Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Le lendemain du passage de de Gaulle à Conakry, Sékou Touré s'envolait à Dakar pour y conférer avec les représentants de l'U.G.T.A.N. et du R.D.A.
Ses premières démarches furent couronnées de succès. Trois jours après, il revenait à Conakry porteur de deux documents par lesquels l'U.G.T.A.N. et le R.D.A. affirmaient leur volonté de voter négativement au cas où la constitution ne serait pas révisée, notamment au cas où la balkanisation serait poursuivie.
Le premier document s'intitulait Dernière position du R.D.A., le deuxième Dernière position de l'U.G.T.A.N. Ils étaient pratiquement identiques. Le texte du R.D.A. donne le ton commun :
Les Membres du Bureau du Comité de Coordination et les Responsables du R.D.A. venus à Dahar à l'occasion du voyage du Général de Gaulle, après avoir pris connaissance des explications du Chef du Gouvernement aux délégations des différents Territoires sur le contenu du texte constitutionnel, PRENNENT ACTE :
DEMANDENT
Pendant la période transitoire précédant la constitution des Fédérations primaires les Grands Conseils d'A.O.F. et d'A.E.F. continuent à représenter et à gérer les intérêts et le patrimoine communs des Groupes de Territoires.
Ils DEMANDENT au Président du R.D.A., Membre du Gouvernement, de soutenir ces propositions à l'ultime réunion du Conseil des Ministres.
Dans l'intérêt de l'unité et de l'émancipation africaines aussi bien que celui de la Communauté.Ils INVITENT toutes les sections territoriales du R.D.A. à soutenir immédiatement ces propositions et à les confirmer au Comité de Coordination du R.D.A. qui doit se réunir le 6 septembre 1958 à Ouagadougou.
Ils MANDATENT le Sénateur Mahamane Haidara, Président de l'Assemblée Territoriale du Soudan, pour prendre contact avec le Président du R.D.A. et présenter ce texte au Chef du Gouvernement.
Dakar, le 28 août 1958.
Les Membres du Bureau du Comité de Coordination
Mahamane Haidara, Doudou Gueye, Sékou Touré. G. d'Arboussier.
Aussi, fort de cette victoire, dans le discours du Vox qu'il adressait au peuple de Conakry, le 28 août 1958, Sékou Touré développait-il deux thèmes nouveaux, destinés à emporter d'éventuelles hésitations de dernière heure. D'une part, il rejetait l'argument selon lequel l'Afrique n'était pas mûre pour l'Indépendance 1.
D'autre part, il démontrait qu'on réclamait à l'Afrique un acte de confiance que rien ne justiflait dans le passé 2 et qui était d'autant plus grave que la constitution ne donnait que des principes qui feraient l'objet de décrets d'application ultérieurs. Pour faire triompher ses idées, il comptait essentiellement sur la masse et notamment sur le salariat :
Je ne souhaite pas qu'on rejette nos conditions, sinon il est probable que les travailleurs dans toute l'Afrique commencent la grève illimitée, la grève politique qui ne durera même pas deux mois ; on comprendra, on devra reconnaitre que l'Afrique est devenue mûre et qu'il faut compter avec la nouvelle Afrique.
Rapidement toutefois l'influence de la chefferie, l'action de l'administration, la volte-face des leaders africains, hormis Djibo Bakary au Niger, allaient isoler la Guinée. Lors d'une réunion fantôche qui se tint à Paris 3 Houphouet-Boigny réussissait à faire ajourner jusqu'après le référendum, la conférence du R.D.A. qui aurait dû se tenir à Ouagadougou le 6 septembre 1958 et justement pour préciser la position du Parti face à cette consultation populaire.
Désormais la Guinée était placée en relative contradiction avec elle-même, puisqu'au nom de l'unité africaine elle se coupait volontairement du reste de l'Afrique. Cette contradiction ébranla un temps le Bureau Politique du P.D.G qui songea à profiter de l'article 88 de la Constitution pour voter Oui et demander le lendemain, l'Indépendance. Mais la tentation de l'Indépendance immédiate, l'enthousiasme suscité par les extrémistes étaient désormais trop grands pour qu'une attitude modérée puisse être prise encore.
Aussi, le 14 septembre 1958, sous un hangard à demi-obscur de Boulbinet, la première conférence nationale, des cadres du P.D.G. se tenait-elle à Conakry. C'est alors qu'à l'unanimité, le P.D.G. se déclara prêt à saisir la plus extraordinaire chance de son histoire en votant Non.
Le 28 septembre 1958, le vote de la Guinée prouvait l'emprise que le P.D.G. exerçait sur les masses. Un peu plus de 94 % des Guinéens avaient voté Non, la seule minorité existante se trouvait dans la zone traditionnelle de chefferie constituée par le Fouta-Djalon.
Devant une telle évolution linéaire, il est permis de se demander comment le Gouvernement de la Cinquième République a pu s'abuser jusqu'au bout et être pris de court le 29 septembre 1958 au matin dans le total désarroi d'une défaite imprévue.
Cela est incontestablement dû à la fâcheuse conjonction du messianisme du Président du Gouvernement de la France et d'une multitude de petits travers intellectuels du peuple français au milieu du XXè siècle, se greffant sur une ignorance totale du monde africain en général, du monde guinéen en particulier.
L'orgueil du Général, la volonté de s'aveugler du blanc local amenèrent une première distinction entre la masse guinéenne et ses leaders. Malgré les rapports de police dont il ne peut pas ne pas avoir eu échos et qui expliquaient le sens de la réception triomphale qui lui fut accordée, de Gaulle paraît bien avoir cru à un attachement personnel du peuple guinéen à son égard et les termes de son discours du 25 août 1958 n'étaient pas de pures clauses de style lorsqu'il disait:
Je veux d'abord, d'un mot, dire à quel point j'ai été touché, car il faut que je le dise en public, des sentiments dont la population de Conakry m'a offert tout à l'heure le magnifique témoignage... J'emporte de ma visite à Conakry, l'irnpression d'un sentiment populaire tout entier tourné du côté que je souhaite.
A cela s'ajoutaient la croyance naïve des Français en leur caractère indispensable, I'idée que leur départ entrainerait une catastrophe et que le Africains ne pouvaient pas ne pas le savoir. S'ajoutait également la confusion que le Français moyen commet entre l'objectivité de l'analyse et la trahison, entre la prévision d'une évolution et l'anti-France.
Aussi l'immense majorité des Français était-elle confiante dans le résultat et mena-t-elle une campagne pour le Oui aussi ardente qu'inopportune et stupide 4. Seule une petite minorité européenne, une poignée d'individus firent campagne pour le Non, notamment en diffusant des tracts. Mais parmi les signataires figurait au moins un agent des services de renseignements français, membre également du P.D.G., vendant ses informations aux uns comme aux autres, présence qui enlevait, et probablement était-ce le but réel de ces publications, tout caractère de sérieux et d'honnêteté à cette prise de position publique. Toutefois les Francais qui comptaient sur la reconnaissance africaine n'en craignaient pas moins des insurrections et des attentats. Rares furent ceux qui passèrent chez eux la nuit du référendum. On s'était réfugié à l'hôtel ou groupé entre amis dans de véritables forteresses, précautions d'autant plus inutiles que les Guinéens eux ne craignaient rien moins qu'une bombe atomique lancée pour les punir de leur audace. Aussi fut-ce après une nuit de grand calme que la Guinée se réveilla indépendante.
1. "La signification de principe qu'on a voulu donner à la colonisation, c'était de conduire l'Afrique à son émancipation pleine et entière, et qu'on entendait donc, en un certain stade d'évolution, permettre à cette Afrique de se déterminer librement. Mais si nous étudions un peu l'histoire nous nous rendons bien vite compte que tous les pays qui sont aujourd'hui des nations libres et indépendantes ont acquis leur droit de nationalité, leur état d'indépendance à des niveaux d'évolution inférieure au niveau actuellement atteint par les peuples africains.
En effet, par rapport à la Russie, à la Chine, aux Etats-Unis d'Amérique, à la France, quand on nous dit que nous sommes des peuples attardés, c'est vrai par rapport à ces nations. Mais nous dirons — c'est non moins certain — qu'au moment où ces nations se constituaient, au moment où elles commençaient à jouir de leur Indépendance, leur état économique, politique, social, spirituel, culturel n'était pas à ce moment-là supérieur à l'état actuel des populations africaines... Que l'on ne vienne donc pas nous dire : Vous voulez aller trop vite, vous n'êtes pas aptes à vous gouverner tous seuls, si cela était vrai ni la France de Charlemagne, ni la Russie des Romanov, ni l'Inde actuelle n'auraient existé."
2. "On aime faire référence à la Conférence de Brazzaville de 1944, comme ayant feté les bases d'une collaboration franco-africaine, mais l'Afrique consciente sait qu'à Brazzaville, la collaboration n'était admise que sur le plan administratif, alors que sur le plan politique, on y a dit et affirmé que même dans le futur, il n'était pas envisagé la transformation des Territoires d'outre-mer en pays de self government. En aucun cas, cela ne serait envisagé : voilà quel était le mot d'ordre de Brazzaville. Ce mot d'ordre, eh bien, nous l'avons retenu... Nous nous rappelons qu'à Brazzaville, en matière politique, on n'a même pas envisagé, même au bout du chemin, quelle qu'en puisse être la durée, la possibilité pour nous de devenir pays indépendants, librement associés à la France. La Constitution d'avril 1946 a été rejetée par les mêmes partis, par les mêmes groupes d'hommes qui nous contestent encore aujourd'hui notre droit à l'Indépendance. L'histoire a continué."
3. Cf. les protestations des ministres guinéens Roger Accar et Bengaly Camara dans le Monde du 6 septembre 1958.
4. On influençait l'homme de la rue en faisant défiler les tanks. On le charmait à la radio par une petite ritournelle politique, sur l'air et les paroles de Dis-moi, Oui, dis-moi, Non.
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