !
Comme il se doit, c'est Laho qui s'est alarmé le premier. Il a trempé un doigt dans la flaque rouge et il a dit en pleurnichant :
— Mais ce n'est pas du vin ! Ce n'est pas du vin, je vous jure !
Ils se sont précipités vers le débarras et Antonine est sortie en criant.
— Monsieur !…
Je me demande encore si j'ai été y voir de moi-même ou si ce sont les autres qui m'ont emmené.
— Monsieur, vous parlez tout seul, ce n'est pas bon !
Arsike a sauté comme un ours en répétant :
— Mon Dieu ! Mon Dieu !
Antonine hurlait dans la cour et tantie Akissi continuait à délirer comme un poste de radio qu'on aurait oublié d'éteindre.
— Monsieur, il y a sûrement mieux à faire que de parler tout seul : acheter le journal. Il sort tout droit de l'imprimerie, il est frais comme une rose.
Le garnement qui se tient devant moi porte son étal en bandoulière.
— Monsieur, cola, chewing-gums, bonbons, achetez le journal, monsieur…
Je sors l'un des billets de la somme prêtée par Diallo, j'achète le journal, un peu de tout, ensuite voici que le bus arrive. A cette heure de la matinée, c'est un bus acceptable : portières facilement accessibles, sièges libres et proprets. Quelques agents de bureau, quelques noctambules s'en retournant chez eux. Je choisis de m'asseoir en face du muslim. Il porte encore le pagne, les karatékas l'entourent et, retour de manivelle, c'est maintenant lui qui leur tient la dragée haute :
— Mon benjamin suffirait à vous moucher, bilakros, rapineurs des quartiers sordides, galapiats sans logis, poupards à centaines de pères, on ne vous a même pas appris à respecter les vieux ! Je vous maudis ! Vous aurez la vérole et la démence, des poufiasses se vautreront dans vos lits. Je vous prédis une lignée de bâtards et de morpions !
Une bave mousseuse perle au coin de ses lèvres et il mouline des bras tant et si bien qu'il lui faut à plusieurs reprises rattraper le pauvre pagne qui masque sa nudité. Les karatékas, dégrisés, le prennent plutôt avec humour :
— Ah vieux ! c'est toi qui parles de respect ? On te surprend chez la toutou et tu ne paies pas la toutou et tu te retrouves dans la rue sans même un cache-sexe et tu oses parler de respect ? Ah ! ma mère, Bidjan-là-même c'est trop fort, mieux vaut être fou que d'avoir affaire à ses zouaves !
Je me surprends à rire avec l'assistance et je ne réalise pas tout de suite que quelqu'un est en train de me toucher l'épaule :
— Hé, toi, mon bonhomme, donne-moi un petit quelque chose pour acheter mon aloko… Est-ce que tu me connais pour me regarder de cette façon ? Donne-moi quelque chose et cesse de me regarder.
— C'est donc toi, Officiel, dis-je la voix tremblante. Je ne t'imaginais pas comme ça.
Il se tourne vers l'assistance.
— Voyez ! il me reconnaît, lui, c'est un jeune homme qui a de l'esprit ! Vous autres, vous ne retenez rien. On vous couperait les couilles que, le lendemain, vous n'y penseriez plus !
— Tais-toi donc, Officiel, dit l'un des karatékas. Dès qu'on vous nomme ministre, vous les gens de Bidjan, vous croyez que c'est pour toute la vie des étoiles. Te voilà maintenant réduit à te nourrir de cacahuètes. Il y en a, tu leur montres le jour, ils oublient que la nuit va venir aussi, et c'est pour ça que la vie va si mal !
— Bien dit, mon enfant ! ajoute le muslim qui en profite pour oublier ses propres malheurs. Ce n'est pas parce que c'est jeudi que le vendredi ne va pas voir son heure. Le monde serait une carcasse s'il en était ainsi.
Officiel descend à l'arrêt de la Savonnerie. Je m'avise que je tiens entre les mains un numéro de Fraternité-Matin. « Vieux » est en visite officielle en Italie. Il sera reçu demain en grande pompe au palais du Quirinal, après quoi il rendra au pape une visite de grâce. Kissinger et Le Duc Tho prennent le thé à Paris. Nixon ira peut-être en Chine. Le ministre français des Finances déjeune chez les affamés du Sahel. Le secrétaire politique d'une lointaine province s'est vu décerner une médaille.

Boubou-Blanc menace de couper le fleuve Sénégal si Dakar s'entête à accorder l'asile à ses opposants.

Bougre de Dieu, “Africa” a réussi un match nul contre les mimos de l'Asec, à deux tours du championnat — faudra remplacer ce crétin de Bani, rien ne va plus depuis qu'il joue arrière-centre chez les mimos !
Et tant d'autres légendes qui donnent au vivant l'impression que le monde est toujours là, exact et prometteur comme au temps des prophètes…
Je m'attarde longuement sur la photo du Shah restaurant Persépolis, puis je passe aux pages intérieures, mes préférées à cause de la BD, “Les aventures de Dago”, villageois égaré à Bidjan, et des “Lumières de la ville”, chronique du célébrissime Zouin Nicéphore Kokobé, digne émule de Félix Fénéon et du Canard enchaîné.
Page 7 : « Qu'attend-on pour arrêter ce malfaiteur qui porte le nom d'“ouragan” ? Hier encore, il a fait des ravages : un manguier de cinq mètres de diamètre s'est abattu sur la maternité de Koumassi. Heureusement, on ne déplore aucun blessé, parturientes et bébés ayant pris l'habitude de dormir dans le garage, seule enceinte de l'établissement qui ne laisse pas passer la pluie…
Incendie accidentel à Bromakoto : hier soir, M. Brousse, coopérant français, a mis le feu à sa maison en tentant de brûler sa femme. C'est là l'occasion de répéter ce que nous n'avons jamais cessé de dire : attention aux feux de brousse !…
Anono : c'est en jouant avec ses camarades de couleur que le jeune Irlandais Sean O'Neil s'est coincé hier dans les égouts…
C'était notre rubrique “des égouts et des couleurs”… »
Page 8 : « Avenue Reboul, l'imam de la mosquée de M'Poto pris en flagrant délit d'adultère. Ces braves toutous, tout le monde récrimine contre elles et voilà que c'est elles qu'on va voir quand Dieu ne peut plus rien faire. Il ne reste qu'à leur faire prêter le serment des hypocrites…
Accident sur la route de Bassam : un chauffeur de baka ainsi que l'ensemble de ses passagers se sont noyés hier, emportés par la barre. Militants et militantes, il est temps de nous unir pour faire barrage…
Pont du Général-de-Gaulle : pour des raisons inconnues, M. Ernest Yao Diomandé, le très sympathique directeur financier de la Société nationale du transit maritime, a perdu le contrôle de sa voiture. Celle-ci s'est retrouvée dans la lagune et son propriétaire sur le macadam avec une fracture du bassin et de nombreuses contusions…
Echangeur de l'Indiéné : Canular ou miracle du ciel ? Un chauffeur de grumier s'est retrouvé la nuit dernière avec camion et chargement au sommet d'un poteau électrique. Les pompiers qui sont montés le chercher ont découvert que la tête du monsieur avait subi une rotation de 360 degrés. Une photo de femme traînait près de lui. Comme dit la chanson, “tu me fais tourner la tête”…
Le voleur Kaboré croyait bien faire en s'introduisant au domicile de Mme Bégré, cette douce mère qui vend des pagnes à Adjamé. Mal lui en prit car la bonne femme lui a logé une décharge de chevrotines dans les reins… »

La page 9 est la plus claire, la plus lisible, comme si l'information qu'elle présentait était plus vraie que les autres. Elle ne comporte aucune de ces chiures de mouche, aucune de ces coquilles, aucun de ces mastics qui émaillent les précédentes et qui caractérisent les journaux africains :

« L'étrange suicide d'une jeune Guinéenne. La fille Idjatou, une jeune Guinéenne qui s'apprêtait à s'envoler pour Bruxelles afm d'y poursuivre ses études, s'est suicidée pour des raisons restées indéfinies. “Elle se sentait très déprimée, ces derniers temps, nous a confié M. Habib, le président du collectif des Guinéens de Bidjan. C'est une perte inestimable pour notre communauté.” En voilà une dont personne ne dira que Boubou-Blanc l'a tuée… »

— Va-t'en, m'a dit Laho.
Mais je suis resté là à entendre les cris d'Antonine et le délire de tantie Akissi. Mon esprit halluciné faisait danser les murs devant moi, les tables, les visages. J'ai vu le sac posé près de l'électrophone, son déodorant, son poudrier, le billet d'avion, la lettre… Je ne crois pas avoir pris la lettre. J'ai tourné autour de la solive, j'ai marché une ou deux fois dans la flaque de sang, puis plus rien, le mal, le vide, l'immense gouffre du dehors…
Descendant à l'arrêt de la Cité rouge, j'aperçois Diallo qui range ses biscuits, ses lames de rasoir et ses stylos à bille dans son meuble gigogne. Je me faufile derrière la haie qui borde le boulevard André-Latrille pour tenter d'échapper à son regard. Mais le vieux chacal m'a bel et bien repéré :
— Qu'est-ce qui t'arrive, Badio ? Tu passes sans dire bonjour, maintenant? Qu'est-il donc arrivé au bar Hélène ?
Le chien Marabout est mort. Dans la mort, il ressemble à un gros poupon joufflu qui rêverait à ses hochets. Les enfants lui ont coupé son turban de poils avant de lui crever un oeil. Je chasse les mouches et les fourmis qui lui mangent le ventre et, sans trop réfléchir, je recouvre son corps d'une litière de branchages.
Je trouve la femme du Samouraï près de l'excavation. Elle a les yeux rouges, les cheveux ébouriffés. Sur son visage se lit une joie malsaine, qu'elle a l'air de subir, contre laquelle elle ne semble rien pouvoir.
— Hé, Indépendant ! tu ne dis pas bonjour ? Sais-tu que Samouraï n'est pas rentré ? Il est parti pour de bon avec toute la dépense pour nous emmerder, moi et les enfants. Ou alors il est mort, ce qui serait la même chose, deux fois plutôt qu'une… Indépendant, dis-moi quelque chose, ou bien tu veux que je te sorte le dolo ?
J'enjambe le caniveau. La guerre est bien finie. Twenty… Fifty… Seventy… Elle au pied du car, la matrone au portail. Les bagages sont fixés sur le toit et le chauffeur est pressé :
— Moi que tu vois là, madame, je suis un chauffeur qui adore la vitesse, ah ! ça oui ! Mais je ne me vois pas mettre moins d'une heure d'ici à l'aéroport, à cause des embouteillages et de tous ces crétins de Peuls qui trimbalent leurs boeufs à la sortie de Koumassi. Alors, madame, il faut faire vite, l'avion c'est pas comme le car, il attend jamais personne.
La voilà avec son bustier de linon armorié et c'est vers moi qu'elle avance. Je ne l'ai jamais vue de si près. C'est comme si elle m'embrassait, comme si elle m'avait donné rendez-vous dans l'univers de son parfum. Ainsi donc elle a une petite verrue sur la joue qui ne rompt d'ailleurs en rien l'harmonie de son visage, au contraire : qui lui apporte un surplus d'éclat, comme la fleur d'or dans la narine de l'Hindoue.
'Morning, mister Badio ! Il faudra dire à Idjatou que j'emmène Papillon. Il ne lui servirait à rien dans l'état où il est. Je pars avec lui, c'est mieux comme ça. Si jamais il survit, quel nom dois-je lui donner ?… Mister Badio ! Dites-moi quelque chose, mister Badio !
Les chérubins sont habillés de pantalons à raies, de tweed-coats, de cravates lamées. J'ai envie de lui dire : « Comme vous êtes belle parmi eux ! », mais je ne dis rien. Je me contente de la regarder en silence, sans honte, incapable d'empêcher ma main de se fourrer dans ma poche…
Non, ce n'est pas un rêve, la lettre est bien là, je l'avais bien prise en quittant le bar Hélène. Je la déplie et je la lis tandis que l'infirmière monte dans le car :

Chère inconnue et tendre future épouse,
Souffrez que je vous redise combien je suis heureux de convoler avec une Africaine. Plutôt drôle, n'est-ce pas, pour un Belge, de surcroît baron de naissance, et de famille ruinée, je vous prie de me croire. Mais, comme je vous le disais, mon oncle qui était la brebis égarée de la famille a été bûcheron au Rwanda. Il y a chassé l'éléphant et côtoyé les Pygmées. Il a nourri en moi, et dès mon plus jeune âge, une passion sans bornes pour votre continent, en dépit des ragots que notre bonne société européenne n'a jamais manqué de cultiver en ce qui vous concerne. Je suis heureux, ainsi que mes cousins et mes tantes, de vous accueillir bientôt à Rocklenge-sur-Geer (c'est un charmant vieux village des Ardennes belges). Bien sûr, dès le mariage célébré, vous m'aiderez à ranger le foin et à récolter les betteraves.
Cinquante ans, ce n'est plus tout à fait jeune mais vous verrez comme il me reste encore des forces. Vous vous habituerez vite. D'ailleurs, notre facteur est un des vôtres,du Congo je crois.

Votre Didier de Trez qui a hâte de vous embrasser.

Post-scriptum : Dire que j'ai longtemps hésité avant de m'adresser à la revue matrimoniale que m'avait recommandée ma tante Suzy ! Souffrez que nous continuions à nous vouvoyer après le mariage. C'est le seul trait de caractère que j'ai gardé de ma noble famille.

Je relève la tête. Le car est déjà loin. J'ai juste le temps de le voir disparaître à l'angle de la rue Sainte-Marie et du boulevard de France, emportant avec lui les néons, les artères, les passants, la ville éphémère de Bidjan.

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