Gouverneur du Territoire
Editions guinéennes. Conakry. 1951. 280 p. cartes, illust.
La Guinée est pour les deux tiers un pays montagneux aux fortes précipitations qui constitue de ce fait le « château d'eau de l'Afrique Occidentale Française » . Ses régions montagneuses qui s'étendent de l'ouest à l'est correspondent à la partie principale du massif Eburnéo-Guinéen; elles se composent de deux zones : Le Fouta Djallon au nord-est, pays d'élevage aux hauts plateaux coupés de profondes vallées et la Région Forestière à l'est, au relief plus tourmenté. De ces massifs dévalent vers le golfe de Guinée, une série de courtes rivières à régime torrentiel : les « Rivières du Sud » qui ont progressivement constitué le long du littoral une large plaine côtière riche en alluvions. Au nord du massif coulent ene direction du Sénégal et du Soudan des grands fleuves majestueux et lents en particulier le Niger et ses principaux affluents. Cet ensemble de vastes vallées fluviales constitue. la plaine de la Haute-Guinée où l'influence se fait déjà largement sentir sur le climat.
Le groupement de cet ensemble en un Territoire administratif unique a été historiquement la suite logique de la conquête. Ce résultat est heureux puisque le bloc guinéen s'est révélé à l'usage économiquement viable et qu'il correspond exactement aux limites naturelles d'une zone qui tourne le dos au port de Dakar et dont tous les débouchés sont orientés vers la côte sud.
Cette composition hétérogène mais, par des éléments se complétant parfaitement les uns aux autres et la richesse naturelle de chacun d'entre eux, font que la Guinée a été de tous temps considérée comme un pays prospère. Cette situation se traduit par un niveau de vie élevé pour ses habitants, un ravitaillement abondant et varié, des conditions d'habitat relativement évoluées.
Mais les conditions économiques qui sont la cause de cette prospérité n'ont pas toujours permis d'apprécier à sa juste valeur l'importance de la production guinéenne. A l'inverse de la plupart de tous les autres territoires africains, la Guinée, en effet, se procure sur place et en abondance la quasi totalité des produits dont elle a besoin et l'exportation ne constitue pour elle qu'un aspect secondaire de son activité. C'est cependant la seule qui apparaît dans les statistiques.
Cette production visible est d'ailleurs loin d'être négligeable. Elle est aujourd'hui en plein développement. La Guinée tient la tête de l'Afrique Française pour la production fruitière et particulièrement pour les bananes avec une culture déjà passée des méthodes extensives aux méthodes intensives et une industrie fruitière naissante qui renforcera les conditions de stabilité des producteurs. Ses exportations de palmiste sont en train de prendre une place considérable dans le commerce de ce produit sur la côte d'Afrique. Enfin, elle jouit d'un véritable monopole sur le marché français pour la fourniture du miel, de la cire et de l'essence d'orange.
Mais c'est la production destinée à la consommation intérieure qui permet d'avoir une véritable idée de la richesse agricole du pays :
Reste enfin le domaine des exportations invisibles. C'est essentiellement celui de notre production minière pourtant considérable. D'abord, notre production aurifère qui, par suite de la réglementation sur l'or, passe entièrement au marché noir et qui représente la moitié de la production totale d'or de l'Union Française. Puis, notre production de diamant de 60.000 carats environ dont les sorties n'apparaissent pas non plus dans les statistiques d'exportation.
Au total, nous arrivons sur la base des prix de 1948 à un bilan de production consommée sur place ou d'exportation invisible d'une valeur de 5.450.000.000 de francs C.F.A. qui vient s'ajouter à une exportation apparente qui dépasse déjà 1.500.000.000.
Tel est le bilan du présent. Malgré ses aspects satisfaisants, il est loin de donner une idée des possibilités d'avenir du Territoire. L'équilibre économique de la Guinée est en effet en cours de transformation radicale. Dans l'ère d'industrialisation dans laquelle entre le continent africain, la Guinée paraît appelée à jouer un rôle de premier plan, car elle dispose de ces deux éléments de base de toute activité industrielle moderne : les matières premières et l'énergie. D'autres chapitres exposeront plus en détail ce que sont nos ressources minières et hydro-électriques ; il est permis d'affirmer qu'elles permettront à la Guinée d'ici peu d'années, si elle le veut, non seulement d'exporter en abondance des minerais de toute sorte, mais encore d'installer sur son sol une industrie métallurgique qui, jointe aux industries de transformation complémentaires de son activité agricole seront le point de départ d'une transformation radicale de son économie. Si l'on ajoute encore les perspectives de culture mécanique du riz dans les vallées et les plaines littorales, il semble que l'avenir dans tous les domaines soit extrêmement prometteur.
Mais pour réaliser cet avenir, un certain nombre de moyens doivent être obligatoirement réunis. Des transformations de cet ordre exigent en effet des capitaux, des hommes et des machines. Il faut que la Guinée ait le courage et la volonté de remplir les conditions nécessaires à leur venue.
L'afflux des capitaux est en train de se dessiner vers la Guinée comme vers tous nos Territoires d'Afrique. Il importe seulement de l'accélérer en ouvrant largement la porte à toutes les initiatives, en les encourageant et en créant en même temps des conditions d'équilibre social et politique qui donneront pleinement confiance pour les investissements de longue durée. La Guinée a d'ailleurs l'immense avantage de jouir d'une tranquillité politique complète grâce à la sagesse de tous les éléments de sa population et elle a su se détacher en temps utile de la course entre les salaires et les prix qui fait peser aujourd'hui sur l'industrie naissante d'autres Territoires une si grave menace.
Les hommes dont a besoin la Guinée, c'est avant tout des techniciens; d'une part, des ingénieurs que seule pendant un certain temps encore, pourra lui fournir la Métropole; d'autre part, des professionnels qualifiés qu'elle peut dès maintenant former dans sa propre population africaine. Quelle que soit leur origine, tous, Blancs et Noirs auront le devoir de s'arracher à la vieille mentalité coloniale de l'à peu près qui dégénère parfois en laisser-aller mais que ne tolère plus aujourd'hui une entreprise mécaniquement outillée et rationnellement organisée.
Quant aux matériaux et aux machines, il semble qu'il n'y ait plus d'obstacles à leur venue, la crise de pénurie étant aujourd'hui conjurée.
En même temps que se constitueront ces moyens, des transformations devront être entreprises parallèlement par les pouvoirs publics et par le secteur privé pour donner au pays les organismes et les structures qu'exige la complexité constitutive d'une économie moderne : d'abord certaines réformes de notre droit et de nos institutions publiques ou privées; il est certain que le passage de la petite culture rurale indigène à la grande culture mécanique, que l'insertion des industries alimentaires dans le circuit de la production agricole, exigent une certaine transformation des institutions coutumières et le développement des organismes collectifs d'économie rurale. De la même manière sur le plan privé, le développement de toutes les branches de l'économie exige que la Guinée soit rapidement dotée d'un système d'assurances et de banques complet, d'une industrie hôtelière, d'un équipement immobilier; il exige encore plus impérativement une évolution des maisons de commerce vers la spécialisation, avec l'équipement que cela suppose en bureaux d'études, magasin de rechange et ateliers de réparation. Puis le développement rapide de l'équipement public devra être entrepris dans tous les domaines. Enfin, nous devrons mettre en marche une machine administrative capable de faire face aux obligations nouvelles qu'entraîne le développement d'une pareille économie.
Telles sont les perspectives d'avenir de ce magnifique territoire; elles n'échappent pas aujourd'hui à la compréhension de la majorité de sa population qui manifeste la volonté de les voir se réaliser en se détournant de plus en plus de toute agitation politique.
Si aucun fait extérieur ne vient troubler l'évolution qui se dessine ainsi, la Guinée peut être certaine que ces magnifiques perspectives deviendront un jour prochain une réalité.
La situation démographique de la Guinée Française
Au 31 décembre 1949, les statistiques indiquent pour l'ensemble de la Guinée une population de près de 2.250.000 habitants, ce qui représente une augmentation d'environ 5 % sur le chiffre de l'année précédente (2.130.000).
La répartition est la suivante :
Européens et assimilés | |
Français | 4.011 |
Etrangers | 2.194 |
Métis d'Européens | |
Français | 790 |
Etrangers | 340 |
Africains | |
Français | 2.240.878 |
Etrangers | 400 |
Total | 2.241.278 |
A ces chiffres il y a lieu, d'ajouter l'élément militaire dont les effectifs s'élèvent, y compris les forces de police, à 3.800 hommes de troupe encadrés de 200 Européens, dont les familles sont comprises dans le total de la population civile.
En comparant ces chiffres avec les statistiques arrêtées au 31 décembre 1947, on constate une augmentation générale, tant chez les Européens français (+ 711 ) ou étrangers (+ 324) que chez les Africains (+ 20.000). Cette augmentation s'est encore accusée au cours des cinq premiers mois de l'année 1950. Le peuplement européen est en voie d'accroissement rapide. Pour la population autochtone, l'accroissement se remarque plus particulièrement dans les cercles suivants :
Kissidougou | +11.500 |
Labé | + 20.000 |
Kindia | + 4.700 |
Dalaba | + 16.500 |
Conakry | + 11.000 |
Subdivision de Mali | + 4,700 |
Dans beaucoup d'autres circonscriptions, l'augmentation varie de 1.000 à 5.000. Est restée stable la population de Gaoual, Télimélé, de Dubréka, de Pita, mais il est probable que cette stabilité est due au fait qu'ont été conservés les résultats des recensements effectués en 1947, année au cours de laquelle tous les cantons de ces diverses circonscriptions avaient été recensés.
Les raisons de ces augmentations sont les suivantes :
La répartition suivant les races, pour ne citer que les plus importantes, s'établit comme suit :
Foulah | 812.000 |
Malinkés et Dialonkés | 533.000 |
Soussous et Bagas | 276.000 |
Kissiens | 146.000 |
Guerzés | 116.000 |
Tomas | 76.000 |
Kourankos | 35.000 |
Bien que la population de la Guinée demeure essentiellement rurale, l'accroissement des habitants dans les centres urbains se poursuit à une cadence à peu près égale.
A Conakry, la population de la commune mixte, c'est-à-dire de l'île de Tumbo dont le recensement précis n'a pu être effectué au cours de l'année, atteint officiellement 36.000 habitants. En fait, elle est très nettement supérieure. D'abord l'agglomération déborde de plus en plus sur la presqu'île de Kaloum dont les villages font de plus en plus corps avec la commune mixte, ensuite ces chiffres ne tiennent pas compte de la population flottante : de nombreux Africains viennent s'installer à Conakry, y demeurent souvent plusieurs mois, repartent, tandis que d'autres les remplacent. On peut, sans crainte d'exagération, estimer la population de la ville et de sa proche banlieue à 45.000 habitants. De nouvelles cases s'élèvent un peu partout dans les environs immédiats de Conakry ; il s'agit parfois d'habitants qui quittent les quartiers surpeuplés de la commune pour s'installer dans la périphérie, mais qui continuent à se faire recenser dans leur ancien quartier. Une vérification complète exigerait un temps considérable et un personnel qui fait actuellement défaut.
Les Français recensés à Conakry au 31 décembre 1949 étaient 1.950 contre 1.540 fin 1947. Leur nombre continue à s'accroître, atteignant 2.100 au 31 mai dernier. Les étrangers sont passés de 675 à 791 en décembre 1949.
Dans la commune mixte de Kankan, la population européenne est passée en 1949 de 160 à 232 Européens français, de 158 à 204 étrangers, de 13.265 à plus de 15.000 Africains.
A Kindia, on note surtout une augmentation de la population africaine, la population blanche demeurant sensiblement la même. La commune mixte compte fin 1948 environ 12,000 habitants.
On note peu de changement à Siguiri (11.000 contre 10.600), à Labé (10.700 contre 10.200), mais Boké passe de 3.240 à 6.900.
La densité de la population de la Guinée demeure faible. Elle reste inférieure à 10 au km2. La mise en valeur des ressources naturelles du territoire, des méthodes modernes de culture, l'amélioration du sol, assureront pendant de longues années la subsistance d'une population dont l'accroissement peut se poursuivre à une cadence rapide, sans que se pose aucune difficulté pour son ravitaillement.
L'accroissement marqué de la population d'origine européenne montre l'effort considérable d'équipement qui est actuellement entrepris par le territoire dans le secteur public et dans le secteur privé.
Bilan de la production guinéenne
On commet souvent l'erreur d'estimer le potentiel économique de nos Territoires d'Afrique d'après la valeur de leurs exportations.
Ce raisonnement néglige complètement l'importance des productions qui sont consommées sur place par la population ou qui donnent lieu à des exportations invisibles, Il risque de faire sous-estimer la valeur économique des pays de production équilibrée où la population parvient dans une large mesure à se suffire à elle-même en produisant les produits qui sont les plus nécessaires à la consommation courante. C'est justement le cas de la Guinée qui, grâce à l'heureux équilibre de son économie agricole, peut vivre largement en consommant les produits de son sol et n'a besoin, de ce fait de n'utiliser qu'une partie de ses revenus à payer les produits d'importation.
Malheureusement, cette situation privilégiée ne se traduit pas par un chiffre important dans les statistiques du commerce extérieur et il en résulte que notre Territoire ne se voit pas toujours attribuer, en matière économique, la place qui devrait lui revenir.
La partie de son activité qui donne lieu à des exportations visibles et par conséquent la seule qui soit comptabilisée dans les statistiques du commerce extérieur ne représente que le tiers de son activité totale. Cette constatation résulte de l'étude comparée des différents postes de sa production.
Voyons d'abord la production' d'exportation. Elle peut être ainsi évaluée, pour une année normale, sur la base des résultats de l'année 1949.
Produits | Tonnes | Valeur en Millions |
Café | 1.315 | 86 |
Bananes | 39.500 | 588 |
Palmistes | 30.370 | 694 |
Miel | 900 | 32 |
Cire | 473 | 44 |
Indigo | 15 | 0,700 |
Agrumes | 1.750 | 24 |
Ananas | 270 | 12 |
Essence d'orange | 125 | 23 |
Sesame | 400 | 12 |
Ce qui fait, au total, pour les produits visibles faisant objet d'exportation, une valeur d'environ 1.515.700.000 francs.
Or, contrairement à ce que beaucoup pensent, les chiffres ci-dessus sont loin de donner une idée juste de l'activité productrice de la Guinée. D'énormes secteurs de celle-ci échappent totalement aux statistiques d'exportation, c'est tout d'abord, dans le domaine minier, notre production aurifère qui représente un tonnage approximatif annuel de 3 tonnes dont la valeur, au cours actuel, est de 750 millions ; notre production de diamant, d'environ 60.000 carats, en grande partie en diamants de joaillerie, représentant une valeur de l'ordre de 60.000.000 de francs. Dans le domaine de l'agriculture, c'est notre production de céréales entièrement consommées sur place par les habitants qui constitue de loin le poste le plus important de la production du Territoire 180.000 tonnes de riz représentant une valeur de 2.800.000 ; 75.000 tonnes de fonio représentant environ 400.000.000 ; 23.000 tonnes de maïs représentant 180.000.000. Ajoutons encore 2.100 tonnes d'arachides de bouche expédiées sur le Sénégal, représentant 10.000.000; 10.000 tonnes d'huile de palme représentant 5.000.000. Volontairement, nous ne tiendrons pas compte de la production d'arachides ordinaires, de manioc, de fruits et agrumes consommés sur place, pour lesquels aucune évaluation n'est possible mais qui représente des tonnages très importants et d'une valeur considérable s'il fallait que ces produits soient importés.
Dans le domaine de l'élevage, on peut estimer à environ 100.000 bovins par an le nombre de bêtes abattues pour la consommation locale, ce qui représente une valeur de 500.000.000. Pour les ovins et les caprins, l'abattage porte sur environ 100.000 têtes représentant une centaine de millions. Il faut encore ajouter la consommation des produits laitiers pour environ 25 millions.
Enfin, il y a le gros poste de la production en noix de colas donnant lieu à de très importantes transactions et à des exportations invisibles de 5 à 6.000 tonnes, au moins, représentant une valeur minimum de 150.000.000 que l'on peut doubler pour avoir une idée de la production totale, compte tenu de la consommation intérieure.
Ajoutons enfin à ce bilan les quelques productions indigènes tel que l'indigo dont la Guinée produit 500 tonnes ; les productions forestières, les industries fruitières (jus de fruit et confiture), les fabrications de savon, le sisal, dont la Guinée produit plus de 600 tonnes valant une trentaine de millions. Nous arrivons à un bilan de production non exporté ou invisible de l'ordre de 5.450.000.000 de francs.
Ainsi, d'un côté, 1.812.000.000 de production apparente et de l'autre, 6.262.000.000 de production réelle.
Compte tenu de ces chiffres, on s'aperçoit que la valeur économique de la Guinée est considérable et on s'explique, dans ces conditions, la richesse et la prospérité de ses habitants qui se traduit par l'allure confortable de leur vie et l'aspect de bonne santé qu'ils présentent en général.
Ce bilan qui correspond au présent est cependant, malgré ses aspects satisfaisants, encore loin de donner une idée de la véritable richesse du Territoire si l'on tient compte de ses énormes ressources minières qui sont actuellement à la veille d'être exploitées, qu'il s'agisse du fer, de la bauxite, de l'or et de tous les autres minerais que recèle la région forestière.
Les perspectives de production, en ce domaine, représentent des milliards de francs pour les années à venir. Si l'on ajoute encore les perspectives qu'offrent la présence d'importantes sources d'énergie hydro-électrique dans le Territoire, celles qui résultent des projets d'extension de la culture du riz dans les vallées et les plaines littorales, de la création de plantations de thé et de quinquina, il est permis de dire que le Territoire guinéen est certainement le plus richement doté de tous les Territoires de l'A.O.F.
Il faut simplement qu'on le sache pour que la Guinée reçoive toujours sur le plan économique, dans les distributions des moyens qui viendraient de J'extérieur, la part à laquelle elle a légitimement droit, en raison de l'importance de son effort producteur.
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