Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Le 5 avril 1962, le Gouvernement guinéen rendait public le nouveau code des investissements. Ce "code" revenait sur la dureté de l'ordonnance de mai 1960 et reprenait les dispositions tant critiquées au moment de l'Indépendance, des régimes fiscaux de longue durée. C'est ainsi que toutes les entreprises agréées bénéficieraient d'avantages fiscaux d'une durée de 7 à 10 ans, comprenant exonération totale ou partielle des principaux impôts directs. Surtout leur étaient reconnus de très larges droits de transferts hors de la Guinée :
Outre cela, les entreprises jouissaient de garanties juridiques contre
toute spoliation et toute nationalisation.
Ce code fut présenté à l'Assemblée Nationale,
au Parti et à l'opinion publique comme un succès de la révolution
guinéenne entrant dans sa phase économique constructive. A
cet égard, on souligna l'influence quantitative que ces nouvelles
dispositions juridiques ne devaient pas manquer d'avoir sur le volume des
capitaux étrangers susceptibles d'être investis en Guinée.
Ce qui, par contre et pour cause, était passé sous silence,
c'était l'action qualitative que de telles modifications devaient
avoir sur la nature de la classe dirigeante guinéenne dans la mesure
où elles instituaient une étroite symbiose entre celle-ci
et le capitalisme mondial.
Cette symbiose se manifeste d'une façon directe et peu dissimulée
dans la création de sociétés d'économie mixte.
Cette notion du droit administratif américain et européen
se concrétise en Afrique sous une forme particulière : les
parts réputées d'Etat sont en fait des parts individualisées
au nom d'un ou de plusieurs ministres, qui touchent personnellement les
dividendes qui s'y rattachent et à qui sont offerts des postes dans
les conseils d'administration.
Mais elle se manifeste de façon plus subtile, plus cachée
mais aussi plus radicale par le jeu du budget national. Les exonérations
fiscales à long terme, si elles attirent bien des çapitaux
étrangers dans le pays, n'en privent pas moins le Trésor d'un
surplus de recettes. Il n'y a donc pas corrélation automatique entre
l'accroissement du produit national nominal et le montant des rentrées
financières. Ce qui revient à dire que l'installation de capitalistes
étrangers ne permet pas l'accroissement du traitement des fonctionnaires
en tant que tels. Ce qui amène à conclure qu'il y a une certaine
opposition d'intérêts entre le capitalisme international, désireux
d'être exonéré d'impôts et les fonctionnaires
d'un pays sous-développé dont la courbe de budget ne suit
pas.
De cet antagonisme, la Guinée est sortie en réhabilitant l'entreprise
privée.
Elle y mit d'abord une certaine pudeur. Le 22 mars 1963, dans un discours
radiodiffusé, Sekou Touré critiquait la tendance de nombreux
fonctionnaires à s'installer comme commerçants, c'est-à-dire,
en fait, la tendance à accroitre de manière capitaliste les
surprofits tirés des différences de salaire horaire. Pour
limiter ces bénéfices, Sékou Touré annonçait
une baisse autoritaire de 10 % sur l'ensemble des prix. Les commerçants
qui ne l'appliqueraient pas ou même qui simplement protesteraient,
étaient menacés de fermeture et de confiscation de leurs marchandises.
Les clients qui accepteraient de payer à un prix supérieur
au prix imposé iraient, eux, en prison.
Le 21 septembre 1963, encore Sékou Touré annulait un voyage
qu'il devait effectuer à l'intérieur de la Guinée afin
d'écraser "les manuvres réactionnaires de la nouvelle
classe bourgeoise mercantile qui s'oppose au régime".
Cependant, le mois suivant, les magasins d'Etat étaient fermés,
le commerce privé réhabilité, les marges bénéficiaires
légales, accrues, les mines de diamant, dénationalisées.
Pour faire passer devant l'opinion cette ultime reculade, la lutte contre
les factieux était proclamée et les manuvres de division menées
par des réseaux étrangers, stigmatisées.
Il n'en demeurait pas moins que, seuls autochtones à posséder
des capitaux, les fonctionnaires et les commerçants déjà
établis étaient les uniques bénéficiaires de
ces mesures.
Par besoin de constituer une doctrine de classe, les dirigeants guinéens
minimisaient délibérément la portée des mesures
qui avaient été naguère présentées sous
un jour volontairement révolutionnaire. A cet égard, I'éditorial
de Horoya du 7 avril 1962, niait le sens révolutionnaire des
nationalisations antérieures :
"Il convient de rappeler à ces propos que les réquisitions et autres nationalisations effectuées jusqu'à présent par le Gouvernement concernaient des secteurs de souveraineté, les secteurs abandonnés et en état d'infraction à nos lois."
et il rejetait sur la presse occidentale la responsabilité d'avoir présenté ces mesures comme des actes révolutionnaires
"dans le but de nuire économiquement à notre pays et de porter atteinte à son prestige international.''
En octobre 1963, Sékou Touré ramenait à une simple mesure d'application pratique, la réforme du commerce :
"Le commerce d'Etat a été établi en Guinée parce que les pays de l'Est, venus à notre aide après l'Indépendance, avaient refusé de traiter avec d'autres organismes que l'Etat..."
La classe politique dirigeante guinéenne se rapprochait donc, par son évolution, des autres classes dirigeantes africaines. Comme celles-ci, elle tendait à muer en bourgeoisie locale, au sens classique du terme. Aussi, la Guinée modifia-t-elle sa politique africaine.
[ Home | Etat | Pays | Société | Bibliothèque | IGRD | Search | BlogGuinée ]
Contact :info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2013 Afriq Access & Tierno S. Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.