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Histoire / Idéologie / Politique
Alpha Condé
Guinée : Albanie d'Afrique ou néo-colonie américaine ?

Paris. Editions Git le Coeur. 1972. 270 p.


Chapitre VI. — L'Indépendance

1. — L'idée d'indépendance en Afrique noire française

Après le vote de la loi-cadre, alors que le RDA manifeste toute sa satisfaction, un certain nombre d'organisations s'élèvent contre ce qui n'est à leurs yeux, qu'une mystification et réclament une indépendance immédiate. Ce sont d'abord, les étudiants. Le 6e congrès de la Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France (FEANF), en décembre 1956, pose comme exigence fondamentale la lutte pour la conquête de l'indépendance politique et la réalisation de l'unité de la patrie africaine. Il engage ses militants à redoubler d'efforts pour accélérer la prise de conscience politique des masses africaines. Les différentes sections territoriales qui la composent, appliquant fidèlement ces directives engagent dans leur pays respectif une campagne en ce sens. C'est le cas des étudiants guinéens, qui lors de leur congrès de juillet 1957 à Conakry se prononcent clairement pour une indépendance immédiate.

En septembre 1957, nait à Dakar le parti africain de l'indépendance (PAI) qui proclame :

Pour la conquête totale du pouvoir politique au moyen de l'indépendance nationale, pour la remise des biens sociaux à ceux qui produisent ces biens, au moyen du socialisme, il est devenu une nécessité historique de créer un parti nouveau. (Le nouveau parti lance comme mots d'ordre) : Indépendance et Socialisme (et estime qu'à) « l'heure historique de Bandoeng et de la décomposition du système colonial et de l'impérialisme, à l'heure où la confusion politique submerge l'Afrique Noire sous domination française, notre devoir d'Africains nous oblige à poser devant les masses de notre pays, le problème de l'indépendance nationale. »

Que va faire le RDA dont le congrès doit se tenir du 25 au 30 septembre 1957 à Bamako, va-t-il opter lui aussi pour l'indépendance ? Le congrès affirme bien que l'indépendance des peuples est un « droit inaliénable » leur. permettant de disposer des attributs de leur souveraineté selon les intérêts des masses populaires. Mais, après ce coup de chapeau à l'idée de l'indépendance, « règle d'or » de la vie des peuples, il propose la réalisation et le renforcement d'une communauté franco-africaine et rejette l'idée d'indépendance. Cependant, à la tribune du congrès, des voix s'élèvent pour revendiquer l'indépendance ; d'abord celles des délégués de la F.E.A.N.F. et du P.A.I. [Leur] plaidoyer :

« La Révolution africaine est décidément en marche. Aucune tempête ne saura en briser le cours. Vive l'Afrique Noire indépendante et libre. Vive l'Union fraternelle de peuples libres et égaux. »

est accueilli, selon l'envoyé spécial de Présence Africaine, par des « applaudissements frénétiques ». Donc si la direction du RDA est hostile à l'indépendance, les délégués de base l'envisagent avec ferveur. Certains même, ne déclarent-ils pas en privé, que ce n'est qu'après avoir expulsé les Allemands et remis les affaires françaises en ordre que la France décida de sa libre volonté de s'associer avec les Allemands sur un pied d'égalité !

Le 7e congrès de la F.E.A.N.F. (27-31 décembre 1957) réaffirme les prises de positions précédentes et déclare que « compte tenu de la nature particulière de l'impérialisme français, l'indépendance doit être conquise, non par une addition de réformes illusoires, mais par une lutte révolutionnaire des masses populaires africaines ». Lors de ce congrès est réclamée l'unité d'action entre étudiants et travailleurs. L'Union Générale des Etudiants de l'Afrique Ouest (U.G.E.A.O.), le Conseil de la Jeunesse d'Afrique (C.J.A.), l'Union Générale des Travailleurs de l'Afrique Noire 1, signent une déclaration commune avec la F.E.A.N.F. dans laquelle, ils se déclarent « acquis à la nécessité de la lutte pour l'unité et l'indépendance nationale » et proclament que :

face à la loi-cadre qui n'a d'autre but que de freiner le processus historique de notre libération, les travailleurs, les jeunes et les étudiants d'Afrique Noire s'engagent à sceller leur unité et à créer les conditions concrètes de la formation d'un front de lutte pour l'unité et l'indépendance nationale.

Si à la fin de 1957, on peut constater que l'éventail des forces sociales favorables à l'idée d'indépendance s'est élargi, l'année 1958 accentue encore cet élargissement avec le congrès du Parti du Regroupement Africain (tenu à Cotonou du 25 au 27 juillet 1958). Lors des discussions sur le programme d'action de ce nouveau parti, qui regroupe l'ensemble des partis opposés au RDA, deux tendances s'affrontent. La tendance opportuniste représentée par Senghor qui mise sur la légalité dite républicaine pour accéder à l'indépendance et fait confiance au général de Gaulle ; la tendance progressiste, partisane de l'action directe, et qui préconise l'indépendance immédiate, au besoin par le recours à des méthodes situées en dehors de la « légalité républicaine ». Des deux solutions présentées, c'est celle d'Abdoulaye Ly, chef de file de la deuxième tendance, légèrement amendée, qui l'emporte à l'unanimité (Senghor s'étant finalement rallié). Cette résolution :

considérant que le colonialisme est, aujourd'hui, condamné par les peuples et contraire à l'esprit de notre temps, caractérisé par la volonté de paix, de fraternité et d'égalité absolue des peuples du monde.

adopte le mot d'ordre d'indépendance immédiate et décide de prendre « toutes les mesures nécessaires » pour mobiliser les masses africaines autour de ce mot d'ordre et de traduire dans les faits cette volonté d'indépendance.

II. — La Guinée et l'indépendance

En Guinée si les débats autour de « l'indépendance immédiate » rencontrent de plus en plus d'échos à partir de 1957, ils avaient fait déjà l'objet de polémique. Le précurseur de l'idée d'indépendance en Guinée, Lamine Kaba, avait, dès 1945, affirmé la nécessité de lutter pour l'indépendance. Quelques intellectuels qui s'étaient ralliés à lui furent rapidement isolés par la tendance réformiste du RDA. Il fallut attendre 1955-1956, pour voir ressurgir de nouveau publiquement l'idée d'indépendance en Guinée, grâce à l'action des étudiants et enseignants. A partir de ce moment, le mouvement s'amplifie et atteint même des responsables locaux du PDG. C'est ainsi que, lors de la conférence préparatoire de Kankan, tenue en l'absence de M. Sékou Touré, mais en présence des autres membres du comité directeur, mandat est donné à la délégation guinéenne au 3e congrès RDA à Bamako de défendre le principe de l'indépendance immédiate. M. Diallo Saifoulaye et M. Ismaël Touré sont choisis comme porte-parole. Mais lors du congrès M. Sékou Touré, retenu, par un heureux hasard (!) sur son lit, enregistre au nom de la délégation guinéenne un discours où il n'est nullement question d'indépendance. Cette attitude provoque des discussions si orageuses au sein de la délégation guinéenne que certains n'hésitent pas à accuser M. Sékou Touré de trahison pendant que d'autres décident de reposer le problème lors des débats. Mais, lorsqu'ils décident d'intervenir pour porter les amendements nécessaires à la résolution finale, M. Sékou s'y oppose.

D'un geste qui ne souffrait pas de réplique, M. Sékou Touré arrêta en effet sur le chemin de la tribune un porte-parole de la section guinéenne qui venait de se lever porteur de contre-propositions 2.

Cependant, en dépit du comportement de M. Sékou, l'idée d'indépendance progresse rapidement en Guinée. La fraction de l'opinion publique représentée par les jeunes et les intellectuels, opte délibérément pour l'indépendance. Assimilant « colonialisme, capitalisme et intérêts des élus », qui peu à peu s'intègrent dans la bourgeoisie et la communauté, intellectuels et masse révolutionnaire, les Etudiants et Elèves de Guinée appelaient tout à la fois à l'indépendance nationale et à la révolution sociale 3.

Le IVe congrès de l'U.G.E.E.C. (20-24 jullet 1958 à Conakry) est dominé par le problème de l'indépendance. Du haut de la tribune de ce congrès, Ly Tidiane Baïdi, président de l'U.G.E.A.O. dénonce la nature réactionnaire de la Communauté et appelle les étudiants à la lutte pour l'indépendance. Le congrès :

considérant que l'avènement de De Gaulle au pouvoir a été imposé par les réactionnaires,
considérant qu'il est l'émanation d'un pouvoir fort et qu'il cherche la restauration de la guerre en Algérie,
dénonce toute manœuvre subversive et décide de mettre sur pieds un comité de défense des libertés démocratiques et se déclare contre le réf´rendum et la réforme de la constitution 3.

Dans les jours suivants, le président de l'U.G.E.E.C. reprend dans une conférence publique les mêmes thèmes :

Nous constatons que le gouvernement de De Gaulle et formé par des hommes qu'il a choisis lui-même et qui possèdent des actions dans diverses sociétés et industries tant en France qu'en Afrique Occidentale Française. Pensez-vous que ces hommes là feront quelque chose contre les impérialistes dont ils font partie ? Pensez-vous qu'ils vont porter atteinte à leurs propres intérêts ; certes, il y a des Africains dans ce Gouvernement… et si, Senghor a refusé d'y participer, c'est parce que son parti lui a imposé son veto, prévoyant une existence précaire à ce gouvernement. Comment voulez-vous que les trusts qui profitent honteusement de nous, puissent faire quelque chose pour notre bien-être 4.

Développant leur action à travers le pays, les étudiants appellent les masses à rejeter la Communauté. La section guinéenne du PRA se joint à eux pour faire campagne pour le « Non». La direction du PDG qui ne veut pas de l'indépendance immédiate se trouve dès lors dans une position difficile. Elle ne peut défendre le statu-quo, car alors, elle risque de se voir débordée sur sa gauche par ses adversaires de la veille. Ne voulant pas de l'indépendance, et ne pouvant non plus défendre le statu-quo, elle opte pour une troisième voie, et déclare que la réponse du PDG ne serait affirmative que si la constitution proclamait le droit au divorce sans lequel le « mariage franco-africain pourra être considéré dans le temps, comme une constitution arbitraire imposée aux générations montantes ». Malheureusement pour les dirigeants du PDG, le général de Gaulle, loin de les suivre, leur lance un défi : « on a parlé d'indépendance, je dis ici plus haut qu'ailleurs que l'indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre le 28 septembre en disant « non » à la proposition qui lui est faite et dans ce cas, je garantis que la Métropole n'y fera pas obstacle». Il ne leur laisse ainsi d'autre choix que la communauté telle qu'il l'entendait, lui, ou l'indépendance avec toutes ses « conséquences ». Ces déclarations du Président du Conseil de la France qui sont accueillies par un tonnerre d'applaudissements, de chants et de danses par la foule massée devant l'assemblée territoriale, mettent au pied du mur les dirigeants guinéens qui tentent encore désespérément d'éviter l'alternative. M. Sékou Touré se rend à Dakar et y obtient l'appui de l'U.G.T.A.N. et du bureau du comité de coordination du RDA. Ces deux organisations font leurs, les propositions de la Guinée. Mais très vite M. Houphouët fait renverser (d'une manière totalement anti-démocratique) le courant en faveur du « oui » au sein du RDA. Les dirigeants guinéens se trouvent seuls, au sein du RDA, à défendre leur position. Dès lors, le choix en faveur de l'indépendance devient inéluctable. L'enthousiasme délirant qui gagne les masses guineennes devant les perspectives de l'indépendance, la campagne en faveur de celle-ci, menée par les étudiants, les intellectuels, les cadres locaux du PDG et surtout par le PRA condamnent les dirigeants à opter pour le « non » s'ils ne veulent pas perdre le contrôle de la population. L'indépendance de la Guinée est donc une éclatante revanche des éléments progressistes qui se relèvent ainsi de leur défaite de 1957.

Notes
1 . 1. U.G.T.A.N. née en 1965 de la fusion de plusieurs syndicats africains.
2. J. Blanchet. Itinéraires des partis politiques africains, p. 49.
3. B. Ameillon, op. cit., p. 59-60.
4. Cité par Ameillon, p. 60.