Paris. Présence Africaine. 1958. 175 p.
M. le Gouverneur Ramadier. — L'ordre du jour porte, en dehors de celles que nous avons déjà traitées, des questions d'importance plus ou moins grande. Je propose que nous examinions atijourd'hui la question des allocations familiales et les problèmes, économiques posés par le Troisième Plan Quadriennal, ainsi que quelques questions comme le développement des cultures vivrières et la protection des sols qui relèvent de la politique menée par le Ministrede la Production. Si vous le voulez, nous allons d'abord passer la parole à M. le Ministre du travail
Le Ministre du Travail, M. Camara Bengaly. — Messieurs, le problème revêt un caractère particulier problème des allocations familiale c'est surtout dans le domaine de la constitution des dossiers des allocataires que les travailleurs rencontrent de sérieuses difficultés en ce qui concerne la production des pièces d'état-civil, et il se trouve ainsi que, par suite du manque d'informations, des travailleurs n'ont pas eu la possibilité de savoir quelles étaient les pièces qui leur étaient nécessaires. C'est pourquoi j'ai préparé une note qui comporte à la fois des dispositions déjà prises à titre transactionnel et des mesures de recommandation pouvant permettre la délivrance des pièces d'état-civil aux travailleurs afin qu'ils puissent bénéficier, dans un délai rapide, de leurs droits en matière de prestations. Je vais donc lire cette note et la discussion pourra s'ouvrir sur les difficultés que chacun de vous, à l'échelon de sa circonscription, rencontre pour donner satisfaction au travailleur.
(Lecture est faite de la note.)
Voilà le problème tel qu'il se pose à nous : à l'heure actuelle, il s'agit d'aider les travailleurs à bénéficier de leurs droits en matière de prestations parce que, du point de vue juridique, ces droits ne sont admis que pour un délai de deux ans et que, passé ce délai, ils sont forclos. Cest pourquoi nous demandons que l'Administrateur, Commandant ou Chef de poste, nous apporte tout son concours pour aider les travailleurs à bénéficier du bienfait de la Caisse, et que les enfants des travailleurs puissent également bénéficier du soutien matériel, qui leur a manqué jusqu'ici.
Je voulais également vous parler des correspondants locaux que faut-il attendre de leur installation ? Ils devront être les antennes de l'Office de la Main-d'œuvre au point de vue placement, et également hâter la constitution d'un sommier de la main-d'œuvre.
M. le Gouverneur Ramadier. — Vous ne pensez pas aussi organiser le même bureau, le même service dans le cadre des municipalités ?
M. le Ministre du Travail. — Oui, dans les municipalités également. Parce quavant la mise en place du Conseil de Gouvernement, vous-même, par deux circulaires, avez attiré l'attention des Commandants de Cercle et Chefs de subdivision, et également les Administrateurs-Maires des communes sur la question. Du côté des communes, nous ne rencontrons pas de difficultés, elles viennent plutôtdu côté des circonscriptions.
M. le Gouverneur Ramadier. — Evidemment, le personnel des travailleurs est plus groupé dans les villes que dans l'intérieur des cercles. Maintenant, il y a plusieurs choses : vous avez la constitution des dossiers pour les travailleurs qui travaillent dans la ville et dans le cercle, et la constitution de dossiers pour les travailleurs originaires de ce cercle qui travaillent dans d'autres entreprises, d'autres régions. C'est surtout là le problème. De plus, dans l'installation d'un organismê représentant la Caisse, s'insère la question de l'organisation de l'état-civil.
M. le Ministre du Travail. — C'est justement cela : les dispositions qui sont prises ne sont que transitoires.
M. le Commandant de Cercle de Kissidougou. — Il y aurait intérêt à envoyer une documentation complète pour les nouvelles mairies. Cela vaut également pour les affaires militaires ; les secrétaires ne reçoivent pas le détail des textes et ont besoin d'une documentation précise pour toutes les questions municipales.
M. le Ministre du Travail. — C'est d'accord ; je l'ai souligné en clonclusion des circulaires dont j'ai demandé la diffusion, donnant des détails précis sur la production des pièces d'état-civil, et également en matière de constitution de dossiers qui seront envoyés à tous les chefs de circonscription et aux mairies.
M. le Gouverneur Ramadier. — Vous pouvez donc organiser partout ces embryons de service d'état civil ?
M. le Ministre du Travail. — Il faut tout d'abord savoir si, à l'échelon de la circonscription, on peut obtenir le détachement d'un commis qui suivra le stage d'imprégnation à Conakry et qui sera remis à la dispostion du Cercle pour s'occuper de ces questions ou, s'il y a possibilité, de trouver sur place un local pour installer un correspondant que nous formerons sur place. Voilà les deux solutions qui peuvent être retenues.
M. le Commandant de Cercle de Macenta. — Je ne sais pas si c'est possible, mais pour le cas de Macenta, est-ce que le représentant des syndicats ne pourrait pas s'occuper des prestations familiales ? Il le pourrait certainement.
M. le Ministre du Travail. — Il a un travail tout à fait différent de celui qui doit être refait à l'échelon administratif. Vous savez que l'Administration doit suivre d'une manière rigoureuse l'application des textes et des lois sociales ; en dehors de cela, en ce qui concerne les Commandants de Cercle, par exemple, l'Administration se doit de détecter les éléments bénéficiaires des Allocations Familiales. C'est pourquoi nous voulons, pour que la situation soit conforme aux réalités, que cela se fasse à l'échelon administratif ; le syndicaliste, lui, ne pourra aider le travailleur que pour l'orienter, il pourra au besoin lui établir les demandes qui ne seront pas pour autant complètes parce qu'il faut y joindre des pièces d'état civil que lui, syndicaliste, ne peut, établir. C'est pourquoi il faut que le correspondant soit à l'échelon administratif.
M. le Commandant de Cercle de Boké. — Je crois qu'il faut réserver une attention particulière aux cercles à vocation industrielle. Le problème sera là beaucoup plus important que partout ailleurs. Déjà, quand nous avons fait le budget 1956, nous avions demandé s'il ne serait pas possible de nous envoyer non pas quelqu'un qui n'aurait que cette seule attribution de constituer les dossiers, mais quelqu'un qui pourrait aussi, en se promenant de chantier en chantier, voir toutes les autres questions que soulève un groupement de main-d'œuvre loin de tout centre organisé. Et nous avons demandé une assistante sociale.
M. le Gouverneur Ramadier. — Le cas a retenu notre attention ; nous avons demandé, à l'échelon fédéral, d'organiser un stage de formation de contrôleurs du travail ; c'est déjà un fonctionnaire du cadre supérieur capable d'aller sur les chantiers, de suivre l'application des lois sociales. A Dakar a été organisée une école de formation de Contrôleurs du Travail ; nous en avons effectivement prévu un pour Boké, un pour Fria et un pour Conakry, ce qui fait, pour commencer, trois sinon quatre contrôleurs pour la Basse-Guinée.
M. le Ministre du Travail. — Au sujet du problème de l'assistante sociale, dans le cadre de l'organisation des conseils de circonscription, vous pouvez librement la mettre en place, et à l'échelon territorial nous pourrons, à ce moment-là, vous la donner effectivement afin que ce problème soit résolu d'une manière correcte.
M. le Commandant de Cercle de Boké. — Le problème important, c'est la visite des enfants par le médecin ; une assistante sociale est particulièrement indiquée pour faire comprendre aux parents que c'est non seulement indispensable, mais dans leur intérêt. Sur les chantiers de Fria, d'autre part, on se heurte à d'énormes difficultés pour obtenir la constitution des dossiers. Les travailleurs viennent de Conakry et de beaucoup d'autres circonscriptions. Fria va avoir une assistante sociale qui sera toujours sur le chantier et s'occupera elle-même de la constitution des dossiers.
M. le Gouverneur Ramadier. — La Société Fria ne pourra pas le faire pour toutes les entreprises. Ce sont les chantiers qui doivent faire le travail. Comment s'opère le paiement des allocations ?
M. le Commandant de Cercle de Boké. —Par l'agence spéciale. Les intéressés eux-mêmes viennent se présenter à la caisse.
M. le Gouverneur Ramadier. — Il faut organiser les caisses sur les chantiers.
M. le Ministre du Travail. — Avec les correspondants qu'on va mettre sur place.
M. le Gouverneur Ramadier. — L'ennui, c'est que vous allez mettre ces correspondants au chef-lieu du cercle et les chantiers n'y sont pas.
M. le Ministre du Travail. — Ou sur les chantiers, le chef-lieu n'en étant pas très distant. La Caisse sera sur place mais le paiement peut être fait sur les chantiers, la caisse restant elle-même au chef-lieu. Tout ce qui a été fait jusquici n'est qu'à titre transitoire. Ce qu'il faut, c'est instituer assez rapidement des pièces d'état civil. Nous avions pensé au départ qu'il pourrait y avoir des équipes mobiles pour les audiences ; l'état civil des intéressés serait d'abord établi sur témoignage de deux notables du village ; on pourrait ainsi servir un grand nombre de villageois.
M. le Président Sékou Touré. — La grosse difficulté, c'est que l'état civil ne consiste pas simplement en la remise d'une carte ; c'est l'inscription sur un registre, dans un lieu donné, le lieu d'origine.
M. le Ministre du Travail. — Justement, cela aide beaucoup. Il y a des villageois qui se trouvent éloignés de plusde quatre-vingts kilomètres du chef-lieu et ils ne peuvent se déplacer d'aussi loin pour obtenir une pièce d'état-civil.
M. le Commandant de Cercle de Gueckédou. — Le problème est posé à Dakar pour la délivrance de cartes d'identité pour des gens qui n'étaient pas de Dakar. Une. solution a été adoptée, qui pourrait être retenue ici, la personne envoie sa photographie et la carte d'identité est établie après enquête de police dans la cirecnscription.
M. le. Gouverneur Ramadier. — Il faut admettre que si le texte concernant les allocations familiales doit être modifié, on le modifiera, mais la carte d'identité suffit. Le travailleur, avec sa carte d'identité, pourra fournir son dossier. On pourra demander la carte des enfants. Il faut maintenant une certaine discipline de la carte d'identité, même s'il n'y a pas de registre auquel on puisse se référer.
M. le Président Sékou Touré. — Nous revenons encore au même point : nécessité d'une administration qui touche de plus près la population, surtout sur le plan de l'état-civil, ce qui nous ramène aux problèmes de recensement, des listes électorales, des postes administratifs. Il faudrait faire l'inventaire des possibilités de centres secondaires nouveaux.
M. le Commandant de Cercle de Kankan. — Je pense. que si nous voulons faire une poltique d'ensemble, quelque chose que l'on puisse utiliser, il faut une idée directrice pour le Territoire, et que celle-ci parte du chef-lieu, qu'il y ait des équipes spécialisées, bien formées. Nous reconnaissons tous que le recensement est la base même de notre Administration, sinon les finances s'en ressentent, c'est donc quelque chose qui mérite que l'on dépense un peu d'argent et que l'on forme des gens d'une manière rationnelle.
M. le Gouverneur Ramadier. — Il est peut-être possible que nous ayons besoin, dans le cadre de l'industrialisation, d'augmenter nos études démographiques. Dans ce cas, on pourra concevoir ces missions démographiques nouvelles comme une espèce de stage pour un certain nombre de commis que vous enverriez et que nous pourrions former à des méthodes de statistique etde recensement.
M. le Commandant de Cercle de Gueckédou. — Il y a un élément psychologique à retenir dans le recensement, c'est que la population vient plus facilement au recensement quand elle a à se présenter à l'Administrateur qu'elle connaît, plutôt que devant des techniciens qu'elle ne connait pas ; il y a un facteur de confiance qui joue dans le rerensement, de facilité de contact.
M. le Gouverneur Ramadier. — Il y a peut-être aussi à donner à ces agents recenseurs des méthodes. On peut prendre des gens dans chaque cercle, originaires de ce cercle, et les former ; ils reviendront ensuite dans leur rercle où la population les connait.
Le Commandant de Cercle de Kankan. — Rien ne nous empêche, quand cette mission viendra dans notre cercle, de l'accompagner dans ses déplacements.
M. le Gouverneur Ramadier. — Il faut quelque chose de pratique. Nous avons décidé que la cellule de base serait le village, il faut que le recensément d'état civil soit fait dans le village. Peut-être pouvons-nous trouver un moyen de simplification de tableau, de colonnes, etc...
M. le Commandant de Cercle de Macenta. — En Côte d'Ivoire, le cahier de recensement est plus pratique, plus facile à consulter, à établir.
M. le Gouverneur Ramadier. — Il peut être possible de s'inspirer de ce qui a été fait dans d'autres territoires.
M. le Président Sékou Touré. — Je pense que, comme les autres problèmes, celui-ci également doit être vu en fonction de la nouvelle politique sociale que nous entendons mener. Si la base de cette politique est dynamique, il convient de considérer le temps dans lequel ces opérations doivent être menées, et elles doivent être menées rapidement. Je ne pense pas, pour ma part, que le travail de statistique et le travail de recensement puissent être confondus. Si, pour l'un, des connaissances scientifiques sont indispensables, pour l'autre il s'agit d'un travail absolument mécanique.
Il s'agit de savoir quel est notre but. Notre but est, je crois, d'avoir rapidement un registre de recensement pour chacune des circonscriptions administratives au niveau des villages considérés comme cellules de base pour lesquelles nous entendons, par forme démocratique, mettre sur pied un système de chefferie, collégiales ou non.
Ceci étant fixé — la réalisation n'est pas une question d'un ou deux ans, mais de mois — les moyens envisagés doivent tenir compte de ce facteur temps, pour que des dispositions contradictoires ne soient pas prises dans leur effet. Les moyens les plus indispensables pourraient manquer : je veux dire le personnel sérieux, pouvant tenir d'une manière parfaite ce registre de recensement.
Ne pouvant disposer de l'effectif possédant cette qualité, nous allons chercher d'autres moyens, et ces moyens existent. Nous avons dans chaque circonscription des secrétaires de canton qui connaissent parfaitement les villages composant ces cantons ; si les cantons ne constituent pas une entité économique, sociale, ils constituent du moins une entité administrative.
Nous savons que le critère de désignation des secrétaires était de savoir lire et écrire, et je crois que la plupart des vieux secrétaires de canton — les trois-quarts au moins — savent parfaitement tenir un registre de recensement.
Si la proposition qui a été faite hier, c'est-à-dire l'impression immédiate de livrets de famille est retenue, d'ici un mois ces livrets de famille pourront être imprimés et envoyés aux circonscriptions. Leur répartition se fera à partir du canton en fonction du registre de recensement actuel. Les secrétaires de canton, ou les instituteurs en congé, les intellectuels qui chôment, entreprendront ce travail et vous verrez que, dans quatre mois, vous obtiendrez un registre parfaitement tenu au niveau du village. On peut favoriser l'application des réformes envisagées en suggérant dans les villages que toutes les prochaines élections de membres de conseils cantonaux, de membres de conseils de village ou dechefs de village, toutes les élections futures, dis-je, se fassent sur la base, du recensement, et que toutes les cartes d'identité soient établies, en fonction de ces registres.
Certes, il y aura quelques insuffisances, mais il vaut mieux, en six mois, avoir un état à peu près correct dans une proportion de 90 à 95 %, que de rester sans état civil.
Je pense que nous pouvons faire le recensement à partir de ces méthodes. Si nous commençons le travail maintenant, il est certain qu'avec les rajustements annuels qui se feront, nous arriverons, dans quatre à cinq ans, à avoir un registre de recensement, convenablement tenu et reflétant la réalité. Il s'agit de commencer en tenant compte de toutes les dispositions arrêtées hier.
M. le Gouverneur Ramadier. — Je crois qu'on pourrait s'arrêter aux règles suivantes : nous mettons sur pied un registre de village correspondant à des livrets de famille ou des carnets de ménage ; nous procédons à un recensement de tous les villages dont nous devons changer le chef et dans lesquels il peut y avoir des consultations avant la fin de l'année. On pourra en même temps lier cette opération à la révision des listes électorales et au paiement des impôts arriérés.
M. le Commandant de Cercle de Siguiri. — Il y a la question des émigrés ; beaucoup, chez moi, sont partis en Côte d'Ivoire depuis cinq ou six ans et souvent figurent encore sur les listes de recensement. J'ai pris l'habitude de les supprimer.
Le Commandant de Cercle de Boké. — Au Foutah, les gens tiennent à rester inscrits au recensement de leur village, même au bout de plusieurs années d'absence : certains sont à Dakar ou ailleurs, mais continuent à se faire inscrire.
M. le Gouverneur Ramadier. — Je pose alors la question : n'est-il pas possible de considérer que tous les gens qui ont quitté leur village dépendent de l'Office de la Main-d'oeuvre ? A ce moment-là, lorsqu'il y aurait une demande de carte d'identité dans un cercle pour quelqu'un qui serait originaire d'un autre cercle, vous avertiriez l'Office de la Main-d'oeuvre et vous auriez ainsi un contrôle de la main-d'oeuvre. Il serait possible d'établir un fichier.
M. le Président Sékou Touré. — Je m'excuse, mais je pense que sur ce point il est facile de compléter le recensement, qui devra être fait sans tenir compte des absents. Il est inutile de faire un travail qui, budgétairement surtout, ne correspondra pas à la réalité.
Ne voteront dans le village que ceuxqui y habitent ; tous ceux qui ne sont pas inscrits sont considérés comme n'habitant pas le village. Dans les centres urbains, les originaires des autres territoires seront obligés de s'inscrire dans le centre où ils habitent c'est dans le lieu où l'on habite qu'on paie l'impôt.
Pour les travailleurs, il est facile également de faire une sorte de pression : si lOffice de la Main-d'oeuvre, comme la loi le prévoit, était réellement le seul organisme habilité à embaucher des travailleurs, et si nous faisions une application stricte de la loi, à savoir que tout employeur qui engagerait un travailleur devrait passer par l'Office de la Main-d'Oeuvre, vous verriez que tous les travailleurs, comme les chômeurs, viendraient se faire inscrire à l'office parce quils ne trouveraient de place nulle part. Nous aurions alors un registre complet qui servirait lui-même à compléter les registres tenus dans les centres urbains.
M. le Ministre du Travail. — Ceci est d'autant plus exact que l'Office a fait des efforts maxima dans ce domaine en envoyant des cartes où sont imprimées les colonnes à remplir avec indication de l'emploi que doit occuper l'intéressé, mais les maisons de commerce et les entreprises se refusent à répondre alors même qu'elles se trouvent en face d'une organisation parfaite. L'organisation doit être menée afin que les employéurs, eux aussi, soient ,conscients de la situation.
M. le Gouverneur Ramadier. — Si vous voulez, sur le plan pratique, on pourrait demander au Ministre de l'Intérieur de réunir les Commandants de Cercle pour avoir une idée de la contexture immédiate de ces livrets de famille afin de passer commande à l'imprimerie dès la semaine prochaine.
M. le Commandant de Cercle de Gueckédou. — Je voulais poser une question. M. le Président Sékou Touré, tout à l'heure, a soulevé le problème justement : que faire au moment du recensement si des habitants d'autres villages viennent se faire inscrire au recensement dans le village intéressé en vue de soutenir une candidature future ? Nous voudrions des instructions très fermes à ce sujet, et savoir si, dans ce cas, c'est la question de domicile qui joue.
M. le Gouverneur Ramadier. — C'est la question du domicile qui joue également pour l'impôt et pour l'inscription sur les listes électorales. Elle doit être résolue de la même facon.
M. le Commandant de Cercle de Boké. — Il faut que le règlement soit bien précisé désormais. J'ai vu le cas de certains hameaux qui se trouvent englobés dans un village et relèvent normalement d'un autre village.
M. le Gouverneur Ramadier. — Le Conseil de Circonscription fera ce regroupement. Si vous faites le recensement par hameau, vous aurez un livret de hameau.
M. Commandant de Cercle de Kissidougou. — C'est un peu dangereux parce que des villages croiront qu'on les a scindés alors qu'il n'en est pas question.
M. le Gouverneur Ramadier. — On vous demande actuellement de recenser les gens qui existent dans une collectivité donnée ; plus tard, quand le Conseil de Circonscription existera, on fera le regroupement de ces hameaux ; ce quon vous demande, c'est une photographie de la population.
Pour résumer, je propose que le livret de famille à imprimer dans les plus courts délais soit le même pour toutes les circonscriptions du Territoire. Il faut, à mon sens, lier les notions de carte d'identité et de livret de famille.
Si vous le voulez, nous allons laisser maintenant la parole à M. le Ministre de la Production, qui va nous exposer les problèmes posés par la protection des sols.
Le Ministre de la Production, M. Jean-Eugène Mignard. — Il n'est pas question aujourd'hui, en si peu de temps, d'étudier tous les problèmes que pose la Guinée, mais seulement ceux concernant en particulier la protection des sols, d'une part, et surtout la conservation des sols. Dans une note très sommaire qui vous a été remise, il est fait état de quelques-uns des travaux qui ont été faits en Guinée. Actuellement, il est simplement question de rappeler certains principes que vous connaissez déjà tous, d'une part, et d'émettre, d'autre part, quelques idées sur la question en liaison avec les mesures à prendre en matière d'augmentation de la production des cultures vivrières.
Qu'est-ce que le problème de la conservation des sols en général ? Protéger le sol veut dire conserver à un territoire la capacité de production de ses terres. Il ne s'agit pas de protéger les sols pour le plaisir de les protéger. Il s'agit de les protéger pour qu'on puisse s'en servir et augmenter la capacité de production de ce territoire. Vous savez que dans un pays en pleine évolution — et c'est le fait de la Guinée — les besoins augmentent considérablement : les causes en sont l'amélioration du niveau de vie, l'augmentation de la
population elle-même et, dans le cas de la Guinée, une industrialisation très rapide qui va se produire. Or, la superficie actuelle cultivable était déjà juste suffisante pour assurer ces dernières années une alimentation rationnelle des populations, c'est-à-dire une ration alimentaire minima. Il faut donc, de toute nécessité, conserver au Territoire le capital qu'il possède dans son sol de façon à ce que sa capacité de production reste la même, qu'elle ne se dégrade
pas, d'une part et, d'autre part, envisager des aménagements qui permettront de récupérer sur une surface cultivable de nouvelles superficies à mettre en culture.
Sur les terres qui sont actuellement cultivées, les cultivateurs utilisent les techniques traditionnelles qui étaient valables autrefois pour une population donnée, dans des conditions bien définies. Or, ces conditions ont changé. il faut donc envisager les moyens de transformer, de bouleverser cette technique traditionnelle, pour l'aligner sur les nouveaux besoins du Territoire.
En quoi consistait le système des cultures autrefois et actuellement encore pratiquées ? Prenons pour exemple la culture du riz, il y a plusieurs systèmes de culture, et celui qui, en particulier, risque de dégrader le plus rapidement le sol, est la culture du riz de montagne. Il ne peut être question de supprimer purement et simplement la culture du riz de montagne, parce que cette culture risque de dégrader le sol ; il faut aménager le sol pour que la culture du riz de montagne conserve à ce terrain la capacité de production qu'on lui a demandé. Vous savez que le seul moyen ancien et encore actuel de cultiver le riz de montagne, c'est la jachère arborée, qui le regénère par les apports qu'elle fait au sol en matières organiques, les arbres prenant en profondeur certains éléments, et restituant ces éléments minéralogiques sous forme non seulement de feuilles mais de. minéraux organiques. Or, cette jachère adoptée par empirisme local et qui était arrivée à des résultats concluants au point de vue régénération des sols, est extrêmement longue. Avec l'augmentation de la population on est arrivé, dans certaines régions, à réduire de plus en plus la durée de cette jachère et, dans certains cas, à stériliser certains sols parce que l'apport de cette jachère n'était plus suffisant.
Dans les zones de rizières, le problème est un peu différent. Que. les rizières soient des rizières inondées, ou des rizières de bas-fond, vous avez un afflux de matières qui proviennent des terrains environnants.
Il y a évidemment plusieurs moyens, dans la culture du riz de montagne, de permettre au sol de se conserver tout en faisant ceti cultures : c'est d'abord la durée de la jachère « . Ensuite, dans certaines situations où le sol se trouve, pour des raisons topographiques, inapte à ces cultures parce que les pentes sont trop fortes et risquent, au moment du déboisement, d'entraîner le sol arable ; il y a des moyens, déterminés par des études faites en Guinée ou résultant de l'application de principes généraux déterminés dans d'autres pays qui permettent au sol de rester en place. C'est le cas des cordons de pierre quon a constitué dans les secteurs pilotes et qui ont trouvé une certaine expansion dans la région du Foutah.
Je pose également la question des feux de brousse : il y a le feu de brousse véritable et le feu de culture. Le feu de culture, dans l'état actuel de nos moyens, est la seule méthode pour permettre la culture du riz de montagne ; ces feux de culture, contrairement à ce qu'on pensait au début, il y a de nombreuses années, ne sont pas une catastrophe, à condition qu'ils soient employés d'une manière rationnelle, c'est-à-dire que l'on permette à ce couvert forestier qui régénère le sol de se reconstituer. Par conséquent il y a certaines méthodes à appliquer et également il est aussi nécessaire et indispensable que le feu de culture, qui est fait pour une superficie bien donnée, n'atteigne par des superficies considérables et détruise les jachères des années suivantes. Ces méthodes vous seront indiquées de façon à pouvoir essayer de les mettre en place dans vos circonscriptions.
Il y a, d'autre part, le simple feu de brousse qui est mis soit par des pasteurs, soit par les populations dans un but ou dans un autre, ne serait-ce que pour récolter le miel, et qui intéresse des superficies considérables. Là aussi, il y a une lutte à mener en éduquant la population de façon à restreindre au maximum ces feux de brousse qui détruisent le capital du territoire et qui servent, en somme, à peu de choses. Cette année, en particulier, on a pu se rendre compte, à cause de cette sécheresse extrêmement longue, des dégâts considérables des feux de brousse ; c'est une action qu'il y a falloir mener avec une grande vigueur.
Enfin, dans la protection des sols, il y a la protection proprement dite de zones qui sont, pour une raison ou pour une autre, incultivables. C'est le cas des pentes beaucoup trop fortes où les cultures risquent alors de causer des dégradations considérables. Là aussi, ce sont des méthodes connues qu'il faut appliquer et pour lesquelles il faut éduquer la population. Cette éducation est indispensable, il ne faut pas que les services qui sont chargés de la conservation des sols soient uniquement des services répressifs, ou donnent cette impression. Il y a donc, à la base, une éducation de la population qui doit commencer le plus tôt possible, c'est-à-dire à l'école, car c'est en apprenant aux enfants et en leur expliquant les avantages et les inconvénients des méthodes anciennes et des méthodes nouvelles qu'on peut leur permettre de faire des comparaisons et, petit à petit, les inciter à avoir le respect de la forêt.
Enfin, parmi les moyens à mettre en œuvre pour augmenter la production vient l'aménagement des terres nouvelles.
Ces aménagements posent :
Problèmes d'investissement et de financement. Les aménagements coûtent cher. Il est évident que le Territoire ne pourra investir des sommes aussi considérables dans des zones comme la Basse Guinée. Il faut mettre les projets à la mesure de nos moyens.
Problème de population et problème d'organisation. Il faut que ces aménagements soient faits ; il faut en faire l'étude ; il faut, de plus, qu'ils soient rentables. Il faut voir dans chaque cireonscription, dans chaque cercle, les petits aménagements qui peuvent intéresser une masse de travailleurs et c'est là une action difficile à mener. Je parle ici d'aménagements dans les petites vallées, dans les bas-fonds, qui permettent de mettre à la disposition d'un village une augmentation de la production.
A côté de ces aménagements, un autre moyen d'augmenter la production, c'est l'augmentation de rendement à l'unité de surface. La culture traditionnelle que l'on voit un peu partout en Guinée est adaptée à des besoins anciens. Les besoins ayant changé, il faut que les moyens changent. Il n'est pas question de bouleverser toutes les techniques, mais de vouloir imposer de nouvelles techniques. Il faut prendre d'une part, en dehors de toutes les recherches qui peuvent être faites, la culture telle qu'elle est, et voir comment en peut augmenter les rendements aux unités de surface. Il y a plusieurs façons de faire. Il y a l'introduction et la distribution de certaines variétés à plus grand rendement ; il y a la succession de cultures sur un même terrain qui permet de donner une augmentation de production. La culture principale est celle du riz, puis, celle du manioc et de la patate. Or celle de la patate demande un certain laps de temps. Après la récolte du riz, en décembre, le cultivateur qui laboure ses champs immédiatement peut semer des arachides en pleine saison sèche. L'humidité du sol est suffisante pour permettre à la plante de pousser d'une façon correcte. La récolte d'arachides est assez bonne avant la saison des pluies. Le cultivateur transforme ensuite son terrain en rizière.
Pour l'augmentation du rendement, il faut des méthodes modernes qui ne peuvent être mises à la disposition du paysan que lorsqu'elles ont été utilisées dans des stations de recherches. Il y a, en particulier, l'utilisation des engrais, la motoculture. L'utilisation des techniques modernes ne peut étre diffusée dans le pays, étant donné le personnel dont on dispose, il n'est pas possible que l'on puisse étendre ces techniques à tous les paysans. Par conséquent, la diffusion et l'amélioration modernes de la culture ne peuvent se poursuivre que si ces méthodes sont diffusées auprès de groupements de paysans, de coopératives rurales.
Un dernier point, c'est que toutes ces questions intéressent, comme vous le savez, le Service de la Production dans son ensemble. Il n'y a pas un problème d'élevage, un problème agricole, un problème forestier, il y a un seul problème qui englobe toutes ces disciplines. La Guinée a voulu grouper ces trois services de façon à ce que les programmes soient établis en vue de ces trois objectifs : agriculture, élevage, forêts.
M. le Gouverneur Ramalier. — Je voudrais poser une, question : il y a des secteurs où l'effort que vous préconisez a été fait, par exemple en région forestière ; pensez-vous que les fonctionnaires chargés de ce travail technique ont pris suffisamment de contacts, avec la population pour leur expliquer le but que l'on recherche ?
Le Ministre de la Production. — Justement non. C'est un problème général ; nous l'avons évoqué à Dakar ; il y a certainement un manque de contact extrêmement regrettable entre la recherche et la vulgarisation. Or, la recherche n'est valable que, si elle est vulgarisée. Faire de la recherche pour la recherche ce n'est pas pensable. Nous avons examiné cette question avec nos camarades des autres territoires et du Gouvernement Général. Il y a une réorganisation complète à faire entre les services de production. Cette question va être prochainement examinée à Abidjan concernant les stations de recherches de la Côte d'Ivoire.
M. le Gouverneur Ramadier. — Ne pensez-vous pas que la solution serait ce dont nous avons parlé hier, c'est-à-dire la participation de ces fonctionnaires techniques au fonctionnement des coopératives ? On a fait des travaux remarquables pour protéger les versants. Mais on se rend compte que les cultivateurs ne comprennent pas ce qu'on leur fait faire. Est-ce qu'une organisation de type coopératif ne pourrait permettre cette vulgarisation de l'oeuvre ?
M. le Ministre de la Production. — On en vient toujours à cette nécessité que si l'on veut augmenter la production en Guinée il faut créer des groupements coopératifs.
M. le Gouverneur Ramadier. — Ne serait-il pas opportun de créer une coopérative dans chaque secteur de production ?
M. le Ministre de la Production. — Quand une station de recherches étudie et commence à réaliser, il peut être, dangereux de mettre trop vite les futurs utilisateurs au courant des processus de la recherche très souvent ils ne voient que les échecs du début, et cela les marque psychologiquement ; par conséquent, on ne doit les faire participer que lorsqu'on a eu une indication ou des résultats,, favorables.
M. le Gouverneur Ramadier. — Ne pensez-vous pas qu'il soit primordial de concentrer tous les efforts sur un secteur d'encadrement déterminé ? Nous nous heurtons toujours au fait que nous, n'avons qu'une masse déterminée de crédits.
M. le Ministre de la Production. — Il y a toujours intérêt, au point de vue travail de recherche, à concentrer les efforts sur un point et ensuite à partir de ce point plutôt que d'essaimer du personnel isolé sans moyens d'action, d'une part, et sans interlocuteur valable d'autre part. La recherche dépend évidemment de la valeur personnelle de l'individu, mais encore faut-il qu'il ait un interlocuteur valable, des gens ayant la même préoccupation que lui, sinon il s'enferme dans sa tour d'ivoire. Il y a évidemment intérêt à porter l'effort au départ sur des points bien précis de façon à dégrossir les problèmes. C'est à partir de ces secteurs, de ces stations, en principe de ces points bien précis que l'on peut ensuite rendre service aux populations. Ceci n'empêche pas que dans d'autres secteurs, comme par exemple le Kabak, qui ont déjà été aménagés, il faille du personnel qui puisse faire fonctionner cette organisation, mais c'est quelque chose à part. Pour le secteur du Baffing, on a groupé les efforts dans ce secteur plutôt que de disperser les gens. Il faut bien reconnaître qu'ils font beaucoup de kilomètres en voiture sans beaucoup de profit pour le Territoire.
Je dois vous dire tout de suite que ce n'est pas en deux ou trois mois que l'on peut mettre sur pied un plan général de production et un plan de réorganisation des services actuels. C'est une question à l'étude et, avant la fin de l'année, le Conseil de Gouvernement prendra une décision pour voir dans quelles conditions on peut organiser au mieux la production et les moyens. Nous avons une masse de personnel déterminé et l'on ne peut pas, pour 1957-1958, pour des impératifs budgétaires, en envisager l'augmentation.
M. le Commandant de Cercle de Kouroussa. — Je voudrais évoquer la question des moniteurs d'agriculture. A Kouroussa, nous n'en avons que quelques-uns, or ils se sont mis en grève et ont refusé de donner des conseils à qui que ce soit.
M. le Ministre de la Production. — Cette question de grève dépasse actuellement le cadre territorial parce qu'elle a été décidée à l'échelon fédéral. C'est aussi une question que nous allons évoquer à la Conférence d'Abidjan parce qu'évidemment si les moniteurs, qui sont là pour éduquer la population, ne font pas de tournées, ils sont inutiles. On arrive même à une chose extraordinaire que les moniteurs qui étaient domiciliés en brousse, qui avaient leur maison, leur affectation dans des postes de brousse, ont rejoint — c'est le cas de Macenta — le chef-lieu, étant donné cette grève, alors que dans leur lieu daffectation ils pouvaient quand même jouer un certain rôle. C'est un problème extrêmement grave, en dehors de la perte d'efficacité, cela crée un malaise très préjudiciable.
M. le Commandant de Cercle de Kindia. — Cela risque de compromettre toutes les distributions de plants futurs de caféiers, orangers, colatiers ; cette distribution doitse faire en présence des moniteurs. De même, il ne sera pas possible, tant que la grève durera, de contrôler la mise en terre par les utilisateurs. En ce moment soixante mille pieds de cafèiers et d'orangers attendent la distribufion, je ne suis pas sûr que ces pieds ne soient pas perdus.
M. le Commandant de Cercle de Dubréka. — J'ai une question à vous soumettre, Monsieur le Ministre, ne serait-il pas possible que les essais dits de vulgarisation faits par la station du Koba soient, en quelque sorte, confiés à la surveillance des chefs de circonscription. Je cite un cas : il y a plus de deux ans, j'avais demandé au Koba de faire quelques essais statistiques de semences dans un casier de 90 ha à peu près de rizières endiguées. Un fonctionnaire du Koba est venu passer une demi-heure au village. Il est reparti après avoir dit, simplement : « voilà des semences, utilisez-les dans des petits carrés de huit mètres. » Je ne sais ce que sont devenus tous ces essais, je suis allé récemment au Koba, j'ai aussi écrit sans succès ; je vous signale cela, Monsieur le Ministre, pour que vous soyez édifié sur le sérieux de ces opérations.
Il y a une autre question également sur laquelle je voudrais intervenir, c'est la conservation des sols en forêt. Il y a chez moi, dans la région du Kakoulima, un certain mécontentement de la part des forestiers qui manquent de terres. Il est difficile de leur faire comprendre la nécessité de défense des sols, mais je pense y arriver, à une condition, c'est de leur démontrer la bonne foi de lAdministration et cesser, par exemple, de donner des terrains pour faire des pépinières dont les plants doivent leur être remis gratuitement et qu'ils ne reçoivent jamais ; le terrain est conservé dix ans sans être utilisé ; ce sont des choses qui indisposent profondément les cultivateurs. En ce qui concerne le Kakoulima, la raison du refus de nous laisser construire même avec nos propres moyens des digues de protection, c'est que si le paysan laisse l'Adminitration faire ces travaux, il ne retrouve jamais la jouissance des terrains. Si la nécessité de créer des forêts s'impose, par contre nous avons fait un classement un peu large ; il y a une limite naturelle, c'est tentant, mais cela englobe des terrains qui ne sont pas indispensables en forêt. Bref, nous nous trouvons devant la nécessité de repenser la forêt classée, de la réduire à ce qui est strictement indispensable, de la protéger et d'assurer aux populations les moyens de conserver le terrain, la possibilité d'obtenir des cultures meilleures, etc... Là, je crois qu'avec l'aide des responsables politiques à Dubréka, qui vraiment aident l'Administration loyalement, nous arriverons à persuader peu à peu les populations, à condition que l'Administration tienne ses promesses. C'est une question que je vous soumets, Monsieur le Ministre, car elle est d'importance.
M. le Ministre de la Production. — La forêt classée a été reconsidérée dans certains cas et mise à la disposition de la population.
M. le Commandant de Cercle de Kissidougou. — Dans le cadre de l'information j'ai proposé la création de comités ruraux qui. devraient comprendre tous les fonctionnaires informés. De plus, dans la commune, j'ai proposé de créer une commission rurale qui étudierait les problèmes. Il faut tenir les personnalités de la ville au courant des problèmes ruraux. C'est extrêmement utile pour l'évolution rurale.
M. le Président Sékou Touré. — Sur ce point, je voudrais dire quelques mots ; je crois que nous devons bien comprendre que nous avons deux buts à atteindre :
Il dépend de nous tous d'avoir des contacts avec la population.
La réussite politique en la matière dépendra des grands moyens que l'autorité publique voudra mettre à la disposition des régions et sans lesquels moyens la productivité, l'augmentation de la productivité ne pourraient être obtenues.
Sur le premier point, je dirai qu'il y a nécessité de modifier les conditions de situation des fonctionnaires du Service de la Production dans les secteurs des Eaux et Forêts, de l'Agriculture et de l'Elevage. Ces trois services ont fait beaucoup de bien à la population, mais ont échoué dans leur rôle d'information et d'éducation. Et au fur et à mesure que l'économie se modifie, que les secteurs se spécialisent dans un domaine donné, il est nécessaire que le fonctionnement du service se modifie en même temps pour pouvoir répondre aux nécessités, aux préoccupations des populations rurales.
D'abord le Service des Eaux et Forêts. Son utilité ne fait pas de doute. Il a rendu des services, mais ces services n'ont été rendus que par la contrainte. Son côté répressif a été ressenti par la population davantage que son côté utilitaire. Dans l'opinion des populations, les Eaux et Forêts constituent un service très impopulaire, donc il faut éduquer la population sur le but que veut atteindre ce service. Il faut modifier les méthodes anciennes. Voici un exemple : un agent des Eaux et Forêts viendra constater la nécessité de classer telle ou telle forêt ; il s'adressera à la population après avoir pris des dispositions administratives pour lui annoncer que la forêt est désormais classée : quiconque viendra y prendre du bois mort, quiconque y pratiquera la culture, sera frappé durement. Vous connaissez le caractère collectif de ces amendes alors que le délit n'est commis que par un individu. Parfois, le même agent est amené à donner à la population un terrain de compensation sur lequel
elle pourra cultiver. Mais comment procède-t-il ? Il oublie que la forêt classée appartient à un village organisé. Il laisse croire à la
population que l'Administration possède désormais cette forêt ; ensuite, pour le terrain donné en compensation, c'est encore lui qui
décide en propriétaire. Ces méthodes ont révolté les populations
paysannes.
Sur le plan des méthodes, prenons l'exemple des moniteurs d'agriculture. Ils reçoivent une formation accélérée à Tolo. Ils sont polyvalents alors que les problèmes qu'ils ont à traiter sont spécialisés, comportent une série de questions à résoudre, des conseils à donner aux planteurs aux agriculteurs. Ainsi, le problème du café se traite de manière différente de celui de la banane, du fonio, etc... Le moniteur d'agriculture n'est pas spéciafisé dans une zone donnée, dans une culture donnée, il peut donc être utilisé dans le Foutah pour les agrumes, dans la Basse-Guinée pour la banane, dans la Forêt pour le café , à Beyla pour le tabac. On le considère comme un homme polyvalent pouvant servir partout alors que sa préparation et, évidemment son rendement, sont insuffisants. Il faut une spécialisation à obtenir si nous tenons compte de l'évolution dans le domaine de la culture ; celui qui possédait quelques mètres carrés de riz, de patates, de fonio, quelques cultures autour de sa paillote, est aujourd'hui engagé dans une forme de production qui lui demande un choix : il cultive soit le riz, soit la banane, soit le café. Il a besoin de se spécialiser, d'être un technicien. Dans le cadre de ces préoccupations, il faut donc donner une autre formation aux moniteurs et les spécialiser eux aussi.
En dehors de l'aide technique qu'apportent les moniteurs et les agents des Eaux et Forêts au cultivateur, ils pourraient être des éducateurs et d'une manière plus générale, des informateurs. Ils pourraient apprendre au paysan l'utilité des mesures qu'ils sont chargés de lui faire appliquer, lui expliquer la nécessité du classenient des forêts. Mais ils pourraient également le renseigner sur la politique économique poursuivie dans le Territoire, lui l'importance des sommes investies dans son intérêt.
Il y a donc nécessité de vulgariser les plans économiques, de les faire connaître, non seulement dans les centres où les travaux doivent être effectués, mais si possible dans toutues les régions, et même dans tout le Territoire.
Le paysan saura que non seulement l'aide lui est. apportée sur les modes de cultures actuelles, mais qu'aussi une forme d'aide lui est apportée par les grands aménagements prévus dans les plans qui arriveront à modifier toute léconomie guinéenne. Là les Commandants de Cercle, surtout dans leurs contacts avec les futurs
membres des Conseils de. Circonscription, auront un grand rôle d'information qui permettrait à ces mêmes élus d'informer dans les villages les paysans sur ce qui est prévu en leur faveur. Et je dirai que le problème de la production se résoudra parallèlement au problème de l'organisation même dies paysans. Pour coopérer, il faut d'abord que la production existe, que le plan prévu pour la coopération soit en même temps lié au plan de la production et que le paysan soit également informé des deux données.
En ce qui concerne le classement des forêts, certaines d'entre elles doivent être déclassées. Nous voulons sauvegarder l'avenir, mais n'en tuons pas pour autant l'homme, car si cet homme est sous-alimenté, s'il n'a pas de quoi cultiver, il n'aura pas de défense devant l'avenir.
Il faut donc tenir compte des réalités des circonscriptions. Ainsi, dans le cercle de Dubréka, nous voyons certaines pentes qui, en raison des normes établies, devraient rester classées et non cultivées. Mais si nous laissons ces terrains classés, le cercle de Dubréka ne pourra plus vivre.
Donc, dans les régions où le classement des forêts pose des problèmes économiques importants, se pose laquestion des moyens de subsistance des villages. Il faut que les Commandants de Cercle, avec l'accord des représentants de la population, étudient une forme de déclassement permettant au cultivateur de faire vivre le village. Et pour les forêts à classer dans l'avenir, il faut, après étude par les Eaux et Forêts de tous les inconvénients, qu'avant de passer au classement des forêts dans tout le Territoire, le problème soit posé à la base, qu'on explique aux populations que si l'on ne prend pas telle ou telle disposition, nous aurons des difficultés dans cinq ans, et que ces dispositions sont prises en fonction de leur intérêt et non pas de celui de lAdministration.
Ainsi, il serait facile dobtenir de ces populations que telle zone soit classée, puisqu'on l'aurait instruite de la nécessité de ces classements et qu'on lui aurait donné des assurances que la forêt classée reste sa propriété, que demain, lorsqu'on aura trouvé que le déclassement peut se faire, ce déclassement sé fera toujours 'au profit de la même population.
Je crois qu'il y a de grandes chances, au niveau de la circonscription dont le chef serait en contact avec la population par un ensemble d'organismes, d'arriver à résoudre le problème de l'information et de l'éducation, et aussi de faire comprendre à la population que tout ce qui est conçu par les différents services ne l'est qu'en fonction de l'amélioration des conditions d'existence, et, que l'Administration est désormais à sa disposition et non elle à la disposition de l'Administration. Cest la reconversion politique et morale qu'il faut arriver à faire dans les meilleurs délais.
M. le Gouverneur Ramadier. — Nous en revenons toujours au problème humain. Nous avons vu la nécessité de promouvoir la coopération, nous voyons celle d'agir sur l'homme, c'est-à-dire de l'encadrer.
Un des membres du Conseil de Gouvernement avec qui j'ai discuté de cette question pensait que l'on pourrait mettre à la disposition des coopératives, comme conseillers, des fonctionnaires du Ministère de la Production afin qu'ils humanisent leurs connaissances étaient davantagedé contacts avec les paysans. Le Ministre. de la Production pense, au contraire, qu'il ne faut pas détacher ces ,agents des centres de recherche sous Peine de les fixer sur les connaissances acquises et les empêcher de faire évoluer celles-ci et d'en acquérir de nouvelles.
M. le Vice-Président Sékou. Touré. — Je ne partage pas les vues de mon collègue. Ce sont celles d'un technicien, c'est un exposé technique. Mais la puissance publique n'a pas qu'un rôle technique a jouer, elle a aussi un rôle social, politique, humain. Je critiquerai l'esprit dans lequel a été menée la recherche jusqu'ici car elle n'a pas tenu compte de ces impératifs. C'est ainsi que les budgets des stations et organismes de recherche ne sont établis que dans un but pratique et sans souci aucun des besoins et des urgences d'un Territoire, du contenu économique et humain des zones auxquelles elle tend à s'appliquer.
Dans son fonctionnement actuel, la recherche est devenue une fin en soi et le paysan n'en tire aucun profit. Il faut comprendre, au contraire, que la recherche n'est qu'un moyen mis à la disposition du Territoire et de l'homme qui produit. Donc, il faut lier les deux.
Il n'y a pas de risque de sclérose intellectuelle et professionnelle pour l'agent de la recherche mis à la disposition de la coopérative ; au contraire, il sera en contact avec une matière essentiellement humaine et vivante qui va valoriser toutes les connaissances pratiques qu'il aura reçues, qui les orientera, les spécialisera. Car il ne faut plus que le cultivateur dépense son activité en dix cultures différentes, si nous voulons mettre en oeuvre nos projets de planification, il faut qu'il devienne un monoculteur, spécialiste de la banane, du riz, du fonio, et... ayant le sens de la propriété du sol. Et il faut, à côté de lui, mettre un moniteur spécialisé connaissant parfaitement la culture en question.
Ainsi, pour la cercosporiose, l'IFAC a mis au point un remède, mais nous n'avons pas eu de moniteurs spécialisés dans la banane et capables de vulgariser le traitement, d'en assurer l'application pratique. Car le moniteur sortant de Tolo n'est pas spécialisé, et si nous continuons à former des moniteurs polyvalents, pouvant servir à Kindia aussi bien quà NZérékoré ou Siguiri, force sera de reconnaître que nous aurons manqué notre but.
M. le Ministre de la Production. — C'est également mon point de vue et je pense avoir été mal compris. Non seulement le personnel des moniteurs, mais aussi celui des services aurait avantage à être en liaison plus constante avec les populations pour en connaître les besoins et vulgariser les techniques auprès d'elles.
Il faut que les stations de recherches soient tenues continuellement au courant des besoins des producteurs, ce qui peut être fait par le personnel chargé de leur encadrement.
M. le Gouverneur Ramadier. — Il est nécessaire de défendre ce point de vue. Il est nécessaire que la recherche forme les cadres techniques en partant de jeunes gens du pays.
M. le Commandant de Cercle de Kankan. — Il ne faut pas que le moniteur dépende du service de la recherche.
M. le Ministre de la Production. — Il dépendra de la coopérative.
M. le Commandant de Cercle de Kankan. — La station devrait être au service du moniteur.
M. le Commandant de Cercle de Gueckédou. — Au service dela, coopérative par l'intermédiaire du moniteur..
M. le Gouverneur Ramadier. — Ne serait-il pas bon d'organiser des stages de cultivateurs dans les centres de recherche ?
M. le Ministre de la Production. — La semaine dernière, j'ai demandé au Service de l'Agriculture de donner des instructions à toutes les stations de recherches pour qu'une fois par mois aient lieu des visites de moniteurs pour qu'on leur explique sur place le but des travaux entrepris. J'ai envoyé entre autres des élèves du Cours Normal. Ils ont été étonnés, car ils navaient aucune idée de ce qui se passait.
Auprès des paysans, également, la formule rencontre un plein succès. A la suite de visites faites à l'IFAC il y a quelques jours, nous avons eu des demandes pour des démonstrations sur place de traitement de la banane. Le paysan est le même sous toutes les latitudes, il ne croit que ce qu'il voit. J'ai demandé qu'à partir du mois d'août des visites soient organisées chaque mois dans tout-es les stations.
M. le Commandant de Cercle de Dubréka. — Toujours dans le sens de la vulgarisation des techniques et des idées, mais dans un domaine différent, je voudrais poser la question de la généralisation de l'enseignement primaire. Dans les circonscriptions, 7 à 10 % seulement de la population scolarisable est instruite. Ouvrir des écoles pose immédiatement un problème financier en dehors de celui de la formation même des maîtres.
Mais ne pourrions-nous pas organiser une sorte d'enseignemènt populaire, donner aux gens des notions sommaires d"écrîture, de lecture, de comptabilité ? Des écoles sommaires, des maitres recrutés parmi les nombreux chômeurs certifiés d'études, cela est peu coûttux, L'expérience a été tentée dans d'autres pays, avec plein succès.
M. le Gouverneur Ramadier. — Cest souhaitable, mais vous avez vu que la lutte contre l'analphabétisme n'est possible que lorsqu'elle n'est pas menée en langue vernaculaire. On peut apprendre à lire à un Peulh, un Malinké ou un Soussou, mais cela n'ira pas plus loin. Par contre, je crois en la possibilité d'une information, d'un enseignement de base (notions d'agriculture, d'hygiène, de vie sociale, civile et politique) en langue vernaculaire. Il faut choisir. Je vous citerai à ce propos une conversation que j'ai eue avec le Ministre Houphouet à Yamoussoukro. Je lui disais la nécessité d'en arriver à ce qu'avait fait Kwamé N'Krumah, une école dans chaque village, et je lui ai demandé : « Pensez-vous que l'enseignement doive être fait en langue vernaculaire ? C'est de votre réponse que dépend la possibilité d'une scolarisation immédiate.
» Après un instant de réflexion, le Ministre m'a répondu : « Je crois quand même que cet enseignement doit être fait en Français ».
Dans ces conditions, nous sommes limités, parce qu'il faut d'abord apprendre une langue étrangère aux enfants. D'ailleurs, dans le Baoulé dont il était question, nombre d'habitants provenaient d'autres territoires et, même dans le cas d'un enseignement en langue vernaculaire, auraient été obligés de commencer par apprendre une langue étrangère à la leur propre. Tout le problème est là. Il y a une éducation sociale à faire, qui relève de l'éducation de masse ; mais qui dit éducation de masse dit lutte contre l'analphabétisme que l'on a essayé de mener par l'éducation de base à quel prix et pour quels résultats, l'expérience du Foutah le montre assez.
M. le Comandant de Cercle de Boké. — Dans les villages du Foutah les gens qui recevaient l'éducation de base ne pouvaient l'adapter à leur éducation foulah. Ils savaient que le soleil dégrade le sol, mais ne comprenaient pas ce que cela voulait dire.
M. le Ministre de l'Enseignement. — Il n'y a pas de doute que l'un des problèmes les plus urgents qui se posent est constitué par le problème de l'Enseignement. C'est une tâche essentielle qu'il faut tout de suite aborder ; mais, pour l'aborder, encore faut-il l'envisager sous différents aspects, en particulier technique, c'est-à-dire sous l'angle des moyens. Cet aspect technique revêt deux formes : une forme financière et une forme « recrutement du personnel ».
Or, actuellement, nous nous trouvons devant une situation peu brillante, le taux de scolarisation en Guinée est assez faible (9,8 %), il faut donc le faire progresser rapidement. Pour cela il est nécessaire d'élargir la base de recrutement scolaire et la diffusion de l'enseignement au stade de la brousse aussi bien que de la ville.
Dans le passé, deux moyens ont été utilisés pour arriver à ce résultat ; le premier moyen, classique, est la création d'écoles d'enseignement primaire. On en connaît les résultats. D'autre part, il a été entrepris un enseignement de base qui voulait être un enseignement de vulgarisation avec de grands moyens de propagande. Seulement cet enseignement a fait faillite en ce sens qu'il a coûté très cher et que les résultats ne sont pas satisfaisants et pas en rapport avec les moyens mis en œuvre. Ce problème de l'enseignement de base aussi demande à être complété, revu, repensé.
Il s'agit d'un enseignement de base à caractère utilitaire qui pourrait être fait en langue vernaculaire, soit, à un degré supérieur, en français. Pour un enseignement de base en français, se pose le problème d'un personnel ayant une certaine qualification parce qu'il y a un gros effort à faire pour mettre l'enseignement à la portée de tous les intéressés qui représentent aussi bien une population jeune qu'adulte.
C'est cet effort d'adaptation qu'il faut entreprendre, mais qui, en réalité, pose aussi un problème à l'heure actuelle pour un enseignement de base utilitaire ; parce que si cet enseignement en langue vernaculaire peut être tout de suite préférable pour la population adulte, je ne pense pas qu'il soit de même pour préparer
les populations jeunes aux tàches futures qui sont les siennes. Je pense qu'il faut revenir à l'enseignement traditionnel développé dans le cadre scolaire de l'enseignement primaire.
Maintenant, il faut voir comment arriver à un stade de développement suffisant ; j'ai examiné ce qui avait été fait dans les territoires voisins, les résultats obtenus, les critiques, observations
qu'on a pu faire, les réalisations entreprises. En Côte d'Ivoire, la difficulté financière, matérielle, a été levée en mettant sur pied une formule de participation des collectivités de base pour que le Territoire et la collectivité publique n'aient pas à subir seuls les charges d'installation, tout au moins matérielles, de la création des écoles. Il y a une participation des villages, des communautés, de tout groupement d'une certaine importance qui s'associe par des contributions en espèces, ou en nature, à la construction des écoles, la puissance publique n'intervenant en quelque sorte que pour parachever l'oeuvre par un apport en argent ou en technique.
Il reste entendu, cependant, que l'école étant faite, le soin de recruter les maîtres incombe à l'autorité politique responsable.
Par ce procédé, en Côte-d'Ivoire, on est arrivé à avoir un taux de scolarisation qui approche 40 %. Seulement, à l'heure actuelle, il y a un certain malaise, quelques difficultés sont rencontrées quant à la possibilité d'une exploitation rationnelle de ce système de scolarisation, difficultés qui viennent de ce que les maîtres appelés à donner cet enseignement dans les écoles sont, la plupart du temps, des maîtres ayant une qualification technique assez douteuse. Par manque d'instituteurs qualffiés, de moniteurs ayant une certaine formation générale et pédagogique, on a eu recours a un recrutement d'élèves qui sont venus sans préparation aucune, et finalement les enfants qui sont confiés à ces maîtres risquent, dans un délai assez rapproché, de former une population qui ne serait pas suffisamment préparée pour aborder l'enseignement officiel, car il se pose un problème de qualité de l'enseignement.
Or, à mon sens, pour qu'un enseignement soit profitable, il faut amener l'enfant à un degré de connaissance qui lui permette la compréhension honnête des différentes questions qui pourraient lui être posées. Je ne pense pas que des maîtres ayant le niveau du certificat d'études puissent valablement donner cet enseignement.
Aussi, dans ma conception, tout en cherchant dès maintenant a élargir la base du recrutement par une scolarisation plus poussée, je crois qu'il faudrait entreprendre un programme de formation des enseignants, un programme très poussé qui permette, sinon tout de suite, au moins dans trois ou quatre ans, de remplacer ces premières bonnes volontés non confirmées sur le plan professionnel. Et c'est dans ce sens que j'ai proposé au Conseils de Gouvernement une politique tendant à développer l'enseignemént moyen en même temps que l'enseignement primaire, c'est-à-dire, que cet enseignement se fera d'abord au niveau des maîtres non au niveau des populations ; il faudra ensuite pouvoir accordersuffisamment d'écoles avec suffisamment de maîtres, nous sommes en train d'étudier cette politiqu e, de la mettre au point.
M. le Gouverneur Ramadier. — Il v a un autre problème que je crois connaître : ne sentez-vous pas, dans la population des cercles, un besoin d'information ? Ne pensez-vous pas qu'il y ait beaucoup à faire et très vite, à créer une opinion publique, à l'informer et à la tenir au courant de la vie territoriale ? Comment envisagez-vous cela, pensez-vous que ce soit par la radio ou par la presse ?
M. le Commandant de Cercle de Dubréka. — La radio et la presse ne touchent que les intellectuels. Les moyens les plus propres ce sont ceux que M. Sékou Touré à utilisés lui-même, c'està-dire la propagante orale.
M. le Gouverneur Ramadier. — Vous ne pensez pas que le journal et la radio soient le départ ?
Le Commandant de Cercle de Dubréka. — Cela ne touche que les intellectuels et ceux-là sont déjà parfaitement au courant de ce qui se passe.
M. le Gouverneur Ramadier. — C'est déjà quelque chose de toucher les intellectuels.
M. le Commandant de Cercle de Boké. — Quand nous recevrons les brochures destinées au centre culturel — qui n'existe pas — nous les distribuerons, et ces brochures passent de main en main, circulent dans toute la ville.
M. le Chef de Subdivision de Yomou. — Les anciens militaires ont des postes de radio.
M. le Commandant de Cercle de Gueckédou. — Tous les gens de Gueckédou ont de bons petits postes qui viennent de Sierra Leone.
M. le Commandant de Cercle de Pita. — Un autre moyen, c'est le cinéma. La tournée cinématographique, celle qui est faite, par le Service d'Information territorial a un grand succès dans le cercle de Pita. Il y a une observation à faire, cependant : le choix des films est assez réduit. Mais la tournée a duré plus d'une semaine et il y avait des centaines de personnes tous les soirs.
M. le Ministre de l'Enseignement. — Il existe un autre moyen d'Information par le cinéma : à côté du film documentaire, on peut passer un film d'actualités, mêmes anciennes, mais qui restent intéressantes.
M. le Gouverneur Ramadier. — Vous avez des films éducatifs, des films fournis par le Ministère de l'Agriculture.
Le Ministre de l'Enseignement. — Il faut des bandes d'actualités en complément. du film éducatif.
M. le Commandant de Cercle de Gueckédou. — Nous posons le problème de l'influence du cinéma sur les populations, qui est grave. Il présente des dangers très sérieux.
A Gueekédou a été projeté un film intéressant sur la banane, personne n'est venu. La population préfère les « Western ».
Un dessin animé est très intéressant pour la divulgation des méthodes médicales. Certains ont été faits par une organisation internationale qui sont excellents et parfaitement adaptés. Nous avons passé des films parfaits sur la culture du café : ils sont très, assimilables.
M. le Commandant de Cercle de Kouroussa. —Si l'on demandait à l'armée son aide pour cette mission d'information ?
M. le Gouverneur Ramadier. — C'est cértain, mais l'armée, n'accepte que lorsqu'il y a des instituteurs parmi elle. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'on obtient si difficilement la démobilisation des instituteurs.
Avez-vous d'autres questions à poser ?
Personne ne demande la parole.
Le. Président Sekou Toure se lève et prononcé alors son discours de clôture.
[ Home | Etat | Pays | Société | Bibliothèque | IGRD | Search | BlogGuinée ]
Contact :info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2013 Afriq Access & Tierno S. Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.