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Denise Paulme
Les Gens du Riz
Les Kissi de Haute-Guinée

Paris. Librairie Plon. 1954, 1970. 324 p.


ChapitreIV
Vie économique


La culture matérielle des Kissi est assez pauvre dans l'ensemble excellents cultivateurs, attachés à leur terre, l'on n'en trouverait aucun qui ne travaille pas le sol ; aucun, artisan casté.

Peu de travail du bois : les quelques tabourets que l'on voit de loin en loin sont empruntés aux Toma, ainsi que les sièges où les chefs prennent place aux jours de cérémonie ; la forme, carrée, de ces derniers s'inspire des chaises européennes : quatre pieds très bas, un dossier incurvé fait d'une seule barre horizontale. On peut encore signaler la présence de quelques chaises en fer pliantes, du type courant dans nos jardins publics, spectacle toujours insolite sur une place de village, à plusieurs jours de marche parfois d'une route ; la présence, aussi, de quelques, chaises transatlantiques dont souvent la toile, usée, a été remplacée par une cotonnade indigène. Nous recueillîmes enfin à Bawa, canton de Dembaduno, non loin de Guéckédou, un curieux meuble, fabriqué par son usager: une fourche à trois branches servait de dossier; l'homme était accroupi plutôt qu'assis sur des rondins. Les mortiers, tyèy, kyèy, sont creusés par le forgeron, qui taille aussi les portes dans un contrefort de fromager. Pas de bois sculpté, pas de masques, à la différence de toutes, les sociétés de la forêt atlantique. Les seuls masques en bois que nous vîmes, tout près de Kissidougou, étaient des masques du komo, d'influence nettement soudanaise.
L'écorce d'une sorte de figuier, enlevée au couteau et battue, si elle ne sert plus de vêtement, continue d'être employée à divers usages domestiques : des bandes larges de quelques centimètres, roulées ensemble, forment des coussinets pour poser les calebasses et les poteries ; d'autres servent de liens de suspension aux grandes hottes, en passant sur les épaules et sur le front. En écorce aussi, les collets, les liens qui fixent le chaume ou tiennent assemblées les perches constituant l'armature du toit. Les indigènes battaient jadis l'écorce avec des masses en bois pour l'allonger, en faire des sacs, des couvertures et jusqu'à des cache-sexe.

Les Kissi ignorent le tissage du raphia, en honneur chez leurs voisins Toma. Néanmoins, les femmes kissi se servent de fil de raphia, notamment pour réparer leurs calebasses fendues, travail de patience pour un résultat qui nous paraît mince : l'ouvrière perce de minuscules trous de chaque côté de la fente, y passe un fil de raphia trempé dans de la cire et recoud sa calebasse au point de feston. Dans la confection des vêtements, les aiguilles en fer ont aujourd'hui supplanté les anciennes aiguilles taillées dans une nervure de raphia.
Les paniers contenant le grain, les provisions. sont tressés en général, mais non exclusivement, par les femmes. Ces paniers sont tantôt hémisphériques, tantôt cylindriques (le tèmbo où l'on glisse le poisson pêché). Les plus grands contiennent les réserves de riz ; ils sont de forme oblongue et lutés à l'argile ou à la bouse de vache. Les cages à poules, sasã, ont l'aspect hémisphérique habituel : fond plat, sommet arrondi, une ouverture sur une face.
Seules les femmes préparent les grandes épuisettes de pêche dont l'usage leur est strictement réservé.
Les hommes, de leur côté, tressent les nattes en rotang ou en raphia sur lesquelles on dort, où l'on met sécher le riz, etc... Les lattes sont coupées à la longueur voulue, puis fendues sur toute cette longueur ; le travailleur s'accroupit sur une extrémité des fibres qu'il maintient avec ses pieds et qui forment la chaîne où il fait ensuite passer les fils de trame ; le motif le plus fréquent est en chevrons. Les hommes et tous les garçonnets savent encore préparer des hottes en palmes fraîches, qui seront jetées aussitôt sèches. De forme allongée, les plus grandes d'entre elles, servant au transport des charges de colas, atteignent parfois 1 m. 50 ; elles sont faites d'un rameau de palmes dont les bords tressés constituent les côtés et le fond ; un bandeau frontal et des bretelles en écorce en assurent le port. Les vans, préparés par les jeunes gens, sont des plateaux en vannerie circulaires, aux bords légèrement relevés ; l'emploi de brins noirs tranchant sur le fond clair amène un décor en marqueterie. La plupart des vans sont achetés sur les marchés.
Le coton est planté à peu près à la même époque et dans les mêmes terres que le riz. Toutefois une autre espèce, plus blanche, est plantée seule, un mois plus tard environ. La récolte a lieu au jour le jour, jusqu'à l'arrivée des pluies, où l'on termine la cueillette en une fois. L'égrenage, travail féminin, se pratique selon la technique connue dans tout le Soudan : une poignée de fruits est posée sur un petit bloc rectangulaire, en bois ou en pierre ; sur ce bloc, la femme roule un fer cylindrique, renflé en son milieu. Le cardage se fait aujourd'hui partout à l'aide d'un peigne ; nous n'avons observé nulle part d'arc à carder. Le coton cardé est ensuite filé, toujours par les femmes : le duvet étant enroulé autour de la quenouille, la main gauche élève celle-ci très haut ; le fil s'en détache, un geste rapide de la main droite le tord sur le fuseau qui tourne sur le sol et dont la base est alourdie par une fusaïole en poterie ou en pierre tendre. L'adresse des femmes à manier leur fuseau, le geste par lequel elles étirent et tordent le fil sans jamais, ou presque, le rompre, forme un spectacle toujours fascinant.
Le coton filé est soit tissé dans sa teinte naturelle — travail d'hommes sur le petit métier vertical soudanais — soit teint à l'indigo pour que les fils de couleur foncée, pris dans la chaîne, donnent au tissage les bandes rayées qui entrent dans les étoffes les plus recherchées. Les feuilles d'indigo, cueillies en novembre et décembre, sont foulées aux pieds par les femmes sur une natte, puis étalées au soleil trois ou quatre jours ; après quoi, mises en réserve dans un panier pendu à la charpente du toit, ou aussitôt pilées au mortier et pressées en balles. Seules ou mêlées à des cendres de feuilles de fromager, les feuilles pilées sont jetées dans l'eau d'une poterie où elles macéreront et constitueront le bain de teinture où l'écheveau trempera un jour entier ; trois bains sont nécessaires pour obtenir la teinte la plus foncée. L'odeur pénétrante de l'indigo fait placer ces poteries hors de l'habitation, dans un coin de cour. Jamais nous n'observâmes en pays kissi de ces grandes cuves taillées dans le sol, dont la vue et aussi l'inoubliable odeur qui s'en dégage, signalent en pays soudanais l'approche d'un village, ou d'un quartier, d'artisans castés : hommes corroyeurs et cordonniers, femmes teinturières.

Les quelques potières que l'on rencontre au hasard des courses dans les villages sont des femmes mariées dans le pays, mais pour la plupart d'origine étrangère. La technique se transmet de mère en fille, dispersant les potières après leur mariage. Au village de Keredu, près de Kissidougou, nous vîmes un jour une jeune femme, en visite chez ses parents, reprendre par une sorte de jeu le travail abandonné depuis son mariage. S'emparant d'une ébauche moulée sur le fond d'une vieille poterie, elle montait rapidement son vase sur un plat en bois qu'elle faisait tourner de l'index, la terre recueillie sur une termitière était travaillée à l'aide d'un chiffon humide, d'un lissoir fait d'un fragment de tablette coranique, d'une raclette en fer ; un décor était imprimé sur la panse encore humide par une roulette en bois. Les pots une fois terminés sèchent au soleil plusieurs jours avant d'être cuits en plein vent, sous un tas de bois.
Aux poteries toujours fragiles, les ménagères kissi préfèrent les calebasses et surtout les cuvettes émaillées vendues sur les marchés et dans les boutiques ; certaines de ces cuvettes atteignent d'énormes dimensions, qui les rendent d'un maniement difficile — à tout le moins difficile à concevoir. Pour la cuisson des aliments, toutes les femmes se servent de marmites en fonte pourvues de trois pieds, ou qu'elles posent sur un trépied également en fonte ; marmites et trépieds s'achètent dans les boutiques des centres, ou sur les marchés.

Enfin, à la différence d'autres sociétés africaines, le forgeron kissi, sum'no, pl. sum'da, sudã, n'est pas casté. Il travaille le fer, mais ne le fond pas. La forge, quand le village en possède une, se trouve toujours un peu à l'écart des habitations, sous un toit en paille, en plein air. Le client doit apporter le charbon de bois et manœuvrer les soufflets, si possible fournir le fer. Les soufflets, kura, sont du type à pots en bois, couverts d'une peau et pourvus d'un tube en fer, souvent fait d'un vieux canon de fusil. L'enclume est une dalle en pierre, enfoncée dans le sol ; le marteau, kundue, une masse emmanchée. L'outillage comprend encore des pinces, bafia, de tailles variées. A l'aide de ce matériel rudimentaire, le forgeron fabrique et surtout répare, des fers de hache, tuèy, de houe, dèndo, d'herminette, kanuo ; des couteaux à lame droite ou courbe, lèndu, des coupe-coupe, des poinçons, timole.
Chaque semaine, le forgeron offre sur sa forge une libation de bouillie de riz, dépose une cola en invoquant ses ancêtres :

« Père, mère, qui m'avez engendré, voici du riz, voici des colas ; donnez-moi la santé ; protégez le village. »

Le chasseur partant en expédition déposera une cola en promettant une part du gibier si la chasse est bonne; il n'omettra pas, au retour, d'offrir un morceau de foie sur le panier qui contient les instruments de la forge. Ensuite seulement, les hommes pourront toucher la chair désacralisée.
Le forgeron kissi ne semble pas jouer le rôle social important qui lui est réservé ailleurs — il n'est pas l'allié obligatoire, le pacificateur dont la venue fait cesser toute querelle, qui ne doit pas voir couler le sang. Un tel rôle n'est concevable que si l'homme est casté, donc occupe une situation extérieure au groupe ; ce n'est pas le cas en pays kissi, où les forgerons, tout en exerçant leur métier de père en fils, se marient librement.
Les femmes de chef, ou les plus riches, portent parfois des bracelets, en argent, lourdes torsades ouvertes, de travail malinké. Un orfèvre malinké, installé à Kissidougou, travaillait l'or et l'argent ; très adroit, il réparait indifféremment bicyclettes et machines à coudre, aujourd'hui nombreuses et les meilleurs moyens de propagande de la civilisation occidentale.

De cette rapide énumération, il ressort que la société kissi, bien qu'à peu près dépourvue d'artisans spécialisés, n'ignore pas le principe de la division du travail. Étudiant les modalités du travail dans une société donnée, l'observateur s'efforce souvent de dresser un tableau distinguant des tâches accomplies par hommes et femmes en commun, les tâches spécialisées et celles d'où toute spécialisation est absente. Fidèle dans l'ensemble, un pareil tableau ne correspond jamais à l'exacte réalité, beaucoup plus nuancée et soumise à de multiples contingences. Il arrive ainsi que le besoin de terminer une tâche rapidement, ou le manque de main-d'œuvre, fasse accomplir le travail par tous indistinctement, les femmes se joignant aux hommes pour une besogne en principe assumée par ces derniers seuls, ou, cas exceptionnel, les hommes exécutant un labeur féminin. Nous vîmes néanmoins, lors d'une moisson, des jeunes gens engerber, en l'absence de femmes.
Une autre méthode consiste à prendre une à une chaque activité et voir comment s'y effectue la division du travail. L'industrie du vêtement peut donner une idée de la répartition des tâches : les femmes égrènent, filent, teignent ; les hommes tissent, taillent, cousent. Un autre exemple serait celui de la pêche, qui donne lieu à une division assez subtile : les hommes lancent l'épervier, les femmes pêchent à l'épuisette; chaque année en fin de saison sèche, la collecte du poisson par assèchement des mares s'effectue en commun, les hommes par leurs gestes et par leurs cris effrayant le poisson, le poussant vers les femmes qui présentent les nasses à sa rencontre. On peut encore remarquer que le rythme général du travail diffère de celui que nous connaissons : il est moins soutenu, plus spasmodique — on ne travaille jamais plus que l'on n'y est contraint.
Une différence s'observe dans le temps que les deux sexes consacrent à leurs tâches respectives ; en outre, le rythme de l'effort n'est pas le même. Le travail des hommes apparaît plus varié selon les saisons, demandant un effort physique plus intense, mais moins prolongé ; seuls les hommes montent recueillir le vin de palme au faîte des palmiers. Le labeur des femmes se traduit par une routine quotidienne à peu près invariable, combinant travaux domestiques et surveillance des enfants.
Arrivant dans un village africain, l'observateur étranger cède facilement à une impression de travail surtout féminin : les femmes pilent le grain ou préparent le repas, tandis que les hommes bavardent, assis en groupe sous l'abri central ou sous une véranda. Or le travail masculin s'accomplit presque en totalité en dehors de l'agglomération ; ce n'est jamais dans le village que l'on aperçoit les hommes vraiment à l'œuvre.
Aux heures de repos, hommes et femmes se délassent en accomplissant une légère besogne : les femmes prennent leur corbeille à coton et filent, ou écrasent des amandes de palme entre deux pierres ; les hommes réparent leurs outils, tressent des nattes ou cousent un vêtement. Les Kissi prennent la vie facilement, s'arrêtant de temps à autre pour s'asseoir ou se détendre, échanger un propos, tirer une bouffée d'une cigarette qui passe de main en main. Le problème des loisirs et de leur aménagement ne se pose pas, car le travail accompli correspond strictement aux besoins de la maisonnée : pas de travail forcé à l'intérieur du village.

La vie quotidienne, il est vrai, demeure assez monotone. Un parent vient apporter ses condoléances après une mort, une fille mariée à l'extérieur rend visite aux siens. Les funérailles d'un vieillard et l'initiation des garçons ou des filles constituent encore aujourd'hui les seules occasions de fête, avec danses et chants, avec, aussi, étalage et consommation de force nourritures.
D'une manière générale, la fabrication des outils, d'ailleurs tous très simples, leur réparation surtout — on préfère aujourd'hui acheter ceux que l'on trouve dans le commerce — sont liées à un usage personnel et immédiat : les hommes affûtent leurs couteaux, recouvrent les toits, tressent des nattes, préparent des pièges, tissent. Les femmes réparent leurs calebasses, raccommodent leurs grandes épuisettes. Les maisons sont construites par les hommes pour le gros œuvre : murs, charpente du toit, sa couverture en chaume; les femmes, qui ont la charge de l'entretien de la maison appliqueront le crépiqui recouvre les murs et dameront le sol.

Dans les travaux agricoles, toujours les plus importants, hommes et femmes travaillent côte à côte ; les hommes débroussent, défrichent, retournent la terre avant les semailles ; le riz est semé à la volée par les hommes, mais ce sont les femmes qui dans les jardins plantent taros ou maïs dans les trous creusés par les hommes. Les petits sarclages sont en principe à la charge des femmes. La moisson s'effectue en commun, les homme s coupant les épis que les femmes recueillent pour les entasser. Après la récolte, le transport du grain incomberait plutôt aux femmes, mais les hommes présents donneront un coup de main ; ce sont eux surtout que l'on voit pliés sous le poids des grandes hottes soutenues par un bandeau frontal. Il est rarement question de salaire dans les travaux des champs; néanmoins, on connaît aujourd'hui des jeunes gens que le besoin d'argent pousse à se louer pour la moisson ; en 1949, le salaire demandé par l'un de ces travailleurs agricoles était de 25 fr. C.F.A. par jour, plus le repas de midi. Le grain une fois au village, il appartient aux seules femmes de le préparer pour la consommation.

Les animaux domestiques, moutons et chèvres, errent entre les maisons ou sont confiés à des garçonnets qui les mènent paître aux abords du village, tandis que la volaille est sous la surveillance des femmes, nourrie par les restes du riz, elle picore autour des mortiers.
Très peu de travaux sont en définitive accomplis par un seul individu. Écraser le riz est une tâche fatigante et qui n'a pas besoin d'être effectuée à un moment précis : aussi voit-on souvent deux voisines s'entraider en pilant à deux dans le même mortier. Un chasseur part généralement seul ; mais s'il a tué ou pris au piège un gros gibier, il aura besoin d'aide pour apporter la bête au village ; le découpage de la viande demande plusieurs hommes ; enfin la cuisson sera confiée aux femmes.
On ne constate guère de collaboration entre les villages, sauf peut-être pour nettoyer les sentiers ou entretenir les routes, cela d'ailleurs, sous le contrôle de l'administration. L'union territoriale ne dépasse pas l'échelon de la communauté locale ; l'entente entre ses membres se marque surtout dans des fonctions religieuses accomplies en commun, dans un besoin d'entraide lors de la construction d'une maison ou le travail de la moisson ; jamais dans la distribution de l'eau pour l'arrosage des rizières, dont l'irrigation demeure à peu près inconnue.
Jusqu'à l'arrivée des Européens, les Kissi, produisant à peu près tout ce qui était nécessaire pour leur consommation, vivaient dans une économie, semble-t-il, presque fermée. Cet état de choses est révolu : aujourd'hui, tous les cultivateurs travaillent en vue de l'exportation, vendent leurs récoltes de colas, de café, de palmistes et jusqu'à du riz en quantités plus importantes chaque année : 774 tonnes de riz ont été commercialisées en 1948, 1.300 tonnes en 1949, plus de 1.500 en 1950. L'argent tiré de ces transactions servira d'abord à acquitter l'impôt de capitation (200 fr. C.F.A. en 1949) ; une partie ira grossir la « dot » nécessaire au mariage des fils ; une partie, enfin, permettra d'acquérir certaines commodités chez les commerçants européens, libanais, africains... établis à Kissidougou et à Guéckédou. Des colporteurs fréquentent encore quelques chefs-lieux de canton où aboutissent des routes que peuvent fréquenter les camions ; ceux-ci repartent chargés de sacs de riz ou de café, qui furent entreposés dans des hangars construits par les soins de l'administration.

Peu de marchés, semble-t-il, existaient avant la venue des Européens l'état troublé de la région s'accordait mal avec le fonctionnement d'une telle institution. Encore aujourd'hui, les marchés demeurent peu nombreux et une bonne partie de la population, vivant à l'écart, n'y effectue qu'un minimum de transactions. Les marchés les plus importants se trouvent à des nœuds de communications, tel le marché de Yende Milimu, à mi-chemin entre Kissidougou et Guéckédou, sur une route qui va du Soudan à la Sierra-Leone et que suivent les colporteurs de noix de cola ; ou sont des marchés frontaliers : Albadaria dans le nord, Nongoro à la limite des pays kissi et toma. A Kissidougou et à Guéckédou, le marché est quotidien ; ailleurs, il est seulement hebdomadaire. Commencé le matin, le marché se termine vers deux heures pour permettre à chacun de regagner son village avant la nuit.
On trouve sur ces marchés en plein air tous les produits du pays, présentés par petits tas pour la consommation : riz, bananes, maïs, manioc, tomates, aubergines, piment... ; ainsi que du savon et du tabac indigènes. Les colporteurs malinké (les « dioula ») offrent la pacotille habituelle : verroterie, couteaux, boules de bleu pour la lessive, fil, aiguilles, épingles de sûreté, petites glaces de poche, allumettes, hameçons, cônes de soufre pour soigner les boutons des bébés, cigarettes vendues à la pièce et jusqu'à des cahiers et des feuilles de papier; ils fixent pour chaque objet un prix souvent exorbitant. Un emplacement est réservé aux tissus, toujours très demandés : les bandes de coton indigène, blanc et rayé, jadis employées dans les « dots » (le coton était alors filé par les « sœurs » du mari) sont achetées par des intermédiaires qui les offrent sur les marchés où l'on trouve aussi des percales d'importation, certaines imprimées de motifs inattendus où avions et bracelets-montres voisinent avec des boîtes de conserve ; les femmes porteront l'étoffe roulée autour des reins. En même tissu, des robes destinées aux jours de fête, toutes taillées sur le même modèle, se balancent à des portemanteaux accrochés sur une corde tendue. Les hommes achèteront des shorts et des chemises, qu'ils porteront le plus souvent flottant sur la culotte, elle-même maintenue par une ceinture qui peut avoir été coupée dans une chambre à air hors d'usage. Les chaussures, jadis ignorées, sont aujourd'hui un article important, sandales à lanières, souvent aussi taillées dans l'enveloppe d'un vieux pneu; pour les femmes, dans les centres seulement, mules en cuir ou en toile cirée. On trouve encore sur les marchés des couvertures en coton, de qualité médiocre ; de vieux chapeaux en feutre, des bouteilles vides, des lampes-tempête...

Tous les prix se chiffrent aujourd'hui en argent français. Le tableau suivant donne la liste des produits offerts, avec leur prix, sur le marché de Yende Milimu en février 1946. Avant l'occupation européenne, des fers allongés et tordus aux extrémités servaient de monnaie. On ne les aperçoit plus que sur les tombes ou les autels familiaux , ils reçoivent le sang des victimes aux jours fastes. Mais nous en vîmes encore en usage sur un marché qui se tenait en Libéria, à quelques kilomètres de la frontière et qui ne différait guère en apparence des marchés en territoire français. Les populations libériennes nomment ces fers kissi pennies, mais les Kissi eux-mêmes assurent qu'ils ne sont pas fabriqués dans la région et viennent du pays toma. Les cauris paraissent ignorées comme monnaie.
A l'instar des Européens et des Libanais, un ou deux commerçants kissi se sont installés à Kissidougou, achetant et exportant du riz et du café, offrant en échange les produits que l'on trouve dans tout bitikyo, chez tout commerçant des centres.

Riz 6 fr. la mesure (petite cuvette émaillée pouvant contenir environ 100 gr.)
Maïs 5 fr. les 5 épis
Tomates 0 fr. 50 le tas (une poignée)
Aubergines 0 fr. 50 le tas
Manioc 1 fr. la poignée
Haricots indigènes écossés 1 fr. la poignée
Patates 0 fr. op la poignée
Piment 0 fr. 50 la poignée
Arachides 5 fr. les deux mesures
Gombo 0 fr. 50 le tas
Manioc séché 5 fr. la poignée
Beignets de farine de riz à l'huile de palme 0 fr. 50 pièce
Huile de palme 5 fr. la cuiller calebasse
Boules d'arachides pilées 1 fr. le tas de 5 boules
Poisson séché (petite friture) 1 fr. le petit tas
Coton égrené 5 fr. la poignée
Calebasse cuiller 5 fr. pièce
Calebasse hémisphérique (moyenne) 10 fr. pièce
Oranges 1 fr. les 5
Bananes 0 fr. 50 les 3 ou les 4
Savon indigène 5 fr. les 2 boules
Nattes en fibres de kösa et raphia 37 fr. 50 pièce
Panier hémisphérique 20 fr.
Van décoré 10 fr.

Éventaire d'un colporteura malinké.
Tabac 12 fr. 50 la mesure (petite cuvette émaillée)
Van (grand) 35 fr.
Sel 6 fr. la mesure
Boules d'amidon 1 fr. pièce
Grands bols en bois de 35 à 50 fr. suivant la taille
Fers de hache 25 fr. pièce
Trépied à marmite, en fonte 30 fr.
Chemise en calicot 130 fr.
Coton rayé, la bande d'1 m. environ 10 fr.
Petites poteries noires, sans décor pour l'huile servant aux soins du corps 5 fr. pièce

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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.