Herman & Cie., Editeurs, 6 rue de la Sorbonne, Paris. 1951. 85 p. + VIII pl. ht.
Actualités scientifiques et industrielles.
L'Homme. No. 2. Cahiers d'Ethnologie, de Géographie et de Linguistique.
Publié avec le concours du Conseil National de la Recherche Scientifique.
Sous le nom de wusamba (d'origine mandingue) nous retrouvons le sistre de calebasse, instrument des circoncis soudanais. Dans le canton de Farmaya, où se pratique une forme simple de circoncision ou d'excision, ne comportant aucune retraite de longue durée, aucune initiation dans la forêt, l'instrument est commun aux garçons et aux filles, chez les Kissi comme chez les Malinké (fig. 2 et 3, ainsi que planche I). Il est inconnu chez les Kissi du sud où danses et chants sont accompagnés principalement par le tambour-de-bois ou par le hochet-sonnaille, selon qu'il s'agit d'initiation masculine ou féminine. L'opposition apparaît nettement dans le village de Foniadu (canton de Mussama Kossilã), où coexistent deux rites différents d'excision : les filles qui pratiquent le sambella (comme dans le canton de Farmaya) dansent avec le sistre, celles qui sont entrées au bundo dansent sur le rythme des hochets-sonnailles. De même, plus au sud, dans les cantons de Walto et de Bongoro, à la limite à peu près de la zone forestière, la circoncision, distincte de l'initiation en forêt, requiert encore l'usage du sistre ; tandis que les filles excisées emploient le hochet-sonnaille. Ainsi se marque la frontière entre les usages de la savane et ceux de la forêt.
Outre un exemplaire ancien que nous vendit une vieille femme du village de Keredu, nous pûmes acquérir auprès des filles qui venaient d'être excisées à Nongoa un certain nombre de sistres neufs. De forme et de dimensions semblables, ils ne différaient que par leur décoration. Ce type d'instrument est fabriqué exclusivement par les garçons : s'il s'agit d'une circoncision, par les circoncis de la classe d'âge précédente ; lors d'une excision, par les futurs époux des petites excisées, ces derniers étant naturellement déjà circoncis. Dans le premier cas le travail s'exécute dans le lieu de retraite, devant les nouveaux circoncis, auxquels l'on enseigne comment se servir de l'instrument et danser avec. Dans le second cas il ne nous a pas été dit si le sistre était fabriqué au village ni par l'intermédiaire de qui il était remis aux filles. Durant leur retraite garçons ou filles n'utilisent pas le sistre afin d'écarter les gens de sexe opposé ; ils ne s'en servent que lors des fêtes marquant la fin de la retraite et pour une danse seulement (yura wusamba ; yura = danse), sur une place du village. Par la suite l'instrument n'est point détruit, mais indifféremment conservé ou abandonné aux enfants plus jeunes qui s'en amusent.
Le manche du sistre est taillé dans une branche d'arbre, à peu près rectiligne, de 53 à 66 cm. de longueur, et de 1 cm. 1/2 à 2 cm. d'épaisseur ; l'extrémité supérieure du manche est coupée environ un centimètre au-dessus d'un point de ramification; un rameau conservé et arqué convenablement forme la tige où sont er filées les rondelles en calebasse ; ce rameau mesure de 33 à 45 cm. de longueur. Manche et tige de suspension ont leur écorce enlevée; seul le manche porte des traits pyrogravés. Les rondelles en calebasse, de 4 à 6 cm. 1/2 de diamètre, au nombre d'une huitaine, ont leur rebord dentelé régulièrement ; elles se nomment bumburã, sans doute pluriel de bimbe, qui désigne l'écuelle en bois et, comme nous le verrons, la sanza dont la table est constituée d'un fragment d'écuelle. La plus petite rondelle est fixée à la pointe extrême de la tige par un mode de ficelage en étoile ; elle forme butoir contre lequel vient heurter la série entière des rondelles. Autour de cette pointe également est nouée une corde en coton, tendue en oblique et dont l'extrémité inférieure boucle autour du manche, généralement dans le creux d'une entaille circulaire pratiquée au bas de celui-ci. La main empoigne le bout du manche, immédiatement au-dessous du point de fixation de la corde. Celle-ci ne sert pas seulement à maintenir arquée la tige de suspension; sur la moitié inférieure de sa longueur, en trois ou quatre points, viennent aboutir des brindilles de bois qui en s'entrecroisant dans l'angle compris entre le manche et la corde, forment un bâti sur lequel se détachent des figures losangées ou carrées en fil de coton de plusieurs couleurs: blanc, jaune, rouge, gris, bleu, noir (fig. 2 et 3). Ces figures' de tailles différentes, sont disposées sur une seule ligne ou en croix ou asymétriquement. Sur la surface de chacune un premier fil, en se développant par un mouvement spiral en quelque sorte, couvre un losange central; un deuxième fil, d'une autre couleur, se développe de la même manière et constitue une bande qui borde les quatre côtés de ce losange; et ainsi de suite jusqu'à ce que la surface entière de la figure soit composée d'un jeu géométrique de trois ou quatre couleurs. Cette ornementation, qui diffère d'un sistre à l'autre, est exécutée par les garçons. Elle se retrouve sur des objets souvent de même matière, à peu près de forme identique, que les ethnographes ont dénommée « Fadenkreuz », « Fadenstern », « thread-cross » et dont ils ont étudié la répartition extraordinairement large à travers le monde : Australie, Mélanésie, Indonésie, Indo-Chine, Assam, Tibet, Californie, Mexique, Guyane, etc.; centre et nord de l'Europe ; enfin Afrique blanche et noire 1. Sur ce dernier continent de pareils objets se rencontrent à peu près dans tout I'ouest, depuis les rives du Niger jusqu'à l'Angola ; on les a signalés notamment, suspendus à des baguettes d'excisées, chez les Malinké, ou à des sistres de circoncis, dans le nord de la Guinée française 2. Vestiges d'une civilisation très archaïque, il semble qu'ils soient employés un peu partout, en Afrique comme ailleurs, dans un but apotropéique.
Le 9 avril 1946, dans le village de Nongoa, nous pûmes assister à la danse aux sistres (yura wusamba) des filles excisées. Celles-ci, disposées en file ; forment un arc de cercle ; elles progressent lentement et font peu à peu le tour de deux tambourinaires. Le sistre est tenu de la main droite. Au début l'instrument est relevé, le haut du manche porté en arrière et presque appuyé contre l'épaule (planche I) : une petite secousse soulève à peine les rondelles qui retombent immédiatement sur la jointure de la tige et du manche. Subitement les filles courbent le buste en avant et secouent à deux temps le sistre, balançant d'un seul trait, en avant ou en arrière, la pile entière de rondelles, sans qu'aucune de celles-ci se détache des autres. Par instants la battue s'accélère légèrement, les filles penchant un peu plus le buste. La danse s'arrête de façon abrupte, le sistre touchant terre (planche I). D'après notre informateur Tyekura, la danse aux sistres des garçons circoncis s'exécuterait de la même manière.
Notes
1. Cf., entre autres, W. Foy, Fadenstern und Fadenkreuz (Ethnologica II-I, Leipzig, 1913, pp. 67-109) ; G. Lindblom, Thread-crosses (Fadenkreuze) particularly in South America and Africa (Ethnos, V, 3-4; juill.-déc. 1940), pp. 89-111.
2. Foy, op cit., p. 95 ; Lindblom, op. cit., p. 105 et fig. 12.
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