Professeur certifié de Lettres modernes, assistant à la Faculté des lettres de Dakar (1976), professeur de littératures française et africaine à l'Université et l'École normale supérieure de Conakry (1980-85), secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche scientifique (1985-88), ministre des affaires islamiques et secrétaire général de la Ligue islamique nationale (1989-92), ambassadeur de Guinée en résidence à Rome (1993-96), puis à Dakar (1996-98).
Rappelé à Conakry par le président Lansana Conté pour avoir mal accueilli à l'aéroport de Dakar la "deuxième Dame" (ce que Traoré conteste formellement), il est depuis lors redevenu enseignant à l'Université guinéenne, effectue de temps en temps des missions pour la Francophonie et a travaillé dans plusieurs cabinets ministériels, en particulier avec des ministres chargés de la réconciliation nationale.
J'étais jeune collégien (en classe de 5ème) au moment des événements qui avaient agité Conakry et la Guinée en novembre 1961, alors qu 'éclatait le "complot des enseignants". Alors que les lycéens avaient entraîné avec eux les collégiens du lycée de Donka, les élèves du collège de jeunes filles étaient restées tranquilles dans leur établissement, en ville, à une centaine de mètres de la Présidence de l'époque (le bâtiment abrite aujourd'hui un collège mixte appelé "2 octobre"). Leur école était alors dirigée par Madame Cellier, l'épouse d'un enseignant français, Jean Cellier, l'arrangeur — avec Keita Fodéba — de l'hymne national guinéen.
En dépit de mon jeune âge et de ma petite taille, je me rendis auprès des filles à l'heure de leur repas au réfectoire. Je leur tins alors un discours mobilisateur, les invitant à se joindre à leurs frères de Donka. Elles prirent immédiatement le chemin de ce quartier. Elles n'étaient pas les moins motivées. Lorsque les forces de l'ordre sont intervenues au niveau du camp Boiro — celui-ci ne s'appelait pas encore ainsi, c'était le camp Camayenne — qui abritait la Garde républicaine ; elles n'ont pas non plus été ménagées. Le soir, je fus arrêté. Comme beaucoup d'autres considérés comme meneurs, j'ai été enfermé au camp Alpha Yaya 211Mes parents n'avaient pas été prévenus. Mon père, médecin chef du Service d'hygiène, étant à la veille d'un départ en mission à l'extérieur, s'en inquiéta, mais reçut des assurances. Jusqu'en janvier, je fus soumis à des interrogatoires ; je devais dénoncer ceux qui m'avaient envoyé auprès des collégiennes ; alors qu'en fait il s'agissait d'une initiative personnelle. Fin janvier, je fus victime d'une crise d'appendicite et je fus opéré sur le champ à l'hôpital Donka. Je me souviens que le directeur de l'hôpital était le docteur Alpha Taran Diallo et le chirurgien s'appelait docteur Barry Abdoul, et tous deux connaissaient mon père et ma famille. Pourtant deux jours après l'opération, je fus envoyé au camp Camayenne [Boiro] et mis en cellule, à même le sol ; c'est dans ces conditions qu'on m'enleva le premier pansement ; il faut dire qu'à l'époque ce camp n'avait pas encore une aussi sinistre réputation. Quelques mois plus tard, on me transféra au poste de garde du camp, où étaient punis les gardes républicains sanctionnés. Cette décision fut prise par le régisseur pour me permettre au moins de manger avec ces gardes qui recevaient leurs repas de leur famille. J'ai su plus tard qu'il s'agissait d'une faveur accordée par le régisseur du camp, qui connaissait ma famille. En mai, je remarquai un jour un garde qui s'amusait à ouvrir la grille de la salle avec un bout de bois en jouant sur le loquet. Ce manège attira mon attention. Le surlendemain, vers 5 heures du matin, alors que tous mes compagnons dormaient profondément, je ramassai la veste et les chaussures d'un garde, ouvris la porte grillagée comme je l'avais vu faire, sortis au milieu des gardes tous endormis, m'habillai et me chaussai en hâte et sortis carrément du camp sans rencontrer aucun obstacle.
Je me suis alors dirigé tranquillement vers le port en passant sous le pont de Cameroun, suivant les rails qui me menèrent au port. Toute la journée, je me suis caché, mais le soir vers 19 heures, craignant pour mes parents, je décidai de me rendre. Je suis alors parti chez mon oncle, commissaire central de Conakry.
Me voyant, il fut frappé de stupeur, me fit rapidement manger et décida de m'accompagner auprès des autorités. En voiture, il m'explique que depuis le matin, après mon évasion, j'étais recherché activement en ville ; que mon père avait été convoqué par le ministre Keita Fodéba qui l'informa que je m'étais enfui ; mon père très sceptique lui répondit que toute fuite était impossible et le pria si j'avais été tué — de lui rendre mon corps. Mon oncle me suggéra alors que nous nous rendions directement auprès du ministre pour qu'éventuellement je puisse être interné ailleurs pour éviter des représailles.
Le ministre, surpris de me voir avec mon oncle, lui demanda alors de me déposer chez mes parents, après avoir téléphoné. Je sus plus tard qu'il venait d'informer au téléphone Sékou Touré.
C'est ainsi que j'ai retrouvé la liberté après avoir été interné depuis novembre précédent.
Trois mois après, alors qu'on m'avait interdit de retourner au collège, je décidai un jour de monter clandestinement dans un bateau de passagers à destination de Dakar. Je réussis à tromper la vigilance des services de sécurité du port, à monter à bord, à m'y cacher et à rejoindre Dakar. Ce bateau qui s'appelait le "Jean Mermoz" fut le dernier à faire la liaison avec Dakar.
Ainsi commençait une autre vie, un exil loin des miens. Je suis resté à Dakar où j'ai poursuivi mes études au lycée Van Vollenhoven, puis à l'université ; il me restait à faire cinq ans jusqu'au baccalauréat.
(Conversation avec l'auteur, Paris, 24 juin 2002).
Note
211. Ce témoignage est confirmé par Aboubacar Somparé, alors condisciple de Traoré, et qui l'a accompagné pour "mobiliser les jeunes filles" ; mais, plus en retrait, il ne fut pas dénoncé par celles-ci comme meneur lorsqu'elle furent interrogées après leur arrestation (entretien d'Aboubacar Somparé avec l'auteur, Paris, 25 novembre 2002).
Aboubacar Somparé, titulaire d'une maîtrise en mathématiques (acquise à Conakry à I'IPGAN), a également occupé des fonctions dans les services de l'éducation nationale en Guinée, a été directeur général des services de l'information, de 1978 à 1985 ambassadeur de Guinée en France (ainsi qu'au Royaume-Uni, en Espagne et en Suisse), conseiller du ministre de la réforme administrative et de la fonction publique, administrateur du Palais des nations, Recteur de l'Université de Conakry, coordonnateur national du Programme d'ajustement sectoriel de l'éducation, secrétaire général du ministère de l'administration du territoire et de la décentralisation, secrétaire général adjoint puis secrétaire général du parti présidentiel PUP (Parti de l'Unité et du Progrès), député et président du groupe parlementaire PUP en 1995, et depuis septembre 2002 président de l'Assemblée nationale guinéenne, c'est-à-dire, d'après la Constitution en vigueur, successeur à la tête de l'État en cas d'empêchement du président de la République après accord de la Cour suprême, et chargé d'organiser des élections présidentielles dans les 45 jours).
C'est ce qui n'a pas été respecté lors du décès du président Lansana Conté, le 22 décembre 2008, puisque le capitaine Moussa Dadis Camara a pris le pouvoir la nuit suivante. Il est vrai que l'Assemblée nationale avait dépassé de deux années son mandat théorique.
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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.