Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Le 25 octobre 1959, pratiquement un an après l'Indépendance,
Sékou Touré s'envolait pour un périple d'un mois qui
devait successivement le conduire à New-York, Londres, Bonn, Moscou,
Prague et Rabat, c'est-à-dire dans les capitales les plus représentatives
à cette époque du capitalisme, du communisme et de l'Afrique
indépendante.
L'accueil que ces grandes puissances lui firent le mettait ostensiblement
au rang de chef d'Etat respecté d'une nation indépendante
et reconnue comme telle. Partout le protocole fut strictement appliqué
avec parfois un rien d' affectation et de parade condescendante. Partout
l'ordonnancement des festivités mit à I'honneur le Premier
Guinéen. L'absence volontaire des diplomates français faisait
tache dans cette atmosphère générale d'une estime qui
n'était peut-être qu'un peu trop affichee. Le succès
fut tel que Sékou Touré pouvait en toute vérité
déclarer à qon retour à Conakry : "Mon voyage
a mis fin a notre isolement."
Mais ce n'est pas là l'aspect le plus important de ce voyage. Il
permit à Sékou Touré d'officialiser la position de
la Guinée vis-à-vis de la guerre froide et de l' assistance
prodiguement offerte par les deux blocs. Cette position. c'était
le "neutralisme" tel que le Président Guinéen l'avait
défini avant son départ :
"Pour nous, il n'y a pas de monde d'aspect socialiste ou capitaliste ; pour nous, il y a deux univers humains. l'univers des hommes évolués et notre univers de faim, de nudité et d'ignorance ... Ceux qui s'étonnent de notre conception n'oseraient jamais demander à un homme dans la misère, le chômage ou l'indigence, de se prononcer pour l'or du Pérou contre l'or de l'Oural."
Il reprit ce thème dans chacune des capitales. Il le mit en application
dans des accords économiques et culturels signés indifféremment
avec tous les pays traversés quel que fût leur régime.
Le premier traité fut signé le 30 septembre 1959 avec les
U.S.A. On ne saurait voir dans cette primauté chronologique la manifestation
d'une préférence pour le capitalisme. Sékou Touré
n'était allé en premier lieu à New-York que parce que
c'était là, le siège de l'O.N.U. Toutefois à
la demande des dirigeants guinéens qui craignaient semble-t-il une
réaction hostile de leur opinion publique, il fut d'abord tenu secret.
Mais à la suite de sa divulgation par le New-York Times son existence
fut confirmée par les milieux officiels américains. Il portait
sur la fourniture à la Guinée de denrées alimentaires
pour un million de dollars payables en devises locales et sur l'octroi de
150 bourses dans les établissements d'enseignement supérieur
américains. Le communiqué conjoint seul publié primitivement
ne faisait état que de la possibilité d'un traité ultérieur
:
"Les Gouvernements de Guinée et des Etats-Unis se sont mis d'accord pour reconnaitre qu'il était souhaitable de négocier dans l'avenir immédiat un accord commercial ainsi qu'un accord garantissant des investissements en Guinée."
Avec la Grande-Bretagne, un second accord commercial fut signé
pour une période allant du 1er novembre 1959 au 31 octobre 1960.
Il portait sur un grand nombre de marchandises, tant en provenance de la
Grande-Bretagne qu'en provenance des pays du Commonwealth, y compris Hong-Kong
dont les cotonnades pouvaient désormais envahir la Guinée.
La conclusion d'un accord commercial fut envisagée au cours de la
visite en Allemagne de l'Ouest. Il ne devait être définitivement
paraphé qu'aprés l'envoi d'une délégation économique
allemande. Elle devait se rendre en Guinée dans les plus brefs délais.
Ces traités avec le monde occidental n'empêchèrent nullement
la conclusion de traités avec l'Est. Un accord culturel et technique
fut en effet également signé avec l'U.R.S.S. Il prévoyait
l'envoi de spécialistes dans les domaines industriels, scientifiques
et culturels ainsi qu'un échange de professeurs et d'étudiants.
Même à Prague, un accord culturel était conclu.
Fin 1959, la balance entre les deux blocs semblait donc équilibrée.
D'un côté Sékou Touré avait traité moins
avec les gouvernements qu'avec les grands trusts capitalistes : la Bethleem
Steel et O.L.I.N. Mathieson aux U.S.A., la British Aluminium en Grande-Bretagne,
les aciéries de la Ruhr en Allemagne. De l'autre il avait exprimé
sa préférence doctrinale pour l'un des camps et fait ressortir
le lien congénital alliant un jeune pays indépendant et le
monde communiste.
"Puisque nous savons qu'il existe un monde impérialiste et un monde anti-impérialiste, nous somrnes avec ceux qui ont choisi la liberté et la paix des peuples."
Mais un tel équilibre ne peut être que précaire. Une telle situation ne peut qu'évoluer, la balance pencher d'un côté ou d'un autre.
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