Editions Challamel. 1911. 742 pages
Ce livre est le livre d'un travailleur et d'un patriote. Il s'adresse à un double public : les Français y trouveront de quoi être fiers de leur pays, les étudiants en matière coloniale, de quoi ordonner et étendre leurs connaissances. M. Arcin a déjà publié un livre sur la géographie de la Guinée française ; aujourd'hui, il en étudie
l'histoire.
Mais il comprend l'histoire comme une science qui embrasse tout
: le récit des événements déroulés, sans doute, depuis les temps les plus reculés jusqu'aux temps modernes, à travers lesquels il fait défiler devant nous Carthaginois et Romains, Normands et Portugais, Espagnols, Hollandais, Anglais et Français ; mais aussi la succession et les luttes des races, autochtones, migratrices ou conquérantes, et leur évolution, et le tableau des efforts tentés par eux pour pacifier les hommes et vaincre la nature. Pour mener à bien cette tache, à la fois vaste et délicate, il fait appel à toutes les connaissances : l'histoire proprement dite, et l'étude des religions, des races, des langues et de l'économique. Son ouvrage est le fruit d'immenses lectures, bien conduites, et de leurs résultats bien ordonnés, de patientes investigations qui lui ont permis d'entrer dans le détail des événements et d'une méthode sage qui lui a, notamment, imposé beaucoup
de prudence dans l'affirmation.
L'histoire de la Guinée, comme celle de toute l'Afrique, et à vrai dire comme celle du monde, c'est le tableau des efforts des hommes pour pénétrer, des rivages de la mer, dans l'arrière-pays et jusqu'au coeur du continent. C'est, à l'intérieur de l'Afrique, le récit de l'attraction exercée sur tous les peuples du nord, de l'Egypte au Maroc, par ces régions
de la boucle du Niger et, en particulier, du Fouta-Djalon,
et l'auteur consacre à cela tout un livre qu'il intitule (Histoire des rapports des indigènes entre eux). C'est, parmi les peuples venus d'autres continents, la concurrence ardente surtout entre Anglais et Français, Français du Sénégal et Anglais de Sierra-Leone, qui nous est contée dans un livre compact et savant de près de 500 pages : Rapport des indigènes avec les blancs. Double travail plein de faits, convenablement disposés par un cerveau méthodique et éclairés par un esprit souvent ingénieux et judicieux toujours. Des annexes le complètent, placées après chaque chapitre, infiniment utiles aux travailleurs, puisqu'elles mettent à leur portée des documents épars
dans vingt recueils.
C'est un ouvrage dont on ne peut ni trop louer le solide mérite, ni exagérer l'utilité.
Mais ce serait lui faire tort que de s'en tenir à ces appréciations techniques ; il se recommande par des qualités d'une tout autre portée. Il expose les problèmes, en met en évidence les données, en dégage les inconnues, et, avec les solutions dûment discutées, nous permet de discerner les causes des échecs et des succès.
Dans cette région de l'Afrique occidentale, M. Arcin a bien aperçu et démontré l'importance des phénomènes religieux et l'action, quelquefois dissimulée mais toujours prépondérante, de l'Islam. C'est une question qui, assurément, n'avait pas échappé à ses devanciers ; il a eu raison de la mettre en relief : aucune ne mérite davantage de s'imposer à l'attention de nos gouvernants. L'Islam est une puissance universelle, avec laquelle nous avons à compter par toute notre Afrique, et qui ne doit pas être partout traitée de même. Ce qui sert en Algérie, et en Tunisie, et au Maroc, peut nuire en Afrique, occidentale aujourd'hui, et équatoriale demain. M. Le Chatelier a écrit là-dessus des pages pénétrantes et fait entrevoir de sagaces solutions, locales et partielles. D'autre part, nos professeurs d'Alger s'en préoccupent : souhaitons qu'a Dakar nos autorités abordent ce redoutable problème avec les ménagements
qu'il comporte.
L'Afrique occidentale, en particulier la Guinée, est un terrain sur lequel la France a des raisons de jeter les yeux avec fierté. Sans doute nous y avons commis des fautes. Le Parlement n'a pas permis qu'on tirât au moment opportun les pleines conséquences
de l'admirable initiative de M. Etienne,
durant ce ministère de 1889 à 1891, qui est, en matière d'expansion, l'une des plus pleines et des plus belles périodes de notre histoire coloniale. A force d'hésitations, et de responsabilités déclinées, il a retardé la marche de nos affaires et permis à nos rivaux anglais et allemands de nous rattraper sur un chemin où nous nous étions les premiers jetés avec beaucoup de flair etd'intrépidité. Sans
quoi il n'y aurait eu ni Cameroun, ni Togo, ni même Nigéria,
au moins avec ses proportions, et le Niger serait un fleuve presque entièrement français, comme seraient presque exclusivement françaises les terres que, de ce côté, baigne l'Océan.
Ces erreurs, que le succès nous permet d'amnistier, rendent plus méritoires les efforts qui nous ont valu la place que nous occupons. Il faut lire, la main lente à tourner les pages et l'esprit attentif à les méditer, le récit de M. Arcin, quand il déroule les longues rivalités de l'Angleterre et de la France à travers
les Rivières du Sud et la Boucle du Niger et autour du Fouta-Djalon :
elles n'ont pas duré moins de 70 ans, avec bien des révolutions dans la fortune des deux rivaux. Finalement, c'est nous qui avons triomphé : nous sommes en Afrique occidentale la grande puissance. M. Arcin nous dit au prix de quelle lutte et à raison de quelles défaillances
chez nos rivaux : l'histoire en est instructive.
Chose curieuse, dans ces régions, ce sont nos commerçants qui nous ont assuré la victoire. Sans doute, nous y avons eu, à l'heure qu'il a fallu, de grands serviteurs de la France : ils sont légion,
de Faidherbe,
pour ne pas remonter plus loin, à Ballay,
pour ne pas descendre plus près de nous. Mais qu'on ne s'imagine pas que les Anglais aient manqué de bons agents : aux nôtres
ils opposent, avec orgueil, des hommes tels que Macaulay, Sedgwick et Rowe.
Seulement, tandis que les Anglais, pour se ménager aide et amitié parmi les indigènes, recouraient aux espions, à l'intrigue et à l'argent, nous, presque partout sur les côtes, le long des fleuves et au coeur des terres, nous nous appuyions sur des commerçants de notre race ou sur des indigènes formés par eux et groupés autour d'eux, et sur les échanges qu'ils avaient développés et qui rendaient leur présence précieuse
aux populations.
Mais notre grand atout fut surtout l'indifférence de la métropole anglaise. L'Angleterre n'est venue que tardivement aimer l'Afrique, qui longtemps n'a été, pour elle, qu'une terre de tristesse et de désolation : climat meurtrier (et M. Arcin donne, pour Sierra-Leone, des chiffres, déjà anciens, de la mortalité., qui font frémir) ; terre de l'esclavage et de la traite ; patrie de Cham, le réprouvé. C'est, durant des siècles, vers l'Asie, abondante en richesses et parée de mille séductions, qu'elle a tourné les yeux. Une sagesse toute récente l'a ramenée vers un continent qui, provisoirement, offre aux entreprises européennes plus de sécurité et de chances de durée. Mais, de 1830 à 1870, elle s'en souciait peu ; et au reste, sa politique continentale ne se pliait guère à ce que la politique coloniale réclamait de vigilance et de fermeté.
Tout d'abord, durant une partie de cette période, elle était ou l'amie ou l'alliée de la France ; nos soldats se battaient avec les siens, et pour son exclusif profit, sous les murs de Sébastopol, une sympathie, pendant un temps chaude et effective, unissait les souverains des deux pays. D'autre part, ses hommes d'Etat les plus célèbres goûtaient peu la politique coloniale et détestaient la conquête. Enfin, comme, dans l'Inde, le Parlement avait périodiquement interdit à ses gouverneurs généraux d'agrandir un domaine jugé déjà démesuré, de même, en Afrique, il repoussait toute proposition de s'éloigner des rivages pour remonter à l'intérieur. A maintes reprises, les gouverneurs de Sierra-Leone, jadis territoire de compagnie à charte, plus tard colonie de la couronne, en ont fait l'expérience.
En 1865 notamment, à une époque où notre Pinet-Laprade,
digne continuateur de Faidherbe, étendait par des procédés discrets notre domaine et consolidait notre domination, une commission de la Chambre des Communes, saisie d'un nouveau plan de pénétration, déclarait (février 1865) que « toute extension de territoire, toute manifestation de pouvoir gouvernemental, tout nouveau traité offrant protection aux indigènes sont inexpédients ». Mieux valait envisager le retrait de l'administration anglaise des Etablissements africains (sauf peut-être de Sierra-Leone proprement dit) aussitôt que les indigènes seraient capables de s'administrer eux-mêmes. On se flattait que le commerce britannique n'y perdrait rien : ces indigènes, libres de leurs mouvements, créeraient
de la richesse, et resteraient de bons clients de l'Angleterre.
Pendant ce temps, l'Angleterre demeurant inactive, les indigènes, impressionnés par le grand nom de Napoléon (dont le neveu était sur le trône) et par nos récentes conquêtes en Algérie, attirés à nous par l'initiative, profitable à tous, de nos commerçants, et par la sage politique d'hommes tels que Faidherbe et Pinet-Laprade, avec, derrière eux, un ministre tel que Chasseloup-Laubat, ou spontanément venaient à nous ou s'inclinaient devant nous. Notre territoire s'accroissait ; nos méthodes se dégageaient, souples et pratiques ; enfin, des administrateurs, à l'intrépidité clairvoyante, préparaient peu à peu ce qui, trente ans plus tard, serait cet admirable domaine : l'Afrique Occidentale Française.
J'aurais aimé, à travers cette histoire, ordinairement satisfaisante pour un Français, à qui la médiocrité de notre situation et de notre politique inflige aujourd'hui de continuels serrements de coeur, suivre M. Arcin notamment durant cette période de la fondation de la Guinée proprement dite, et m'arrêter devant la belle figure de Ballay, douce, énergique ; obstinée et y montrer son action tenace, surtout cette constante préoccupation de favoriser la production et les échanges, encourageant et, malgré lui, mécontentant tour à tour et les chefs indigènes et les commerçants français, fondant, en dépit de tout, une politique qui est celle aujourd'hui et de l'Afrique occidentale et de la France dans toutes ses colonies, et qui asseoit sa grandeur sur ces deux piliers : l'indigène et l'européen, avec, d'une part, le respect des usages et des coutumes et, d'autre part, la production locale sans cesse accrue et le commerce avec la France et le monde sans cesse développé.
J'aurais tenu également à étudier avec lui ces populations insuffisamment connues, qui ont parfois opposé à notre
influence des hommes si remarquables, et dont on doit attendre beaucoup pour
l'avenir de notre domination, si elle sait se les attacher.
Ce serait, avec un guide tel que M. Arcin, un bon et réconfortant voyage.
Mieux vaut renvoyer le lecteur à son livre, travail consciencieux offert à ceux que tente l'étude de notre action au dehors, production de haut prix ajoutée à cette littérature coloniale française, jadis si pauvre et aujourd'hui abondante en oeuvres de valeur, et qui rivalisent par le nombre et le mérite avec tout ce que l'étranger
a de mieux.
Joseph Chailley.
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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.