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3ème république
Crise des 2 et 3 février 1996


Conférence de presse donnée le 5 février 1996
au Camp Samory Touré
par le Président de la République

Télévision Guinéenne : Monsieur le Président, après ces troubles que notre pays a connus ces 48 heures, voudrez-vous nous faire le point de la situation ?

Président : Je remercie toute la presse nationale, la presse africaine et la presse internationale. Pour donner le point exact de la situation, le moment n'est pas bien choisi, c'est prématuré. C'est seulement hier qu'il y a eu de l'accalmie. Une chose est certaine vous avez tous bien suivi comment les choses se sont passées. Nous sommes en mesure seulement de vous dire que s'il y a eu de l'accalmie, c'est qu'il y a eu prise de consmence. Nos soldats, vous savez ne sont pas les meilleurs soldats du monde ; mais ils se sont toujours montrés patriotes. Ils ont toujours montré leur courage, partout où on les utilise, et vous savez que l'Armée Guinéenne a été beaucoup utilisée en Guinée, en Afrique et dans d'autres pays du monde. Ils ont fait des réclamations qui sont justes en certains points. Pour d'autres points, nous avons des études à faire ; comme je l'ai dit hier, ces réclamations ne sont pas du tout hors de notre portée. Ce sont des choses que nos pouvons faire dans le calme. Mais le mouvement des soldats a failli être récupéré et ça été récupéré en partie, mais les soldats ont pris conscience. Ils ont dit non: « ce qui se passe maintenant, ce n'est pas ce que nous avons voulu. Donc il faut arrêter ».

Ce n'est pas moi qui ai arrêté ; ce sont les soldats qui ont arrêté les carnages, ils ont dit : puisque c'est comme ça, nous n'en voulons plus. Nous arrêtons. ». C'est pour cela que je suis parti avec eux au (Camp Alpha Yaya). Je suis revenu avec eux au Camp Samory sans incidents, parce que c'était leur mouvement. Ils ont donc refusé que d'autres personnes récupèrent leur mouvement. C'est à ce point que nous sommes aujourd'hui

Des informations viendront toujours, tous les jours jusqu'à ce que les affaires soient complétement éclaircies. Et au fur et à mesure, la presse sera informée. Donc pour donner le point de la situation maintenant, ce n'est qu'en partie; s'il y a accalmie nous cherchons à la consolider. Nous allons nous occuper des problèmes des soldats et le reste, ensemble, tout le Peuple de Guinée, nous allons chercher à savoir ce qui s'est passé et comment il faut soigner.

Radio Rurale : Excellence Monsieur le Président, peut-on évaluer à l'heure qu'il est le nombre de victimes ?

Président: Vous savez que dans l'après-midi du vendredi un coup de canon a été tiré dans le quartier de Coronthie où nous avons enregistré 8 morts, 8 civils, 8 innocents ; nous avons eu certainement quelques blessés ailleurs ; à Coronthie il y a eu des blessés aussi. Nous avons certainement des blessés ailleurs. Nous avons eu une victime aux approches de la RTG qui a été tuée à bout portant par un soldat. Il y a eu quelques blessés autour de moi au Palais. Mais comme certaines radios ont raconté qu'il y a eu au Palais 20 morts et 70 blessés ; au Palais il n'y a pas eu un seul mort. S'ils ont dit ça, il faut écrire à vos radios pour leur dire que c'est faux, archi-faux ; au Palais, il y a eu quelques blessés ; il y avait un qui était là tout à l'heure qui a eu une balle dans la poitrine. Mais il n'y a pas eu de morts; il n'y a pas eu de morts; je le repète, il n'y a pas eu de morts, au Palais ; les blessés du Palais, je n'en compte pas plus de 5. Maintenant comme il y a en a qui sont couchés dans leur chambre et qui connaissent le nombre de blessés, ils n'ont qu'à raconter ce qu'ils veulent. Moi qui étais au Palais, je n'ai pas suivi ce qu'ils ont dit. C'est la Radio France Inter qui l'a dit avec la BBC. Alors, il faut écrire à vos patrons pour dire qu'ils ont raconté des histoires ; maintenant, qu'ils reviennent sur la vérité. Voilà et ça, c'est de ma bouche que je le dis.

Ailleurs, peut être que je ne suis pas informé. Quand je serai informé, je vous le dirai ; je n'ai nen à cacher. Merci.

Indépendant : Sur les instructions de qui les armes lourdes qui ont pilonné le Palais des Nations sont sorties du Camp Alpha Yaya ?

Président : Je ne vous dirai pas sur les instructions de qui les armes sont sorties, ni qui a autorisé de pilonner le Palais des Nations ; je le sais, mais parce que, pour le moment je n'ai pas a le dire, je ne vous le dirai pas, je vous dirai quelques informations. Je ne vous dirai pas tout. Si vous savez tout maintenant, peut-étre que ce que vous allez dire va encore envenimer ; parce que le plus souvent, vous parlez bien; des fois vous torpillez. Et moi je veux savoir exactement ce qui s'est passé. Je ne veux pas amuser quelqu'un. Mais tous ceux qui font partie de ce mouvement, tous ceux qui ont tué, tous ceux qui ont bombardé délibérément, nous le saurons. Mais ce sera dit seulement le moment venu. Pour le moment, je ne veux pas vendre mon propre secret.

Horoya : Pour prolonger la question de mon confrère de l'Indépendant, une fois que vous saurez quels sont les responsables de ces agissements la, est-ce qu'ils seront poursuivis ?

Président : Vous savez, le Président de la République, c'est le Président de l'Exécutif ; en Guinée aujourd'hui les institutions républicaines sont en place ; chacun jouera son rôle. Je crois que c'est la seule réponse que j'ai à vous donner.

R.F.I : Monsieur le Président, maintenant que vous êtes le Chef des Armées, vous allez entreprendre des réformes au sein de certains corps militaires ?

Président : J'ai toujours été le Chef des Armées, comme le Président Jacques Chirac en France ; le Commandant en Chef de toutes les Armées et plus que çà, je suis, j'ai toujours été aussi le Ministre de la Défense depuis l'installation de l'ancien Gouvernement. Vous entendez toujours, Ministre à la Présiden chargé de la Défense ; donc c'était moi le Ministre, mais le Ministre avait un champ très large pour pouvoir agir. C'est tout.

Maintenant, pour cette période, je reprends ma place dans le bureau de Ministre de la Défense. Je vais faire des réformes naturellement : je vais changer certgaines choses, juste le nécessaire pour remettre la vie de l'Armée en place.

R.F.I. : Les militaires vous ont présenté 5 points de revendications ; je crois que officiellement on en connaît deux pour l'instant ; un troisième, c'est peut-être l'impunité pour les soldats. La question est consécutive un peu à çà : vous avez parlé de manipulateurs. Est-ce que effectivement ces manipulateurs là - on a parlé de 5 officiers supérieurs - eux aussi seront arrêtés ou pas ? On a dit aussi, je livre tout en vrac, que l'unité nationale, à travers ce coup de force, cette tentative, a été mise à mal ? Qu'est-ce que cela veut dire exactement ?

Je ne sais pas si vous avez suivi la R.T.G. hier soir ; il y a eu l'interview des populations ; il vaut mieux que vous ayez à côté de vous les gens qui comprennent la langue nationale ; qu'ils vous expliquent ce que les populations disent ; l'unité nationale du pays n'a pas été du tout entamée ; tous les Guinéens sont pareils. Je ne sais pas pourquoi en Afrique, vous cherchez toujours à diviser les gens ? Je ne sais pas pourquoi ? Il y a des choses qui se passent en Europe qui sont pires que ce qui se passent en Europe qui sont pire que ce qui se passe ici ; mais dès qu'il y a un tout petit problème ici, on parle soussou, malinke, poular, ainsi de suite ; on dit tout. Ce sont des histoires, je vous le dis nous sommes unis en Guinée et nous resterons unis. Nous avons été unis pour demander notre indépendance ; depuis ça, les Guinéens n'ont jamais été divisés ; on nous divise par les radios, mais les Guinéens sont unis.

Radio Nationale : Monsieur le Président, j'ai une seule question. A la suite des troubles intervenus dans la capitale la semaine dernière, les dégats ont été énormes et considérables. Si nous prenons, par exemple, le cas des opérateurs économiques, quelles sont les dispositions que l'Autorité va envisager pour éviter à la population de ressentir le poids de ces pertes ?

Président : Les Autorités prendront toutes les dispositions nécessaires pour que chaque Guinéen, qu'il soit opérateur économique, qu'il soit citoyen simple, que chacun rentre dans ses droits. Vous m'avez entendu dire hier que tous ceux qui ont volé et qui sont conscients, qui croient en Dieu, qu'ils viennent rendre ce qu'ils ont pris et je ne sais pas si vous êtes au courant, mais les populations des quartiers sont entrain de rendre ce qu'elles ont pris, présentement ; il y en a qui amènent devant leur mosquée ; ils déposent et s'en vont. J'espère que le service de sécurité est à pied d'oeuvre pour récupérer presque tous les véhicules qui ont été volés. Au bout de la route le Prince, il y a une centaine de véhicules qui sont déjà garés. Au Km 36, il y a des véhicules qui sont garés ; sur toutes les routes, les véhicules se garent et je sais que les soldats qui ont pris les véhicules vont tous rendre. Ca leur a été dit hier; ils sont d'accord que chacun rende; et hier, si vous m'avez écouté, j'ai dit que tout le monde a volé. Nous, nous avons volé ; les civils ont volé et j'ai demandé à ces opérateurs économiques, s'ils arrivent à retrouver ce qu'on leur a volé ; Dieu merci. Sinon quand il y a quelque chose qui se passe, il y en a qui paye le pot cassé ; mais ce n'est pas ce qui est pris, qui est important ; il faut maintenant qu'ensemble, vous et nous, surtout vous qui êtes les éducateurs, vous faites en sorte que quand il y a quelque chose de ce genre, que chacun ne se lance pas dans les magasins des autres pour prendre ce qu'il veut ; il faut faire l'éducation du Peuple ; ça c'est votre rôle; nous, nous pouvons faire des décrets ou faire des arrêtés qui ne concernent que certaines catégories ; mais vous, vous avez toute la population, donc aidez l'exécutif à faire son travail, il n'y a que vous qui le pouvez ; alors je vous demande de vous mettre à nos côtés, pas pour nous défendre; nous n'avons pas besoin d'étre défendus ; mais défendez le Peuple de Guinée, s'il vous plaît.

Le Lynx : Monsieur le Président, vous avez hier remplacé, par décret, le Ministre de la Défense, que vous avez révoqué quarante huit heures plutôt. Est-ce qu'on pourrait s'attendre à un remaniement ministériel imminent. Merci.

Président : Mon frère, le problème qui s'est passé ne regarde pas le Gouvernement ; ça regarde l'Armée. Le Ministre de la Défense est le premier responsable de l'Armée, après moi. C'est lui qui a été remplacé. Enlever un ministre ne veut pas dire qu'on va remanier le Gouvernement, je crois. Si les gens sont partis vous voir pour poser la question, dites-leur que même si je vais le faire je ne dirai pas. On vous pose des questions dans le salon, le matin vous venez me poser [la même] question.

Courrier d'Afrique (Montréal): Mon Général, est-il vrai que déjà le jeudi précédant les événements que vous étiez au courant de la possibilité de tels évènements ?

Président : J'étais au courant de toutes les doléances manifestées par les soldats. J'étais au courant. Je suis le Chef des Armées. J'étais même au courant avant d'étre informé. Et les dispositions allaient étre prises depuis ce jour pour dire que nous allons étudier et prendre des décisions. Si je ne suis pas au courant, c'est que je ne mérite pas de gouverner la Guinée, surtout l'Armée. J'étais au courant effectivement des revendications des soldats. Si c'est la seule question et si vous êtes satisfait de la réponse, on peut passer à une autre question.

A.G.P. : Monsieur le Président, je voudrais prolonger la question de Monsieur le Directeur de la Presse Rurale sur l'évaluation des incidents ; vous avez parlé du vendredi, mais je voudrais savoir pour le cas de samedi

Président : Je vous ai dit, si vous connaissez un cas pour le samedi, il vaut mieux nous le dire. Moi je suis informé sur le coup de canon le vendredi et sur le jeune qui a été tué tout près de l'information. Je vous ai dit tout à l'heure qu'il y a d'autres qui ne sont pas encore portés à ma connaissance. Mais à mon sens ou à mon entendement, le samedi il n'y a pas eu de victimes. Pour le moment, je ne suis pas informé. Mais je serai informé au jour le jour.

Radio Nationale (Langue Nationale) : ... Quel est votre message à la population après ces évènements ? Merci.

Président : Merci Madame, merci beaucoup. Vous savez la population guinéenne, c'est la population la plus compliquée du monde, parce que justement elle est la plus simple. Il suffit de lui dire ce qu'il faut pour que tout le monde soit en paix. Notre population est pacifique, sinon ce qui s'est passé hier et avant, au moment des échéances électorales, si ce n'était pas une population mûre comme la population guinéenne, on n'aurait pas fait les élections. Donc moi, je connais la population guinéenne. Moi que vous voyez, je suis né tout près, à Bramaya, Dubréka ; mais j'ai connu Dubréka après la prise du pouvoir ; j'ai visité certains villages de Dubréka. Mais quand tu commences à Boké tu peux faire tout le tour de la Guinée, il n'y a pas un endroit où je ne suis pas connu ; il n'y a pas un village que je ne connais pas. Donc je connais la population guinéenne, chaque catégorie de personnes en Guinée. Je peux vivre bien avec les forestiers, je peux bien vivre en Haute Guinée, au Fouta, en Basse Guinée, surtout à partir de Boffa jusqu'à Koundara. Je connais la Guinée. J'ai dit au moment des élections, quand les gens chantaient sur tous les toits, je leur ai dit : d'abord cherchez à connaître la population guinéenne. Pour bien servir quelqu'un, il faut le connaître et il faut l'aimer. Moi je connais la population ; il ne faut pas l'énerver ; il ne faut pas l'énerver. Certains sont parvenus à l'énerver à certains moments, mais la population s'est ressaisie ; je n'ai pas de problème avec la population ; j'ai des problèmes avec d'autres personnes qui ne connaissent pas les populations guinéennes. Alors ceux qui ont aggravé le problème des soldats eux non plus ne connaissent pas la population guinéenne. Alors, je voudrais que vous disiez à la population ce que je suis parce que vous savez à peu près qui je suis - vous pouvez transmettre mon message, même si je ne vous dis pas quelque chose. Alors dites ce qu'il faut.

La Voie : ... Ce peuple a aujourd'hui peur. Qu'est-ce que ce père de famille [que vous êtes] envisage-t-il pour qu'à l'avenir cela ne se recommence plus ; pour que les défenseurs du Peuple ne lèvent plus les armes contre le même Peuple, contre sa liberté et contre l'homme qui l'incarne ? Je vous remercie.

Président : Je crois, comme on l'a dit tout à l'heure, dès que vous nous aidez à éduquer le Peuple, nous aurons certainement maintenant des chefs dans l'Armée, des chefs qui vont éduquer les soldats dans les mêmes conditions que vous avez éduqué le Peuple. Je crois que si nous parvenons à avoir des chefs qui éduquent nos soldats pour l'intérét du Peuple, nous n'aurons plus de problème avec les soldats. Merci.

Mademoiselle Kaba (Représentante de CNN) : Monsieur le Président, il est heureux que les choses soient rentrées dans l'ordre. La question que je me pose, c'est depuis combien de temps l'Armée revendique une augmentation de salaire et comment la situation en est-elle arrivée là ?

Président : J'ai été mis au courant quatre (4) jours avant le déclenchement de ces opérations. Naturellement un décret ou un arrêté pris concernant l'augmentation des policiers est à l'origine du déclenchement des évènements. C'est à cause de cela que les soldats ont dit il faut augmenter pour nous aussi parce que les policiers ne travaillent pas plus que nous. C'est tout. C'est la seule raison.

Conakry, le 5 février 1996


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