Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Dans ce recul général, la Guinée fait d'autant plus tâche que des événements extérieurs l'avaient momentanément mise au premier rang, en avaient fait un Etat pilote. Toutefois, elle aurai voulu garder cette position de leadership en Afrique et l'on peut dire que sa position de retrait par rappott au reste du monde traduisait dans une certaine mesure son désir de rapprochement avec les pays d'Afrique.
Celui-ci a existé dès les lendemains du référendum. Des rédacteurs de la radio furent licenciés pour avoir, sur les ondes, critiqué des leaders africains. Dès 1960 la Guinée esssya de se rapprocher du Sénégel. Les premiers entretiens officiels eurent lieu en mai de cette année. Le Ministre guinéen de l'Intérieur, Camara Damantang, se rendit à Dakar pour renouer le contact et traiter des problèmes frontaliers.
Cependant les choses changèrent d'aspect avec la loi française du 4 juin 1960 modifiant le titre XII de la Constitution et qui permit dorénavant aux membres de la Communauté de devenir indépendants. Dès juin 1960 I'Entente — Côte d'lvoire, HauteVolta, Niger, Dahomey — prit son indépendance. En septembre 1960, allant plus loin, le Mali rompit tout lien politique avec la France. On pouvait désormais se demander ce qui distinguait la Guinée indépendante des autres pays africains. De fait, des liens se renouèrent : le 28 juin 1960, Sékou Touré fit escale à Abidian, y fut accueilli par le Premier Ministre par intérim, M. Denise et par le Premier Vice-Président de l'Assemblée. Il déclara à cette occasion à l'A.F.P. :
"La délégation guinéenne et moi-même avons été très touchés par l'accueil fraternel réservé par les responsables du P.D.C.I. et le Gouvernement de la Côte d'Ivoire. Cet accueil nous permet d'espérer la régularisation des rapports de coopération inter-Etats et inter-Partis, dans le sens d'une unité d'action de nos partis et du développement des relations entre nos Etats."
Parallèlement les relations sénégalo-guinéennes reprirent. Dans le dernier semestre 1960 des fonctionnaires guinéens allèrent à plusieurs reprises à Dakar passer des commandes payables en C.F.A. En janvier 1961, après envoi d'une mission économique du Ministre du Commerce du Sénégal, Cissé Dia, des accords étaient négociés qui devaient étre ratifiés en juin. Des échanges de marchandises guinéennes et sénégalaises équilibrés en importation et en exportation devaient être effectués dans le cadre d'une liste limitative par l'intermédiaire de comptes ouverts respectivement à la Banque de Guinée et à la Banque Sénégalaise de développement sans transfert de fonds.
Quant au groupe Ghana-Guinée, resserré après les entretiens de mai 1960, il tenta un rapprochement avec le Mali. En décembre 1960, se tint à Conakry une conférence au sommet des trois pays pour promouvoir une politique économique et financière commune et ainsi combattre les regroupements d'Etats, notamment "l'entente" plus ou moins ouvertement promue par l'impérialisme. Elle avait été précédée, le 5 décembre 1960, par la rencontre de Siguiri, à l'initiative de Sékou Touré. Les deux présidents, Modibo Keita et Sékou Touré, y avaient "dénoncé comme une manuvre dangereuse inspirée par le néo-colonialisme certaines tentatives de regroupement d'Etats africains" dont "le véritable objectif était le maintien de l'exploitation coloniale" et avaient "décidé d'associer leurs Etats" à toute "initiative tendant au renforcement des liens de coopération et de solidarité des Etats africains sur une base anti-impérialiste excluant tout alignement sur la politique de l'un ou l'autre des deux blocs antagonistes". Le communiqué final de la conférence tripartite au sommet qui prévoyait entre autre la création de deux commissions spéciales pour la politique économique et financière commune et la coordination des activités diplomatiques, des rencontres périodiques des chefs d'Etat, était encore plus explicite :
"Nous avons déploré l'attitude de certains chefs d'Etat africains dont les récentes prises de position risquent de compromettre gravement l'unité africaine et de renforcer le néo-colonialisme, nous condamnons tous les regroupements africains basés sur les langues des puissances coloniales ; nous faisons appel à ces chefs d'Etat pour qu'ils reviennent à une conception plus saine et plus élevée de l'Unité africaine."
Dès le mois de janvier 1961, le comité chargé d'étudier le projet d'union entre le Ghana, la Guinée et le Mali commencait ses travaux par l'étude de la création d'une banque et d'une monnaie commune. Quant aux dirigeants, ils se rencontrèrent successivement en avril et juin l961 et adoptaient la Charte de l'Union des Etats africains qui, dès avril, s'opposait aux regroupements de l'Entente et des Etats de Brazzaville, et de l'U.A.M. Par cette charte, ils entendaient créer "l'embryon des Etats-Unis africains", sur la base de l'adhésion à la Charte africaine et aux résolutions de Casablanca. Il s'agissait de renforcer et développer les liens d'amitié et de coopération fraternelles entre les membres, de mettre en commun les moyens pour consolider l'indépendance et sauvegarder les intégrités territoriales, d'uvrer contre l'impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme, enfin d'harmoniser les politiques nationales et internationales.
Les membres devaient élaborer une orientation commune en politique intérieure. lls devaient observer strictement une diplomatie concertée dans un esprit d'étroite coopération. Ils devaient organiser un système commun permettant de mobiliser tous les moyens des Etats en faveur de tout Etat de l'Union victime d'une agression. Ils devaient définir une orientation commune des directives sur la planification visant à la décolonisation complète des structures héritées du régime colonial. Ils devaient organiser l'exploitation des richesses des pays dans l'intérét des populations. Ils devaient enfin réhabiliter et développer la culture africaine.
Des organismes furent créés à cet effet. La conférence des chefs d'Etat de l'Union devait se réunir une fois par trimestre, respectivement à Accra, Bamako, Conakry. Des comités de coordination, une commission économique bi-annuelle de cinq membres par Etat devaient siéger alternativement dans chaque Etat. Des directives furent adoptées, notamment le refus des bases militaires étrangères. La commission économique devait se réunir pour la première fois le 15 juillet 1961 à Conakry, et le Comité militaire au Caire.
L'apport de la Guinée à ces organisations resta faible.
L'Union d'Accra n'avait de sens, que si, par-delà l'indépendance politique reconnue maintenant à toute l'Afrique ex-française, elle s'acheminait vers une indépendance économique que les nouveaux Etats ne possédaient pas encore.
Or la Guinée dans le même moment s'inféodait davantage à l'Ouest.
Certes, en janvier 1961, Sékou Touré alla en Yougoslavie. Certes, en avril 1961, Brejnev, le Président de l'U.R.S.S. vint à Conakry. Mais il s'agisssit là de rapports superficiels durant lesquels d'ailleurs Sékou Touré, reprenant un thème qu'il développait depuis quelque temps, affirmait que la Guinée n'était pas communiste. Certes, en juin 1961, un accord de crédit à long terme était signé au Kremlin entre la Guinée et l'U.R.S.S. Mais les accords avec les U.S.A., le rapprochement avec la France, puisqu 'en juillet 1961 était signée une convention culturelle en application des accords signés en janvier 1959, puisqu'en août 1961, la Guinée invitait officiellement trois hommes politiques français 1, répondaient beaucoup plus profondément aux besoins de la nouvelle société guinéenne.
Bien mieux, en juillet 1961, les légionnaires de la Paix (Peace Corps) étaient accueillis en Guinée.
Toute cette histoire diplomatique montre que l'importance internationale que revêtit un temps la Guinée n'était pas liée à l'importance intrinsèque de ce petit pays.
Son poids commercial, son poids financier n'étaient que minimes, même pour les grandes puissances capitalistes mondiales : entre le moment où avait été conçu le projet de Fria et la création d une république guinéenne, la conjoncture économique s'était modifiée. Le marché de l'aluminium, de déficitaire risquait de devenir excédentaire.
Son poids était uniquement politique. Son devenir aurait pu faire basculer, dans un sens ou dans l'autre, dans celui de la stricte obédience ou dans celui de l'indépendance, tous les pays membres de la Communauté depuis leur vote affirmatif au référendum. Mais du jour où le problème de la Communauté était réglé, fût-ce dans le sens de l'indépendance nominale, la Guinée ne gênait ni ne servait plus les intéréts internationaux, capitalistes ou communistes.
De ce jour, sa classe dirigeante devenait, ipso facto, inutile. Elle ne pouvait plus constituer le pôle de cristallisation d'un quelconque courant africain. Bien plus, dans la mesure même où elle s'était fait neutraliser par le carcan international, elle devenait nuisible sur le plan intérieur.
1. Voir La Guinée dans l'orbite néo-colonialiste.
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