Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Accédant à l'Indépendance politique, la Guinée
entrait de plain-pied dans les luttes qui divisaient le monde en 1959, la
guerre froide s'orientant vers la coexistence pacifique, l'opposition du
néo-colonialisme aux indépendances réelles, la rivalité
des capitalismes nationaux.
Sa première préoccupation fut d'être reconnue en tant
qu'Etat. Elle domina d'autant plus les premiers temps de l' Indépendance
que la France ne voulut ni reconnaitre le nouvel Etat, ni le patronner devant
les instances internationales. Cet abandon par l'ex-métropole soumit
tout de suite la Guinée à la politique de séduction
des grandes puissances et des grands trusts internationaux qui virent dans
ce jeune Etat tout à la fois un jouet et un danger éventuel
pour l'équilibre mondial. Devant l'hostilité de la France,
la Guinée pouvait craindre de n'être pas mondialement reconnue.
C'est le contraire qui se produisit.
Dans une première étape, ce furent les pays du bloc de
l'Est et les pays afro-asiatiques qui reconnurent la Guinée, la République
Démocratique Allemande le 17 novembre 1958, la Tchécoslovaquie
le 22 novembre 1958, l'U.R.S.S. en janvier 1959, et qui passèrent
peu après, avec elle des accords économiques, notamment l'U.R.S.S.
en février 1959.
Devant cette montée du péril rouge en Afrique, les alliés
occidentaux de la France passèrent outre aux dicktats gaullistes
non toutefois sans en avoir au préalable averti le Quai d'Orsay.
Le mouvement fut lancé par le Gouvernement neutre de Stockholm. Il
fut suivi par quatre des principales capitales du Pacte Atlantique : Londres,
Washington, Rome et Bonn. A la demande du Gouvernement français acculé
à de mesquines lignes de défense, ces reconnaissances ne devaient
pas automatiquement ni immédiatement être suivies de l'envoi
d'une mission diplomatique à Conakry. Toutefois, après l'admission
de la Guinée à l'O.N.U. en décembre 1958, admission
contre laquelle la France fut seule à voter, les envois de diplomates
se firent régulièrement. Dans les premiers mois de 1959 les
principales ambassades, sous le nom parfois de délégation,
étaient installées à Conakry. Les deux Allemagnes elles-mêmes
étaient représentées.
Sekou Touré pouvait donc pavoiser. Il ne s'en priva d'autant moins
que la crainte guinéenne avait été grande.
Cette satisfaction explicable de Sékou Touré l'amenait toutefois
à négliger la réalité, à savoir les appétits
que le vide guinéen avait suscités.
Dès la proclamation de l'Indépendance, une nuée de
requins internationaux s'était abattue sur le pays. Des donneurs
de conseils mirifiques, des charlatans en tout domaine, des marchands de
timbres, des imprimeurs de billets, se retrouvaient, se surveillaient, se
nuisaient dans le cadre stéréotypement tropical de l'Hôtel
de France. Au départ, ils obtinrent quelques succès. Sékou
Touré, flatté, débordé, dépassé,
signa un certain nombre d'accords regrettables. Il signa notemment avec
un fabricant qui s'engagea à éditer gratuitement les timbres
guinéens moyennant l'exclusivité pour lui de la vente à
l'étranger. Ceci privait la Guinée d'une ressource budgétaire
non négligeable pour un Etat sous-développé. Le Liberia,
I'Ethiopie en témoignent.
Très rapidement cependant, il les fit expulser pêle-mêle,
sans distinguer le bon grain de l'ivraie. Ils étaient éclipsés
par une deuxième vague qui s'auréolait des prestiges de la
mise en valeur et de l'industrialisation.
Le grand capital, en particulier F.R.I.A., désirait mettre sous sa
coupe la Guinée. Il lui fit donc tout de suite le meilleur accueil
sur le plan international.
A Ismael Touré qui proclamait à la tribune de la Conférence
économique pour l'Afrique qui se tenait à Addis-Abbéba
en janvier 1959 : L'industrie lourde, c'est la la clef du problème,
l'O.N.U. répondait dans une résolution non équivoque
:
"Considérant le vaste programme d'industrialisation entrepris en 1957 en Guinée par la création des usines d'alumine de Fria et de Boké et la réalisation du barrage hydro-électrique du Koukouré,
Considérant l'arrét de l'aide financière et technique extérieure dès l'accession de la Guinée à l'Indépendance et estimant par ailleurs les lourdes charges de souveraineté auxquelles cette jeune République doit faire face,
Considérant la nécessité absolue de poursuivre le programme d'industrialisation qui a été mis sur pied,
Considérant la nécessité pout le Gouvernement de Guinée de maintenir parallèlement aux investissements directement productifs, l'effort financier nécessaire dans le domaine agricole et dans la mise en oeuvre de projets non auto-amortissables d'équipement social et d'infra-structure,
Considérant l'admission récente de la Guinée à l'Organisation des Nations Unies, Reconnait la nécessité concurremment avec d'autres sources d'assistance d'une aide spéciale des Nations Unies à la Guinée pour lui permettre de poursuivre sans discontinuité la mise en application de son programme économique et social."
Il ne s'agissait pas d'une preuve de sympathie et d'admiration des nations du monde devant la position courageuse et digne de la Guinée comme le diffusait la presse guinéenne. Il s'agissait de l'officialisation sur le plan international de l'intérêt du capital sur cette terre particulièrement riche en minerais. Cette officialisation faisait suite à des travaux d'approche beaucoup plus officieux et même clandestins. Des particuliers représentants des firmes américaines proposaient la mise en valeur des Monts Nimbe sur la base de 50 % au moment même où les services de police détectaient dans cette région limitrophe du Libéria des agents de sociétés minières. Une note de police no. 104.73/C/PS 2 en date du 7 novembre 1958, indiquait en ces termes le passage à Bossou d'un ressortissant étranger :
"Venant des chantiers de la Liberian American Mining Company (L.A.M.C.O.), situés dans les Monts Nimba au Libéria, est arrivé à pieds à Bossou, le 2 novembre 1958 à 8 heures du matin, le nommé Bourgeois André, nationalité suisse, agent de la L.A.M.C.O., demeurant aux Monts Nimba (Libéria). M. Bourgeois André a passé la nuit du 1er au 2 novembre dans une ferme de cultures aux environs da village de Bossou (N'Zérékoré) ; il a déclaré en outre vouloir se rendre à Abidian pour contacter son directeur d'entreprise, lequel serait installé dans cette ville. M. Bourgeois qui a quitté Bossou le méme jour a 9 heures, a promis de revenir d'Abidjan vers la fin du mois prochain en empruntant le même itinéraire à destination des Monts Nimba."
Sous le prétexte d'une assistance tout aussi médicale que
technique, une mission d'étude d'une des plus grosses firmes minières
des U.S.A., la Olin Mathieson arrivait officiellement à Conakry,
le 16 janvier 1959 pour s'entretenir avec différentes personnalités
gouvernementales .
La composition en était symptomatique puisqu'elle comprenait les
principaux adjoints des directeurs des branches économiques de cette
firme. Il est vrai que pour dissimuler les buts exacts de la mission un
professeur d'hygiène publique de New-York leur avait été
adjoint.
La composition de la mission était la suivante:
"Mr. Everett. E. Bellows, adjoint du Président de la Société O.L.I.N. Mathieson. Mr. S. Vesjonqueres, adjoint du Directeur Général des affaires O.L.I.N. Mathieson Européennes et le Docteur Leonard J. Piccoli, Professeur d'Hygiène, mais aussi directeur d'une filiale d'O.L.I.N. Mathieson, la Société E.N. Squibb and Sons International."
Ebloui par le standing de cette mission, Sékou Touré la
reçut lui-même avant de l'adresser à ses Ministres de
la Santé Publique et de l'Economie.
Après des entretiens qui se déroulèrent officiellement
dans une "atmosphère d'amicale compréhension",
le groupe d'étude repartit le 24 janvier 1959 "afin de soumettre
à Mr. Osborne, Président de la Societé O.L.I.N. Mathieson,
les informations susceptibles de servir de base à des décisions
futures, quant à l'aide supplémentaire apportée par
la Société O.L.I.N. Mathieson au nouvel Etat de Guinée".
Ce voyage fut fructueux. Trois semaines plus tard , l'administration américaine
de Coopération Internationale, l'I.C.A., accordait à la Société
O.L.I.N. Mathieson une garantie contre les risques d'expropriation qu'encouraient
les investissements qu'elle avait l'intention d'effectuer en Guinée
pour l'exploitation des gisements de bauxite. Cette garantie s'étendait
à la Société Péchiney et à la Société
O.M.A.F. Corporation auxquelles étaient confiées les réalisations
matérielles des projets. Elle couvrait par des procédés
divers allant de la garantie légale au prêt financier, la presque
totalité des investissements qui étaient estimés à
133 millions de dollars.
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