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Ethnographie


Jacques Germain
Administrateur en chef des Affaires d'Outre-Mer (ER)
Guinée. Peuples de la Forêt

Académie des Sciences d'Outre-Mer. Paris. 1984. 380 p.


CHAPITRE VII
LA SOCIETE TOTEMIQUE : LE CLAN

Le clan est l'ensemble des individus descendant d'un ancêtre commun qui observent les mêmes interdits; c'est là la seule définition qui puisse en être donnée. Ce que l'administration libérienne appelle « Clan » n'est qu'une division territoriale sans aucune signification dans le domaine qui nous occupe.

Si à l'origine chaque clan occupait une aire territoriale déterminée (la toponymie est là pour l'attester), très rapidement eut lieu un brassage des différents clans manon, kpellé, kono, toma et kissi par alliance, invasion ou simple migration. C'est par l'étude détaillée de ce brassage que l'on peut se faire une idée de l'histoire du peuplement de la région forestière, mais cette étude demande une connaissance approfondie de la nature et de l'organisation du clan.

Le clan est une institution qui se trouve chez tous les peuples de la région forestière de Haute-Guinée et chez leurs voisins, les Malinké et Konianké.

Cependant d'ouest en Est, la place du clan dans l'organisation sociale semble varier énormément.

Pour D. Paulme 28, en pays Kissi il n'existe pas d'intérêts communs aux membres d'un même clan (Kalé) et ceux-ci ne mènent pas d'action commune. Ils ont un ancêtre commun mais ignorent son nom et son histoire ; ils ne rendent pas un même culte à l'ancêtre ou au totem et ne sont unis que par un vague lien de fraternité. Les Kissi qui sont au contact des Toma auraient des liens plus étroits avec l'animal totem.

En pays Toura par contre, B. Holas considère le clan comme un élément beaucoup plus solide de la trame sociale puisqu'il va jusqu'à le qualifier de « pierre angulaire de la bâtisse sociale Toura » 29 le plaçant bien entendu « au-dessus de la famille au sens biologique ».

Nous sommes pour notre part plus nuancé par rapport à l'un et à l'autre en ce qui concerne les clans kpellé, kono et manon. Primitivement, et spécialement au moment des grandes migrations, le clan devait représenter une cellule beaucoup plus homogène et ayant une vie propre plus développée. La dispersion et les brassages ont fait s'estomper certains éléments de cohésion dont l'unité territoriale n'était pas le moindre, en ne laissant subsister qu'un lien moins concret, qui peut, comme nous le verrons, être plus fort entre clans différents unis par une institution typiquement kpellé comme le « kanala ».

Mais D. Paulme nuance son opinion en distinguant le clan proprement dit aux liens distendus et le lignage qui est au fond une branche du clan ayant conservé le souvenir de son ancêtre et sa cohésion territoriale.

Ce que nous avons noté dans le cercle de Nzérékoré et que B. Holas a observé chez les Toura s'applique plus au lignage tel que le conçoit D. Paulme, qu'au clan extensif.

LE NOM DE CLAN ET LES TOTEMS

Le clan Kpellé semble à première vue se différencier du clan Toma ou Malinké par la multiplicité des interdits ou totems que doivent observer ses membres. Alors que le Camara Malinké a pour seul interdit la panthère et que le Guilavogui Toma ne connaît que le chien comme totem, le Niami Manon observera les interdits suivants: chimpanzé, chèvre, gazelle, lézard, tarot et le Boomou Kpellé: le lézard, la chèvre, le mange-mil et le serpent.

Par contre, le clan Kpellé se distingue du clan Toma (et se rapproche du clan Malinké) par le nom du clan, (chez les Toma celui-ci ou Zi est directement en relation avec l'interdit ou Niei :

Camara, Konaté, Traoré, chez les Malinké ; Dela, G'bilé, Maliema chez les Kpellé, sont les noms des clans correspondant aux clans Toma ci-dessus, n'ont pas de lien étymologique avec l'interdit observé.

En pays Kissi, on semble se trouver dans une situation intermédiaire : le fait est relativement rare mais D. Paulme cite des exemples où le nom de clan vient de celui de l'interdit :

De même en pays Toura tantôt le nom du clan reflète l'interdit (les Weigbâmé ne mangent pas de colobe noir que l'on nomme Wei), tantôt n'a pas de rapport étymologique avec lui.

Le nom qui marque l'appartenance à un clan est Diamou en Malinké, Syia en Toura, Zi en Toma. Nous ne l'avons pas noté chez les autres peuples.

Ces interdits alimentaires concernent des animaux ou des végétaux ; on trouve également l'interdiction de s'asseoir sur une natte faite d'une herbe déterminée chez un clan Kpellé et l'interdiction de se vêtir de boubous et de pagnes à rayures pour les membres du clan Loua.

L'origine de ces interdits est parfois ignorée, souvent cependant elle est livrée par la tradition. Non seulement chaque clan a son explication mais deux groupes d'un même clan peuvent donner des explications différentes pour un même totem ou même tout-à-fait contradictoires. C'est ainsi que le clan Ga de Lonhoui dans le Manaleye prétend ne pas devoir manger du chien par reconnaissance pour cet animal qui aurait aidé l'ancêtre à retrouver un esclave qui s'était enfui. Mais la fraction du même clan Ga qui se trouve à Bounouma ne mange pas du chien par crainte de cet animal qui fit un jour mourir un jeune enfant en lui tiraillant le nombril.

En général, aucune intervention divine ou supra-terrestre ne caractérise l'origine de ces différents interdits et chacun d'eux possède une origine différente. Cependant, nous avons noté dans le canton du Moné une tradition intéressante qui tente d'expliquer l'origine du totémisme chez les Kpellé, conservée par le clan Lama de Kabiéta:

« Un jour Dieu rassembla tous les animaux et les hommes sur la montagne G'Bényé de G'Béanta dans le Bénéouli et il dit aux hommes: je vais lâcher les animaux et vous courrez après eux, celui ou ceux que vous attraperez seront désormais vos totems et vous ne devrez pas en manger. Ainsi fut fait et l'ancêtre du clan Lama qui étant malade ne pouvait courir ne put attraper que la tortue, un petit mange-mil et l'herbe que l'on nomme g'bangban) ».

On voit également Dieu intervenir auprès de l'ancêtre du clan Mala. Celui-ci était grand carnassier et mangeait sans pitié tous les animaux qui lui tombaient sous la main. Dieu intervint auprès de lui et lui commanda de respecter au moins la plus petite, la plus fragile et la plus délicieuse de ses créatures, le petit oiseau mange-mil qui devint alors le totem du clan Mala.

Dans la région de l'Ourapeulé on retrouve le souci d'expliquer l'origine générale du totémisme mais cette fois sans trace d'intervention divine ; les traditions recueillies ont trait aux services rendus par les animaux de la forêt à l'occasion des guerres fréquentes qui opposaient les cantons les uns aux autres : lorsqu'une guerre chassait les habitants d'un village, ils suivaient les traces des animaux et là où ceux-ci avaient l'habitude de se reposer ils établissaient le nouveau village. Par reconnaissance, ils recommandaient à leurs enfants de ne pas manger l'animal dont les traces les avaient guidés.

D'après une variante, les fugitifs auraient retrouvé leur village en suivant les traces des animaux qui venaient boire au marigot proche de toute agglomération Kpellé.

Ailleurs, on raconte que lorsqu'un guerrier était tué, c'était un animal qui venait annoncer le décès à la famille. Celle-ci ne devait désormais plus manger la chair de l'animal messager. Enfin une autre légende dit qu'à l'origine tous les animaux étaient domestiques et que chaque clan ne consommait pas la chair des animaux qui étaient à son service.

Ces tentatives d'explication générale de l'origine des interdits sont rares. En fait chaque clan a une explication différente pour chacun de ses propres interdits ou totems.

Cependant, à Niampala dans le Moné, le clan Loua donne une origine commune à tous ses totems : un nommé Diokoly ayant été tué dans son sommeil par un guerrier ennemi, on l'enterra dans le lit du marigot d'Oloya près de Silo. Un habitant de Silo eut un songe où il vit Diokoly lui demander de faire le sacrifice d'un boeuf sur sa tombe deux semaines après les funérailles. Mais le jour du sacrifice on trouva sur sa tombe un coq de bruyère, une tortue et un serpent. Ces animaux furent proclamés protecteurs de la famille de Diokoly qui dut désormais s'abstenir de consommer leur chair.

Nous avons été assez surpris de lire sous la plume de D. Paulme que les Kissi ne fournissaient pas d'explication sur l'origine de l'interdit, se contentant de dire qu'ils le respectaient parce que l'ancêtre avait agi ainsi.

B. Holas estime que la notion de service rendu l'emporte et de loin sur le thème de la mise au monde simultanée par l'ancêtre, de l'animal devenu totem et d'un être humain, établissant ainsi une parenté entre eux et expliquant l'interdiction faite à l'un de manger la chair de l'autre, ce thème étant d'après lui tout-à-fait exceptionnel.

L. Tauxier avait été beaucoup plus catégorique 30 Pour lui chez les Toura l'idée de parenté entre l'animal totem et l'ancêtre est attestée par une filiation commune par rapport à la femme-ancêtre. Et de citer le léopard et l'enfant, le poulet et l'enfant. Comme nous avons trouvé la chèvre et l'enfant en pays Kpellé, le sanglier ou le chimpanzé d'une part et l'enfant d'autre part en pays Manon.

Il admet que le thème du service rendu coexiste mais estime qu'il a un caractère plus moderne et serait le fruit d'une évolution de la mentalité qui refuserait la parenté avec un animal. Et à l'appui il avance le fait que le thème de la parenté ancestrale existerait chez les populations plus primitives (Gagou, Gouro, Toura... et il faudrait alors ajouter Kpellé et Manon) et que celui du service rendu l'aurait remplacé chez les populations qu'il considère comme plus évoluées : Malinké-Bambara-Mossi.

Il y aurait beaucoup à dire sur cette classification entre primitifs et évolués et au surplus les deux thèmes existent chez ceux qu'il appelle primitifs, celui du service rendu étant d'ailleurs plus répandu.

P.M. Gamory-Dubourdeau a noté que chez les Toma, il n'existe aucune croyance a une parenté quelconque avec l'objet de l'interdiction 31.

Il n'est pas fréquent que le Kpellé ou le Manon ait la notion d'une parenté physique directe avec l'animal totem : il n'y a pas en général de descendance mais alliance.

Les motifs d'adoption des interdits peuvent être classés en quatre rubriques

Aucun animal à notre connaissance n'est considéré comme l'ancêtre d'un clan mais certaines ressemblances n'ont pas échappé aux Kpellé et Manon et ils ont conclu à une parenté.

En premier lieu vient le chimpanzé totem du clan Ma (Manon) donné comme parent de l'homme par les fractions de ce clan installées à Yéi et Bounouma dans le Manaleye.

Il est également le totem du clan Kpellé Loua-Mabouan. A Niampala (Moné) on conte l'histoire suivante :

l'ancêtre G'bédé Homo avait demandé aux habitants de son village d'aller l'aider dans les travaux des champs et il envoya les chasseurs tuer une biche pour le repas de ses invités. Mais ils ramenèrent un chimpanzé qu'ils avaient tué à la place de la biche. Quand ils apportèrent l'animal à G'bédé Homo, celui-ci remarqua que le chimpanzé était circoncis et que ses mains ressemblaient à celles de l'homme, aussi refusa-t-il la bête et il interdit aux membres de sa famille de jamais manger de sa chair.

A Kabiéta le clan Holié, qui possède aussi le chimpanzé pour totem, en donne cette explication : l'ancêtre nommé Zouhoubalia était allé un jour à la chasse, il tira un chimpanzé et le blessa. Quand Zouhoubalia s'approcha de l'animal blessé, celui-ci l'attaqua et ils luttèrent jusqu'au soir. Finalement Zouhoubalia tua l'animal mais il était couvert de blessures et il fut gravement malade. Il fit venir alors auprès de lui tous les membres de sa famille et il leur parla disant que le chimpanzé n'était pas un animal sauvage comme les autres bêtes de la forêt, qu'il ressemblait à un homme et que ce devait être un sorcier du village, il ne fallait donc plus le tuer ni manger sa chair.

Cette parenté peut ne pas s'appuyer sur une ressemblance physique, c'est le cas du totem « sanglier » chez le clan Ga de Bounouma (Manaleye) : pendant une famine, une femme du clan se transforma en sanglier pour se nourrir. Elle fut tuée par un chasseur mais avant de mourir elle dévoila son secret. Depuis ce jour, l'ancêtre interdit à ses descendants de manger la chair du sanglier.

Une semi-parenté peut encore s'établir entre l'homme et l'animal, celui-ci avant consommé de la chair humaine est entré en quelque sorte en communion avec l'espèce humaine.

Le clan Kpoula a adopté la souris comme totem parce que celle-ci mordant l'homme endormi lui mangeait parfois un morceau de peau. L'ancêtre du clan Kolié lorsqu'il se trouvait encore dans les savanes du Nord n'avait qu'une seule épouse qui accoucha de deux garçons. Un jour, la panthère attrapa la mère et la mangea. L'ancêtre Yoa Koly vint surprendre la panthère alors qu'elle déchirait la femme de ses dents et de ses griffes. Il interdit à ses enfants de manger désormais la chair de la panthère qui contenait maintenant la personne de leur mère.

De même, l'ancêtre du clan Holié, branche Dela, avait un seul fils, que la panthère mange. Il lança alors ses chasseurs sur les traces du fauve, ils le tuèrent et, le dépeçant, trouvèrent dans ses entrailles le fils de l'ancêtre. Celui-ci interdit alors à toute sa famille de consommer la chair de la panthère.

Parfois, la communion de l'animal et de l'homme ne résulte pas de la consommation de chair humaine par l'animal mais du simple contact avec un objet appartenant à un humain. C'est ainsi que la fraction du clan Niampala installée à Palé dans le Souhoulapeulé rapporte qu'un jour une souris vola le cache-sexe de la première femme de l'ancêtre du clan. Celle-ci menaça de quitter la maison de son mari si le cache-sexe n'était pas retrouvé. On creusa le trou de la souris et on l'y retrouva. Depuis ce temps, il fut interdit aux membres du clan de manger la souris.

Cette semi-parenté de l'homme et de l'animal totem peut être seulement morale. Les membres du clan Sin (Manon) installés à G'bein (Malaneye) disent que le singe capucin ne peut souffrir de fils mâle adulte autour de lui de même que le Manon tient à ce que sa femme ne devienne pas celle de son fils, du moins tant qu'il vit. C'est pour cette raison que le clan Sin adopta le singe capucin comme totem.

Quelquefois cette parenté est une sorte de cousinage, une femme ancêtre du clan ayant accouché à la fois d'enfants humains et d'un animal devenu totem, mais le clan descend de la branche humaine et non de la branche animale c'est pourquoi nous parlons de cousinage. Ainsi en est-il chez les Duolanwã pour la chèvre, les Gamian pour le sanglier, les Mamian pour le chimpanzé.

Pour B. Holas « le motif d'un accouchement par une aieule d'un animal g'ban (totem) ne semble guère courant chez les Toura, le seul cas connu se rapportant à l'interdit imposé aux jumeaux donc à quelque chose n'ayant rien à voir avec le problème totémique. Cet interdit est alors justifié par une légende plutôt vague et obscure narrant le cas d'un ancêtre ayant accouché de deux jumeaux l'un humain, l'autre serpent ».

Ailleurs il écrit « qu'une identité, apparente ou clairement accusée de l'ancêtre et de l'animal secourable relève d'un cycle mythologique archaïque » et plus loin : « seule une analyse très attentive permettra de déceler dans les replis du tissu épique, quelques vestiges fossilisés de la pensée totémiste primitive pour laquelle l'ancêtre et le totem sont encore des notions identiques voir interchangeables » 32.

En fait B. Holas et L. Tauxier n'ont pas des opinions différentes puisqu'il n'y a de divergence que sur la fréquence des thèmes rencontrés dans l'une et l'autre ligne.

Nous pensons par ces exemples cités et qui révèlent plusieurs aspects de cette notion de parenté totémique (ressemblance, communion, cousinage) avoir mis à jour quelques uns de ces vestiges fossilisés en pays Kpellé-Manon.

Enfin, il peut ne plus s'agir de parenté, ni de ressemblance mais d'une simple familiarité. Un jour une famille Niami de Koatei débroussaillait un coin de forêt pour faire un champ ; tous les animaux s'enfuirent sauf la gazelle qui venait même brouter les feuilles de Gombo. Elle fut alors considérée comme participant à la vie familiale et à ce titre adoptée comme totem par le clan Nia.

Les indications fournies par le devin constituent également un mode d'adoption des totems. L'ancêtre du clan Holié, Zouhoubalia, était dans le malheur : ses animaux, ses enfants et ses femmes mouraient en trop grand nombre. Il se rendit auprès d'un devin pour le consulter ; celui-ci lui recommanda de ne plus manger de viande de panthère pour conjurer le mauvais sort. Dès que Zouhoubalia s'en abstint, la chance le favorisa à nouveau.

Un des ancêtres du clan Boo étant malade, sa famille consulta un devin qui répondit que jamais ils ne devaient plus manger de serpent s'ils voulaient que leur frère guérisse.

G'béankafa Téamou, ancêtre du clan Liéba Téa de Bangounai (Moné), n'avait pu avoir aucun enfant depuis son mariage ; le devin consulté lui conseilla de ne plus manger de viande de chèvre, de chimpanzé et de biche Loma. G'béankafa suivit ces recommandations et put engendrer des fils.

Parfois, une anecdote illustre de façon fort plaisante le peu de confiance que le Kpellé rusé et matois a dans la science de ses devins (qu'il consulte pourtant fréquemment dans la vie quotidienne), ainsi que l'ironie et le scepticisme qu'il montre à l'encontre de ses propres traditions.

A G'baéta dans le Moné, le clan Tohona conte que son ancêtre avait un captif qui était un habile chasseur et tuait souvent des biches qu'il apportait à son maître mais celui-ci ne lui remettait jamais sa part. Un jour le maître tomba malade et chargea le captif d'aller consulter un devin. Le captif fit semblant d'y aller et revint lui dire que le devin avait recommandé l'abstention de viande de biche comme remède, sans quoi il se mettrait en danger de mort. Rendu peureux, le maître ne mangea plus de biche et le captif put s'en repaître à volonté.

Dans la grande majorité des cas, l'animal a été adopté comme totem soit par reconnaissance soit au contraire par crainte.

Pour beaucoup de clans, en particulier pour ceux qui possèdent l'escargot comme totem, leur ancêtre serait mort seul dans la forêt et ses enfants auraient retrouvé son cadavre grâce à une file d'escargots allant du village au lieu du décès (clan Kono Lola). Il y a évidemment des variantes : le clan Manon Ma aurait été averti du décès de son ancêtre par le cri du chimpanzé qui aurait guidé ses enfants partis à sa Recherche ; arrivés près du cadavre, ils auraient trouvé une chèvre montant la garde, aussi le chimpanzé et la chèvre devinrent-ils deux des totems de ce clan. C'est la panthère qui, par son cri, aurait rendu le même service au clan Kpellé Dela.

Parfois c'est un vivant qui est sauvé par l'animal ; l'ancêtre du clan Kpellé Hono, encore bébé, était couché dans la case de sa mère, celle-ci s'étant absentée, un incendie se déclara et c'est un chien qui aurait sauvé le bébé en le prenant dans sa gueule pour le transporter sous un bananier.

Un ancêtre du clan Ma poursuivi par ses ennemis se réfugia dans la brousse derrière un buisson où se trouvait une biche, celle-ci s'enfuit et les guerriers ennemis se lancèrent à la poursuite de la biche, abandonnant là le Mami.

Une autre fois, un ancêtre Mami fut emmené prisonnier dans une grotte par ses ennemis. Une biche poursuivie par un chien passa juste au-dessus de lui et creva le plafond de la grotte, le Mami put ainsi s'enfuir par le trou ainsi pratiqué.

Lors d'une guerre un ancêtre de clan N'zébéla avait été fait prisonnier. Les ennemis l'interrogeaient pour savoir s'il était seul dans la forêt. Il répondit que de nombreux camarades se trouvaient avec lui ; ses ennemis étant sceptiques, il lança son appel et des coqs de pagode répondirent des quatre coins de la forêt avec une voix humaine. Les ennemis pris de peur s'enfuirent laissant là leur prisonnier.

Il n'est pas jusqu'aux végétaux qui n'aient rendu service à l'homme : la feuille de la plante Kéya avait servi de radeau au grand-père du clan Kpellé Boo pour traverser une rivière. Un ancêtre du clan Manon Ga voulait s'échapper d'un village envahi par les ennemis : il rencontra sur son chemin un guerrier qui s'élança pour l'attaquer mais l'assaillant glissa sur une feuille de tarot et il tomba ; le Ga put alors se sauver.

Le clan G'ban conte que les ennemis de son ancêtre avaient creusé un trou dans la piste que celui-ci suivait habituellement ; ils en avaient garni le fond d'un épieu empoisonné puis ils l'avaient recouvert de branchages et d'herbes pour dissimuler le tout. Ils hélèrent la future victime qui, sans défense, marcha vers eux mais juste au moment où le G'banmou allait mettre le pied sur le piège, une chèvre accourut du village et tomba sur l'épieu découvrant ainsi la ruse et sauvant l'ancêtre G'banmou.

Le clan Douna conserve la même légende pour son totem qui est également la chèvre et le clan Saoulo pour le mouton.

Les services les plus divers sont rendus par tous les animaux sauvages ou domestiques. C'est le chien qui conduit l'ancêtre égaré du clan Kpellé Hono ; c'est encore lui qui pourchasse les chacals venus dévaster le poulailler de l'ancêtre du clan Manon Gonon.

C'est la panthère qui sauva l'honneur de l'ancêtre du clan Koulé. Celui-ci, lors d'une session d'initiation, avait déclaré qu'il fournirait toute la viande nécessaire à la préparation de la nourriture des jeunes gens. Or, durant la première semaine, ses chasseurs ne lui rapportèrent rien. Au premier jour de la deuxième semaine, il partit trouver la panthère et celle-ci lui promit de venir chaque jour lui apporter le gibier qu'elle aurait tué. Le Koulémou put tenir sa promesse et les jeunes gens eurent toujours de la viande.

Le genre de service rendu peut d'ailleurs être parfaitement étranger à la morale. Le clan Loua-Mabouan a la tortue comme totem. L'ancêtre de ce clan, G'bédé Homo, avait une maîtresse. Un jour, il sut que le mari de cette femme était absent du village, il décida donc d'aller rendre visite à sa maîtresse. En cours de route, il rencontra une petite tortue et la ramassa, puis il entra dans la case de la femme. Mais le mari revint plus tôt qu'on ne le pensait, et s'étonna de la présence de G'bédé Homo auprès de sa femme à une heure aussi avancée et il lui demanda des explications ; G'bédé répondit qu'il avait trouvé une tortue et que, cherchant du feu pour la faire cuire, il en avait vu dans cette case et était entré. Cette explication satisfit le mari peu curieux qui laissa aller G'bédé sans plus d'histoire. Depuis ce jour, toute la famille de G'bédé s'abstint de manger de la viande de tortue.

B. Holas cite deux récits Toura concernant l'un le clan des Goïgbamé qui fuyant l'ennemi purent franchir un fleuve sur le dos d'hippopotames formant un pont pour l'occasion, l'autre le clan des Dwaomé dont l'aïeule fut aidée par une chèvre à porter un canari d'eau trop lourd pour elle 33.

La crainte autant que la reconnaissance peut être à l'origine de l'adoption d'un totem. Ce peut être aussi la répugnance pour l'animal totem : l'escargot à cause de son aspect physique, le charognard parce qu'il se nourrit d'ordures.

Ce peut être la crainte de maladies : spécialement la gale, provoquée par la consommation de la chair de l'animal. Ce peut être également le souvenir de méfaits anciens. Le sanglier mordit un jour à la chasse un ancêtre Gami, la chèvre fit égarer un des vieux du clan qui était aveugle et qu'elle était chargée de guider.

Enfin, signalons la crainte d'acquérir certaines particularités physiques de l'animal dont on consommerait la chair. La viande de panthère mangée par un Delamou fit apparaître des taches semblables à celles de l'animal sur le corps de l'homme. Il en fut de même pour un Mami qui avait mangé de la biche.

Une femme Mabouanmou accouchait chaque fois d'un bébé qui présentait la tête et les quatre membres d'une tortue. Elle consulta le devin et sut qu'elle devait s'abstenir de viande de tortue pour avoir des enfants normaux. Elle suivit ce conseil et s'en trouva bien. Tous ses descendants ne manquèrent pas de l'imiter.

Exceptionnellement deux clans différents, mais ayant le même totem, possèdent la même légende. Deux femmes Manon de deux chefs, l'un du clan Nia, l'autre du clan Sin, cherchant des feuilles de gombo dans un champ trouvèrent le cadavre d'une gazelle. La femme Sinmi fit amener le corps de l'animal dans la cour de son mari. Le chef Niami y vit une insulte et une querelle éclata entre les deux clans. Puis sentant le ridicule de leur dispute, ils décidèrent que les descendants de l'un et de l'autre ne mangeraient pas de gazelle à l'avenir pour éviter le retour d'une telle dispute.

Chaque clan possède plusieurs totems (souvent trois ou quatre) mais tous n'ont pas dû être adoptés d'emblée dès la formation du clan. Peut-être n'en possédait-il qu'un au début et les autres ont été ajoutés par la suite au fur et à mesure des migrations successives.

Très vite le clan a perdu son unité territoriale, unité dont seule la toponymie a conservé le souvenir. Parallèlement le clan a perdu son unité totémique et l'on est parvenu à une très grande complexité. Au premier examen les clans paraissent très nombreux : nous avons noté trente-quatre clans Manon et cinquante-cinq Kpellé-Kono portant des noms différents. Cette multiplicité ne doit pourtant pas abuser et l'on peut débrouiller quelque peu cet écheveau. Deux clans peuvent porter des noms différents et pourtant posséder les mêmes totems et la même origine. Ainsi les clans Koiba et Kinon sont identiques et ont tous deux pour totems : le chien, l'escargot et la biche. Le clan Koïba est venu s'établir à Kinon (Libéria) et les fractions qui ont ensuite émigré à Karana, N'Zao et Loulé (Manaleye) ont pris le nom de Kinon. Réciproquement un même nom peut désigner plusieurs clans possédant chacun des totems différents, ce nom n'a pas alors une signification totémique mais géographique. Il en est ainsi pour le pseudo-clan Nona que l'on trouve à Boma dans le Sonkolé avec le poisson pour totem, à Dissai, Télikolé, G'baolé, Mébéyé, Oulouyakolé dans l'Ounah avec la mangouste, la tortue et le chien pour totems. En réalité, il s'agit de deux clans différents mais tous deux originaires de Fona dans l'Ourapeulé et dont les membres sont englobés sous la même dénomination de Nonanwã, par les habitants des autres régions où ils sont allés s'installer.

Le même phénomène s'est produit pour le pseudo- clan Loulé que l'on trouve à Loulé dans le Sonkolé et qui est formé de diverses fractions de clans venus de Loulé (Manaleye) et dont la majeure partie appartient au clan Ma. Ce sont là des Manon assimilés par les Kpellé au milieu desquels ils se ont établis.

Les Konianké fétichistes venus s'établir dans le Boo et l'Ourapeulé antérieurement à Samory forment eux aussi un pseudo-clan Mani aux totems divers : chien, singe ou éléphant correspondant à différents clans Konianké : Traoré, Kourouma, etc. Enfin, un clan Manon peut changer de nom en s'établissant en pays Kono ou Kpellé (et réciproquement). Il prendra le nom du clan Kpellé qui possède les mêmes totems que lui : le clan Ma prend le nom de Niampala à Guiéla pour cette raison. Lorsque le clan Manon Nia vient s'établir en pays Kpellé il prendra le nom de Tohona par assimilation. Nous avons vu d'ailleurs que leur souche est probablement commune : Nia et Tohona descendant d'un ancêtre commun, Mouhon, établi à Guiépa dans le Tonalé, ce qui facilite l'assimilation.

C'est ainsi que D. Paulme en arrive à donner en pays Kissi plus d'importance au lignage qui serait une sorte de sous-clan à base territoriale qu'au clan-père dont il aurait parfois perdu certains totems, en ayant adopté d'autres au cours d'une existence divergente.

« L'interdit est toujours bien localisé : deux lignages portant le même nom mais habitant des villages éloignés et dont la parenté ne pourrait être précisée, se réclameront souvent d'un interdit différent » 34.

Ces confusions et ces différenciations peuvent également, selon l'auteur, être le fait de l'arrivée de groupes étrangers venant se fixer en pays Kissi qui soit gardent leur ancien nom mais adoptent le totem de leurs hôtes, soit gardent leur totem et adoptent le nom de clan de ceux-ci.

Ceci est fort possible dans l'ensemble de la région forestière où le peuplement se fit en vagues successives et où des groupes Djallonké, Malinké et Konianké s'introduisirent à certaines époques.

Chaque clan peut avoir donné naissance à des sous-clans et à des clans dérivés. Nous appelons sous-clans ceux qui possèdent les mêmes totems que le clan principal mais portent un nom différent, et clans dérivés ceux qui portent également un nom différent de celui du clan principal mais qui ont ajouté d'autres totems à celui du clan principal.

Nous prendrons pour exemple le clan Manon le plus important, le clan Ma. Il a pour totems : le chimpanzé, la chèvre et l'escargot. Il s'est formé (ainsi que nous l'avons vu dans la première partie chapitre IV) à Guiépa dans l'actuel Tonalé, d'où il a émigré dans les cantons du Manaleye, du Manon, au Libéria et dans le canton du G'benson sous le nom de Mô (simple forme dialectale). En certains endroits, il a abandonné son nom d'origine pour prendre celui de son chef de migration, tous ces chefs descendent d'un ancêtre commun : Mahou. C'est ainsi que le clan Ma a donné naissance aux sous-clans des Sagnara G'beni, Diripie G'béni, Boro G'béni, Gué G'béni, Mingoura G'béni, Damey G'béni. Tous ces sous-clans ne sont en réalité que des branches familiales du clan Ma et leur nom signifie étymologiquement Fils de Mingoura, Fils de Sagnara, Fils de Damey. Ils ont les mêmes totems que le clan Ma, toutefois le clan des Damey G'béni a ajouté le Bangui à ceux précédemment cités, il a donc également le caractère d'un clan dérivé.

Le clan a d'autre part donné naissance à deux clans dérivés : le clan G'bélé (connu aussi sous les noms de G'bé et G'bélémo) qui a ajouté la banane au chimpanzé, à la chèvre et à l'escargot, et le clan Zania qui a ajouté l'igname aux totems du clan Ma. Le nom de G'bélé s'explique aisément puisque ce clan est une branche Ma établie à G'bélé (Libéria, Saniquellie District). Celui de Zania est plus obscur.

Nous avons donc le tableau suivant:

Ma GBele
Sagnara G'beni
Diripie G'béni
Boro G'béni
Damey G'béni
Mingoura G'béni
Gué G'béni
Zania

Neuf noms différents et pourtant un seul clan en réalité.

Chez les Kono, le clan Lola par exemple a pour totem l'escargot et se subdivise en Bona (escargot plus chimpanzé), Bira (escargot plus igname), Mossourou (escargot).

Pour certains clans, l'addition de nouveaux totems est accompagnée de l'oubli des anciens, sauf un, à moins que le clan principal n'ait à l'origine qu'un seul totem, et que chaque branche ayant son existence propre, ait adopté d'autres totems qui sont venus s'ajouter au premier sans s'inquiéter de ce qui se passait chez les autres branches.

Les différentes branches du clan Niampala semblent descendre d'un clan initial ayant pour totem la souris et nous voyons la branche installée dans le Moné avoir pour totem la souris et l'escargot, celle installée dans l'Ourapeulé, la souris, le chimpanzé et le serpent, parfois la chèvre. Notons cette fois que s'il y a diversité de totems, l'unité de nom subsiste.

Enfin, des clans géographiquement éloignés les uns des autres et appartenant à des races différentes ne sont peut être que des branches d'un même clan. Ainsi les clans Duola (Kpellé-Toma), Duona (Kpellé), Douna (Kpellé-Kono) doivent dériver d'un même clan ayant pour totem la chèvre et qui s'est formé dans les savanes du Nord entre Missadougou et Touba. Chaque branche a eu son existence propre, s'est alliée aux peuples qu'elle traversait ou qu'elle côtoyait et peut-être ne faut-il voir qu'un clan là où il semble y en pays avoir trois.

Faut-il ne tenir aucun compte des noms de clan Konianké que l'on rencontre au pays Toma, Kpellé, Manon, Kissi, ou Toura ? Une simple analogie de totem accompagnée du désir de se donner une ascendance Malinké-Konianké est souvent la seule raison qui fait appeler Kourouma le Honomou, Doré le Lolamou, Sagno le G'banmou, Soumaoro le Kanimou, Chérifou le Ninamou, Sangaré le Nanamou et Camara le Yomalo ou le Koïvogui. Cependant il faut admettre qu'en certains cas des Malinké ont pénétré en forêt et ont pris le pouvoir dans certaines fractions en conservant le nom de clan.

B. Holas note que : « en l'état actuel de l'évolution, les porteurs de Siya locaux (nom de clan) ont tendance à s'enchaîner par la voie des équivalences pas toujours précises et parfois arbitrairement choisies dans le grand ensemble totémique du complexe ethnique mandé » 35.

Mais à un même clan Toura peuvent correspondre plusieurs clans Mandé. D'après les observations de B. Holas on peut dresser le tableau suivant :

Clan Toura Totem Clan mandé correspondant
Saomé dit Loniogbâmé Léopard Watara, Traore : dans le nord
Dosso, Fofana : dans le sud
Kiyénié Léopard Koné (fraction)
Sôkpagbamé Eléphant Samaké, Soghoba,
Koné (fraction)
Yôzimé Eléphant Koné (fraction)
Boïgbamé Hippopotame Diomandé
Weigbamé Colobe noir Koné (fraction)
Gaomé
Womé
Chimpanzé Bagayogho
Dôonmé Poisson silure Bagayogho (au sud)
Coulibali (au nord)
Niaomé Crocodile Python Igname (parfois hippopotame) Bamba
Tôomé Buffle Sidibé (au nord)
Diomandé (centre et sud)
Naïlomé Python Soumahoro
Glâomé Vipère du Gabon Salifou Aïdara
Déâomé dit Mâgbamé Mange-mil Soumahoro (fraction Tiéalaka)
Gbwégbâmé Chien Touré
Dwaomé Chèvre Diabaté
Loorné Poulet Dosso

Le caractère imprécis et arbitraire que signale B. Holas apparaît ici clairement.

Si l'on tient compte de tout ce qui précède, on voit se réduire considérablement le nombre des clans et la carte de ceux-ci paraît plus aisée à dresser quand de la multitude des clans on a dégagé les quelques grands clans principaux dont sont issus tous les autres. Nous avons cherché jusqu'à quel point on pouvait pousser le regroupement en partant d'observations faites dans la partie Nord de la région Kpellé (Bénéouli-Moné). Dans ces cantons, les Kpellé appartiennent à cinq super-clans :

Cependant, on retrouve sous chacune de ces dénominations les grands clans rencontrés dans le reste du pays Kpellé et l'un est Kolié - Sono ou Kolié-G'balé, Lama Duola ou Lania - G'bogona, Holié-Dela ou Holié Boo, etc.

L'hypothèse suivant laquelle nous nous trouvions là devant les vrais clans initiaux dont par cascades seraient dérivés tous les autres, était extrêmement séduisante. Nous aurions eu ainsi :

Kolié Lama Haba
Kolié Lama Haba
Zohota G'bogona Oualé
Hono G'bana Moné
G'bouro Duola Zogbéla
G'balé

Loua Holié
Loua
N'zebela Dela
Niampala Boo
Mabouan Holié

Malheureusement, n'oublions pas que la base de l'organisation de la Société en clans est le totémisme. Or, il s'en faut, et loin de là, que ces divers clans groupés sous une dénomination commune aient les totems ou au moins un totem commun. Pour le super-clan Kolié, les faits semblaient confirmer l'hypothèse. Les différents clans le composant avaient en commun le totem chien. Mais pour le super-clan Lama, nous avions les totems suivants :

Il y a donc contradiction entre les faits et l'hypothèse.

Comment donc expliquer ces groupements de clans ? Une étude plus poussée doit pouvoir expliquer ces contradictions. Le temps nous a manqué pour le faire. Remarquons simplement que nous trouvons sous l'étiquette Holié deux clans Kpellé : Dela et Boo, qui n'ont certes aucun totem commun, mais qui sont unis étroitement par le Kanala, sorte de fraternité dont nous aurons bientôt l'occasion de parler. C'est peut-être dans cette voie qu'il faudrait pousser les recherches.

L'ORGANISATION DU CLAN — LES RAPPORTS ENTRE LES CLANS

L'animal totem (ou le végétal) constituant l'interdit est appelé N'tana en Malinké, G'ban en Toura, Toumo par les Kono et Niei par les Toma.

L'observation des mêmes interdits unit les membres d'un même clan qui doivent se considérer comme frères et soeurs Ceux-ci ne doivent pas se marier entre eux, le principe est donc celui de l'exogamie. Ce principe est absolu à l'intérieur du clan Dela où hommes et femmes ne doivent même pas s'asseoir les uns à côté des autres. Dans d'autres clans il s'est atténué au point qu'une parenté suffisamment éloignée est seule exigée des futurs. Peut-être que le souci de tourner ce principe est une des raisons de la division des clans en sous-clans, l'empêchement à mariage existant entre deux membres du clan principal mais pas entre membres de deux sous-clans différents.

Selon P.M. Gamory-Dubourdeau, chez les Toma l'exogamie serait très rare en matière de clan et il cite comme exception le clan Guépogui (interdit : antilope guégui.)

Si la femme quitte sa famille pour entrer dans celle de son mari, elle demeure par contre dans son clan d'origine dont elle continue à observer les interdits. Chez les Kono elle cumule souvent l'observation des interdits de son clan et de ceux du clan de son mari. Mais chez les trois peuples considérés (Kpellé, Kono et Manon) durant toute sa grossesse la femme doit observer les interdits du clan de son mari. Cette règle est parfaitement logique et compréhensible puisque les enfants appartiendront au clan du père et non à celui de la mère. Si celle-ci violait les interdits que l'enfant aura à respecter une fois né, elle nuirait au développement du foetus

Chez les Kissi il arrive que les femmes respectent les interdits du mari jusqu'à la ménopause car les enfants à naître pourraient être pollués à travers leur mère.

Inversement, par simple affection, l'enfant peut respecter les interdits de sa mère mais cette coutume ne dépasse guère la première génération 36.

Les enfants légitimes ne sont pas les seuls à appartenir au clan du père ; les enfants naturels même s'ils ne sont pas rachetés et qu'ils vivent dans la famille de leur mère font partie du clan de leur père naturel. Cependant, si l'enfant est non seulement naturel mais encore adultérin, c'est-à-dire si la mère est une femme mariée, il entre dans le clan du mari de sa mère. Les captifs peuvent être l'objet d'une incorporation au clan de leur maître, chez les Toma du moins.

Le ou les totems se transmettent donc par les mâles, il peut arriver cependant que l'adoption du totem du clan de l'épouse soit imposée au clan du mari, comme condition du mariage, par le chef de la famille de l'épouse. C'est ainsi que l'on trouve à Dulapa, dans le Manaleye, un clan G'Bangna qui a pour totems : la chèvre, le chimpanzé, l'escargot et le poulet, c'est-à-dire les totems des clans Ma (Manon) Dans ce cas, ce n'est pas seulement l'adoption d'un nouveau totem qui aurait eu lieu, mais celle du totem principal. Faut-il voir à cela un état antérieur de la Société où la famille aurait été matrilinéaire et où les totems se seraient transmis par les femmes ? Ce n'est pas impossible, mais nous ne possédons pas de faits nombreux et solidement établis pour étayer cette hypothèse. Ce n'est qu'un élément de plus.

Chez la plupart des peuples de la forêt, l'infraction à l'interdit entraîne l'enflure du corps ou la gale ou toute autre maladie de peau, signes de la souillure.

En pays Toma nous dit P.D. Gaisseau 37 en certaines circonstances exceptionnelles un homme peut manger son totem et même épouser une femme de son clan mais il devra accomplir de nombreux sacrifices expiatoires.

Chez les Kissi le pardon ne peut être obtenu ainsi que la guérison, que par une confession publique suivie d'une cérémonie de purification dirigée par le doyen de la branche locale du clan (lignage). Si le totem était d'origine aquatique, l'eau lustrale provenait du point d'eau du village. Sinon on préparait une décoction de plantes ayant poussé près de la tombe des ancêtres ou cueillies en forêt mais sacralisées par un contact avec la tombe. De toute manière l'ancêtre devait être prévenu de la faute et participer à sa réparation 38.

Chez les Toura ce n'est pas seulement le fautif qui est souillé, mais tout le clan et il faut faire appel à un spécialiste, le débomé, qui indique le sacrifice purificateur à accomplir 39.

Les rapports entre totémisme et religion semblent absents ou au mieux très estompés. Aucun culte véritable n'est rendu au totem selon B. Holas, en contradiction là-dessus avec L. Tauxier au sujet des mêmes Toura. Les sacrifices semblent être faits seulement en cas de violation de l'interdit.

Toutefois chez les Kissi il existe des sortes d'autel. Pour le clan Konda qui a le chimpanzé pour totem, cet autel comporte un crâne de singe : on gratte la terre autour du crâne et on la mélange au riz pour obtenir une substance purificatrice en cas de faute.

Le clan Tengano qui a le mange-mil pour totem, érige une cage à oiseau en autel. On conserve dans la cage de la paille et de la bouillie de riz, nourriture des oiseaux, du fonio, nourriture des hommes, qui mélangés donneront également une substance purificatrice 39bis.

Mais on constate que ce culte, si culte il y a, est lié de très près à l'idée de réparation et par là-même épisodique et non permanent ou tout au moins régulier.

Pour P.M. Gamory-Dubourdeau toute trace de culte rendu au totem est absente chez les Toma.

Il existe entre certains clans des liens qui créent une sorte de fraternité, cette fraternité se nomme en Kpellé le Kanala. Ainsi en est-il par exemple pour les clans Boo et Dela.

Cette fraternité semble être née de services réciproques : du temps que les Kpellé vivaient à Missadougou dans l'actuel pays du Konian, la situation était tendue entre Konianké « marabouts » et Kpellé animistes qui vivaient côte à côte. D'un commun accord il avait été décidé que celui qui amènerait de la perturbation sur le marché serait mis à mort. Un Delamou se mit en fâcheuse position et par dévouement, un Boomou (le clan Dela est neveu du clan Boo) se sacrifia à sa place.

Plus tard, alors que les Kpellé étaient entrés dans la grande forêt du sud, un chef Boomou nommé Miao qui avait conduit la migration, était installé à G'pai (Toffaleye actuel). Les habitants avaient construit en son honneur un tumulus sur lequel, par respect, il était interdit de s'asseoir sous peine de mort. Or, ce fut justement Miao qui s'y assit : on ne pouvait faire autrement que de le condamner à mort et il le fut. Mais se souvenant du sacrifice du vieux Boomou, un Delamou s'allongea à la place de Miao pour être égorgé mais au moment où il allait être sacrifié il fut remplacé miraculeusement par un mouton (curieuse analogie avec l'histoire d'Abraham et d'Isaac). Tous les chefs des clans présents posèrent alors les mains sur le mouton et on l'égorgea. Il fut convenu qu'en cas de décès d'un Boomou qui ne laisserait pas d'héritiers de son clan, un Delamou hériterait à sa place. Les liens se maintinrent fermes entre ces clans parents et longtemps le clan Dela de l'Ourapeulé ne fit rien sans demander l'avis du Boo ; il y avait une sorte de vassalité. Il ne faut pas oublier cependant que lorsque le Boo fut en butte aux attaques des Libériens et des Toma, tous les autres cantons (sauf le Sonkolé et le Moné) se jetèrent sur lui et que l'Ourapeulé ne fut pas le dernier à se joindre à la curée.

Le Kanala unit les deux clans en tant que tels mais il constitue également un lien d'individu à individu. Tout Boomou dira de tout Delamou qu'il est son Kanan et réciproquement. Cette fraternité entraîne des conséquences étendues. Outre le devoir d'assistance mutuelle, deux Kanan ne doivent pas voir le sang l'un de l'autre, ils ne doivent pas se voir attachés, ils ne doivent donc se voir ni blessés, ni prisonniers.

Il n'y a pas à proprement parler vol entre deux Kanan : la restitution de l'objet peut seule être exigée, mais sans versement d'une amende.

L'adultère n'a pas les mêmes conséquences : quand il a lieu avec la femme de son Kanan, il n'entraîne pas le paiement de l'amende coutumière, dite d'adultère. Cette fraternité crée en quelque sorte une communauté des biens et des personnes plus forte même que celle existant entre les membres d'un même clan.

B. Holas a observé ce qu'il appelle une « fraternité mystique » qui possède toutes les caractéristiques du Kanala entre deux groupes différents du point de vue ethnique et linguistique. Il s'agit des Kono de G'béké dans le canton de Lola, et des Manon de Bossou 40.

L'origine en serait dans une alliance très ancienne entre les deux groupes dans les guerres qu'ils eurent à soutenir ou plus souvent qu'ils entreprirent contre leurs voisins, en particulier les Kono du Saouro et du Vépo. Cette parenté entraînait le partage du butin et l'échange des femmes entre les deux groupes, l'exogamie régnant à l'intérieur de chacun d'eux.

L'auteur semble s'étonner de ce fait en insistant sur la différence ethnolinguistique des deux groupes et sur les affinités apparemment paradoxales entre leurs systèmes religieux. Il ignorait probablement qu'à défaut de la population Manon du canton, les chefs de Bossou étaient d'origine Kono comme ceux de G'béké (clan Lola) et qu'inversement des Manon du clan Nia d'origine Dan, installés à Zan (l'ancien Bossou) émigrèrent à G'béké. Il pouvait donc exister entre Bossou et G'béké des liens croisés d'origine totémique ou non, expliquant cette fraternité et cette alliance.

Notes
28. D. Paulme. Les gens du riz. Op. cit., p. 87. « La notion de clan se réduirait ainsi à une simple homonymie qui peut avoir été assumée volontairement et dont les intéressés ne se dissimulent pas le caractère toujours arbitraire. Ils justifient cette confusion des noms par des raisons d'utilité pratique, en lui refusant toute valeur affective profonde : le totem est toujours affaire de lignage, jamais de clan ».
29. B. Holas. Les Toura, une civilisation montagnarde. Op. cit., p. 41. « Reflétant des concepts religieux de grande ancienneté, la société Toura est composée d'un nombre assez impressionnant de groupements familiaux ressemblant plus ou moins aux clans des définitions et portant chacun le nom qui fait explicitement ou de façon voilée allusion à l'animal mythique allié souvent éponyme ».
30. L. Tauxier. La religion des Toura. Journal de la Société des Africains, T. 1, fasc. 2, p. 278, Paris, 1931.
31. P.M. Gamory-Dubourdeau. Notice sur les coutumes des Toma de la frontière franco-libérienne. Bulletin du C.E.H.S., A.O.F., Dakar, 1926, p. 315.
32. B. Holas. Les Toura. Op. cit., pp. 43-44
33. B. Holas. Ibidem, p. 44
34. D. Paulme. Les gens du riz. Op. cit., p. 88.
35. D. Paulme. Les gens du riz. Op. cit., p. 90.
36. P.D. Gaisseau. Forêt sacrée. Op. cit., p. 79.
37. D. Paulme. Les gens du riz. Op. cit., p. 93.
38. B. Holas. Les Toura. Op. cit., p. 43.
39. B. Holas. Les masques Kono. Op. cit., p. 49. 40. B. Holas. Les masques Kono. Op. cit., p. 49.


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