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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume II. 263 pages


Chapitre 45
Janvier 1959 — 13 juillet 1960.
Sékou Touré veut aider Patrice Lumumba
et s'implique dans la crise du Congo


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Lorsqu'il arrive au pouvoir, Sékou Touré est peu familiarisé avec le problème des colonies belges (Congo-Léopoldville, Rwanda, Burundi), dont le développement politique paraît en retard par rapport aux territoires colonisés par la Grande Bretagne ou la France ; il n'y a même pas de véritable mouvement revendicatif organisé, alors qu'il en existe déjà dans les "provinces d'Outre-mer" portugaises. En décembre 1958, Sékou décide — on ne sait pour quelle raison — de ne pas participer à la conférence des peuples africains conviée par Nkrumah à Accra, où il eût pu rencontrer Patrice Lumumba 112.
De fait, Sékou reçoit Lumumba pour la première fois le 16 avril 1959, lorsque le leader congolais transite par la capitale guinéenne dans le cadre d'une session extraordinaire du comité permanent de la Conférence d'Accra, qui se tient à Conakry du 15 au 17 avril.
Lumumba en profite pour rester une semaine en Guinée, afin d'y étudier aussi l'organisation politique et administrative du pays, le fonctionnement du Parti Démocratique de Guinée et celui des principales institutions. Le 18 avril, il se rend à l'ambassade soviétique pour y avoir un entretien avec l'ambassadeur Pavel Guerassimov, qu'il a rencontré la veille dans un restaurant, et lui décrit la situation politique au Congo 113.

Le 16 juin 1959, Sékou reçoit à son tour Massianga, le délégué de l'ABACO 114 à Accra, qui lui brosse un tableau de la situation congolaise, évidemment assez différent de celui que lui a dressé Lumumba. Un an plus tard, les événements consécutifs à l'indépendance du Congo vont l'amener à s'impliquer fortement dans un problème qui dominera pendant plusieurs années la politique africaine, accentuera la division des pays africains en deux blocs, et, de surcroît, provoquera une sévère crise dans les relations de la Guinée et de l'ONU.
Plusieurs des futurs dirigeants congolais s'installent à Conakry et s'y forment aux techniques et à l'idéologie révolutionnaires 115 ; d'ailleurs, pendant les mois qui précèdent l'indépendance du Congo, l'influence du Ghana et plus encore (pour des raisons de langue) celle de la Guinée s'exercent fortement sur la pensée et sur les comportements de Lumumba. Le premier numéro de l'organe du MNCL L'Indépendance, qui paraît à Léopoldville le 25 septembre 1959, porte d'ailleurs en première page les photos de Lumumba lui-même, de Nkrumah, de Kasavubu et de Sékou Touré, avec ce commentaire : “Tous ces noirs ont un seul idéal : le bonheur de leurs frères dans la liberté”.
En mai 1960, plusieurs semaines avant l'échéance de l'indépendance, Sékou délègue d'ailleurs à Léopoldville l'une de ses proches, Andrée Blouin 116, et nomme plus tard Félix Moumié, le leader de I'UPC exilé à Conakry, comme le chef de la mission guinéenne à Léopoldville 117. Diallo Telli et le général Lansana Diané, chef du futur contingent guinéen de Casques bleus, sont d'autres canaux par lesquels Sékou Touré cherche à influencer Lumumba, dont il perçoit bien les faiblesses et les fragilités, mais qu'il apprécie et qu'il souhaite vivement aider dans une conjoncture bien difficile.
La conférence de la table ronde réunie fin janvier 1960 à Bruxelles, à la suite d'un voyage du roi Baudouin au Congo, propose la date du 30 juin pour l'indépendance 118.
Des élections y ont lieu à partir du 11 mai ; les résultats sont proclamés le 31 du même mois. Sur 137 sièges, les partis modérés n'enlèvent que 35 mandats, et les divers partis nationalistes remportent une victoire écrasante ; le Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Lumumba 119 obtient à lui seul 35 sièges ainsi que la majorité absolue dans trois des six provinces ; le parti ABAKO de Kasavubu obtient la majorité dans la province de Léopoldville, le Conakat (Confédération des associations du Katanga) de Moïse Tshombé dans la riche province minière du Katanga. Le 1er juin, Patrice Lumumba revendique le pouvoir. Aucun parti n'ayant la majorité absolue dans l'ensemble congolais, la Belgique tente de favoriser la formation d'un gouvernement de coalition dirigé par Kasavubu et excluant le MNC, mais les tractations échouent.
Le 23 juin, Lumumba est finalement désigné comme Premier ministre ; l'un de ses partisans est élu président de l'Assemblée législative, cependant que Kasavubu est élu par celle-ci chef de l'État. Moïse Tshombé obtient en revanche la possibilité de constituer au Katanga un gouvernement homogène, ce qui pose en germe un risque de sécession. Le 29 juin, les deux gouvernements signent un traité d'assistance, d'amitié et de coopération (qui ne sera jamais ratifié), prévoyant le maintien d'une partie des personnels de l'administration coloniale, la possibilité pour les troupes belges d'intervenir pour rétablir l'ordre en cas de besoin et de conserver pour cela les bases de Kamina et de Kirona, cependant que la "Force publique" congolaise, composée de 25.000 hommes, restera commandée par des officiers belges sous les ordres du général de division Émile Janssens, qui est également le supérieur des troupes belges (10.000 hommes).
Le 30 juin, le roi Baudouin signe l'acte d'indépendance du pays et assiste aux côtés du président Kasavubu aux cérémonies officielles qui ont lieu au parlement de Léopoldville. Après l'allocution royale, Lumumba, à la surprise générale — car son intervention n'était pas programmée —, s'empare du micro et prononce un éloquent réquisitoire contre la politique coloniale belge, sur un ton et en des termes que n'aurait pas récusés Sékou 120.
Kasavubu par contre rend hommage à la Belgique, et Lumumba lui-même exprime un peu plus tard le souhait qu'une coopération féconde et durable puisse s'instaurer entre le Congo et l'ancien colonisateur.
Alors que les instances de l'ONU examinent la demande d'admission du nouvel État 121, de premiers troubles éclatent sur place dès le 4 juillet. Des sous-officiers et des soldats congolais des garnisons de Léopoldville et de Thysville (à une centaine de kilomètres de la capitale) manifestent leur mécontentement à propos de leurs soldes et demandent la nomination immédiate d'officiers africains ; mais le général Janssens, rejette les demandes d'africanisation et écrit sur un tableau noir, devant les militaires congolais rassemblés :
"Avant l'indépendance = Après l'indépendance", et aussi : "Indépendance= 0".
Des soldats se soulèvent le 5 juillet et s'en prennent aux officiers belges ; la toute nouvelle ambassade de Belgique conseille aux femmes et aux enfants des ressortissants de quitter le pays, mais demande aux hommes de rester à leurs postes. Lumumba souhaite satisfaire les demandes des mutins, remercie Janssens, mais rebaptise la Force publique "Armée nationale congolaise", nomme Victor Lundula au grade de général de brigade et lui confie le commandement de l'Armée, cependant que Joseph Désiré Mobutu, promu colonelle 9 juillet, devient chef d'état-major.
De premiers troubles éclatent. Bruxelles affirme que des ressortissants belges ont été molestés, violés et torturés ; la panique gagne la communauté européenne ; la présence sur l'aéroport d'appareils soviétiques venus amener les délégations des pays de l'Est aux fêtes de l'indépendance accrédite la rumeur d'une intervention russe ; le 8, les troupes belges sortent de leurs cantonnements et prennent position les jours suivants dans Léopoldville et d'autres centres urbains, sans avoir évidemment demandé l'accord des autorités congolaises 122 ; les avions militaires belges effectuent des sorties et tirent des salves d'intimidation ; des volontaires européens se mettent en place ; les combats font de premiers morts ; des réfugiés quittent le pays ; des ministres congolais sont arrêtés.
Le 10 juillet, puis les 12 et 13 juillet, Kasavubu et Lumumba télégraphient au secrétaire général des Nations Unies, Dag Hammarskjoeld, afin d'obtenir une aide technique, mais aussi une assistance militaire immédiate des Nations Unies contre l'agression belge 123. Le 13, Lumumba annonce la rupture des relations diplomatiques avec la Belgique, mais cette décision ne sera pas suivie d'effets.

Les troubles se poursuivent et s'étendent à la capitale, puis à d'autres régions du pays ; Tshombé en profite pour proclamer le 11 juillet l'indépendance du Katanga et propose une association économique avec la Belgique, dont il demande l'aide. Le 12 juillet 1960, Hammarskjoeld s'entretient avec les ambassadeurs africains de la demande de Léopoldville ; Kaba Sory, qui remplace Diallo Telli momentanément absent de New York, en informe immédiatement Conakry et reçoit le 13 juillet la réponse suivante de Sékou : "Accord pour toute assistance à République Congo contre violation ses droits de souveraineté par puissances coloniales" 124.
Convoqué dans la nuit du 13 juillet par le secrétaire général, faisant exceptionnellement usage de l'article 99 de la Charte 125, le Conseil de sécurité adopte le 14 juillet la résolution 143 proposée par la Tunisie, demandant le retrait des forces belges et décidant l'envoi de troupes onusiennes au Congo 126. Dag Hammarskjoeld souhaite faire de l'engagement onusien au Congo une action exemplaire de l'ONU telle qu'il la rêve : une coopération internationale réellement supranationale, hors de tout contrôle gouvernemental et capable de donner aux pays nouvellement émancipés les chances d'un développement dégagé de toute contrainte idéologique ou politique. La Belgique déclare qu'elle accepte la résolution ; Kasavubu et Lumumba de leur côté ont précisé que l'aide militaire doit provenir de pays neutres et qu'ils feront appel aux pays de la conférence de Bandoeng si les Nations Unies n'agissent pas sans délai ; enfin, Tshombé déclare qu'il ne laissera pas les contingents onusiens pénétrer au Katanga.
Dès le 14 juillet, Hammarskjoeld adresse un câble à Sékou Touré, qu'il appelle "Monsieur le Président et cher Ami". Il demande à la Guinée de mettre à sa disposition un bataillon équipé d'armes légères et de préparer un second bataillon pour toute éventualité. Le même jour, à Conakry, le Bureau politique du PDG "condamne l'acte d'agression perfide perpétré par le gouvernement belge contre la jeune et vaillante République du Congo au lendemain de la proclamation de l'indépendance" ; il décide aussi d'ajourner la présentation des lettres de créance de M. Gérard Walravens, désigné comme ambassadeur de Belgique en Guinée, et de ne normaliser les relations avec ce pays que lorsqu'il aura cessé tout acte d'hostilité à l'égard de la souveraineté du peuple et du gouvernement congolais ; le Bureau politique demande à tous les pays africains d'en faire autant ; il se propose aussi de saisir officiellement les Nations Unies de l'agression de la Belgique et demande au groupe afro-asiatique de se joindre à cette plainte ; il proclame le 17 juillet "Journée de solidarité avec le peuple congolais" ; il informe enfin l'ONU et le gouvernement du Congo de ce que l'armée guinéenne est à leur disposition "pour aider le peuple congolais à défendre son unité nationale et sa souveraineté, toutes deux menacées par les menées criminelles du colonialisme belge et ses alliés internationaux." Un télégramme identique est adressé ce même jour par Sékou Touré à tous les chefs d'État africains. Il veut visiblement donner l'exemple et se poser en modèle de leader africain.
Le 16 juillet, les premiers casques bleus tunisiens, ghanéens et marocains arrivent au Congo ; trois jours plus tard, il y a déjà sur place 3.500 hommes et un état-major de 25 personnes 127.
Le général suédois von Horn, nommé commandant de l'opération, s'installe à Léopoldville. Le 16 juillet, Sékou décide de mettre deux bataillons à la disposition de l'ONU.
Hammarskjoeld répond le même jour de manière assez évasive et suggère à la Guinée d'envoyer une compagnie de police militaire ou un groupe d'officiers de police, car il affirme avoir déjà assez de propositions de troupes africaines pour couvrir les besoins les plus immédiats, l'universalité des Nations Unies exigeant que l'on fasse également appel à des militaires non africains.
A un message de Tshombé lui demandant de reconnaître l'indépendance du Katanga, Sékou Touré répond que son action "le déshonore et l'engage dans la voie de l'indignité nationale." Ce même 17 juillet, Sékou insiste par télégramme auprès du secrétaire général afin d'obtenir "l'utilisation immédiate des forces militaires guinéennes mises à votre disposition", et affirme que la Guinée ne "comprendrait pas le rejet de son offre au profit de troupes non africaines, dont toutes ne sont pas résolument engagées pour la cause de la liberté africaine" ; il menace, si sa proposition n'était pas acceptée, de "mettre directentent ces forces guinéennes à la disposition du gouvernement frère du Congo dans le cadre exclusif de la solidarité africaine" ; et il conclut :

“Espérons que votre objectivité personnelle et devoir patriotique du peuple guinéen se concilieront dans acceptation prioritaire de notre offre pour le triomphe cause commune indépendance unité congolaise et paix universelle.”

Le jour même, Hammarskjoeld accepte l'offre de deux bataillons guinéens de 300 hommes chacun, dont le premier sera au début du mois d'août acheminé de Conakry à Léopoldville par voie aérienne 128. Le général Lansana Diané, un vétérinaire de formation, est chargé du commandement de la force ; son adjoint, commandant le premier bataillon, est un officier de carrière, le lieutenant Barry Mamadou Siradiou [Diouldé], qui quittera le Congo en février 1961 (nommé commandant en 1964, il sera impliqué dans les événements de 1970-171 128bis et fusillé en juillet 1971). Le second bataillon sera utilisé ultérieurement.
Lumumba arrive le 24 juillet à New York 129 et y confère avec les représentants des États membres du Conseil, ainsi qu'avec le secrétaire général. Ce dernier se rend à Léopoldville le 29 juillet 130. Il y entend Antoine Gizenga, vice-premier ministre de Lumumba, protester contre les lenteurs des Nations Unies, contre le désarmement imposé aux troupes congolaises, contre le regroupement des troupes belges, et contre l'absence de réaction à la sécession katangaise.
Le 27 juillet, Sékou adresse au secrétaire général la liste de l'équipement dont dispose le premier bataillon guinéen 131 et demande que l'ONU lui fournisse en plus 1.200 lits de camp individuels, 1.200 moustiquaires et 700 tentes individuelles, qui devraient être acheminés directement sur le Congo.
Du 5 au 8 août 1960, Patrice Lumumba est en visite à Conakry 132, où il confère longuement avec Sékou de la situation congolaise. Le 6, au cours d'une manifestation publique, Sékou confère à Lumumba les insignes de Compagnon de l'Indépendance. Les deux hommes sympathisent sans peine, leur engagement idéologique et leurs tempéraments sont proches, leur amitié et leur estime réciproques sont immédiates 133.
Lumumba expose à Sékou ses craintes sur les conséquences de la sécession katangaise et lui dit qu'il redoute que Kasavubu n'entreprenne une action contre lui. Lumumba se rendra ensuite au Ghana pour s'entretenir avec Nkrumah.
Le 6 août, tout en exprimant sa satisfaction pour l'aide déjà fournie par la Guinée, le secrétaire général demande si ce pays ne pourrait pas fournir un officier chargé des opérations, ainsi qu'une unité d'une dizaine d'hommes pour régler le trafic des véhicules ! Sékou est furieux, car il estime que les militaires de son pays doivent faire plus et autre chose que de s'occuper de la circulation urbaine !
Ce même 6 août, alors que Lumumba est arrivé la veille à Conakry, Sékou demande instamment au secrétaire général d'utiliser les troupes guinéennes au Katanga, et menace, si cette proposition n'était pas acceptée, de mettre ces troupes sous l'autorité directe du gouvernement congolais. Le lendemain, Hammarskjoeld lui répond qu'il n'a pour le moment pris aucune décision quant au déploiement de troupes onusiennes au Katanga, puisque le Conseil de sécurité doit en débattre le lendemain seulement ; si le Conseil l'approuve, alors, il sera temps de voir quels contingents pourront y être envoyés.
Le 7 août, après s'être concerté sur place avec Lumumba, Sékou envoie un nouveau câble à Hammarskjoeld :

"En vous renouvelant notre confiance, nous nous permettons d'insister en raison de la mauvaise tournure des événements au Congo, événements qui risquent de discréditer l'autorité de l'instance des nations indépendantes du monde pour assurer exécution fidèle et immédiate des résolutions du conseil de sécurité tendant à l'évacuation totale des troupes belges du Congo et à la sauvegarde de l'intégrité territoriale de cet État. L'issue de l'intervention de l'ONU aboutira soit à sa victoire, soit à un échec qui compromettrait dangereusement l'avenir de L'organisation internationale et du sort de la paix dans le monde. Tous Les peuples africains sont sensibilisés à l'extrême sur la nature de l'accomplissement du rôle historique dévolu à l'ONU pour le triomphe de La sécurité, de La Liberté et de L'intégrité des nations.”

Le même jour encore, Dag Hammarskjoeld répond à Sékou :

“Votre appel à nous, et à moi personnellement, d'assurer (…) l'évacuation totale des troupes belges au Congo et la sauvegarde de L'intégrité territoriale de cet État, est un appel qui correspond à mes voeux et à mes efforts, soyez en assuré … L'appui le plus fort que nous pouvons avoir dans cette grande épreuve de L'instrument des nations indépendantes du monde que sont les Nations Unies, est la confiance et la solidarité des États membres africains agissant pour un but commun, qui est le maintien de L'Afrique dans la paix et en indépendance de toute ingérence étrangère au monde africain.”

Le 8 août, Habib Bourguiba, le président de la Tunisie, réagit par télégramme à la proposition faite par Sékou Touré de sortir du cadre des Nations Unies pour mettre des troupes africaines directement à la disposition du gouvernement congolais.

“Tout en rendant hommage à l'esprit de solidarité africaine concrétisée par la position dont vous avez bien voulu m'informer, je crois dans les circonstances actuelles que l'annonce d'actions militaires unilatérales risque de nous aliéner aux Nations Unies des sympathies nécessaires, d'envenimer la situation et d'ouvrir la voie à des interférences extérieures dans les affaires du continent africain.”

Ainsi, la position volontariste de Sékou Touré n'est pas partagée par tous ses pairs. Ce même 8 août, Tshombé se proclame président du Katanga. Le lendemain, le gouvernement Lumumba décrète l'état d'urgence dans tout le Congo. Le 12 août, Hammarskjoeld arrive au Katanga pour assister à la relève des troupes belges par des casques bleus. Le 14 août, Lumumba accuse les troupes onusiennes d'appuyer les rebelles katangais, allégation que le secrétaire général récuse le lendemain. En fait, les relations entre les deux hommes sont pratiquement rompues, Lumumba ne fait plus guère confiance à l'ONU et se tourne plus ouvertement vers l'Union soviétique 134. Ce même 14 août, le secrétaire général accepte l'offre du second bataillon guinéen, ce qui portera la participation de ce pays à près de 750 hommes. Le général von Horn, commandant de la Force, souhaite que ce bataillon soit — comme le premier — implanté à Coquilhatville, sur le fleuve Congo, face au Congo-Brazzaville. C'est dans la capitale de ce dernier pays que s'installeront après leur expulsion les diplomates et conseillers belges, très hostiles à Lumumba, et l'abbé Fulbert Youlou ne leur ménagera pas son soutien.
Le 17 août, Sékou fait part à Hammarskjoeld de ses vues concernant le déploiement du contingent guinéen au Congo, avant la mise en route du deuxième bataillon :

“Honneur vous adresser protestations mon gouvernement pour conditions discriminatoires faites à notre premier bataillon dont forme utilisation manifestement inspirée par traître Tshombé, instrument des puissances coloniales pesant de plus en plus sur l'orientation des activités menées au Congo sous couvert de l'ONU. Ne comprends pas également le fait que les troupes de l'ONU aient désarmé les soldats de l'armée congolaise alors que les troupes belges et les militaires se réclamant du triste Tshombé restent solidement équipées. Les pourparlers directs entre vous et Tshombé sont de nature à compromettre dangereusement la résolution du Conseil de sécurité exigeant sauvegarde indépendance unité et intégrité territoriale république Congo. Notre inquiétude très grande devant nouvelle tournure des événements qui nous donne l'impression que les activités des troupes et des représentants de l'ONU ne s'insèrent guère dans le programme du seul gouvernement souverain de la république du Congo. En vous demandant avec insistance de reconsidérer les conditions et les lieux d'utilisation de nos troupes, nous vous serions obligés pour toutes assurances pouvant dissiper nos graves inquiétudes.”

Le 19, Dag Hammarskjoeld répond que trois jours auparavant, son représentant sur place, le noir américain Ralph Bunche — prix Nobel de la paix en 1950 —, en a parlé avec le général guinéen Lansana Diané, "qui n'a fait aucune réserve quant au déploiement des forces onusiennes. Cette responsabilité incombe exclusivement au secrétaire général, selon une méthode qui a jusqu'ici préservé l'unité de la nation congolaise. Je regrette que les circonstances actuelles m'empêchent de prendre avec vous un contact personnel, qui pourrait grandement faciliter notre mutuelle compréhension."

Le 21 août, l'Union soviétique propose à New York la création d'un groupe de conseillers représentant les pays qui fournissent des contingents ; le secrétaire général accepte, sous réserve que ce groupe soit purement consultatif. Diallo Telli y représente la Guinée et se rend immédiatement au Congo, où il inspecte le bataillon guinéen et prend conscience de la complexité de la situation. Il assistera aussi à la conférence ministérielle des États africains que vient de convoquer Patrice Lumumba.
Le 27 août 1960, le secrétaire général informe Sékou de graves incidents survenus entre les forces des Nations Unies et des éléments de l'armée nationale congolaise. Sékou répond le 31 août qu'il se saisit de l'affaire et espère que dans le cadre de ses "relations africaines" avec le gouvernement congolais, une solution pourra être trouvée pour renforcer la coopération entre les forces onusiennes et le gouvernement congolais. Un général américain, le général John P. Condon, chef adjoint des opérations de l'ONU, voulait passer trois heures le 30 août à Conakry à discuter avec l'ambassade américaine de problèmes logistiques, mais le secrétaire général lui demande finalement de n'en rien faire, de peur que cela ne soit interprété par le gouvernement guinéen comme la preuve d'une collusion entre l'organisation internationale et les États-Unis. Sur place, les relations du commandement de l'ONU et du général Lansana Diané sont parfois difficiles. Il faut d'abord ramener à de justes proportions les prétentions du général guinéen, qui demandait une solde plus élevée que tous les autres commandants de contingents 135.
Le 12 septembre 1960, Hammarskjoeld intervient auprès de la délégation guinéenne à New York, car il a appris que le général Lansana Diané se présente comme ambassadeur de Guinée au Congo-Léo. ; il espère que cette information est inexacte, car "une situation inadmissible serait ainsi créée"; il demande à Sékou de faire en sorte que ni le général Diané, ni aucun autre officier guinéen servant sous le drapeau des Nations Unies, ne prétende être le représentant diplomatique de la Guinée au Congo.

"Cette force est en effet exclusivement sous commandement de l'ONU. La force n'est sous les ordres d'aucun gouvernement et ne peut devenir partie à des conflits internes ; c'est une condition de l'impartialité des Nations Unies et de son opération au Congo."

Hammarskjoeld prie Kaba Sory d'adresser ces observations à Conakry et de s'assurer qu'aucun officier guinéen au Congo n'a de relations de nature diplomatique avec le gouvernement local 136.
A New York, les relations se tendent entre Hammarskjoeld et l'Union soviétique, totalement acquise à Lumumba. Le 5 septembre, le secrétaire général demande à Moscou des explications sur les avions et les camions mis à la disposition du gouvernement congolais ; quelques jours plus tard, il s'inquiète aussi de livraisons d'armes belges au Katanga. Le 5 septembre également, le président Kasavubu remplace Lumumba par Iléo comme premier ministre ; quatre jours plus tard, Lumumba destitue Kasavubu et affirme cumuler désormais les fonctions de chef de l'État et de Premier ministre. Il est d'ailleurs resté installé dans la résidence officielle du Premier Ministre, où il se trouve sous la protection de l'ONU et où il résistera pendant quelque temps aux tentatives des hommes de Mobutu de l'expulser et de l'appréhender.
Le 8 septembre, Lumumba, qui s'estime toujours en fonctions, demande que le Conseil de sécurité tienne une réunion à Léopoldville même, afin de se rendre compte sur place "des ingérences des autorités des Nations Unies dans les affaires intérieures du Congo". Soutenue par l'Union soviétique et la Pologne, cette invitation à se réunir hors de New York (très inhabituelle à l'époque, depuis lors, cette formule a été pratiquée à plusieurs reprises) n'a pas été retenue par le Conseil. Le 9 septembre, l'URSS demande à son tour une réunion du Conseil de sécurité et critique le comportement des forces onusiennes.
Le 12 septembre, les troupes congolaises sous les ordres du colonel Mobutu, depuis peu commandant en chef de l'armée, arrêtent pour quelques heures Patrice Lumumba, cependant que l'Assemblée vote les pleins pouvoirs à ce dernier. Alors que Kasavubu, Iléo et Lumumba poursuivent leurs querelles sans qu'aucun d'entre eux parvienne à s'imposer, Mobutu forme le 14 septembre un comité de salut public et nomme des commissaires généraux dans les provinces pour administrer le pays, parvenu à un total degré d'anarchie. Le lendemain, il ferme les ambassades soviétique et tchécoslovaque. Le 14 septembre, le Conseil de sécurité se réunit, alors que la situation sur place se dégrade d'heure en heure, mais refuse d'inviter le délégué du gouvernement Lumumba à participer au débat. La Tunisie rend hommage au secrétaire général et déclare que l'action des Nations Unies doit être poursuivie. Les résolutions contradictoires proposées par l'URSS et les États-Unis ne sont pas discutées, et la résolution de compromis élaborée par la Tunisie et Ceylan se heurte au veto soviétique. Devant cette impasse, une session extraordinaire de l'Assemblée générale se réunit le 17 septembre à New York ; Ismaël Touré y représente la Guinée, marginalisant ainsi Diallo Telli.
Après de longues tractations, une résolution afro-asiatique est adoptée par 70 voix contre 0, alors que le bloc soviétique, la France et l'Afrique du Sud s'abstiennent ; ce texte approuve la politique suivie par Hammarskjoeld et demande à tous les pays de ne fournir directement ou indirectement aucune aide militaire au Congo.
Hammarskjoeld se déclare satisfait. Sa satisfaction sera de courte durée, car l'Assemblée générale ordinaire qui s'ouvre le 20 septembre verra l'Union soviétique lancer une virulente offensive contre lui. Trente-deux chefs d'État, Krouchtchev, Eisenhower, Nehru, Tito, Soekarno, Nasser, Castro (qui vient de prendre le pouvoir à Cuba), Nkrumah, Sékou Touré sont — parmi bien d'autres — présents à New York. Deux délégations congolaises, l'une envoyée par Kasavubu, l'autre par Lumumba, tentent de s'imposer. Le premier jour, Eisenhower plaide pour le principe de non-intervention extérieure au Congo. Le lendemain, Nkrumah prononce au contraire un plaidoyer enflammé, demande une intervention déterminée des Nations Unies en faveur du gouvernement central et affirme qu'"entre le bien et le mal, il n'est pas possible d'être neutre". Le 23 septembre, Krouchtchev critique violemment Hammarskjoeld et son action au Congo ; il demande la suppression du poste de secrétaire général et son remplacement par une "troïka" qui comprendrait un occidental, un communiste et un représentant du groupe afro-asiatique ; il propose aussi que le siège de l'ONU soit transféré de New York à Vienne ou à Genève. Au cours des semaines suivantes, l'atmosphère est de plus en plus enfiévrée. Le 10 octobre, Sékou Touré intervient pendant trois heures, et aborde tous les problèmes de l'heure. Il ne soutient pas complètement la proposition de "troïka" soviétique, mais suggère que le secrétaire général soit secondé par trois adjoints représentant les trois grands groupes idéologiques. Ses plus longs développements sont consacrés à la crise congolaise : il déclare que la "neutralité" de l'ONU est injustifiable, car cette dernière doit appuyer le Premier ministre "responsable" Lumumba, face à l'"irresponsable" président Kasavubu. Et de la tribune, il présente un projet de résolution invitant les représentants de Lumumba à venir siéger immédiatement.
Le même soir, Hammarskjoeld dîne en petit comité avec Sékou Touré. Ce dernier estime que les Nations Unies restent trop impartiales, ce qui favorise les adversaires du gouvernement légitime et les sécessionnistes 137 et il tente de convaincre le secrétaire général de la nécessité d'engager totalement les Nations Unies aux côtés de Lumumba. Sékou pense également que si l'ONU n'était pas intervenue du tout, Lumumba aurait aujourd'hui la situation bien en mains, car il aurait muselé l'opposition et désarmé ses ennemis. Hammarskjoeld écoute Sékou avec attention, mais ne se laisse pas convaincre, car il est persuadé que le mandat de l'ONU est d'éviter la guerre civile en s'interposant entre les parties en présence.
Krouchtchev intervient de nouveau à plusieurs reprises sur divers sujets (Congo, désarmement, liquidation du système colonial, etc… ) et finalement, le 12 octobre, martèle avec fureur son pupitre de sa chaussure ! Le 7 novembre, l'Assemblée se réunit pour examiner une résolution présentée par huit pays afro-asiatiques, dont la Guinée, qui propose de faire siéger immédiatement la délégation de Lumumba et demande à l'ONU de créer les conditions propres à une réunion du parlement de Léopoldville, qui reste favorable à Lumumba. Le 8 novembre, Kasavubu lui-même se présente devant l'Assemblée, remercie les Nations Unies pour leur action dans son pays, se déclare déterminé à maintenir l'unité du Congo et en tant que chef d'État communique la composition de la délégation qu'il a nommée. Mais l'Assemblée vote par 48 voix (dont celle de la Guinée) contre 30 et 20 abstentions une motion proposée par le Ghana, demandant l'ajournement du débat jusqu'au rapport d'une commission de bons offices qui vient d'être constituée ; outre les délégations favorables à Lumumba, ce texte est voté par nombre de pays qui estiment qu'une victoire trop complète de Kasavubu compromettrait les chances d'une réconciliation. Partisans et adversaires de Kasavubu et de Lumumba continuent de se livrer d'obscures batailles de procédure jusqu'à ce que, le 21 novembre, se produisent à Léopoldville de sanglants incidents : Mobutu, mécontent d'un rapport d'Hammarskjoeld sévère pour lui-même et favorable au rétablissement du parlement, a lancé ses troupes contre les casques bleus. L'ambassadeur du Ghana, l'homme d'affaires A. Djin, l'un des plus fermes partisans de Lumumba, est expulsé de Léopoldville. Le 22 novembre, l'Assemblée admet (par 53 voix contre 24 — dont celle de la Guinée — et 19 abstentions) la délégation de Kasavubu, qui apparaît comme un homme de compromis. Celui-ci se rend devant le comité consultatif (dont la Guinée et le Mali se sont retirés) et annonce qu'il rentre au Congo afin d'y faciliter la tâche de la commission de bons offices ; il a l'intention de réunir une conférence de la table ronde où siégeraient tous les chefs politiques, y compris Tshombé et Lumumba. Kasavubu est triomphalement accueilli à Léopoldville le 27 novembre, et se rend le lendemain avec Mobutu à Brazzaville pour y assister aux fêtes de l'indépendance du Congo ex-français. Mais dans la nuit du 27 au 28 novembre, Lumumba a quitté sa résidence (pourtant entourée de soldats congolais et de casques bleus marocains) pour une destination alors inconnue (en fait pour son fief de Stanleyville- aujourd'hui Kisangani) 138.
Le 1er décembre, Kasavubu adresse une lettre à Nasser lui annonçant l'expulsion de l'ambassadeur d'Égypte pour complot contre le pouvoir ; il aurait favorisé la fuite de Lumumba. Celui-ci reste introuvable et l'on se demande s'il ne va pas réapparaître à Stanleyville (dans la province orientale) pour y organiser la résistance aux dirigeants restés à Léopoldville.

Mais le 2 décembre, le colonel Mobutu annonce que ses hommes ont capturé Lumumba ; ils le ramènent enchaîné à Léopoldville. Plusieurs délégations, dont celle de la Guinée, interviennent immédiatement auprès du secrétaire général afin que celui-ci fasse protéger Lumumba, dont on craint qu'il ne soit exécuté sommairement. L'Union soviétique accuse même le commandement de l'ONU d'avoir été complice de l'arrestation. Hammarskjoeld intervient auprès de Kasavubu, et des débats houleux s'engagent tant au Conseil de sécurité qu'à l'Assemblée générale.

Le 5 décembre 1960, Sékou est en conférence avec Modibo Keita à Kankan, loin de Conakry. Par télégramme, il proteste auprès du secrétaire général contre l'expulsion de Léopoldville des missions diplomatiques de l'Égypte et du Ghana. Le secrétaire général répond que les pays concernés n'ont pas fait appel à lui. Sékou a continué sa tournée vers Siguiri (il doit y calmer les inquiétudes des petits exploitants de mines de diamant récemment nationalisées) quand il apprend l'arrestation de Lumumba. Il envoie le 6 décembre un télégramme à New York :

"Peuple et gouvernement de Guinée profondément indignés par les humiliations dont est victime le président Lumumba du fait des bandes armées Mobutu, vous expriment toutes leurs appréhensions devant l'attitude des représentants de l'ONU au Congo soutenant ouvertement l'illégalité et l'arbitraire. Devant cette situation, République Guinée se réserve désormais tous droits afin rechercher autre voie pour soutenir dans cadre exclusivement africain peuple congolais en lutte contre toutes formes colonialismes."

Ce même 6 décembre, Hammarskjoeld prend acte de ce que Sékou réserve le droit de la Guinée de rechercher d'autres voies en ce qui concerne la situation au Congo :

"S'il se peut qu'il y ait bien des façons différentes d'aborder ce problème, je suis certain que vous me permettrez, en ma qualité de secrétaire général de l'ONU, de déclarer que la seule manière qui offre la promesse de résultats satisfaisants à long terme est celle qui est énoncée dans les résolutions déjà adoptées par le Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale, ou dans les résolutions que l'organisation, sur l'initiative d'États-membres, pourra ultérieurement adopter en La matière."

Le 9 décembre, Lansana Diané, que Sékou avait rappelé à Conakry "pour consultations" fin octobre, repart à Léopoldville en avion spécial Iliouchine 18 afin de ramener la mission diplomatique guinéenne. Sékou craint évidemment que les nouvelles autorités congolaises n'expulsent la mission de son pays, comme elles l'ont fait pour l'Égypte et le Ghana quelques jours auparavant.
Le 12 décembre 1960, Sékou envoie un nouveau télégramme au secrétaire général.

"Considérant action actuelle de l'ONU dans les affaires congolaises comme la manifestation évidente de prises de position pour des hommes constitutionnellement irresponsables ayant entraîné le non fonctionnement du parlement congolais et l'arrestation illégale des principaux membres du gouvernement légal, considérant que la présence des troupes guinéennes dans le cadre de l'assistance militaire de l'ONU se justifie seulement comme un appui au gouvernement et au peuple congolais conformément aux résolutions du Conseil de sécurité en vue d'y garantir fonctionnement institutions nationales et de sauvegarder indépendance et intégrité territoriale de cet État, dénonçons avec profonde indignation la complicité de l'organisation internationale accordée aux usurpateurs du pouvoir congolais et décidons du retrait immédiat des troupes guinéennes du Congo et vous demandons assurer sans délai leur rapatriement."

Dag Hammarskjoeld, qui s'explique devant le Conseil les 7 et 13 décembre 1960, envoie une lettre personnelle à Sékou pour lui dire sa "profonde inquiétude sur les conséquences qu'aurait une liquidation de l'opération des Nations Unies qui serait imposée par les retraits dont cette opération est menacée … L'élimination ou l'affaiblissement de la Force des Nations Unies au Congo conduirait inévitablement à la situation que nous nous sommes efforcés, au cours des cinq derniers mois, d'éviter par tous les moyens en notre pouvoir, à savoir une désintégration du pays provoquant l'intervention ouverte et active de grandes puissances", et il lui demande de reconsidérer le retrait du contingent guinéen. Le Maroc a d'ailleurs pris la même décision que la Guinée.
Le 14 décembre, le vice premier ministre de Lumumba, Antoine Gizenga, transfère la capitale de Léopoldville à Stanleyville et affirme représenter seul l'autorité légale. Lors des votes qui interviennent à New York le 20 décembre sur deux résolutions opposées, aucune n'obtient la majorité requise ; aucune des deux délégations présentes ne peut donc s'imposer comme la seule légitime. Hammarskjoeld, soutenu par l'Assemblée, estime que les résolutions antérieures restent valables et que l'opération des Nations Unies continue. Un certain nombre de pays, parmi lesquels l'Union soviétique et la Guinée, prennent position en faveur du gouvernement Gizenga ; mais, à la grande fureur de Sékou, Nkrumah décide de ne pas soutenir Gizenga et laisse les Casques bleus ghanéens présents au Congo. La controverse sera vive entre les deux hommes lorsque se réunit quelque temps après, en janvier 1961, la conférence de Casablanca regroupant les pays africains radicaux, qui presque tous reconnaissent le seul gouvernement dirigé par Gizenga 139.
Par trois télégrammes successifs des 11, 12 et 13 janvier 1961, Sékou demande le rapatriement du bataillon guinéen avant le 20 janvier. Le bataillon guinéen est alors déployé au nord de la province de Léopoldville dans la région de Banningville 140 ; il sera regroupé et transporté par voie fluviale vers Léopoldville où il arrive le 30 janvier ; simultanément, la compagnie qui se trouve à Inongo sera transportée par avion pour être à Léopoldville en même temps. Un transport par train jusqu'au port de Matadi est ensuite prévu.
Le 17 janvier, on apprend que Lumumba toujours prisonnier a été transféré à Élisabethville au Katanga à la demande d'Harold d'Aspremont Lynden, le ministre belge en charge des affaires africaines ; il a été aperçu ligoté et le visage tuméfié sur le tarmac de l'aéroport. Cinq jours après, on apprend que son codétenu, le général Mbolo, est mort ; l'inquiétude s'accroît chez ses partisans. En fait, Lumumba a été exécuté dès le 17, en compagnie de deux de ses collaborateurs, en présence de ministres katangais et de trois officiers et d'un commissaire de police belges 141.
Le 24 janvier, Sékou Touré proteste auprès d'Hammarskjoeld parce que les autorités congolaises ont refusé au capitaine Diouldé de prendre possession du matériel, des documents et des archives de l'ambassade de Guinée à Léopoldville, en voie de fermeture 142 ; Hammarskjoeld répond que ce problème n'est pas de son ressort. Le 25 janvier s'ouvre à Léopoldville la conférence de la table ronde proposée par Kasavubu. A la suite du départ progressif des troupes belges, des mercenaires européens de plus en plus nombreux offrent leurs services aux diverses factions en présence. Le 27 janvier, Sékou demande au général Lansana Diané de se rendre à Léopold ville le 1er février, afin d'assister au départ définitif du contingent guinéen ; Hammarskjoeld n'est pas enchanté de cette requête, mais l'accepte. Finalement, ce n'est qu'après l'annonce officielle de la mort de Lumumba que les troupes guinéennes quitteront le Congo, le 8 février 1961.
Cependant, à New York, de vives discussions continuent au Conseil de sécurité ; elles restent inconclusives. Menés par le Congo-Brazzaville, plusieurs pays francophones manoeuvrent dans la coulisse en faveur de Kasavubu et d'Iléo. Aussi, le 10 février, Sékou envoie-t-il un nouveau télégramme au secrétaire général pour l'avertir :

"Honneur vous signaler manoeuvre de diversion utilisée par certains États de la Communauté française en Afrique en vue de faire surseoir débats et conclusions réunion Conseil de sécurité sur situation République du Congo. Toute remise débats entraînera situation regrettable et confirmera soupçon. sur coalition entre ONU et les puissances coloniales décidées porter atteinte dignité africaine et intérêts peuple congolais."

Le 13 février, le gouvernement katangais annonce la mort de Lumumba, après une "mise en scène" tendant à faire croire qu'il a été tué avec ses compagnons au cours d'une tentative d'évasion. La nouvelle provoque la consternation à New York, où Hammarskjoeld décide l'ouverture immédiate d'une enquête 143, cependant que le délégué soviétique déclare que "le sang de Patrice Lumumba est sur les mains de ce suppôt des colonialistes".
Sékou Touré est atterré et ulcéré. Il annonce le départ immédiat de Guinée des experts et conseillers de l'ONU. Un deuil national est décidé, et la réception que Sékou devait donner en l'honneur de Leonid Brejnev, en visite officielle depuis le 11 février, est annulée. Le 14 février, il adresse un virulent télégramme à Hammarskjoeld :

"Honneur vous informer que devant odieux crime contre peuple Congo et peuple africain que constitue assassinat premier ministre Patrice Lumumba et ses compagnons Okito et Mbolo engageant de manière certaine la lourde responsabilité secrétariat général actuel Nations Unies, gouvernement guinéen en signe de protestation contre trahison ONU décide départ immédiat de son territoire national de tous experts et conseillers mis à sa disposition par ce même secrétariat général. République de Guinée indignée contre action ONU au Congo demande démission collective secrétaire général et ses principaux collaborateurs à l'ONU. Haute considération."

Un second télégramme du même jour complète sa pensée :

"Vous comprendrez la profonde indignation du peuple et du gouvernement de la république de Guinée après l'odieux assassinat du Premier ministre Patrice Lumumba et de deux de ses ministres. Ce sauvage assassinat souille à jamais l'ONU et situe son secrétaire général au premier rang de ceux-là même qui ont délibérément choisi de liquider la légalité au Congo et avec elle tous les nationalistes qui l'incarnaient. Vous comprendrez également que cette triste mise en scène à laquelle vous avez pris une part prépondérante en dépit de vos protestations réitérées vous déshonore personnellement devant l'opinion africaine et internationale ulcérée. Maintenant que le rideau est tombé sur le premier acte de votre criminelle tragédie, il importe que vous tiriez les leçons de la réprobation universelle de ce crime. Après cette douloureuse expérience, quel pays peut-il encore faire confiance en l'ONU pour l'aider dans la solution d'un quelconque de ses problèmes. Soyez persuadé que la sinistre méthode inaugurée au Congo n'aura pas raison du nationalisme congolais pas plus que de la détermination chaque jour plus grande des peuples africains à se libérer de l'impérialisme dont l'ONU à travers son secrétaire général a su se faire le docile porte-drapeau. Devant l'histoire, l'Afrique consciente saura prendre toutes ses responsabilités."

Le secrétaire général lui répond le jour même :

"Alors que je fais miens les sentiments d'horreur à l'égard de ce crime qui animent votre excellence, je regrette que l'analyse que vous en donnez contienne certaines attributions de responsabilité que l'on ne saurait tirer des événements en question."

Mais Sékou Touré a également mis vivement en cause les États-Unis.
Le 14 février, il a adressé un télégramme au président Kennedy, à qui il affirme que cet assassinat "ruine l'espoir placé par le nationalisme africain en la nouvelle administration américaine." Bien entendu, le communiqué conjoint soviéto-guinéen, rendu public le 17 après le départ de Brejnev, démontre la convergence de vues des deux parties sur l'affaire du Congo, et annonce la reconnaissance conjointe du gouvernement d'Antoine Gizenga.
Le 21 février, le Conseil parvient finalement à adopter une résolution qui autorise l'ONU. à employer la force pour prévenir la guerre civile au Congo. Kasavubu crie à la "trahison de l'ONU" qui porte ainsi atteinte à la souveraineté du pays.

Le bataillon guinéen quitte le Congo vers la fin du mois de février ; paradoxe : il doit le faire à bord d'un navire américain mis à la disposition des Nations Unies ! Il est vrai que les Casques bleus guinéens avaient déjà été transportés par des avions américains lors de leur mise en place au mois d'août précédent.

Dès le lendemain de la mort de Lumumba, la plupart des gouvernements progressistes reconnaissent le gouverne ment dirigé par Antoine Gizenga comme son seul successeur légal. Le 22 juin 1961, Antoine Kiwewa, "ambassadeur du gouvernement légal de la République du Congo", représentant Gizenga, présente ses lettres de créance à Sékou Touré. En se rendant au Katanga pour y conférer avec Tshombé, Dag Hammarskjoeld se tue dans des circonstances restées mystérieuses 144, dans la nuit du 17 au 18 septembre 1961 dans un accident d'avion survenu près de Ndola (alors en Rhodésie du Nord, encore possession britannique, qui allait quelques années plus tard constituer un "gouvernement" séparatiste sous Ian Smith, avant de devenir indépendant sous le nom de Zimbabwe).
Le lendemain, un éditorial de Horoya remercie la providence d'avoir fait peser sa justice sur le complice des assassins de Lumumba. Sékou Touré revient sur ce thème quelques jours plus tard, dans le discours qu'il prononce pour l'anniversaire de l'indépendance.
Lors d'une visite officielle au Congo-Brazzaville en juin 1963, Sékou Touré manifeste de nouveau son intérêt pour la situation au CongoLéopoldville voisin. Le président Kasavubu l'invite à venir à Léopoldville ; c'est Cyrille Adoula qui se rend à Brazzaville pour lui remettre l'invitation. Les deux hommes ont une longue et difficile conversation ; Sékou demande comme un préalable à sa visite à Kasavubu la libération de Gizenga et son transfert à Brazzaville, d'où il l'aurait ramené avec lui en Guinée ; mais il essuie un refus très net 145.
Le 30 juin 1964, les derniers Casques bleus de l'ONU quittent le Congo.
Le gouvernement Adoula démissionne et Tshombé forme un gouvernement de coalition qui durera quelques mois, cependant que Christophe Gbenye instaure une éphémère république populaire à Stanleyville. Il faudra attendre que Mobutu renverse Kasavubu en novembre 1965 et que Tshombé soit en juin 1967 kidnappé au cours d'un voyage en avion (incarcéré en Algérie, il y mourra deux ans plus tard), pour que la situation se stabilise progressivement 146.
Il n'est pas étonnant qu'en raison de toutes ces circonstances, les rapports entre la Guinée et le Zaïre n'aient jamais été excellents. Sans doute des relations diplomatiques sont-elles établies, des ambassadeurs échangés, mais les effectifs de la mission diplomatique, pléthoriques à l'origine, diminuent sans cesse, au point de ne plus comporter qu'un chargé d'affaires en 1975.
En décembre 1970, quelques semaines après l'agression du 22 novembre, une équipe de football congolaise (on ne dit pas encore zaïroise, car le pays sera rebaptisé Zaïre en 1972 seulement), le "Tout-Puissant Englebert" de Lumumbashi, vient jouer à Conakry. Le président Sékou Touré prononce en leur présence un discours où, après avoir déclaré que "ma pensée va au frère Lumumba", Sékou exprime à son "frère Mobutu" ses "sentiments de fraternité et l'expression de (sa) confiance militante" ; le Lieutenant-général Joseph Désiré Mobutu a en effet envoyé à Sékou un message particulièrement chaleureux après le débarquement du 22 novembre 1970, où il le qualifie de "guide éclairé".
Mobutu, élu président du Congo en 1970, fait une brève escale à Conakry en juin 1972. Une nouvelle visite prévue en novembre 1972 a dû être annulée, parait-il à la demande des militaires guinéens qui ont servi au Congo en 1960. Mais le leader zaïrois abrite aussi chez lui quelques opposants notoires à Sékou, en particulier l'ancien ambassadeur à Paris et à Bonn Nabi Youla qui s'installe comme homme d'affaires à Léopoldville (devenue Kinshasa) 147.

Le 14 septembre 1974, sur l'une des îles du Cap Vert, Mobutu rencontre le général de Spinola, qui est depuis quelques mois — et pour quelques jours encore — président de la République portugaise ; à cette date, l'indépendance de la Guinée-Bissau a été proclamée, la décolonisation des autres Provinces d'Outre-mer du Portugal n'est pas encore intervenue, même si elle est proche. Sékou Touré critique vivement cette entrevue, d'abord parce que pour lui, Spinola reste avant tout le commandant en chef des troupes portugaises en Guinée-Bissau pendant les dernières années de la lutte pour l'indépendance et aussi lors de la tentative de débarquement à Conakry le 22 novembre 1970 ; ensuite parce qu'il est convaincu — ce qui est exact — qu'en Angola, Mobutu et le nouveau régime portugais appuient Roberto Holden (leader du FNLA) contre Agostinho Neto (leader du MPLA), qui a, lui, les faveurs de l'Union soviétique, de Cuba et des Africains progressistes ; enfin, Sékou évoque aussi un accord — supposé — à long terme entre Lisbonne et Kinshasa pour l'exploitation en commun des richesses des anciennes colonies portugaises, permettant ainsi aux intérêts portugais de rester présents en Afrique.
Et puis Sékou reste fidèle au souvenir de Lumumba, dont le triste sort est fréquemment illustré, chanté ou dansé sur les scènes guinéennes ; son effigie figure sur les billets de la nouvelle monnaie guinéenne. Il accueille régulièrement à Conakry la veuve de Patrice Lumumba ; son fils Roland y effectue aussi plusieurs visites, dont une le 24 août 1981. Futur président du pays — et "tombeur" de Mobutu —, Laurent-Désiré Kabila y fait un séjour prolongé au début des années 80 148.
Mais l'offensive diplomatique lancée par Sékou après 1975, sa dynamique présence sur la scène africaine après la réconciliation de Monrovia en 1978, le rôle de médiateur qu'il ambitionne, ses espoirs concernant le 20ème Sommet de l'OUA, l'obligent à améliorer ses rapports avec ceux des leaders africains dont il était le plus éloigné. On note qu'en 1978, il garde le silence sur l'opération de parachutistes sur Kolwezi menée par Paris et Rabat dans le Shaba envahi par des rebelles soutenus par des troupes angolaises (on se garde d'ailleurs de rappeler que le Shaba est en fait une partie du Katanga, de triste mémoire).
En septembre 1980 se tient une commission mixte guinéo-zaïroise, dont Marcel Cross, secrétaire d'État à la coopération, préside la délégation guinéenne. A l'issue de cette réunion, le 30 septembre 1980, neuf accords de coopération sont signés entre les deux pays. Sékou décide alors de se rendre à Kinshasa. La visite, plusieurs fois reportée, a finalement lieu du 23 au 26 février 1983. Sans doute fait-il allusion dans sa première allocution à "son frère l'immortel Lumumba", mais il ajoute aussitôt, faisant sans nul doute entorse à sa plus intime conviction, qu'ensemble avec Lumumba, Mobutu a réussi à éviter l'éclatement du pays. Il félicite son homologue pour avoir promu l'"authenticité" zaïroise. Après une randonnée sur le fleuve Zaïre, les deux dirigeants visitent à Matadi le grand barrage d'Inga. Sékou rencontre également les ressortissants guinéens installés au Zaïre et leur renouvelle l'appel à la réconciliation nationale, devenu traditionnel.
Les deux hommes se reverront une dernière fois lors de la conférence franco-africaine de Vittel, en octobre 1983.

Notes
112. Lumumba s'y est rendu avec deux de ses compagnons du MNC (Mouvement National Congolais). Ngalula et Diomi, sans doute grâce à l'entremise de l'Association des amis belges de Présence Africaine. En revanche, Kasavubu, de l'ABACO, pourtant invité lui aussi, n'a pu s'y rendre, ses documents sanitaires n'étant — parait-il — pas en règle.
113. “Lumumba a exprimé le désir de visiter l'Union Soviétique, de sorte — a-t-il dit — qu'en revenant d'URSS, il serait en mesure de réagir à la propagande anti-soviétique qui est répandue vigoureusement par le pouvoir colonial. En cas de décision positive à propos de son voyage, il a demandé à être avisé par l'intermédiaire des Guinéens. Il voudrait que son voyage en URSS ne soit pas découvert par les autorités belges. Il pense qu'il pourrait faire ce voyage au départ de Conakry.” (Rapport de l'ambassadeur Guerassimov au ministère soviétique des affaires étrangères, 28 avril 1959, in A. B. Davidson et S. Mazov, Rossiia i Africa, Moscou, 2000, pp. 232-233, cité dans Jean Omasombo et Benoît Verhaegen, Patrice Lumumba. acteur politique, Paris, L'Harmattan, 2005). Albert de Coninck, membre du comité central du Parti communiste de Belgique, qui a rencontré Lumumba le 27 avril à Bruxelles à son retour de Conakry, en parle en ces termes à B. Savinov, premier secrétaire de l'ambassade soviétique en Belgique : “Lumumba a une position progressiste et est fortement sous l'influence du président de la République de Guinée, Sékou Touré. Avant d'arriver en Belgique, il était à Conakry et il a rencontré plusieurs fois Sékou Touré … Ainsi, à l'exemple de Sékou Touré, Lumumba veut créer un mouvement syndical de masse au Congo, sur lequel il puisse s'appuyer.…” (A. B. Davidson et S. Mazov, Rossiia i Africa, op. cité).
114. Association du Bas-Congo, parti nationaliste dirigé par Joseph Kasavubu, particulièrement bien implanté dans la région de Léopoldville.
115. C'est le cas de Antoine Gizenga et de Pierre Mulélé. Le premier devient un très discret vice-premier ministre et ne fait rien sans consulter sa conseillère omniprésente Andrée Blouin (voir note suivante). Le second, anticolonialiste et anticlérical convaincu, révolutionnaire radical, grand admirateur de l'Union soviétique, qui a servi dans la même unité de la Force publique congolaise que Mobutu, devient ministre de l'éducation nationale (et non de la défense nationale, comme il l'aurait souhaité). Pierre Mulélé, Antoine Gizenga et Raphaël Kinkie séjournent à Conakry en janvier 1960. Antoine Gizenga sera candidat aux premières élections présidentielles démocratiques tenues en République démocratique du Congo en 2006 ; il recueillera 13 % des voix ; peu après l'élection à la présidence de Joseph Kabila, celui-ci nommera Gizenga Premier ministre en décembre 2006, mais celui-ci démissionnera en septembre 2008 pour raisons de santé. Le 30 juin 2009, Gizenga, patriarche du PALU (Parti Lumumbiste Unitié), est sacré “héros national”.
116. Andrée Blouin (de son nom de jeune fille Gerbillat) est née le 1er décembre 1919 en Centrafrique (territoire à l'époque coloniale appelé Oubangui-Chari), et décédée à Paris le 9 avril 1986. Fille d'un blanc et d'une Africaine, elle passera plusieurs années difficiles dans un pensionnat religieux pour métisses et orphelins à Brazzaville, où elle est élevée à la dure et prend conscience de son africanité. Après avoir divorcé de son premier mari. M. Groetz (leur fille est devenue après l'indépendance speakerine à Radio Conakry), elle s'est remariée avec un polytechnicien français, André Blouin, avec lequel elle est venue pour la première fois en Guinée en 1953. alors que cet ancien oflïcier s'occupait de prospection minière. Mais elle a toujours gardé la nationalité centrafricaine. Liée d'amitié avec Andrée Kourouma, devenue à cette époque l'épouse de Sékou Touré, elle ouvre dans la capitale guinéenne un magasin d'objets africains. Andrée Blouin éprouve pour Sékou Touré une grande admiration et réside fréquemment en Guinée jusqu'à sa mort. Dès le mois de mai 1960 (c'est-à-dire avant même l'indépendance du Congo belge), Sékou l'envoie à Léopoldville, et nomme quelques semaines plus tard Félix Moumié, le leader de l'UPC (Union des Populations Camerounaises), exilé à Conakry, comme le chef de la mission guinéenne à Léopoldville. Au Congo, Andrée Blouin participe à la campagne électorale d'Antoine Gizenga (alors vice Premier ministre de Lumumba, aujourd'hui Premier ministre de la RDC), dont elle écrit les discours ; c'est à elle que l'on doit le ton — très critique vis-à-vis de l'ONU — de l'allocution prononcée le 30 juillet par le Premier ministre Gizenga lors d'une réception donnée en l'honneur de Dag Hammarskjoeld, le secrétaire général des Nations unies, de passage à Léopoldville. Elle s'occupe aussi de l'intendance tout en tenant des meetings politiques à l'intention des femmes africaines. Oratrice accomplie, très douée pour les langues locales et dotée d'une énergie peu commune, toujours élégamment vêtue de tenues généralement achetées à Paris, elle s'attire d'énormes succès de foule, mais aussi des jalousies féroces tant du côté européen que congolais. Devenue éditorialiste à la radio congolaise en juin 1960 (elle fut alors surnommée “le verbe du Congo”), elle donne des causeries en faveur d'un “réarmement moral” africain. A la fin de juillet 1960, elle devient chef du protocole de Lumumba, une fonction qu'il lui sera virtuellement impossible de remplir, car, comme elle le disait elle-même, le cabinet du Premier ministre était une “tour de Babel” impossible à gérer. Le secrétaire général de l'ONU, Dag Hammarskjoeld, qui ne l'appréciait guère, la surnomma “la Madame Du Barry du Congo” (dernière et très influente favorite du roi Louis XV, guillotinée sous la Révolution). En 1981, avec l'aide de Jean MacKellar, elle avait publié à New York et en anglais My country, Africa; Autobiography of the black Pasionaria (Praeger éditeur) livre auquel elle fit ensuite opposition, le jugeant dépassé. L'auteur a eu plusieurs entretiens avec Andrée Blouin à Conakry et à Paris dans les années 70 et 80. Il a également eu des entretiens à New Delhi, en 1988, avec Rajeshwar Dayal, qui fut représentant spécial de Hammarskjoeld au Congo du début septembre 1960 à fin mai 1961 (voir son ouvrage Mission for Hammarskjoeld, The Congo Crisis, Oxford University Press. Delgin, 1976).
117. Il y restera jusqu'en octobre 1960, date à laquelle il partira sur l'ordre du président Kasavubu, qui lui fait signifier son expulsion le 14 octobre ; il se rendra de Léopoldville à Genève, et aurait eu l'intention d'aller ensuite à New York pour y présenter devant l'ONU un gouvernement provisoire camerounais (le Cameroun y a été admis le 20 septembre). Mais il sera empoisonné à Genève le 16 octobre, et mourra quelques jours plus tard, comme il est relaté par ailleurs. Il est enterré à Conakry, les autorités camerounaises refusant encore aujourd'hui que sa dépouille soit rapatriée. Voir le film documentaire L'assassinat de Félix Moumié, réalisé par Frank Garbely en 2005 avec notamment Marthe Moumié, la veuve de Félix Moumié, qui se rend à Conakry pour rappeler la promesse faite à son mari de l'enterrer au Cameroun, et qui découvre qu'à Conakry, la tombe a été profanée et le cercueil volé. En novembre 2007, le corps sera "symboliquement" rapatrié au Cameroun. Marthe Moumié est décédée début 2009.
118. On ignore en général que le 26 février 1960, le ministre français des affaires étrangères Maurice Couve de Murville a fait une démarche auprès de l'ambassadeur de Belgique à Paris, faisant valoir que d'après un échange de lettres d'avril 1884 entre le gouvernement français et le président de l'Association internationale du Congo, contirmé par un accord franco-belge de décembre 1908, la France se voyait reconnaître un droit d'option sur le Congo au cas où la Belgique abandonnerait ce territoire. Bruxelles rejeta la demande de Paris.
119. Il fut condamné le 21 janvier 1960 à 6 mois de prison ferme pour incitation à la haine raciale. Le lendemain, il sera transféré au Katanga, et trois jours plus tard, ramené à Bruxelles pour participer à la table-ronde sur l'avenir du Congo.
120. "Cette lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes. car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. Ce que fut notre sort en quatre-vingts ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des Nègres. Qui oubliera qu'à un Noir on disait "tu", non certes comme à un ami, mais parce que le "vous" honorable était réservé aux seuls Blancs ?" Il y a cependant plusieurs différences essentielles entre ce discours de Lumumba devant le roi Baudouin et celui de Sékou Touré devant le général de Gaulle : le protocole n'avait pas prévu que le premier ministre congolais prenne la parole, alors que Sékou, président du conseil de gouvernement de Guinée, était programmé comme second orateur après Saifoulaye — président de l'Assemblée tenitoriale — et avant de Gaulle ; le discours de Lumumba n'avait été soumis ni même transmis à quiconque (pas même au chef de l'État congolais, Kasavubu), alors que celui de Sékou avait été communiqué à plusieurs personnes, même si de Gaulle n'en avait pas lui-même pris connaissance ; le Congo venait d'accéder à l'indépendance alors que la Guinée n'en était pas encore à ce stade ; enfin, Lumumba accepta de prononcer quelques heures plus tard un discours public "de compromis" largement rédigé par le premier ministre belge Gaston Eyskens, et qui rendait hommage au Roi des belges et au noble peuple belge et le remerciait "pour l'action accomplie ici en trois quarts de siècle …"
121. Il deviendra officiellement État membre le 20 septembre 1960, dès le début de la session de l'Assemblée générale. Le Conseil de sécurité avait adopté à l'unanimité, le 7 juillet, la résolution 142 qui recommandait l'admission.
122. Le traité du 29 juin autorisait entre autres le recours aux troupes belges pour aider le gouvernement congolais en cas de nécessité, mais à a demande expresse, ce que Lumumba n'était évidemment pas disposé à faire.
123. Ambassadeur des États-Unis à Léopoldville dès l'indépendance, Clare Timberlake, de même que Ralph Bunche, secrétaire général adjoint des Nations Unies, lui-même noir américain, envoyé sur place dès le mois de mai 1960 par Dag Hammarskjoeld qui, bien renseigné, pressentait les difficultés futures (il s'était lui-même rendu sur place en janvier), ont eux-mêmes pris les devants en informant le 10 juillet Washington et New York à la fois de la nécessité d'une assistance technique de l'ONU et de l'éventualité d'une intervention de pacification sous couvert des Nations Unies. Le même jour, Ralph Bunche, qui a assisté à une reumon du cabinet congolais, réussit à persuader Kasavubu et Lumumba de faire une demande (mais une demande orale encore assez vague) à Dag Hammarskjoeld. C'est sur la base de cette requete, doublée par la suite d'un télégramme, que le secrétaire général des Nations unies va entamer ses discussions avec les États membres.
124. L'auteur a pu avoir accès à l'intégralité de la correspondance échangée entre Sékou Touré et Dag Hammarskjoeld grâce à M. Janek Zawitowski, responsable de la documentation concernant l'ancien secrétaire général des Nations Unies à la Bibliothèque Royale de Stockholm, section des manuscrits.
125. L'article lui donne le même droit qu'un État membre, à savoir demander une réunion du Conseil en cas de menace à la paix.
126. L'abstention de trois des membres permanents — France, Royaume Uni, Chine nationaliste a permis d'éviter un veto qui eût empêché son adoption ; les huit autres membres du Conseil (dont les États-Unis) ont voté pour. En revanche, trois amendements soviétiques condamnant l'agression armée par la Belgique, demandant le retrait immédiat de ses troupes et réservant l'intervention onusienne aux seuls contingents de pays africains indépendants, ont été rejetés.
127. Le 25 juillet, il y aura sur place 8.300 hommes, et le 31, 11.000. répartis dans trente localités, à l'exclusion du Katanga.
128. Ce sont des avions américains qui assureront ce transport ! De même que ce seront des navires américains qui rapatrieront le contingent guinéen le 8 février 1961.
128 bis. [Clarification — André Lewin ajoute erronément Diouldé au nom de Commandant Mamadou Siradiou Barry. Il confond ainsi Commandant M. Siradiou Barry au Capitaine Mamadou Diouldé Barry, retraité de l'armée coloniale et député à l'Assemblée nationale (1958-1963) et ancien co-listier de Sékou Touré aux élections législatives de 1956. Précisons que Commandant Barry fut impliqué sans preuves et exécuté sans procès par le régime de Sékou Touré. Voir (a) Ancien capitaine, (b) Officier retraité et (c) Capitaine Diouldé T.S. Bah]
129. Il s'est brièvement arrêté à Accra, puis à Londres en se rendant aux États-Unis. En dehors de ses entretiens à New York, Lumumba sera également reçu le 27 juillet à Washington par le secrétaire d'État Christian Herter, avec les honneurs militaires, ce qui provoquera la colère des Belges ; mais le président Eisenhower refusera de le recevoir, contrairement à ce qu'il avait fait l'année précédente pour Sékou Touré. Lumumba évitera les contacts avec les soviétiques, mais, déçu par la réponse américaine à ses demandes d'aide, il rencontrera l'ambassadeur soviétique à Ottawa lors de son passage au Canada — du 28 au 30 juillet —, puis deux fois le représentant permanent de l'URSS auprès de l'ONU Kouznetzov, lorsqu'il repasse par New York sur le chemin du retour. Diallo Telli, qui a été mis par Sékou à la disposition de Lumumba, accompagne ce dernier dans une partie de sa tournée africaine après son séjour aux États-Unis : ils visitent ensemble la Tunisie, le Maroc, la Guinée, le Liberia, le Ghana et le Togo.
130. Dag Hammarskjoeld avait déjà visité le Congo — alors belge — lors de sa tournée africaine de décembre 1959/janvier 1960. Ce qu'il y avait vu l'avait convaincu de l'utilité, voire de la nécessité d'une action de l'ONU, pour aider à l'indépendance prévisible du Congo.
131. 116 pistolets automatiques, 190 pistolets mitrailleurs, 212 fusils mitrailleurs, 16 lance-roquettes antichars, 16 mitrailleuses, 1.800 grenades offensives, 200 couteaux d'attaque, 282.000 cartouches de calibre 7,62, 8.500 cartouches de calibre 7,65, 257.000 cartouches de calibre 9, 600 obus de mortier, 9 Jeep, 4 cuisines roulantes, 15 tonnes de riz …
132. Patrice Lumumba est arrivé à Conakry en provenance du Maroc. L'Iliouchine 18 que les Soviétiques ont mis à sa disposition étant tombé en panne au décollage, c'est à bord d'un appareil prêté par le roi Mohamed V que Lumumba poursuit son voyage. Bien que l'avion russe eut été réparé, Lumumba décide d'aller de Conakry à Accra avec l'avion royal marocain.
133. Rappelons aussi que l'un comme l'autre, autodidactes, ont commencé à travailler comme commis dans l'administration des Postes, respectivement en Guinée et au Congo belge. En revanche, il est possible que les perspectives de construction du barrage d'Inga, sur le fleuve Congo, en liaison avec un projet d'usine d'alumine, aient amené Sékou Touré à se soucier de l'éventuelle concurrence entre ces projets et ceux du barrage du Konkouré en Guinée et par consequent à souhaiter exercer un certain contrôle sur Lumumba.
134. Il y a déjà des moyens de transport (notamment 5 avions Iliouchine avec leurs équipages et une centaine de camions avec leurs conducteurs pour acheminer de l'aide alimentaire) et quelques cadres soviétiques au Congo, mais dans le cadre de l'ONU. Lumumba adresse maintenant à l'ambassadeur soviétique Yakovlev des lettres dans lesquelles il demande une aide militaire directe que lui refusent les pays occidentaux ; il est également prêt à recourir à des mercenaires de tous bords, y compris d'anciens Waffen-SS.
135. Le 19 novembre 1960, le ministre Keita Fodéba, envoyé à New York par Sékou Touré, et Caba Sory, discutent avec le secrétariat de l'ONU de la demande guinéenne de versement de 1,5 millions de francs congolais pour "frais supplémentaires" du contingent guinéen. Le secrétariat leur rappelle qu'une première avance de cette somme a déjà été faite au commandant du contingent guinéen, mais accepte qu'une seconde avance du même montant soit effectuée. Une estimation "raisonnable" des frais réels devra être faite sur place. L'ONU affirme que les demandes guinéennes ne sont pas acceptables, car, pour les officiers, elles sont deux fois plus élevées que les taux marocains, six fois plus que les taux égyptiens, dix et même trente fois plus que les taux danois, canadiens, indiens ou irlandais !
136. En fait, c'est Tibou Tounkara qui a été nommé ambassadeur de Guinée au Congo-Léo, mais, bien qu'il se soit rendu sur place, il ne peut présenter ses lettres de créance en raison des circonstances.
137. A la secession katangaise de Moïse Tshombé est venue entre temps s'ajouter la sécession de la riche province diamantifère du Kasaï dirigée par Albert Kalondji , qui s'est proclamé empereur des Balubas.
138. En octobre, des militaires du contingent guinéen avaient réussi à assurer et à protéger le départ de Gizenga de Léopoldville vers Stanleyville ; Lumumba leur a demandé discrètement d'en faire de même pour lui, mais pour des raisons qui demeurent encore aujourd'hui obscures, il prend du retard et les soldats guinéens ne sont plus en mesure de l'accompagner jusqu'au bout. En tous cas, Lumumba n'a pas demandé ce service aux soldats ghanéens, car il n'a plus confiance en Nkrumah ; d'ailleurs, des Casques bleus ghanéens assisteront sans broncher à l'arrestation de Lumumba à Port-Francqui ; parmi eux, l'un des futurs artisans du renversement de Nkrumah, le général Ankrah.
139. Selon Afrique-Action du 9 janvier 1961 (cet hebdomadaire a été peu après rebaptisé Jeune-Afrique). “Il y eut un dialogue très vif entre Sékou Touré et Nkrumah au sujet de la question essentielle de la conférence, c'est-à-dire la doctrine commune à adopter sur le Congo belge. Le président guinéen demanda le rétablissement immédiat du gouvernement de Lumumba et le retrait de toutes les forces africaines du Congo, donc de l'ONU. Nkrumah s'y opposa, mettant en garde les autres chefs d'État contre le vide que laisserait au Congo le retrait des forces africaines et qui ne profiterait qu'‘aux colonialistes ou à leurs valets’. C'est l'incident. Chaque chef d'État fit allusion à la nécessité de rejoindre son propre pays … C'est alors que Nasser prit Nkrumah à part. De retour à la séance plénière, Nasser proposa astucieusement non pas le retrait immédiat des troupes africaines, mais la menace de retrait. Le compromis a été adopté et la conférence se termina sur des résolutions somme toute modérées …”
140. Le commandement sur place de l'ONU a sans nul doute estimé qu'il convenait d'éloigner de Léopoldville la plus grande partie du contingent guinéen ; de celui-ci, il ne reste plus dans la capitale congolaise que 25 à 30 soldats que la mission guinéenne fait patrouiller sans cesse en Jeep à travers la ville.
141. Trois jours plus tard, le 20 janvier, Kennedy prend ses fonctions de président des États-Unis. La CIA se félicite de ce que la nouvelle présidence n'ait pas à gérer le problème Lumumba, la décision de l'éliminer ayant été prise avec l'accord du président Eisenhower. Sur le rôle de la CIA et de son représentant au Congo, Larry Devlin, arrivé sur place dès le 10 juillet 1960, voir ses propres mémoires Chief of Station, Congo, éditions Public Affairs, New York, 2007, 269 pages et John Prados, Safe for Democracy. The Secret Wars of the CIA, éditions Ivan R. Dee Chicago 2006 752 pages)
142. Mobutu a d'ailleurs menacé l'ambassade de Guinée d'envoyer des tanks pour l'expulser plus rapidement, mais la trentaine de militaires guinéens qui la gardent font preuve de détermination et n'obtempèrent pas à l'ordre de départ immédiat.
143. Celle-ci conclura en novembre à l'assassinat du leader congolais et en imputera la responsabilité directe ou indirecte aux dirigeants de Léopoldville et à Tshombé.
144. Ce crash reste encore officiellement inexpliqué. Une commission d'enquête de cinq membres nommée par l'ONU remit son rapport le 2 mai 1962 : elle affirma qu'elle ne pouvait retenir, mais non plus exclure, aucune des hypothèses avancées : sabotage, tir hostile depuis un autre avion, faute humaine de l'équipage — six Suédois de la Swedish Transair Company—, défaillance du matériel (l'appareil était un DC 6). Dans ses mémoires, Une vie à tire d'aile (Fayard, 2007), l'ancien ambassadeur représentant de la France auprès de l'ONU Claude de Kémoularia, consacre près de 20 pages au Mystère de la mort de Dag Hammarskjold. Selon des témoignages recueillis auprès de "mercenaires européens", il expose un plan de détournement manqué de l'appareil par un "groupe de Kolwezi" qui souhaitait parler au secrétaire général avant que celui-ci ne rencontre Tshombé, car ces Européens, partisans de la sécession katangaise, étaient hostiles au plan onusien de retour du Katanga dans le giron congolais. Le tir de sommation émanant d'un des avions qui devaient contraindre le sien à atterrir toucha l'appareil suédois, qui s'écrasa peu après.
145. Voir le chapitre 55
146. Les extraits cités en annexe du livre de Jean-Claude Willame ("Patrice Lumumba, La crise congolaise revisitée", Karthala, Paris, 1990), éclairent fort bien certains aspects de la crise et l'implication de la Guinée et du Ghana. C'est pourquoi j'estime utile de les citer, en dépit de leur longueur.
147. Nabi Youla a choisi de quitter ses fonctions d'ambassadeur à Bonn en mars 1967 et s'est établi à Paris. Quelques années plus tard, il accepte l'invitation de Mobutu de s'installer au Zaïre. Condamné à mort par contumace en 1969, il a échappé à un commando envoyé de Conakry pour l'exécuter, grâce à l'intervention de policiers zaïrois qui l'ont intercepté et remis après quelques jours dans un avion pour Conakry ; Mobutu avait été prévenu de cette action par un mystérieux coup de téléphone venant de Conakry ; Nabi Youla n'exclut pas que Sékou Touré ait lui-même donné ce coup de téléphone à son collègue zaïrois. Nabi Youla regagnera la Guinée quelques années après la mort de Sékou Touré et sera pendant quelques années conseiller du président Lansana Conté (conversation de l'auteur avec Nabi Youla ; Conakry ; 26 avril 2008).
148.D'autres futurs responsables de la République Démocratique du Congo aux côtés de Laurent-Désiré Kabila feront également des séjours — et parfois des affaires — en Guinée. Ce fut notamment le cas de Pierre Victor Mpoyo. qui fut à plusieurs reprises son ministre (notamment du pétrole). Rappelons que c'est peu après un voyage en Guinée au début de 1965 que Che Guevara rompit avec Fidel Castro et se rendit ensuite dans les maquis congolais, où il rencontra Laurent-Désiré Kabila, qui manifestement ne l'impressionna pas.

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