Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Cette tendance fut sensible dès la fin de 1960. L'évolution
cependant ne se fit pas de manière brutale. La situation ne bascule
pas d'un coup. Si du point de vue de la pure logique doctrinale, la politique
extérieure guinéenne de cette époque peut étonner
par ses contradictions et ses discordances apparentes, elle apparait fort
conséquente du point de vue de l'affermissement du pouvoir des nouveaux
dirigeants. Au départ la politique de balance avait reflété
l'ambiguité de la classe dirigeante. Les coups de théâtre,
les outrances des premiers temps de la diplomatie guinéenne avaient
traduit les volontés divergentes des ailes droite et gauche du P.D.G.
qui voulaient traiter chacune avec l'un des deux camps. Elles n'avaient
en fait réussi qu'à s'enfermer, l'une comme l'autre, dans
le carcan de l'assistance financière et de l'assistance technique
intéressées. Les variations diplomatiques n'avaient plus rapidement
correspondu qu'aux soubresauts désordonnés d'un poisson pris
dans un filet.
La classe dirigeante, unie dans un même intérêt de survie,
tenta alors une justification de sa politique et synthétisa pour
cela ses théories divergentes antérieures. L'évolution
vers un certain style de neutralisme positif traduisit la constitution en
classe privilégiée des dirigeants guinéens et leur
volonté de créer un nouveau mythe. Au mythe de l'Afrique révolutionnaire
ils substituèrent celui du socialisme africain.
Cette élaboration s'effectua surtout par la mise au premier plan
de thèses réformistes qui jusque-là étaient
restées minoritaites et expressément opposées à
des thèses révolutionnaires. Ce fut le cas notamment en matière
syndicale, en matière d'unité africaine, en matière
enfin de relations internationales.
Dès la création de l'U.G.T.A.N. 1, une
thèse de la majorité de droite guinéenne avait été
fortement controversée, celle selon laquelle la lutte de classes
était secondaire dans les pays africains.
La défense de cette thèse, présentée par Sékou
Touré, était double.
En premier lieu, il avait nié l'existence objective d'intérêts
divergents :
"Toutes les couches sociales africaines ont un intérét commun, indivisible, au devenir de l'Afrique. Tous les Africains, quels que soient leurs fonctions, leur état de richesse ou leur degré de culture, ont un intérét direct dans le développement progressif du pays, dans l'application honnête des principes de liberté, de démocratie et de justice, pour mettre fin a la discrimination raciale, au retard culturel, politique et économique dont ils souffrent certes à des degrés divers, mais tous d'une manière effective."
En deuxième lieu, il adoptait une attitude normative rejetant comme dangereuse l'affirmation même du recours éventuel à une lutte volontaire entre les classes africaines :
"Nous rejetons formellement le principe de la lutte des classes, moins par conviction philosophique, que par volonté de sauver à tout prix la solidarité africaine, seule capable de nous conduire à la virtualité de notre destin, seule susceptible aussi de préserver notre originalité et d'imposer au monde le respect du fait et de l'homme africain."
Dans cette optique, il importait de procéder à une vigoureuse réforme morale, rejetant "envie et jalousie" :
"D'autres considéreraient tout homme bien logé, bien habillé, bien situé dans le secteur privé ou public, tout homme roulant voiture, comme un bourgeois, un exploiteur, même quand cet homme ne disposerait d'aucun établissement industriel ou commercial, d'aucune action dans une quelconque entreprise exploitant la main-d'uvre salariée... La jalousie et l'envie se substitueraient à la notion de classe qui, elle, ne peut partir que du fait économique, des rapports de production entre les groupes d'hommes, en un mot de l'antagonisme entre les intérêts de ceux qui produisent et les intéréts des exploiteurs."
Contre cette thèse, l'Union Territoriale du Sénégal notamment s'était élevée, lors de son congrés constitutif en juin 1958 à Kaolack en adoptant le texte de résolution suivant :
"Tout en admettant que la lutte des peuples colonisés contre le système colonial qui les opprime l'emporte sur les contradictions des classes africaines, les travailleurs du Sénégal estiment qu'il n'est pas juste d'ériger en règle l'inopportunité de toutes rélérences à la lutte des classes.
L'analyse contenue dans le rapport d'orientation tout en ramenant la question à de justes proportions prouve nettement l'existence d'interêts des classes qui entrainent d'une façon encore non apparente, mais réelle, la lutte des classes.
C'est pour cela que l'U.G.T.A.N., tout en souscrivant à une unité de toutes les couches et classes, dans la lutte contre le système colonial doit avoir l'oeil ouvert sur tout ce qui, de près ou de loin, a vocation d'asservir la classe ouvrière."
Lors du premier congrès général de l'U.G.T.A.N., réuni à Conakry le 15 janvier 1959, la majorité guinéenne dont les thèses se voyaient auréolées par l'indépendance politique tenta de revenir sur le texte de compromis adopté au congrès constitutif de Cotonou en janvier 1957 et qui était pourtant fort édulcoré:
"Les conceptions importées éclairent insuffisamment l'évolution et les tâches de progrès économique et social en Afrique, d'autant plus que, malgré les contradictions existant entre les diverses couches sociales locales, la domination coloniale rend inopportune toute référence à la lutte des classes et permet d'éviter la dispersion des forces dans les compétitions doctrinales."
Grâce à son prestige nouveau, la Guinée parvint à faire adopter un texte où était affirmé le caractère secondaire de la lutte de classe par rapport à l'anti-colonialisme :
"Aucune comparaison n'est possible entre les pays indépendants et les pays colonisés od la situation se présente différemment car les contradictions entre les différentes couches de la population sont mineures par rapport à la contradiction principale existante, entre l'intérêt de l'ensemble du peuple du pays colonisé et le système colonial lui-même."
Toutefois elle ne put empécher que ne fut également adopté un autre texte, lui aussi partie des résolutions finales qui reprenait sous une forme contournée I'opportunité d'une vigilance des syndicats vis-à-vis des classes sociales :
"Considérant que certains éléments de ces couches africaines : féodalités coutumières et religieuses, cadres politiques et économiques présentant un caractère opportuniste, sont instables, I'U.G.T.A.N. et ses Organisations doivent considérer comme une importante question le problème des contradictions au sein de la Société Africaine, contradictions qui influent directement sur le développement de la lutte anti-colonialiste et anti-impérialiste. L'U.G.T.A.N. et ses Organisations doivent suivre avec vigilance l'évolution des dites contradictions et procéder constamment à une analyse dialectique des phénomènes et des situations nouvelles afin de pouvoir à tout moment et en toutes circonstances déterminer la juste attitude et l'action conséquente de la Classe Ouvrière et de ses Organisations.
En tout état de cause la tâche permanente du Mouvement Syndical demeure la défénse des intéréts économiques et sociaux des travailleurs."
L'évolution politique de l'Afrique apporta une solution au débat
que le Congrès de janvier 1959 n'avait su trancher. Dans les Etats
africains qui devinrent libres nominalement dans les années 1960-1961,
les groupes dirigeants s'érigèrent tous, plus ou moins rapidement
et selon des processus originaux, en groupes d'oppression. Les représentants
syndicaux qui n'étaient souvent autres que les représentants
politiques de ces groupes tombèrent d'accord sur des thèmes
qui au moins implicitement enterraient toute référence à
la lutte des classes.
L'action syndicale vidée de sa revendication politique, I'Indépendance
fut orientée vers la lutte économique. Telle fut la conclusion
doctrinale essentielle des deux principales conférences syndicales
des années 1960-1961, celle "des peuples africains de Tunis",
en janvier 1960, celle "panafricaine de Casablanca", en mai 1961.
Les syndicats furent uniquement invités à participer à
la planification et à l'élaboration d'une Banque Africaine
de Développement et à un Institut Africain de Développement.
Ce recul du politique à l'économique fut d'autant plus profond
que l'organisation fut plus centralisée. La création d'une
université syndicale à Conakry avec 200 élèves
fut décidée au séminaire syndical de Dalaba en février
1960. La charte d'une centrale panafricaine fut adoptée en mai 1961,
achevant la création de la F.S.P.A. de novembre 1959. Le siège
en fut fixé à Casablanca.
C'est l'aspect révolutionnaire de la Conférence de mai 1961
qui fut généralement retenu. Dans les termes, effectivement,
on aurait pu s'y tromper. Le temps des métropoles y était
affirmé comme résolu. L'internationalisme prolétarien
y était proclamé puisque la Centrale s'engagenit à
"entretenir des relations avec tous les travailleurs du monde et
avec les organisations internationales qui voudront collaborer avec elle,
librement et sur un même pied d'égalité." L'exclusivisme
syndical pouvait aussi faire impression. Les syndicats des pays autres que
ceux du bloc réputé révolutionnaire de Casablanca n'avaient
été invités qu'à titre d'observateurs. Tout
membre de la Centrale qui n'aurait pas dans un délai de dix mois
rompu tout lien avec une autre centrale internationale se verrait exclu.
Ce recul de la Guinée ressort encore mieux d'une comparaison entre
l'évolution du syndicalisme et celle du bloc politique de Casablanca.
Parce que son Président créateur était le Président
de la Guinée , l'U.G.T.A.N. s'était alignée sur les
positions guinéennes. Par contre, le groupe de Casablanca qui lui
n'était pas inféodé à la Guinée se maintint
comme un des porte-paroles internationaux les plus vigilants de l'anti-colonialisme.
Aussi dans cette organisation, la Guinée que sa réponse au
référendum avait d'abord menée au rôle de leader.
perdit-elle progressivement toute influence.
Ce "désengagement" guinéen se mesure d'une conférence
à l'autre. Avec la deuxième conférence de solidarité
afro-asiatique d'avril 1960, la première s'étant tenue au
Caire en décembre 1957, la Guinée était encore à
l'honneur du Tiers Monde puisque Conakry en fut le siège et que Sekou
Touré y fit figure de Président. Cependant la participation
effective de la Guinée à cette conférence fut faible
et fit tâche dans ce concert révolutionnaire.
Le programme des travaux était très large. Il s'agissait de
traiter de la liquidation complète de l'impérialisme et du
colonialisme en Afrique et en Asie avec en corollaire l'étude des
problèmes concernant l'indépendance, l'unité, la coexistence
et le désarmement. Il s'agissait également de traiter du problème
du désarmement en général et des problèmes du
développement culturel et social en Afrique et en Asie.
Les décisions prises par 1es 300 délégués de
71 organisations politiques de 50 pays se réclamant tous de la Conférence
de Bandoeng purent paraitre extrêmistes:
Sous l'appellation nouvelle "d'organisation de solidarité des peuples afro-asiatiques", l'organisation devint essentiellement collégiale. Elle fut dotée d'organismes permanents, le Comité directeur et un secrétariat de 12 membres (Algérie, Cameroun, Chine, Congo, Guinée, Inde, Indonésie, Irak, Japon, Ouganda, R.A.U., U.R.S.S.).
Politiquement, on préconisa une action accrue en faveur du peuple
algérien, le retrait d'Algérie des troupes de la Communauté,
la réunion d'une nouvelle conférence de Bandoeng. Economiquement,
la conférence se donna pour but la lutte pour l'indépendance
économique complète grâce à cinq points : élimination
du contrôle exercé par le capital étranger sur les économies
nationales développement industriel coopération des Etats
afro-asiatiques en matière de distribution commerciale augmentation
des échanges entre les pays afro-asiatiques enfin extension des liens
avec les pays industrialisés sur la base de l'égalité
et de la non-ingérance dans les économies.
La résolution économique se terminait par une solennelle mise
en garde :
"Conscients du fait que les pays afro-asiatiques commencent à retrouver leur entière maitrise sur leurs ressources et leurs richesses, les puissances impérialistes et colonialistes s'unissent étroitement pour faire échec à nos efforts et voudraient voir nos pays demeurer des réserves de matières premières nécessaires à leurs industries et à leurs économies.
Le marché commun européen, I'association du développement internationale et le plan Dillon qui a prévu la constitution de l'alliance agressive de l'O.T.A.N. en vue d'en faire ensuite un organisme économique, tous visent à maintenir les pays afro-asiatiques en économies productives de matières premières pour l'enrichissement des colonialistes à nos dépens.
La Conférence met en garde les pays afro-asiatiques contre le nouveau danger créé par la coalition impérialiste et colonialiste qui prend rapidement forme, en vue de parer à la menace que les pays afro-asiatiques font peser sur ceux qui exploitent nos ressources à leur profit. Pour nos oppresseurs colonialistes, nous demeurons toujours la proie à laquelle ils veulent s'accrocher. L'objectif visé par cette coalition impérraliste est purement et simplement le profit.
Si ce but se réalisait, il ne serait pas difficile à nos oppresseurs colonialistes de soumettre nos pays à leur contrôle politique.
Par conséquent, la Conférence déclare que si les pays afro-asiatiques n'intensifient pas leurs efforts avec vigilance, pour réaliser leur indépendance économique, l'indépendance politique qu'ils viennent de conquérir ou qu'ils sont en voie de conquérir, sera mise en péril."
Mais n'était-il pas déjà trop tard pour la Guinée
? N'était-elle pas en effet dominée par les trusts, le trust
Péchiney notamment ?
Le 8 mai 1959, alors que N'Kmmah rendait visite à la Guinée,
Sékou Touré l'emmenait à Fria et déclarait :
"Le Gouvernement Guinéen entend tenir ses engagements vis-à-vis de la Société Fria, pourvu que celle-ci tienne les siens."
L'Assemblée Générale de Péchiney tenue à Lyon. quelques jours plus terd, dressait pour ses actionnaires le score de ce match entre pot-de-fer et pot-de-terre :
"Les évènements politiques survenus en Guinée n'ont pas, en définitive, de répercussion sur la marche des chantiers, ni sur la position juridique de la société vis-à-vis des autorités françaises et guinéennes."
Un mois plus tard, la délegation française chargée
d'étudier les modalités pratiques d'application des accords
passés en janvier 1959 entre la France et la Guinée était
accueillie à sa descente d'avion par les représentants de
Fria, logée dans les locaux de la Compagnie Minière et dûment
chapitrée par les porte-parole des monopoles. Quand la Guinée
sortit de la Zone Franc, une délégation des actionnaires de
Fria s'entretint, en l'absence du Ministre des Finances Baumgartner, avec
le directeur général des Finances M. Sadrin dans le but d'infléchir
la fureur gaulliste. Elle se rendit ensuite à Conakry où le
premier train d'alumine venait d'arriver.
Un mois donc, avant la deuxième Conférence afro-asiatique,
le plus gros trust français s'était fait le porte-parole du
Franc Guinéen. Il n'était d'ailleurs pas le seul trust à
s'intéresser à la Guinée. Le Mont Nimba, riche de 25
milliards de tonnes de minerais de fer, était disputé par
quatre groupes qui en sollicitaient la prospection depuis le début
de l'année :
Certes la Guinée était bien signataire avec les autres participants du groupe de Casablanca des décisions de la Conférence. Mais le sens de son apport était particulier. Elle soutint en effet matériellement ceux des membres de la Conférence qui trouvaient trop importante la pression communiste en faisant distribuer des tracts, dans les boites à lettres, qui stigmatisaient cette réunion afro-asiatique comme une manuvre de la propagande marxiste. Sékou Touré défendait un neutralisme qui, compte tenu des prises de positions antérieures, faisait surtout figure d'un désengagement vis-à-vis de l'Est :
"A tout prix on voudrait nous entrainer dans les divisions du monde alors que nous aspirons seulement à la coexistence pacifique et au neutralisme positif, seules voies pour amoindrir la tension internationale. Nous entendons que la direction des affaires en Asie et en Afrique revienne aux peuples d'Asie et d'Afrique, sans aucune contrainte ni intervention."
Un petit fait montre que l'ensemble de la Conférence ne s'y est
pas trompée. Au départ, tout un chacun estimait que Conakry
serait le siège du secrétariat permanent de l'organisation
issue de la Conférence. Or, il fut décidé que ce siège
resterait provisoirement au Caire avec toutefois la restriction que les
nouveaux organismes seraient maitres de choisir un nouveau siège
s'ils le désiraient.
Cependant durant encore un certain temps la Guinée par ses interventions
put apparaitre comme l'élément dur du neutralisme. Ce devait
être le cas à la Conférence de Casablanca de janvier
1961. C'est qu'en matière d'anti-colonialisme, elle prenait encore
des positions verbales fermes dans la mesure où elle visait uniquement
à malmener la puissance française en Afrique et trouvait là
un thème de propagande.
A Casablanca, Sékou Touré soutint le F.L.N. dans ses demandes
de mise en application des décisions de Tunis sur l'envoi de volontaires
africains en Algérie et sur la rupture diplomatique immédiate
de tous les participants de la Conférence (Ceylan, F.L.N., Ghana,
Guinée, Libye, Mali, Maroc, R.A.U.) avec la France. Il défendit
et vota "la charte africaine" qui avait pour but d'orienter "la
politique économique et sociale de l'Afrique vers l'exploitation
de ses richesses naturelles afin que celles-ci puissent être distribuées
équitablement entre toutes les nations africaines." Il accepta
la création de quatre comités politique, économique,
culturel et militaire, d'un bureau de liaison et dès que possible
d'une Assemblée consultative africaine comprenant les représentants
de chacun des Etats Africains.
Mais il était déjà moins là
le porte-parole d'une Afrique révolutionnaire que celui d'une nouvelle
classe arrivée au pouvoir et dont les intéréts étaient
liés à l'envoi de prêts étrangers. Dès
cet instant, en effet, il songeait à un marché commun africain,
partenaire "égal" du marché commun européen
jusque-là stigmatisé comme le meilleur représentant
du néo-colonialisme. Il devait en être de même à
la réunion de la troisième Conférence panafricaine
du Caire en mars 1961.
Peu après, d'ailleurs, le Gouvernement Guinéen signait
avec le Consortium Consafrique pour l 'exploitation durant 75 ans d'une
partie du Mont Nimba. Le journal Horoya, porte-parole du Parti P.D.G.,
affirmait que le contrat avait "été minutieusement
étudié avec la collaboration des membres de l'industrie et
des mines. La République de Guinée participera effectivement
à la gestion réelle de l'entreprise à part égale
et jouira de toutes les garanties désirables tant au point de une
économique que social." Au même moment, le Gouvernement
Guinéen reprenait des conversations avec la direction des Bauxites
du Midi qui venaient de fermer leur chantier de Boké où devait
s'élever une usine d'aluminium. Le Gouvernement guinéen s'engageait
à aplanir les difficultés qui seraient de son ressort notamment
en matière de garanties pour les capitaux étrangers.
La marge s'accentuant entre sa situation objective
et les proclamations de ses leaders, la Guinée se trouva de plus
en plus embarrassée. Il ne lui fut même plus possible
de se maintenir dans la réserve au cours des réunions internationales.
Elle fut ainsi amenée à s'abstenir chaque fois qu'un vote
sur le fonds était requis.
Le 27 août 1961, Sékou Touré fit savoir sans fournir
de raisons qu'il n'assisterait pas à la Conférence du groupe
de Casablanca qui devait se tenir au Caire le 29. La Guinée n'y serait
représentée que par son ministre des affaires étrangères,
Beavogui Louis Lansana. Le Ghana, par solidarité, suivit et N'Krumah
demeura sur la Riviera soviétique. L'ordre du jour explique l'abstention
guinéenne.
Il s'agissait d'une part d'examiner la question de Berlin qui depuis mars
1960 était une question cuisante pour la Guinée.
Il s'agissait d'autre part d'élaborer une position commune des pays
du Pacte de Casablanca en vue de la Conférence de Belgrade qui devait
se tenir en octobre 1961 pour exposer les vues des "non engagés".
Accessoirement, traduisant ainsi sa méfiance à l'égard
de la Guinée, la Conférence appliquant les décisions
de la Conférence de Casablanca de janvier 1961 fixait le quartier
général du groupe soit à Accra soit au Caire et le
secrétariat permanent à Bamako, Conakry ne serait donc en
aucune façon une des capitales du groupe.
Sékou Touré devait également être absent de la
Conférence de Belgrade où devait être entre autres discuté
un plan de paix en vue de résoudre la crise allemande. Aucune explication
ne fut donnée pour une abstention à laquelle cette fois-ci
ne se joignit pas N'Krumah.
L'ambiguité de la position guinéenne n'était pas unique
et collait à l'aspect platonique des déclarations finales
de la Conférence de Belgrade qui constituaient un ensemble de voeux
adressés aux deux grands sans aucune proposition concrète.
Au lieu d'un plan, la position sur Berlin par exemple ne constituait qu'un
souhait pieux :
"Les pays qui participent à la conférence estiment que le problème allemand n'est pas seulement un problème de caractère régional, mais qu'il peut exercer une influence décisive sur le développement futur des rapports internationaux. Ils sont inquiets de l'aggravation actuelle de la situation en Allemagne et à Berlin. Les pays participant à la conférence invitent tous les pays intéressés à ne pas recourir et à ne pas menacer de recourir à l'usage de la force dans la solution du problème allemand et des problèmes de Berlin."
Le refus de prendre position sur l'existence de deux Allemagnes traduisait
donc le poids que faisait peser sur des économies sous-développées
la menace occidentale de cesser toute aide économique.
Cette question d'ailleurs ne fut pas abordée et, contraitement à
la Conférence afro-asiatique de Conakry qui avait mis l'accent sur
la reprise de force du néo-colonialisme et les risques de l'impérialisme
économique, la Conférence de Belgrade ne traita que du colonialisme
politique d'où elle conclut que le colonialisme était en perte
de vitesse :
“L'impérialisme est en train de s'affaiblir... les grands changements sociaux qui s'opèrent dans le monde continuent à stimuler un tel développement. Stimulée par cette évolution dans le monde, la grande majorité des hommes est de plus en plus consciente du fait que la guerre entre les peuples représente non seulement un anachronisme, mais encore un crime contre l'humanité.”
1. L'action politique du P.D.G, tome 2, page 245.
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