17 Mai 2001
Hotel Novotel. Conakry, Guinée
En cette journée de célébration de la Journée Mondiale des Télécommunications de l'UIT, nous sommes réunis pour discuter, entre autres, du thème « Internet : Enjeux, Opportunités et Perspectives ». Guinée*Accès a accepté volontiers l'invitation de la Direction Nationale des Postes & Télécommunications (DNPT) à traiter sommairement de ce vaste triptyque. Pour ce faire, après avoir brossé quelques généralités sur l'espace cybernétique qu'est Internet, nous nous efforçons de mettre l'accent sur l'Afrique et la Guinée, essayant de dégager les points vitaux du développement d'Internet dans nos pays. En guise de conclusion, nous formulons quelques suggestions à l'adresse de l'autorité.
Pour commencer il est peut-être utile de rappeler ce qu'est Internet. Internet n'est pas une entité physique ou tangible. C'est plutôt un réseau géant qui interconnecte des groupes innombrables de réseaux informatiques reliés entre eux. Internet est donc un réseau de réseau qui actualise ce qu'il est convenu d'appeler la famille de protocoles et de normes TCP/IP. La quête pour Internet remonte à 1969, année à laquelle fut lancé un projet expérimental financé par le Congrès des Etats-Unis d'Amérique et supervisé par l'Agence de Projets de Recherche Avancée ou ARPA (Advanced Research Project Agency. Ce réseau expérimental s'appelait alors ARPANET.
Utilisant le système d'exploitation UNIX (incarné de plus en plus par LINUX de nos jours ) et des langages de programmation, notamment C, il reliait des ordinateurs et des réseaux informatiques de l'armée américaine, de firmes industrielles, et des laboratoires universitaires effectuant des recherches sous contrat du Pentagone, le ministère fédéral de la Défense. Plus tard, à travers les Etats-Unis des chercheurs furent autorisés à accéder directement au réseau pour exploiter les ressources de super-ordinateurs situés dans quelques grandes universités et laboratoires de renom. En s'élargissant ARPANET prit d'abord le nom de "DARPA Internet," et finalement "Internet" tout court.
Epousant un véritable esprit d'équipe, les chercheurs développèrent un protocole de transmission stratifié indépendant d'équipement et de technologie propriétaires. Ils appelèrent ce protocole TCP/IP. Les différents Groupes de Travail consignèrent leurs travaux dans des notes appelées Requêtes de Commentaires (Requests for Comments - RFC), publiquement distribuées sur le réseau. Les RFCs ouvrirent ainsi la voie à la notion d'utilisation gratuite de logiciels de base (systèmes d'exploitation) et de la documentation technique fondamentale. Cette tradition s'est de nos jours consolidée et est particulièrement active à travers le mouvement mondial connu sous le nom Source Ouverte.
Internet fut conçu pour fonctionner de comme un système décentralisé, autonome redondant de liaisons entre ordinateurs et réseaux informatiques; un système capable de transmettre des communications rapidement et sans intervention directe ou contrôle humain, tout en maintenant la capacité automatique de réorienter le trafic au cas où une ou plusieurs liaisons tombaient en panne ou devenaient trop encombrées. Entre autres objectifs, ce système redondant d'ordinateurs interconnectés devait permettre la continuation de recherches et de communications vitales, même si des parties du réseau devenaient inutilisables en raison d'une attaque nucléaire "rouge". Les Etats-Unis, à la tête du camp occidental, étaient alors engagés en pleine "guerre froide" avec le Bloc de l'Est, dirigé par l'ex-Union Soviétique. La mission assignée aux chercheurs d'ARPANET était donc de fournir une alternative au cas où les télécommunications publiques étaient détruites par le déclenchement d'hostilités avec le camp adverse.
Pour accomplir cette mission de déploiement d'un réseau national (et par la suite global) de communications, ARPANET encouragea la création of liaisons multiples full-duplex entre ordinateurs et réseaux.
Un message envoyé sur cette redondante série de réseaux informatiques pouvait en quelques secondes suivre différentes routes pour arriver à destination. Au cas où la communication trouvait un obstacle sur une route donnée (à cause d'une attaque militaire, d'une simple défaillance technique, ou pour une autre raison), le message serait automatiquement (sans intervention humaine) réorienté vers un itinéraire fonctionnel.
En plus de cet aiguillage de la communication vers des routes opérationnelles, les unités d'un message Internet, par exemple les mots d'une même phrase ne suivent pas toutes nécessairement le même chemin pour arriver à destination. Internet appliqua au réseau longue distance une technique ayant déjà fait ses preuves en informatique. Il s'agit de la commutation de paquets, radicalement différente de la communication de circuits, utilisée en téléphonie. Les unités d'un message sont groupées en plus petites parties, les "paquets", qui sont envoyés indépendamment à destination, et qui sont ensuite ré-assemblés automatiquement par l'ordinateur destinataire. En général, les paquets d'un message donné empruntent souvent le même chemin vers leur destination. Toutefois, si les routeurs placés sur une itinéraire deviennent inaccessibles ou surchargés, alors les paquets sont réorientés vers des routeurs moins encombrés.
Le processus de maturation du TCP/IP Internet fut plus ou moins concurrentiel étant donné la présence de réseaux similaires. On peut citer, entre autres: SNA, BITNET, CSNET, FIDONET, USENET, et dernier et non le moindre OSI. A l'exception peut-être d'OSI, chacun de ces réseaux (dont certains faisaient double emploi) furent interconnectés les uns aux autres, permettant ainsi aux usagers d'utiliser un ordinateur connecté à n'importe quel de ces réseaux de transmettre des messages aux usagers de réseaux différents.
OSI fait exception car ce réseau théoriquement plus élégant et mieux élaboré que TCP/IP, et qui de surcroît bénéficiait d'un statut plus officiel, — il était parrainé par l'UIT — ne vit pas le jour. A cet égard, la revanche de TCP/IP se résume dans la boutade « OSI est un bien beau rêve, mais c'est TCP/IP qui le vit ».
En 1992-3 le World Wide Web change le visage en se substituant à l'interface intimidante de la ligne de commande. Le WWW fut inventé en 1991-92 au Centre européen de Recherches Nucléaires basé en Suisse par un jeune physicien du nom de Tim Verners-Lee. Se référant à leur tour au prototype du CERN, un groupe d'étudiants du Conseil national de l'Association Superinformatique ( NCSA), basé à l'Université d'Urbana-Champaign (Illinois, USA), créent Mosaic. Le succès immédiat de ce précurseur des logiciels browsers actuels (Netscape Communicator, Internet Explorer, Opera, Mozilla, Konqueror, Lynx, etc.) dépassent les limites de l'imaginable. La popularité du WWW s'explique par la combinaison de plusieurs facteurs :
Mais ce succès a un prix. Ce sont notamment les risques et les incidents de tous genres qui se produisent fréquemment sur Internet , à savoir :
Toutefois, les opportunités offertes par le Web sont nombreuses et l'emportent sur les aspects négatifs ci-dessus énoncés. Ce sont, entre autres :
Pour n'aborder que la Voix-sur-IP, le numéro du mois de février 2001 des Nouvelles de l'UIT considère ce service comme la seconde révolution d'Internet après celle du Web. L'UIT note que :
« L'utilisation croissante des réseaux fondés sur le protocole Internet (IP) pour les services de communication, y compris pour les applications telles que la téléphonie, est devenue une question cruciale pour l'industrie des télécommunications dans le monde entier. La possibilité d'acheminer du trafic vocal sur des réseaux IP, avec tous les problèmes qui en sont les corollaires, mais aussi les débouchés qu'elle offre, notamment au niveau de l'intégration voix/données, devra être marquée d'une pierre blanche dans l'histoire de la convergence du secteur des communications. Elle est également le reflet de la convergence entre deux technologies qui ont vu le jour dans des contextes politiques et réglementaires très différents :
- le réseau téléphonique public commuté (RTPC), fondé sur la technologie de la commutation de circuits et qui, jusqu'à ces dernières années, était fortement réglementé dans la plupart des pays ;
- l'Internet, fondé sur la technologie de la commutation par paquets, et qui s'est transformé en réseau de données est peu, voire pas du tout, réglementé.»
La pièce logicielle centrale d'Internet est DNS. Cette norme permet à Internet de délivrer une vaste gamme de services et produits sur le Web. Sans DNS le chaos s'installe et Internet s'effondre. DNS permet d'établir une correspondance directe entre les noms de domaines (plus faciles à retenir par la mémoire) et les numéros d'adresse unique affectés à tout ordinateur branché sur Internet. Les noms sont ceux des domaines et de machines. Les numéros relèvent de la hiérarchie des trois classes d'adresses couramment utilisées (Classes A, B, C) de la génération actuelle (IP4) du protocole IP. Afriq*Access, Inc., la société-mère de Guinée*Accès, SARL, est l'une des rares compagnies africaines disposant d'une Classe B (165.231.0.0).
Pour comprendre l'organisation hiérarchique d'Internet, il faut employer la métaphore d'un arbre renversé. Les racines nourricières ici sont au sommet, suivies vers le bas par le tronc, les branches et le feuillage. Les racines de l'arbre Internet sont les Serveurs Racines (Root servers). Puis viennent les noms de domaines de top niveau (TLD), les TLD basés sur les codes (ISO a deux lettres) des pays (ccTLD), les domaines, les sous-domaines, les domaines des sous-domaines, etc., jusqu'aux machines individuelles ou hôtes que sont les ordinateurs et les serveurs.
Pour leur part, reconnaissant l'importance du nom de domaine de pays, l'UIT et l'ISO ont attribué à chaque Etat souverain un nom de domaine composé de deux lettres. Le nom de domaine de la Guinée est GN. Nous y reviendrons.
Auparavant, il faudrait rappeler trois défis incontournables, trois problèmes majeurs qu'Internet doit résoudre en ce début de siècle et de millénaire pour réaliser ses promesses et transformer ses vastes potentialités en réalités.
Face à ces défis, quelle est la place de l'Afrique ? Que fait-on en Afrique pour contribuer à résoudre les problèmes mondiaux d'Internet au bénéfice des Africains ?
L'Afrique apparaît comme le parent pauvre dans la recherche des solutions aux dilemmes qui s'imposent à Internet. L'arriération technologique du continent n'a jamais autant évidente qu'à l'ère d'Internet. Au 19è siècle, à la Conférence tenue à Berlin en 1885, l'Europe s'était ruée vers l'Afrique et l'avait dépecée arbitrairement dans sa configuration géopolitique actuelle. A la fin du XXe-début XXIe siècle, l'Afrique a comme disparu des cartes de réseaux électroniques du globe. Cette situation alarmante est à la fois la cause et la conséquence de facteurs bien connus :
Face à ces obstacles majeurs, la situation d'Internet en Guinée est-elle différente ?
On peut tenter de répondre à cette question en examinant successivement :
1. L'utilisation d'Internet par l'Etat et le Gouvernement Guinéens
Internet offre à l'Etat Guinéen un environnement dynamique et un ensemble moyens effectifs pour la promotion des programmes et projets de développement socio-économique du pays. Internet permet aussi, par exemple, aux autorités guinéennes compétentes de contrer efficacement l'intoxication psychologique et la désinformation sur la Guinée.
Pour sa part, depuis 1997, Guinée*Accès publie webGuinée®, le premier site Internet exclusivement consacré à la République de Guinée. Objectif et non-partisan, webGuinée® est le miroir digital des réalités guinéennes. Le site couvre l'histoire, l'économie, la culture, la politique, la géographie de notre pays. Il reçoit en moyenne 200.000 visites par mois et exporte quotidiennement l'équivalent de 500.000 pages d'information sur la Guinée. Entre autres documents-clés qu'il affiche en permanence, on trouve :
Relevant de l'initiative privée, webGuinée® remplirait encore mieux sa mission par l'accès à la documentation publique des divers services de l'administration pour les afficher sur Internet. En ces temps d'épreuve imposés à la Guinée par les attaques aux frontières, webGuinée® pourrait notamment diffuser :
2. Le transfert de la gestion du nom officiel du domaine Internet (GN) de la Guinée
Dans la structure pyramidale d'Internet tous les pays du monde sont représentés par un symbole de deux lettres. Pour notre pays, ce symbole est GN. Il indique l'existence souveraine de l'Etat guinéen. Toutefois, en dépit des interventions répétées de Guinée*Accès auprès des autorités guinéennes compétentes, cette parcelle du patrimoine national est gérée à partir de l'étranger, précisément de l'Oregon (Etats-Unis d'Amérique). Guinée*Accès suggère l'intervention de l'Etat en coopération avec l'Ambassade des Etats-Unis d'Amérique à Conakry pour le transfert effectif de la gestion du nom de domaine GN à Conakry. Les Fournisseurs de services Internet du pays fourniront les ressources humaines, techniques et financières nécessaires au maintien de GN sur Internet aussi longtemps que nécessaire avant la prise en charge par un service d'Etat préalablement préparé et équipé. Des démarches décisives, qui incluent une note diplomatique du Ministère à la Présidence chargé des Affaires Etrangères, devraient être engagées pour aboutir à ce transfert qui n'a que trop tardé.
Outre le rapatriement d'un pan de la souveraineté nationale, la gestion de GN en Guinée pourrait avec une politique adéquate, générer des recettes fiscales non-négligeables.
Prévisions de recettes de redevances annuelles (potentielles) de gestion du nom de domaine GN
|
Tarif GNF |
|
Année |
10.000 | 140.000 | 1.400.000.000 | 2002 |
20.000 | 140.000 | 2.800.000.000 | 2003 |
30.000 | 140.000 | 4.200.000.000 | 2004 |
40.000 | 130.000 | 5.200.000.000 | 2005 |
60.000 | 120.000 | 7.200.000.000 | 2006 |
100.000 | 110.000 | 11.000.000.000 | 2010 |
3. La dichotomie sectorielle et le régime de monopole
La Loi L/015/92 sur les Télécommunications établit notamment une distinction bipartite entre :
Au 21è siècle, cette distinction s'est pratiquement estompée en raison de la numérisation des communications et de l'intégration de l'informatique et des télécommunications. Aussi, la concession par l'Etat à Sotelgui du monopole sur les services de base est-elle devenue plus une charge onéreuse et une mission (l'universalité du téléphone) - impossible à remplir par un seul opérateur - qu'un privilège rentable. Hier, la téléphonie analogique exigeait des investissements élevés que seul un budget d'Etat pouvait supporter. Aujourd'hui, à l'ère du numérique, des ordinateurs sophistiqués de bureau peuvent assurer presque la même fonction de commutation que tout un central téléphonique coûteux. En un mot, l'évolution technologique récente met en question :
Guinée*Accès suggère donc la révision de la Loi L/015/92 afin de
En effet, seule une concurrence saine peut conduire progressivement à la création d'une industrie moderne des télécommunications dans notre pays et hisser la Guinée au rang de leader dans un secteur vital.
4. La régulation du secteur des télécommunications
Une réforme du secteur et une politique viable des télécommunications devraient être précédées et accompagnées par la création d'une administration chargée de la régulation. Une telle administration pourrait être dotée d'une personnalité juridique en soi, ou alors elle pourrait être érigée en une branche principale du Conseil National de la Communication. Les tâches d'une telle administration sont complexes. Elles requièrent :
En créant ou en renforçant une telle entité, le rôle régulateur de l'Etat n'en sera que grandi et rendu plus positif, en raison de:
Internet a toujours été et reste un enjeu, mais aussi un système ouvert qui crée des opportunités et offre à l'humanité des perspectives réelles de progrès. L'Afrique et la Guinée ont tout à gagner en investissant leurs ressources humaines dans la popularisation et l'indigénisation d'Internet. Pour ce faire un intérêt croissant et des sacrifices doivent être consentis par toutes les parties concernées : l'Etat, la société civile, secteur privé, ONG, communautés de base. L'Etat pourrait contribuer largement en examinant et en appliquant, par exemple, les quelques suggestions suivantes.
- A défaut de subventionner les Fournisseurs de Service Internet, au moins leur accorder une exonération fiscale spéciale à long terme ;
- Eliminer les droits de douanes et la TVA sur les équipements et produits informatiques et des télécommunications
- Ramener la gestion du domaine GN en Guinée dans les meilleurs délais
- Recueillir la contribution de toutes les parties concernées en vue de l'élaboration d'un projet de loi sur la politique Internet de la République de Guinée.
Je vous remercie.
Tierno S. Bah Directeur général Guinée*Accès-SARL |
Rue RO-208 Quartier Kipé-IPS Commune de Ratoma Conakry, République de Guinée Tél: (224) 42-23-40 GSM: (224) 25-37-97 Email: tsbah@webguine.site |
Références
Sam Pitroda. “Development, Democracy, and the Village Telephone.“ Harvard Business Review, Nov-Dec. 1993. p.66-80
Communications Decency Act. United States Justice Department. 1996
Richard Hackathorn. “Publish and Subscribe Database Architecture.” Byte, June 1997. p. 51-52
Herb Brody. Wired Science. “Technology Review.” October 1996, pp. 42-51
Cricket Liu, et al. Managing Internet Information Services. O'Reilly & Associates. 1994
James Daly & Gary H. Anthes. “Internet users go on the alert: System breaches push security into spotlight.” Computerworld. Vol 28, no. 7 p. 14
Nouvelles de l'UIT. Mars 2001, p. 5-6
Tierno S. Bah. Mémorandum sur la réforme sectorielle des Télélcommunications en Guinée. Conakry, 1993.
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