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André Lewin.
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages


Chapitre 8.
18 octobre 1946 Sékou Touré participe à Bamako
au Congrès fondateur du RDA et reste dans ce parti jusqu'en 1958


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Le rôle important, souvent capital, que jouèrent les soldats originaires des colonies d'Afrique dans les combats de la France Libre et dans la victoire finale sur les pays de l'Axe 161, imposait une nouvelle réflexion sur leur situation et sur la participation des Africains à leur propre avenir. Les responsables africains la réclamaient, une grande partie des hommes politiques de la métropole y étaient disposés ; en revanche, une bonne partie des “milieux coloniaux” et leurs partisans en métropole en étaient des adversaires résolus, bien déterminés à empêcher ou à retarder toutes les véritables réformes, comme le montreront les “États généraux de la colonisation française en Afrique noire” réunis à Paris du 30 juillet au 3 août 1946. Édouard Herriot, président de l'Assemblée nationale, opposé à l'Union Française qu'il considère comme “un fédéralisme anarchiste et acéphale”, déclare un peu plus tard que “le danger m'apparaît formidable.
(…) Ainsi les citoyens des territoires d'Outre-mer seront plus nombreux que les citoyens de la métropole. Comme le disait de façon plaisante et profonde à la fois l'un de mes amis, la France deviendrait la colonie de ses colonies.” 162.
A la même époque, un représentant de cette même tendance en Guinée un nommé Maigret, choque beaucoup les Africains en affirmant que les droits politiques “étaient un jouet trop compliqué pour leur compréhension” ! Sékou Touré réplique en critiquant vivement l'attitude des représentants parlementaires de la droite et des colons, qui s'opposent à l'extension aux Africains de la citoyenneté française et l'attribution de tout une série de libertés nouvelles 163 : “Ces députés qui prennent l'arme réactionnaire avaient donné leur accord total pour l'octroi des droits politiques aux populations d'Outre-mer en leur reconnaissant la qualité et la dignité de citoyen français. En outre, le conseil des ministres ne nous a-t-il pas assurés par radio et par presse que le rejet de la première constitution n'entraîne aucune restriction à nos libertés acquises ? Entretemps, les trusts saisissent au collet leurs élus et ces derniers font remettre nos droits en discussion.” 164

A la conférence de Brazzaville, tenue du 30 janvier au 8 février 1944, le général de Gaulle avait notamment déclaré qu'il n'y aurait “aucun progrès (…) si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires.”
C'est à la suite des recommandations de cette conférence que seront pris entre autres textes le décret instaurant la liberté syndicale dans les colonies et l'ordonnance du 22 août 1945 organisant les premières élections législatives généralisées en Afrique noire (mais avec un double collège électoral, l'un pour les Européens, l'autre pour les Africains 165).

Toutefois, Léopold Sédar Senghor et Sourou Migan Apithy, qui font partie de la commission présidée par le Guyanais Gaston Monnerville, chargée d'étudier la représentation des colonies dans les institutions françaises, découvrent “avec stupéfaction que la plupart des services du ministère des colonies ne semblent pas avoir entendu parler de la conférence de Brazzaville.” 166

Sans doute quelques projets importants aboutissent-ils en 1946, comme la suppression de l'indigénat et du travail forcé (ce dernier par la loi dite Houphouët-Boigny du 11 avril 1946), ou l'octroi de la citoyenneté française avec la loi dite Lamine-Gueye 167 ; mais quelques reformes essentielles s'embourbent dans les discussions constitutionnelles et législatives.

Le rejet en mai 1946 du premier projet de constitution, assez favorable à certaines de leurs revendications, inquiète les élus africains 168. En dépit d'un Titre VIII qui comporte quelques formules libérales, le nouveau projet de constitution ne parle plus d'une “Union librement consentie” entre la France et ses colonies, mais d'une Union Française, où la proclamation de l'égalité des droits et des devoirs sans distinction de race et de religion n'empêche pas le maintien de la dualité de statut personnel.

Les parlementaires africains, regroupés depuis peu au sein d'un “Intergroupe des peuples d'Outre-mer” 169, veulent donner une forme publique et solennelle à leur inquiétude et fédérer l'ensemble des élus. Quatorze d'entre eux, la plupart des élus d'AOF et d'AEF (parmi eux, Yacine Diallo député de la Guinée française) adoptent le 12 septembre, à Ermont, près de Paris, dans la propriété de Lamine Guèye, un manifeste 170 qui rappelle les aspirations des peuples d'Outre-mer et les promesses faites à Brazzaville ; ce texte stigmatise les oppositions apparues en métropole et au Parlement contre les réformes, et, refusant néanmoins l'“utopie” de l'autonomie et de la sécession, énonce quatre revendications essentielles : égalité des droits politiques et sociaux, libertés ind'ividuelles et culturelles règle de la majorité dans les assemblées locales, participation volontaire et non imposée à l'Union Française.
Les signataires proposent également que se tienne, avant la date du 13 octobre prévue pour le référendum sur le nouveau projet de constitution, un congrès des colonisés d'Afrique noire, auquel toutes les formations politiques françaises seraient également invitées. Dakar et Abidjan sont d'abord envisagées comme lieu de cette réunion, mais c'est finalement Bamako qui sera retenue à la demande expresse de Fily Dabo Sissoko 171. Le 18 septembre, Houphouët-Boigny et d'Arboussier 172 adressent des lettres à toutes les formations invitées. Le congrès devrait s'ouvrir le 11 octobre, mais de nombreuses délégations ne sont pas encore arrivées (dont celle de Guinée) ; l'hostilité de l'administration et des milieux coloniaux, les manoeuvres des responsables socialistes 173 qui craignent le dynamisme des communistes, ainsi que de réelles difficultés matérielles (problèmes d'acheminement 174 et d'hébergement des délégations, notamment), en retardent l'ouverture effective jusqu'au vendredi 18 octobre.
Ce matin là, près de mille délégués prennent place dans le réfectoire de l'École primaire supérieure Terrasson-de-Fougères (devenue. plus tard Lycée Askia Mohamed). L'établissement, le plus ancien de la capitale du Soudan, est situé en bordure de la ville dans un grand parc ombragé, au pied de la falaise de la colline de Koulouba — “la grande colline” —, sur laquelle a été édifié le palais du gouverneur ; juste à côté se dressent les casernements de la gendarmerie. Houphouët, Apithy, d'Arboussier et Raymond Barbé sont arrivés à Bamako le 17 octobre, au terme de trois jours de voyage 175, dans un avion mis à leur disposition par le ministre de l'Armement, le communiste Charles Tillon 176 ; Sissoko arrive de son côté dans un appareil finalement mis à sa disposition par Marius Moutet, le ministre socialiste de la France d'Outre-mer. Avant même que la réunion ne commence, Sissoko et Houphouët se sont opposés lors d'un meeting public improvisé, où la foule et les élus présents ont plutôt penché du côté de ce dernier.
La conférence se terminera le 21 octobre. Entre temps, le référendum a déjà eu lieu ; si les colonies donnent une majorité au “non”, c'est le “oui” qui l'emporte nettement en métropole ; la constitution de la Quatrième République, y compris le statut de l'Union Française, est donc promulguée 177.
Un Comité d'Initiative du Regroupement avait été mis en place le 29 septembre à Conakry pour préparer la participation guinéenne à cette réunion. La délégation désignée est présentée au cours d'un meeting tenu le 12 octobre au cinéma Rialto. Elle quittera Conakry pour la capitale du Soudan français par le train express Conakry-Niger (qui dessert Bamako via Kankan) le 14 octobre. A Bamako, la Guinée est représentée par onze délégués, mandatés par des partis politiques ou des groupements ethniques :

Délégué(s) Organisation
Jean Ariola Groupe d'Études Communistes
Moussa Diakité Union du Mandé
Abdoulaye Diallo — [Note. Plus connu sous le nom d'Abdoulaye Huissier (de justice). — T.S. Bah] Amicale Gilbert Vieillard
Lamine Kaba dit Sedji et Amara Sissoko Mouvement de la Réforme Démocratique
Mamadou Madeira Keita Parti Progressiste Africain de Guinée
Mamadi Kourouma Union Forestière
Désiré-Étienne Mourot, mécanicien aux Travaux Publics Union des Métis
Amarah Soumah et Mohamed N'Fa Touré Union de la Basse Guinée
[Ahmed] Sékou Touré Union du Mandé, Groupe d'Études Communistes, PPAG, Union des Syndicats Confédérés de Guinée 178

Louis Ignacio-Pinto, qui sera élu du Dahomey au Conseil de la République (nom du Sénat sous la 4ème République française) de 1947 à 1955, plus tard ambassadeur du Dahomey auprès de l'ONU et finalement juge à la Cour internationale de Justice, fait partie de la délégation dahoméenne, mais il est inscrit comme avocat au barreau de Conakry, et il est donc proche de ses collègues guinéens.
Madeira Keita, considéré comme le chef de la délégation guinéenne, deviendra rapporteur de la Quatrième Commission, celle des affaires sociales. Parmi les députés guinéens, ni Yacine Diallo, (qui avait pourtant signé le Manifeste), ni Mamba Sano qui sera élu député RDA de la Guinée aux élections législatives du 10 novembre 1946 179) ne sont venus à Bamako. On estime en général que les absents ont été “travaillés” par le Parti socialiste, qui craignait (à juste titre, tout au moins au début) une influence communiste trop forte sur le nouveau mouvement qui se dessinait.
Quatre textes essentiels furent adoptés par les congressistes les 20 et 21 octobre, au terme de discussions parfois très vives où se sont opposés “maximalistes” soutenus par les communistes, et “modérés” qui sont dans la mouvance des socialistes. Dans la coulisse, le rôle du Parti communiste et de ses principaux délégués, Raymond Barbé et Gérard Cauche, aura été important, bien qu'ils n'aient aucune fonction officielle et qu'ils ne soient jamais apparus à la tribune ; c'est leur ralliement à une formule de compromis qui permettra l'heureuse conclusion des débats. Outre les trois rapports des commissions politique, économique, sociale et culturelle, le congrès approuve une résolution générale sur le Rassemblement Démocratique Africain (RDA).
Sans être formellement un parti politique, celui-ci sera une fédération des “sections du RDA” qui devront être créées dans chacune des colonies ; ce sera donc la première formation politique africaine à intéresser l'ensemble de l'AOF. Le congrès périodique sera la plus haute instance du mouvement et ses résolutions seront impératives pour toutes les sections qui ne seront autonomes que pour leur application ; le comité de coordination est l'organe supérieur du Rassemblement entre deux congrès et son siège est fixé à Abidjan ; le groupe des élus du RDA aux assemblées métropolitaines à Paris “représente en France le comité de coordination” ; il a été convenu que le RDA serait indépendant des partis français, mais qu'il pourrait “s'appuyer” sur des formations politiques dont il se sentirait proche : ce sera jusqu'en octobre 1950 le Parti communiste ; ce sera après le 6 février 1952 l'Union Démocratique et Sociale de la Résistance (UDSR) de René Pleven, François Mitterrand, Roland Dumas et Édouard Bonnefous. Dès les élections législatives du 10 novembre 1946, le RDA compte 11 élus (7 en AOF, 3 en AEF, 1 en Côte française des Somalis) sur les 13 députés africains que l'Afrique noire envoie au Palais Bourbon à Paris 180 ; ils ne sont cependant pas assez nombreux pour former un groupe parlementaire ; c'est pourquoi ils s'apparenteront au groupe communiste par l'intermédiaire du Groupe d'union républicaine et résistante (URR), petite formation présidée par Emmanuel d'Astier de la Vigerie. Quelques mois seulement après la conclusion de cette alliance parlementaire, mais également politique, le 4 mai 1947, les ministres communistes sont exclus du gouvernement par le président du conseil socialiste, Paul Ramadier ; le parti communiste se retrouve donc dans l'opposition, et, nolens valens, il en est de même de leurs alliés du Rassemblement RDA 181.
Un Comité provisoire du RDA est désigné le 21 octobre, lors du meeting final au stade Frédéric Assomption de Bamako: Félix Houphouët-Boigny en devient le président 182 ; Mamadou Konaté, Gabriel d'Arboussier, Sourou Migan Apithy et Félix Tchicaya en seront les vice-presidents ; Fily Dabo Sissoko 183 est choisi comme secrétaire général ; le comité sera complété au début de 1947. Alors qu'aucun représentant de la Guinée ne faisait partie du comité provisoire, Madeira Keita deviendra par la suite membre du Comité de coordination.
Par ailleurs, le RDA se choisit également un symbole, l'éléphant, qui sera repris ultérieurement par certains pays, comme la Côte d'Ivoire (c'est d'ailleurs aussi le nom de son équipe de football nationale) ou le Burkina Faso. La Guinée entérine ce choix, mais sous le nom de Sily (éléphant en langue soussou). Sékou Touré sera souvent désigné comme “le Grand Sily”, et il donnera à la monnaie nationale créée en 1972, le nom de Sily.
Le deuxième congrès du RDA, prévu à l'origine en 1948 à Bobo-Dioulasso (Haute-Volta), est purement et simplement interdit, et se tient finalement à Treichville (Côte-d'Ivoire) en janvier 1949 ; bien préparé par des réunions de l'école des cadres à Viroflay, il tend à donner au mouvement une orientation nettement plus révolutionnaire, fortement influencée par le parti communiste 184 ; certains participants se réclament ouvertement de Marx Engels Lénine et Staline. La délégation guinéenne est modeste en nombre 185, et Sékou Touré n'en fait pas partie 186. Il n'y aura plus de Congrès interterritorial du RDA pendant huit ans, faute de convocation par le comité de coordination.
En octobre 1950, les députés du RDA s'éloignent effectivement du parti communiste français et annoncent le 13 la fin de leur apparentement à ce dernier 187. Houphouët a en effet constaté que “l'opposition systématique ne permet de rien obtenir pour nos pays” 188, et il a dès juin 1950, grâce à l'entremise de Raphael Saller, sénateur de la Guinée, membre du groupe des Indépendants d'Outre-mer, parti rival du RDA, engagé des pourparlers avec le président du Conseil René Pleven et le ministre de la France d'Outre-mer François Mitterrand, l'un et l'autre membres de l'UDSR 189.
Contestée par Gabriel d'Arboussier, alors secrétaire général du mouvement, ainsi que par les sections du Sénégal, du Niger 190 et du Cameroun, cette décision prise par Houphouët-Boigny est finalement soutenue par Sékou Touré 191. En 1954, celui-ci devient membre du Comité de coordination, où il est encore considéré comme un “jeune turc” 192. Deux ans plus tard, il approuvera l'exclusion du RDA de Gabriel d'Arboussier 193 et en juillet 1955, lors d'une réunion du Comité de coordination tenue à “Camayenne Plage” à Conakry 194, il contribuera à faire exclure du mouvement les sections opposées à la nouvelle politique définie par Houphouët 195, hostile en particulier à une orientation fédérale de l'Afrique noire dans le cadre de l'Union Française 196. Entre-temps ont eu lieu la “récupération” de Sékou par Cornut-Gentille et la création de la CGTA 197.
Mais les responsables du Parti communiste (comme d'ailleurs ceux de la CGT) ont longtemps estimé que Sékou, même s'il avait accepté la séparation politique et syndicale d'avec les structures communistes, restait quand même proche de leurs thèses, peut-être même “récupérable”. Louis Odru, entre autres cadres communistes familiers de l'Afrique, effectue plusieurs missions en Afrique occidentale, notamment en Guinée, “pour retisser les liens rompus et en nouer d'autres” ; pour lui, on pensait bien — ou l'on espérait — que Sékou continuait, malgré Houphouët, à agir selon une ligne plus progressiste, partagée d'ailleurs par d'autres militants RDA. Il en voit la preuve dans le déroulement, difficile pour Houphouët, du 3ème congrès du mouvement 198.
Reporté à trois reprises, le 3ème Congrès du RDA se tient finalement à Bamako du 25 au 30 septembre 1957 ; 800 délégués sont réunis au nouveau Collège technique de la capitale du Soudan français, où Modibo Keita leur souhaite la bienvenue cependant qu'Ouezzin Coulibaly le remercie au nom des participants 199. Sont présents également deux anciens présidents du conseil français, Edgar Faure 200 et Pierre Mendès-France, ainsi que François Mitterrand, président du groupe UDSR-RDA. Invités, Guy Mollet et Antoine Pinay n'ont pas répondu ; Chaban-Delmas envoie une lettre de soutien; Pierre Pflimlin se fait représenter par Kenneth Vignes. Edgar Faure et François Mitterrand prennent la parole pour évoquer l'un et l'autre la communauté franco-africaine. Pierre Mendès-France très applaudi en souvenir de l'action de son gouvernement en faveur de la décolonisation, en 1954, Indochine et Tunisie en particulier) et toujours pondéré, rappelle qu'au delà de “tout ce qu'elle a déjà fait”, la France aurait pu faire davantage pour le bien de ses colonies si elle n'avait pas “consacré autant de ses ressources à des dépenses militaires”, et souligne que la métropole, avec 2 à 3 % de son revenu national, en fait plus que n'importe quel autre pays, notamment les États-Unis.
Plusieurs mouvements sont également invités et prennent la parole, notamment l'UGTAN et la FEANF (celle-ci grâce à l'intervention de SékouTouré). Ce dernier, qui dirige une délégation guinéenne forte d'une centaine de militants 201, va se mesurer plus ouvertement à Houphouët, dont les positions sont contestées par de nombreux délégués, en particulier ceux de la Fédération des Etudiants d'Afrique Noire, qui réclament l'indépendance immédiate et reprochent au RDA d'avoir renié son programme initial en favorisant à l'excès la coopération avec la France.
L'indépendance du Ghana, intervenue six mois auparavant, est présente dans tous les esprits, bien qu'elle ne soit jamais mentionnée ouvertement.
Houphouët et Léon Mba proclament: “La Loi-cadre, toute la Loi-cadre, mais au moins pour le moment, rien que la Loi-cadre, mais selon la résolution finale, celle-ci est saluée comme un pas irréversible dans la marche vers l'émancipation des populations africaines.”
Sékou fait une entrée théâtrale ; il apparaît en costume traditionnel africain boubou blanc et toque de feutre, et suscite une ovation délirante 202.
“Unissez-vous pour rendre l'Afrique plus fière de son union avec la France ; l'Afrique sans la France rencontrerait des difficultés insurmontables, mais la France sans l'Afrique perdrait tout potenttel international”, s'ecrie Sékou dont les réflexions apparaissent nettement plus africaines et surtout plus fédéralistes que celles d'Houphouët, qui reste plus proche de l'axe français 203. Un mois auparavant, en août 1957, Sékou a d'ailleurs fait voter au Grand Conseil de l'AOF 204 une motion “fédéraliste” qui le demande d'adopter une résolution souhaitant que “soit créé à bref délai un exécutif fédéral à l'échelle des huit territoires de l'AOF.” 205.
De même, l'Assemblée territoriale de Guinée avait exprimé antérieurement le “désir de voir créer un exécutif fédéral responsabl devant le Grand Conseil”. En janvier 1958, Sékou Touré précisait sa pensée, guère différente de celle de Senghor, en disant : “L'exécutif fédéral n'est pas pour nous un but, mais simplement un moyen politique pour consacrer et renforcer l'unité africaine.”
Dans son rapport moral et d'orientation, Houphouët préconisait pour la communauté franco-africaine un grand État fédéral égalitaire, où la métropole aurait entretenu des relations directes avec chacun des territoires.
Mais la majorité du Congrès, animée par Sékou Touré, penche en faveur de deux fédérations de territoires autonomes, formant elles-mêmes une confédération avec la France 206.
“On ne pouvait manquer de se sentir attiré par la puissante et captivante personnalité de celui en qui l'on s'accorde à voir le principal opposant à la politique du président Houphouët, Sékou Touré, dont la dialectique impitoyable, la fougue irrésistible et le sens marxiste de l'organisation expliquent la fascination qu'il exerce non seulement sur les masses guinéennes, mais aussi sur les délégations d'autres territoires que le sien”, écrira André Blanchet, témoin attentif et observateur averti 207.
Sékou tente pourtant de minimiser les divergences au sein du mouvement : “Je tiens à affirmer solennellement qu'il ny a qu'un seul RDA, groupé en une seule tendance et qui conserve sa pleine et entière confiance en son président (…) Les problèmes existent, ce n'est pas manquer de courage que de les reconnaître(…) Toutes les idées, quelles qu'elles soient, ont leur place dans le RDA ; même dans les familles, les idées peuvent opposer les enfants d'un même père et d'une même mère.”
Sékou Touré est cependant empêché pendant plusieurs jours de participer personnellement aux travaux du Congrès, car il est tombé durement en descendant l'escalier de l'Hôtel de la Gare où est logée une partie des délégations ; cet accident malencontreux s'est produit “très tôt un matin en allant au restaurant pour le petit déjeuner”, affirment les amis de Sékou ; “en revenant au petit jour de la chambre d'une déléguée”, raconte la petite histoire !

[Note. Ibrahima Kaké donne une version différente de cet incident. — T.S. Bah].

Aussi Sékou Touré immobilisé dans sa chambre n'est-il pas en mesure de présenter lui-même aux congressistes son rapport sur le syndicalisme ; enregistrée sur bande et retransmise dans la salle du Congrès, cette intervention de l'“homme invisible” n'en fut pas moins frénétiquement applaudie.
Houphouët au contraire, accueilli fraîchement dès l'ouverture de la réunion, se cantonne le plus souvent dans sa chambre d'hôtel — mais volontairement. Lors de son discours, il est conspué et n'assiste même pas à la séance de clôture, le 30 septembre. Ouezzin Coulibaly, qui aurait pu faire pencher la balance en faveur de l'union du Mouvement, est déjà fortement atteint par la maladie qui devait l'emporter l'année suivante, et n'exerce pas avec la même constance son influence modératrice ; c'est finalement Gabriel d'Arboussier qui prépare le rapport final. Certains pensent que Sékou aurait pu profiter des circonstances pour se faire élire président du RDA, mais il ne tient pas à l'éclatement du Mouvement et parvient à l'empêcher au dernier moment; “d'un geste qui ne souffrait pas de réplique, M. Sékou Touré arrêta en effet sur le chemin de la tribune un porte-parole de la section guinéenne qui venait de se lever porteur de contre-propositions dont la teneur nous restera ainsi inconnue. L'intervention toute empreinte de gravité et les explications du député-maire de Conakry permirent que fut votée — et théoriquement à l'unanimité — cette résolution autour de laquelle on s'était affronté durant deux jours et deux nuits de discussions enflammées.” 208.
Sékou Touré est élu vice-président du bureau du Mouvement à l'issue de la dernière séance du Congrès qu'il a présidée avec éclat après s'être faitmtransporter du lit auquel il était encore en principe contraint; il conclut en redéfinissant à sa manière le rôle du président du RDA : “Félix Houphouët-Boigny reste notre président, mais soutiendra au gouvernement non ses idées, mais celles du RDA.”
A Paris, les réactions ne sont pas positives. Jacques Soustelle (du parti des Républicains sociaux, proches des gaullistes), exprime la crainte d'une “poussée torrentielle de revendications”. Selon Paris-Presse l'Intransigeant, c'est l'écho de ce “coup de tonnerre” qui a précipité la chute du gouvernement Bourgès-Maunoury, cependant que Le Populaire de Paris évoque la montée de l'“extrémisme des jeunes”. Dans L'Humanité, en revanche, Léon Feix, responsable de la section coloniale du PC, met en garde l'opinion métropolitaine contre le refus de voir “le puissant mouvement de libération qui soulève les peuples d'Afrique noire.” 209.
Ainsi que nous l'avons vu, un mois auparavant, à Dakar, le 29 août, Sékou Touré (appuyé par Doudou Thiam et Gabriel d'Arboussier, qui préside ce jour-là le Grand Conseil, réuni en session extraordinaire, l'absence d'Houphouët ayant sans nul doute facilité les choses) avait fait adopter à l'unanimité par cette assemblée une résolution exigeant le maintien de la fédération et demandant “à bref délai” la création d'un exécutif fédéral chargé depuis Dakar de la gestion des intérêts communs des huit territoires de l'AOF 210. Ce texte, ainsi que le ralliement apparent des fidèles d'Houphouët à la position défendue par Senghor et Sékou Touré, heurte Paris, où l'on affecte de croire que les Africains veulent profiter des difficultés créée à la France par l'évolution de la situation en Algérie.
Quelques mois plus tard, en janvier 1958, Sékou Touré souligne que “l'exécutif fédéral n'est pas pour nous un but, mais simplement un moyen politique pour consacrer et renforcer l'unité africaine.” 211.
Au Grand Conseil de l'AOF comme aux réunions du RDA ou du PDG, Sékou prend des positions flexibles, qui témoignent de son habileté tactique. En janvier 1958, au 3ème Congrès du PDG tenu à Conakry, auquel il se rend sans attendre la fin d'une réunion du bureau du comité de coordination du RDA qui se tient à Paris du 16 au 20 janvier, il attaque dans son rapport moral et politique la Loi-cadre, “fruit de deux volontés contradictoires”, et pourfend le régime colonial, “incompatible avec la dignité et l'intérêt africains et aussi avec la pérennité et le développement de l'influence française. (…) Notre idée n'est nullement celle d'une séparation d'avec la France, mais la signification de la confiance et de l'amour que nous portons à la France”. En faisant approuver l'idée de l'extension des pouvoirs des gouvernements locaux et la transformation des Grands Conseils en parlements fédéraux, il sollicite au maximum les termes de la résolution de Bamako sans trop s'écarter de la ligne officielle du RDA 212. Un peu plus tard, dans le journal Liberté, il commente de manière ambiguè les débats du récent congrès du PDG : “Pendant que les politiciens improvisés,corrompus, crient quelques slogans rapidement récités pour la circonstance: indépendance totale, syndicalisme libre, démocratie, socialisme ou collectivisme, la caravane passe. (…) Face à ceux qui ignorent totalement la réalité africaine, face au verbe creta des pseudo-révolutionnaires, de quelques intellectuels cent fois aveuglés par leurs diplômes, distillant leur médiocrité savante, leur complexe d'infériorité par tirades on ne peut plus républicaines ni plus libérales, nous reprenons notre place au combat de la réalité France-Afrique.” 213.
Les 10 et 11 février 1958, Sékou est de retour à Paris pour assister à une réunion exceptionnelle — la première — de tous les hauts-commissaires, gouverneurs et vice-présidents des conseils de gouvernement, exceptionnelle parce que non prévue par la Loi-cadre ; le ministre Gérard Jaquet l'ouvre en la qualifiant de “notre conférence du Commonwealth.”
Toujours à Paris, lors d'une réunion, du 15 au 17 février, de plusieurs partis politiques africains (y compris les formations purement territoriales comme le BAG) qui se tient à la salle Colbert de l'Assemblée nationale, Sékou Touré (qui avait en vain plaidé afin que cette rencontre eût lieu en Afrique) rédige au nom du RDA, avec Ya Dournbia, représentant du MSA 214 et Abdoulaye Ly, délégué de la Convention africaine, un “programme minimum” prévoyant l'autonomie interne des territoires au sein de fédérations démocratiques, des modalités d'union ou d'association avec la France variables suivant que les territoires auront ou non accédé à l'indépendance, ainsi que la fusion des différents partis africains. Le texte est signé le 17 février. Les délégués du PAI ont été expulsés dès qu'ils ont exigé l'indépendance immédiate, au besoin conquise par les armes.
Le ministre Gérard Jaquet se trouve la semaine suivante en tournée en AOF. A Bamako, il s'entend dire par Modibo Keita que “si la France laissait échapper l'occasion de réaliser la communauté franco-africaine, l'Afrique, inévitablement, s'engagerait sur la seule voie libre compatible avec sa dignité : la voie de l'indépendance”, ce à quoi le quotidien très conservateur L'Aurore réagit en invitant le leader soudanais à “peser ses propos” 215. A Conakry, Sékou Touré prononce une allocution qui préfigure dans une certaine mesure le discours qu'il fera en août devant le général de Gaulle. A son retour en France, le ministre Gérard Jaquet tire une conclusion que le général de Gaulle, quelques mois plus tard, n'aurait pas désavouée : les territoires d'Outre-mer doivent être rapidement placés devant le choix : indépendance avec ses conséquences ou construction de la Communauté franco-africaine 216.
Après l'échec sur ce thème d'un nouveau comité de coordination du RDA tenu à Abidjan du 12 au 14 mars, et le refus du RDA, le parti le plus puissant, de participer à Dakar les 16 et 17 mars à une réunion sur la fusion des partis politiques africains, Sékou Touré, Doudou Thtam et le Mauritanien Ould el Hassen font adopter à l'unanimité par le Grand Conseil, le 5 avril 1958, un motion qui préconise l'autononùe interne au sein du groupe de territoires de l'AOF. Le 8 avril, les conseillers ivoiriens, admonestés par Houphouët, qui était absent lors du scrutin, publient un communiqué affirmant que le vote du 5 avril avait été acquis “par surprise”. Sékou réagit le 9 avril en déclarant dans un communiqué que “le groupe RDA soutient de tout son poids la motion (…) Seul le Mouvement peut faire modifier sa décision.”
Cette motion, de même que le programme adopté à la Salle Colbert ne seront cependant pas suivis d'effets, car le mois de mai 1958 verra la fin de la Quatrième République et le retour au pouvoir du général de Gaulle 217.
Ces textes provoquent toutefois l'inquiétude des milieux conservateurs et colonialistes. Max-Olivier Lacamp dans Le Figaro excuse les étudiants africains, mais estime qu'“il est plus difficile d'avaler que des politiciens actuellement en place aux postes de commande intérieurs par la générosité de la France et de la Loi-cadre, entonnent la trompette de l'indépendance (…) La Loi-cadre a posé les principes d'une véritable communauté franco-africaine (…) Qu'on en reste là.” 218.

Notes
161. Pendant la Ière guerre mondiale, 200.000 Africains venus d'AOF ont servi la France, dont 150.000 sur le sol européen ; 30.000 d'entre eux ne reviendront pas. 180.000 soldats africains feront partie des troupes coloniales entre 1939 et 1945, et près de 29.000 mourront sur les champs de bataille. Dans ses “Discours et Messages I”, le général de Gaulle, en juillet 1944, précise qu'au sein des troupes françaises régulièrement constituées et engagées contre l'ennemi, “les deux tiers des éléments sont constitués par des Africains”. Ensuite, beaucoup servirent en Indochine et en Algérie. En temps de paix, des directives générales avaient déjà fixé à 15.000 le nombre de tirailleurs que devait fournir l'AOF, selon la répartition suivante :

Colonie Contingent
Côte-d'Ivoire 3.700
Sénégal 3.350
Soudan 3.000
Guinée 2.700
Dahomey 1.500
Niger 500
Mauritanie 70

Le Togo, qui est simplement rattaché à l'AOF, et la Haute-Volta (redevenue partie de la Côte-d'Ivoire de 1932 à 1947) ne sont pas cités. Lorsque l'auteur a pris ses fonctions à Conakry en 1975, il y avait environ 20.000 anciens combattants guinéens titulaires de pensions, mais celles-ci, cristallisées au taux de 1961, étaient bien inférieures aux pensions métropolitaines. Depuis sont intervenues plusieurs revalorisations.
162. Débat à l'Assemblée constituante, 27 août 1946.
163. Le journal Marchés Coloniaux (qui deviendra à partir du 22 septembre 1956 Marchés Tropicaux, en s'adjoignant ensuite l'adjectif : “et Méditerranéens”), dirigé par Christian Moreux — futur conseiller de l'Union française sous l'étiquette du MRP chrétien — écrit le 23 février l946 : “La Constituante, en proposant le suffrage universel dans tout l'Empire, sans distinction ni reserve, en plaçant sur le même pied civique la négresse à plateaux et notre ouvrier d'usine, le sorcier soudanais et M. Joliot-Curie, a, par le ridicule de ses propos, déjà fait rebrousser chemin à l'opinion publique (…) C'est de cela qu'un jour certains réformateurs auront à répondre. C'est cela qu'un jour ils devront payer.”
164. Article “L'Afrique indignée proteste contre la réaction” in Le Réveil, 22 août 1946.
165. Ce système électoral restreint sera uttlisé pour les élections aux deux assemblées constituantes de 1945 et 1946. Pour l'AOF-Togo, le deuxième collège permet seulement à 120.000 personnes de voter (sur une population de 18 millions) ; les catégories retenues sont les “notables évolués”, les titulaires de décorations, les fonctionnaires, les diplômés, les ministres des cultes, les anciens officiers et sous-officiers, les anciens combattants, les commerçants, les membres des bureaux des associations coopératives ou syndicales, les membres et anciens membres des assemblées territoriales, les chefs de cantons, chefs coutumiers ou représentants des communautés indigènes… Supprimé pour les élections legislatives, le double collège sera en revanche maintenu pour les élections aux assemblées territoriales par le décret du 25 octobre 1966, et y subsistera jusqu'en 1956. La moitié des conseillers de l'Union française étant élus par ces assemblées, la sur-representation au sein de cette assemblée des Européens est également assurée.
166. Pour une analyse détaillée des recommandations de la conférence de Brazzaville et leur mise en oeuvre voir La conférence de Brazzaville de 1944 : contexte et repères par Raymond-Marin Lemesle, préface de Michel Roussin, Paris, publications du CHEAM, 1994. Il est bien possible que les deux députés aient tout simplement découverts que les services administratifs français n'avaient guère envie de voir un état d'esprit tant soit peu libéral se répandre au ministère des colonies puis de la France d'Outer-Mer.
167. Le “doyen” des hommes politiques sénégalais, député socialiste du Sénégal, maire de Saint-Louis en 1925, puis de Dakar.
168. Le référendum du 5 mai a rejeté le projet par 40,9 % de “non”, 36,6 % de “oui” et 20 % d'abstentions ; mais dans les colonies, le “oui” l'avait emporté par 29,4 %, contre 26, 6 % de “non” et 42,7% d'abstentions.
169. Comprenant des élus des colonies françaises d'Afrique notre, d'Afrique du Nord, d'Asie, de l'Amérique, cet Intergroupe a été créé le 22 juillet 1946 ; il est presidé par Lamine Guèye (Sénégal), assisté de Ferhat Abbas (Algérie), qui en a pris l'initiative, et de Gaston Monnerville (Guyane).
170. Les rédacteurs initiaux étaient Félix Houphouët-Boigny et Gabriel d'Arboussier. Le texte du manifeste a essentiellement été élaboré à l'hôtel Vaneau, dans la rue du même nom à Paris, où réside régulièrement Houphouët-Boigny, et que fréquentent donc beaucoup d'élus africains. Raymond Barbé et ses collaborateurs chargés de l'Afrique au Parti communiste, qui ont été informés très tôt de cette initiative, l'ont tout de suite approuvée et sont souvent présents aux côtés des rédacteurs africains.
171. [Celui-ci], manipulé par le ministre (socialiste) des Colonies Marius Moutet, lequel craint une manoeuvre des communistes, manifestera pendant plusieurs jours son opposition à la conférence, à laquelle il finira pourtant par assister. Sur tous ces événements, lire le livre de Pierre Kipré, Le Congrès de Bamako, dans la collection Afrique contemporaine (alors dirigée par Ibrahima Baba Kaké). Cet intéressant ouvrage reste cependant presque totalement muet sur la participation guinéenne et ne mentionne pas la présence de Sékou Touré. Raymond Barbé affirme de son côté que Sékou n'aurait pas participé à la réunion de Bamako. Par ailleurs, d'autres participants mentionnent la présence d'un avocat inscrit au barreau de Conakry, Ignacio Pinto, futur juge à la Cour internationale de justice de La Haye, mais ce dernier faisait partie de la délégation dahoméenne-béninoise.
172. Gabriel d'Arboussier, né le 14 janvier 1908 à Djenné (Soudan français, actuel Mali), fils du baron Henri d'Arboussier, officier français puis gouverneur dans le Pacifique, et d'une jeune femme Peule soudanaise (malienne) — certains affirment qu'elle était liée à la famille d'El Hadj Omar Tall — entre major à l'École coloniale en 1938 ; il occupe diverses fonctions en AOF et en AEF jusqu'à son élection en 1945 comme député du Gabon. Ses électeurs (il avait été élu par le 1er collège), émus par ses prises de position proches du Parti communiste, ne le réélisent pas ; il sera conseiller territorial en Côte-d'Ivoire, puis membre de l'Assemblée de l'Union française, dont il sera vice-président jusqu'en 1954. Intellectuel brillant, polémiste engagé et orateur hors pair, il est l'un des inspirateurs et co-rédacteur du Manifeste parlementaire qui conduisit au Congrès de Bamako ; élu alors vice-président du RDA, collaborateur du journal Le Réveil, — devenu en 1947 l'organe fédéral du Rassemblement sous la direction de Charles-Guy Etcheverry —, il est l'un de ceux qui entraînent le RDA dans l'apparentement avec le parti communiste. Il tenta de s'opposer en 1950 à la tendance majoritaire — menée par Houphouët — qui prône le désapparentement des élus RDA d'avec le groupe communiste, et plus tard son apparentement avec le groupe de l'UDSR. Démissionnaire de son porte de secrétaire général le 23 juin 1950, il sera exclu en 1955 par le Comité de coordination réuni à Conakry. Inscrit comme avocat à Dakar, puis conseiller territorial du Niger, redevenu membre du RDA et réconcilié avec Houphouët, il devient vice-président du Grand Conseil de l'AOF et y succède même à Houphouët comme président en mars 1958. Ministre de la justice du Sénégal en 1960, il est nommé en 1962 ambassadeur du Sénégal en France sous le président Senghor, et termine sa carrière aux Nations-Unies comme directeur général de l'UNITAR à partir de 1965. Après son départ de l'ONU, il fit partie du conseil des laïcs mis en place par le Saint-Siège à la suite du Concile Vatican II. Il est décédé à Genève le 21 décembre 1976.
173. Les députés proches de la SFIO, comme Senghor, Lamine Gueye, Yacine Diallo, n'iront d'ailleurs pas à Bamako. Certains d'entre eux le regretteront par la suite, parce que c'est en grande partie pour cette raison que le RDA n'aura guère d'alternative à l'apparentement avec le parti communiste. Houphouët mettra longtemps à pardonner à Senghor son absence à Bamako ; en fait ils ne seront totalement réconciliés à ce propos qu'après un séjour de Senghor à Abidjan en 1960 et surtout après sa visite officielle en Côte-d'Ivoire en 1971. Raymond Barbé affirme que nombre d'élus africains avaient été séduits et corrompus par le ministère des Colonies, où deux administrateurs, Lapart (du Soudan) et Paul Tétau. (plus tard conseiller de l'Union française pour la Guinée) étaient spécialement chargés d'utiliser pour cela les fonds secrets (témoignage recueilli par Valéry Gaillard pour le film Le tour ou la Guinée a dit non (déjà cité).
174. Le cabinet du ministre des colonies est intervenu auprès des compagnies aériennes pour les inciter à ne pas trouver de places aux élus africains qui voudraient se rendre hors de leur territoire d'origine.
175. Il y a également à bord 3.000 exemplaires de la nouvelle revue Afrique, lancée par Houphouët-Boigny avec l'appui d'Aimé Césaire, Felix Tchikaya et Gabriel d'Arboussier. Raymond Barbé, qui avait un ordre de mission signé par René Arthaud, ministre (communiste) de la santé publique, s'était vu signifier par Marius Moutet une interdiction de débarquer à Dakar ; mais le gouverneur général de l'AOF René Barthes, assez proche des communistes laissa débarquer Barbé et l'invita même à dîner a sa residence (témoignage de Raymond Barbé recueilli par Valéry Gaillard dans Le jour où la Guinée a dit non.
176. Cet avion avait été auparavant l'avion personnel du maréchal Goering ; il s'agit donc d'une prise de guerre ! Il est intéressant à ce propos de noter que l'avant-veille de l'ouverture du Congrès, les dix criminels de guerre allemands condamnés à mort à Nuremberg ont été pendus et que leurs cendres, de même que celles de Goering qui s'était auparavant suicidé, furent dispersées dans le fleuve Isar.
177. En métropole, 36,6% de “oui”, 31,2% de “non” et 31,4% d'abstentions ; dans les colonies, 27% de “non”, 20,9% de “oui”, et 51 ,6% d'abstentions.
178. Certains papiers qualifient même Sékou Touré de secrétaire général du PPAG.
Comme nous l'avons déjà vu, selon Raymond Barbé, Sékou Touré ne serait pas venu à Bamako. En revanche, le gouverneur Paul-Henri Siriex, qui ne lui est pourtant pas favorable, mentionne sa présence à Bamako dans son livre Félix Houphouët-Boigny, l'homme de la paix (Paris-Dakar-Abidjan, Seghers-NEA, 1975), en le qualifiant de “militant avant la lettre” du RDA, et en ajoutant “… et bien sûr [Ahmed] Sékou Touré”. De son côté, Frédéric Grah-Mel, dans sa biographie d'Houphouët-Boigny (éditions du Cerap, Maisonneuve et Larose, 2003), et citant Doudou Gueye (“Histoire et témoignages; les conditions politiques de la naissance du RDA, ceux qui étaient à Bamako”, in Revue de la Fondation Houphouët-Boigny, n° 2, donne des indications un peu différentes pour la délégation guinéenne : Madeira Keita, Amara Soumah, le pharmacien Abdourahmane Diallo, Koumandian Keita, Sékou Touré, et Lamine Kaba, un instituteur qui s'est installé à Dakar où il a créé une école franco-arabe, et personne d'autre.
179. Né au début du siècle à Kissidougou — Guinée forestière —, diplômé de l'Ecole Normale William Ponty, Mamba Sano est instituteur du cadre commun supérieur de l'AOF, puis directeur d'école après 1931. Adhérent dès sa création du Parti Progressiste Africain de Guinée (proche des communistes), membre de l'Union Forestière, déjà conseiller général de Beyla ( 1946-1952), il est élu député français en novembre 1946 sous l'étiquette socialiste ; toutefois Mamba Sano se présente également comme membre du RDA en cours de formation (mais pas encore créé formellement en Guinée, où il n'existera qu'à partir de mai 1947). A l'Assemblée nationale, il se rapproche ensuite du MRP et quitte le PDG/RDA en octobre 1948 (il en est d'ailleurs formellement exclu le 19 novembre 1948). “Le mouvement etait noyauté par les communistes”, déclare-t-il à Ibrahima Baba Kaké (voir son ouvrage Sékou Touré: le héros et le tyran, op. cité, p. 41 ). Mamba Sano fonde ensuite, le 28 juin 1949, avec d'autres élus de partis régionaux, le Comité de l'Entente Guinéenne. En 1954, avec des anciens de l'Union forestière et de l'Union du Mandé, il crée le Bloc Africain de Guinée (BAG), qui fusionnera en avril 1958 avec la Démocratie Socialiste de Guinée et la section guinéenne de la Convention Africaine pour former la section guinéenne du Parti du Regroupement Africain (PRA). Ce dernier rejoint le PDG au moment de l'indépendance. [Note. C'est en novembre 1958, c'est-à-dire après la proclamation de la république de Guinée, le 2 octobre, que le PRA intégra le PDG. — T.S. Bah] Réélu en 1951 sous l'étiquette Indépendants d'Outre-mer, Mamba Sano ne le sera pas en 1956.
180. Le chiffre exact des élus africains et donc des élus du RDA est difficile à établir avec précision, d'une part en raison des changements de partis de plusieurs d'entre eux en cours de législature, d'autre part en raison du rétablissement du territoire de la Haute-Volta en mars 1948, qui donne lieu à l'élection de trois nouveaux députés.
181. Le 16 mai 1947, soit une semaine après la sortie du gouvernement français des ministres communistes, le bureau central du RDA explique dans une circulaire la raison de l'apparentement avec le Parti communiste : “Notre alliance doit être considérée par la coïncidence de nos intérêts et des intérêts de ceux à qui nous la proposons (…) Tous les coloniaux savent que le groupe parlementaire communiste est à l'avant-garde de la lutte contre le colonialisme ; les événements d'Indochine et de Madagascar témoignent de façon éclatante de l'appui de ce parti aux peuples coloniaux. Nous précisons que le parti communiste français est le seul qui, par son programme et ses forces d'organisation, nous permet de rester nous-mêmes tout en liant notre action à la sienne. Le RDA n'est à aucun titre une section du parti communiste français ; cette forme de notre action parlementaire n'engage nullement l'avenir idéologique du RDA.”
182. C'est le seul leader africain du nouveau mouvement qui peut s'appuyer sur une structure locale déjà constituée et fort active, le Parti Démocratique de Côte-d'Ivoire (PDCI), issu au début de l'année 1946 de son Syndicat agricole africain, ce qui contribuera à lui donner un rôle moteur. Il avait d'ailleurs été question de réunir la conference à Abidjan plutot qu'à Bamako.
183. Il s'agit d'un Ivoirien, homonyme du député du Soudan.
184. Le Comité central du parti communiste français est représenté par Waldeck Rochet, Pierre Hervé et Raymond Barbé.
185. La délégation guinéenne est composée de Madeira Keita, Ray-Autra, Abdourahamane Diallo, Ibrahima Cissé, Sékouna Camara.
186. Le 7 décembre 1948, de Conakry, il envoie à Gabriel d'Arboussier la lettre manuscrite suivante qui montre les liens qui existent — et pas seulement dans son esprit — entre la lutte syndicale, et la lutte politique. “Cher Camarade d'Arboussier, au cours d'une entrevue qu' une partie de la délégation syndicale d'Afrique noire a eue avec toi dans la chambre 49 de l'Assemblée nationale, il a été entendu entre nous que le camarade Um Nyobé (du Cameroun : NDLA) et moi devions participer au Congrès du RDA à Bobo Dioulasso. Nous avons été particulièrement chargés de présenter un rapport sur la situation du syndicalisme en Afrique, son orientation, ses objectifs, sa structure, ses rapports avec le mouvement politique de masse qu'est le RDA etc. … J'ai bien le vif désir de donner une sérieuse contribution au nom du congrès dans ce domaine que je connais. Malheureusement, le gouverneur de Guinée (il s'agit de Roland Pré, NDLA) se refuse d'accorder aux fonctionnaires les facilités administratives permettant de se rendre à Bobo. D'autre part, je sers dans le même service avec le Camarade Diallo Saïfoulaye à qui le gouverneur vient de refuser la permission. Par conséquent, je ne pourrais (sic) avoir la joie de participer au congrès. Je le regrette sincèrement. C'est bien malheureux qu'aucun camarade du GEC ne fasse partie de la délégation guinéenne. Ceux qui se rendent à Bobo (certainement MM. Ray-Autra, Diallo Mamadou D(irecteu)r. du Phare de Guinée, Diallo Abdouramane, — le nom d'Amara Soumah a été barré NDLA) sont hostiles au GEC et même à l'apparentement des élus du RDA au PCF. J'espère que Madeira pourra avoir une influence sur leur position mais il faudra toi-même chercher à les convaincre de la nécessité politique de cet apparentement. Quant à leur inscription au GEC, il me semble préférable de ne pas le leur demander. Je te prie de transmettre à tous les élus du RDA mes fraternelles salutations. Bon courage. Touré Sékou, Comptable des Trésoreries.” (lettre en possession du père Joseph Roger de Benoist, à Dakar).
187. Cette décision sera annoncée par une simple note qu'Houphouët fera remettre à la presse : “Constatant que l'action de tous les élus des Territoires d'Outer-Mer (TOM) sur la base d'un programme précis est la meilleure formule pour défendre efficacement les intérêts de l'Afrique, les parlementaires du RDA décident de se désapparenter des groupes métropolitains”. Ce pluriel hypocrite ne visait en fait que le seul Parti communiste français ! Le dirigeant communiste Jacques Duclos se bornera pour tout commentaire à prendre acte de la décision, mais la presse du Parti se déchaînera contre le RDA. Le journal du RDA Le Réveil avait cependant déjà fait allusion à cette nouvelle dans son édition du 8 mai 1950. D'autre part, Houphouët-Boigny accompagné d'une délégation des élus RDA avait rendu visite à Jacques Duclos pour lui faire part du prochain “désapparentement.” Début avril, Houphouët avait encore assisté au XIIème congrès du Parti communiste.
188. Lors du comité de coordination du RDA réuni à Dakar en octobre 1948, Houphouët s'opposait à un éventuel désapparentement d'avec le PC, alors proposé par le député du Dahomey Sourou Migan Apithy, cependant qu'en même temps, il envisageait cette éventualité lors d'entretiens avec le gouverneur général Béchard (selon Samba Diarra, Les faux complots d'Houphouët-Boigny, Paris, Karthala, 1997). A l'occasion du troisième anniversaire de la fondation du RDA, il écrit dans Le Réveil du 24 octobre 1949 sous le titre “Un bilan triomphal” : “Dans le monde entier. d'immenses forces de progrès se lèvent qui imposent déjà le triomphe de la justice et du droit de tous les peuples à disposer d'eux-mêmes. D'immenses forces qui, de l'Union soviétique à la Chine populaire de Mao Tsé Toung en passant par les démocraties populaires et tous les partis communistes et progressistes des républiques bourgeoises, assurent la marche triomphale des peuples vers le socialisme. Le RDA est fier d'avoir marqué dans ce camp, d'une manière forte, la place de l'Afrique noire”. En mars 1950, Houphouët proclame encore ouvertement sa fidélité au parti communiste, dans un télégramme de solidarité adressé à des militants du PDCI-RDA qui passent en jugement à Abidjan : “… Union avec forces démocratiques métropolitaines groupées autour avant-garde parti communiste français, union avec forces démocratiques monde entier sous direction grand socialisme Union soviétique guidé par chef génial le grand Staline en vue créer par lutte commune conditions réaliser avènement ère liberté, paix, fraternité.…”
189. François Mitterrand commente cette évolution de la manière suivante : “Maintenant, nous pouvons voir se détacher du RDA les éléments communistes et anti-français.” (Afrique Nouvelle, 11 mars 1953). Parmi les arguments avancés par les partisans du désapparentement figurait notamment le fait que désormais, les militants du RDA ne seraient plus pourchassés comme alliés des communistes.
190. Djibo Bakary qualifie le désapparentement de “grand acte de trahison que vient de commettre la majorité des parlementaires du RDA.”
191. Gabriel d'Arboussier fidèle à l'alliance avec les communistes, déclare le 17 juin 1951 a Thiès (Sénégal) : “Houphouët s'est compromis avec Pleven et connsorts. Le procès-verbal de leur entretien m'a été communiqué par le camarade Sékou Touré à qui il avait été adressé par erreur alors qu'il était destiné à Touré Momo de Guinée.” Il est donc possible qu'à l'époque, Sékou ait encore hésité sur la marche à suivre, avant de se rallier avec le PDG, fin 1951, à la voie préconisée par Houphouët . Mais les tractations entre la direction du RDA et l'UDSR, qui étaient évidemment vivement encouragées par l'administration (essentiellement proche des socialistes) du ministère de la France d'Outre-mer, étaient rapidement connues des responsables communistes grâce à Philippe Franceschi, conseiller de la République RDA de la Côte-d'Ivoire (témoignage de Raymond Barbé, recueilli par Valéry Gaillard pour le film Le jour où la Guinée a dit non (déjà cité).
192. Jean Lacouture, Cinq hommes et la France, Paris, Le Seuil, 1959.
193. Celui-ci, auquel on reproche notamment de privilégier les intérêts du Parti communiste et de la campagne progressiste en faveur de la paix au détriment de la lutte pour la cause africaine démissionne du secrétariat général du RDA le 23 juin 1950, et le poste ne sera plus jamais pourvu ; il sera d'ailleurs formellement supprimé lors du congrès de Bamako en 1957. Exclu en 1955, d'Arboussier réintégrera le RDA en 1956. En même temps que d'Arboussier, Djibo Bakary (du Niger) et Ruben Um Nyobé (de l'Union des Populations du Cameroun UPC) quittent le RDA.
194. “Camayenne-Plage” faisait partie des établissements Paul Ferracci, et comportait un restaurant, un dancing et une plage.

[Note. — Nationalisée la propriété est devenue l'hôtel Camayenne, gérée dans les années 1990, début 2000 par la compagnie aérienne belge Sabena. — T.S. Bah]

195. Lors de cette réunion, tenue du 8 au 11 juillet 1955, Sékou Touré traduira en soussou (“très mal”, selon Keita Koumandian) le discours d'Houphouët-Boigny. Celui-ci déclare notamment qu'“il n'y a pas, qu'il ne peut y avoir d'action utile en dehors de la cooperation avec l'administration.” La résolution finale “réaffirme l'adhesion du RDA à la formule de l'Union française qui doit répondre aux aspirations et à l'évolution des peuples dont les destins sont associés.” A l'issue de la réunion, Houphouët salue “l'action utile menée par Sékou Touré au bénéfice des travailleurs africains et des masses africaines d'autres bientôt l'apprendront. Le soleil de la vérité pointe déjà à l'horizon, et je tiens, au nom du RDA, à lui dire merci.”
196. L'Union Démocratique Sénégalaise, fondée par Doudou Gueye, faisait partie des sections exclues ; mais entre temps, Doudou Gueye, qui était en prison pour délit de presse au moment du désapparentement, avait créé le Mouvement Populaire Sénégalais, qui resta fidèle aux positions prises par le RDA.
197. Sur les positions successives et parfois contradictoires, de Sékou sur l'application de la Loi-cadre et sur le fédéralisme, voir l'excellent et très complet livre de Sylvain Soriba Camara La Guinée sans la France, Paris, 1976, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.
198. Conversation de l'auteur avec Louis Odru, mairie de Montreuil, 11 juillet 2002.
199. Il y a peu de femmes parmi les délégués, et aucune n'est présente à la tribune du congrès. A quelqu'un qui lui en fait la remarque, Modibo Keita rétorque : “Les femmes doivent être encadrées, car livrées à elles-mêmes, leur ardeur les emporte parfois à des actes inconsidérés.”
200. C'est sans doute ce dernier qui souffle à certains délégués l'habile formule qui permettrait d'escamoter les controverses autour du mot “indépendance, droit inaliénable”, en le complétant par “l'interdépendance, règle d'or de la vie des peuples”, que l'on trouve dans plusieurs documents du Congrès. C'est Edgar Faure qui avait quelques mois auparavant inventé une formule proche lorsque le gouvernement qu'il présidait accepta l'indépendance du Maroc : c'était “l'indépendance dans l'interdépendance.”
201. Sékou Touré a également fait venir, comme “otage” disent certains, l'almamy de Mamou, naguère battu par le RDA dans sa propre circonscription électorale. Les positions guinéennes ont été bien préparées lors de la 3ème conférence territoriale du PDG qui s'est tenue a Kankan les 22 et 23 septembre 1957.
202. Comme le remarque “France-Soir” du 30 septembre 1957, “il est le seul délégé à la tribune(…) en costume coutumier”.
203. Senghor de son côté avait nettement pris position contre le risque de balkanisation de l'Afrique, par des articles parus dans des publications dakaroises dès la fin de l'année 1956 ; (conversation avec le RP. de Benoist, Paris, 30 juin 2005).
204. Une loi du 29 août 1947 crée les Grands Conseils de l'AOF et de l'AE, composés de représentants élus en leur sein par les Assemblées territoriales.
205. Selon Le Monde du 19 septembre 1957, cette motion avait été initialement rédigée par la Convention Africaine, et a été reprise à son compte par Sékou.
206. On retrouve dans ces prises de position de la Côte-d'Ivoire — comme d'ailleurs dans celles du Gabon —, les divergences qui apparaîtront ultérieurement lors du débat constitutionnel de 1958. Côte-d'Ivoire et Gabon sont hostiles au maintien des structures fédérales parce qu'ils sont les plus importants contributeurs aux budgets fédéraux, et ne veulent pas financer les versements compensatoires aux territoires moins bien pourvus.
207. André Blanchet, L'itinéraire des partis politiques africains depuis Bamako. Paris, Plon, 1958.
208. André Blanchet, op. cité. Voir aussi Léo Hamon, “Introduction à l'étude des partis politiques de l'Afrique française”, Revue Juridique et Politique d'Outre-mer, no 2, avril-juin 1959.
209. Paris-Presse-L'Intransigeant, 2 octobre 1957 ; article d'André Bidet, Le Populaire de Paris, 16 octobre 1957 ; L'Humanité, 5 octobre 1957.
210. Alors que l'on discutait à Paris des décrets d'application de la Loi-cadre, le Grand Conseil de l'AOF adoptait déjà le 2 juillet 1956 une motion demandant l'institution, parallèlement aux Conseils de gouvernement prévus dans les territoires, d'un Conseil de gouvernement fédéral à Dakar (celui de l'AEF en fera autant). Deux mois plus tard, Saïfoulaye Diallo avait défini comme suit le programme “africain” du RDA (ou en tous cas celui du PDG): “autonomie territoriale aussi complète que possible ; maintien d'un organisme fédéral unissant l'ensemble des territoires”. (Afrique Nouvelle, n° 476, 18 septembre 1956). En 1957, Sékou reprenait en fait à son compte cette motion naguère proposée par la Convention africaine. Ce vote lui permet de dire lors de la séance du 30 novembre 1957, en tant que rapporteur de l'intercommission des finances et des affaires diverses, que “les inquiétudes qui s'étaient emparées de nombreux Grands Conseillers après les récentes publications de la presse locale affirmant que la Côte-d'Ivoire est contre l'exécutif fédéral, ont été largement apaisées. En effet, les positions prises par ce Territoire ne permettaient pas et ne permettent aucune interprétation pouvant mettre en cause l'unité fédérale et la solidarité qui en est le fondement. Le vote du Grand Conseil réclamant la création d'un exécutif fédéral et la révision institutionnelle en vue de sauvegarder et de renforcer la personnalité du groupe n'a nullement été mis en cause par l'Assemblée territoriale de Côte-d'Ivoire (…) Nos collègues de la Côte-d'Ivoire comme tous les autres Grands Conseillers doivent être assurés que la plate-forme revendicative sur l'exécutif fédéral reste une aspiration fondamentale, unanimement soutenue par le Grand Conseil de l'AOF…” Quelques jours auparavant le 28 octobre 1957, lors de l'ouverture de la session extraordinaire de l'Assemblée territoriale de la Guinée, Sékou avait déclaré : “(…) C'est pour éviter la désintégration des entités fédérales existantes que les grands conseillers d'AOF ont unanimement voté la motion que j'ai eu l'honneur de présenter et qui demandait l'institution rapide d'un exécutif fédéral à Dakar et à Brazzaville. L'institution au niveau des groupes de territoires d'un exécutif fédéral prouvera aux Africains que la France ne veut pas morceler l'Afrique”. Comme le note Joseph Roger de Benoist dans sa contribution sur “Le Grand Conseil de l'AOF, ébauche de Parlement fédéral” in AOF : réalités et héritages, Direction des archives du Sénégal, Dakar 1997, publié à l'occasion du Centenaire de l'AOF : “Par ces déclarations, Sékou Touré cherchait à se rassurer lui-même. En réalité, la Côte d'Ivoire se désolidariserait de plus en plus des positions prises par le Grand Conseil dans sa lutte contre la balkanisation. On le vit bien en avril 1958. En effet, le 5 avril 1958, le Grand Conseil adopta de nouveau, par acclamations, un voeu en faveur de l'exécutif fédéral et de l'autonomie interne du groupe de territoires de l'AOF. Le seul représentant de la Côte-d'Ivoire présent en séance, Amadou Diop (Sénégalais d'origine), s'associa à cette prise de position unanime. Il fut aussitôt désavoué par la délégation ivoirienne au Grand Conseil qui regretta la ‘précipitation’ avec laquelle ce voeu avait été présenté et adopté. Le 9 avril, dans un communiqué signé par Sékou Touré (Guinée) et Tidjani Traoré (Soudan), la délégation du RDA au Grand Conseil regretta l'attitude de la délégation de Côte-d'Ivoire qui, “après avoir voté trois fois en août 1957, en novembre 1957 et à l'issue de la récente session du Grand Conseil, des textes du même esprit, essaie de se désolidariser de l'Assemblée fédérale”. Mais le même jour, l'Assemblée territoriale de Côte-d'Ivoire désapprouva “formellement la résolution prise par le Grand Conseil le 5 avril”, exprima son “opposition formelle à l'exécutif fédéral” et affirma “systématiquement son refus d'adhérer à la résolution”.
211. Pierre Sanner, inspecteur général de la France d'Outre-mer, avait bien exposé, dans une note de juillet 1955 (“Note succincte sur la réforme de la structure de l'AOF.”) la vision pessimiste et purement économique qu'était pour certains l'AOF : “des territoires d'une grandediversitén de richesses et de potentiel unis par des liens qui permettent à celui qui ne produit rien de vivre de celui qui travaille, mais interdit à celui qui produit de mieux vivre.” Cette analyse sous-tendait bien entendu les orientations d'Houphouët et des dirigeants de la Côte d'Ivoire, au détriment des opinions “fédéralistes” de Senghor et des responsables de Dakar. Il faut évidemment ajouter à ce point de vue la thèse, chère notamment à Sékou Touré, d'une Fédération de territoires, amorce de l'unité africaine.
212. Peu après le 18 mars 1958 au cours du débat à l'Assemblée nationale française sur l'amnistie des parlementaires malgaches, Senghor ne dira pas autre chose, lorsqu'il affirme: “Lors de la discussion de la loi-cadre pour l'Outre-mer, j'ai dit qu'il ne fallait pas ‘balkaniser’ l'AOF, que la loi-cadre renfermait des contradictions et des insuffisances ; il m'a été répondu que j'étais un anti-français et que je ne représentais pas l'opinion publique des populations de l'AOF. Moins d'un an après, le Grand Conseil de l'AOF se prononçait à l'unanimité pour un exécutif fédéral, et il est admis aujourd'hui que la loi-cadre doit être amendée et complétée”.
213. Liberté, 3 mai 1958
214. Le MSA avait été créé l'année précédente lors d'une réunion tenue à Conakry du 11 au 13 janvier 1957, en présence de M. Commin, secrétaire général adjoint de la SFIO Ce sont des élus du Niger qui en avaient pris l'initiative, en principe pour faire contrepoids au RDA. Voir en annexe le témoignage de Issoufou Saidou Djermakoye, conseiller de l'Union française du Niger. L'un des slogans adoptés par le MSA puis par la Convention africaine de Senghor (et notamment le Bloc Populaire Sénégalais, sa section sénégalaise), visait directement les positions d'Houphouët et du RDA : “La communauté africaine avant la communauté franco-africaine”.
215. L'Aurore, 28 février 1958. En revanche, François Mitterrand fait sienne l'admonestation de Modibo Keita, dans L'Express du 17 avril 1958.
216. Afrique Nouvelle, n° 552, 7 mars 1958.
217. En avril aussi il rencontre à Paris le comité exécutif de la FEANF conduit par son président Noé Kutuklui, qui estime que le seul choix digne de l'Afrique, c'est l'indépendance nationale. Mais la possibilité d'un choix — pacifique — ne se posera qu'après mai 1958. C'est parce que Sékou leur a paru hésitant que la Fédération des étudiants lui enverra a Conakry, comme nous le verrons, deux délégations.
218. Le Figaro, 22 février 1958 (relevé par Sylvain Soriba Camara, ouvrage cité).

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