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Culture & Arts


Frederick Lamp
La Guinée et ses héritages culturels

USIS. Ambassade des Etats-Unis. Conakry. 1992. 64 p.


Brève Introduction à l'Art de la Guinée

La République de Guinée est l'un des pays les plus vastes de la partie de l'Afrique appelée Côte de Guinée. II ne faut pas confondre le pays qui porte ce nom (une ancienne colonie française) avec l'expression géographique d'ou ce nom est tiré, ni avec deux autres pays africains, la Guinée-Bissau voisine (une ancienne colonie portugaise) et la Guinée Equatoriale (une ancienne colonie espagnole) sur la côte d'Afrique centrale.

La Guinée, en forme de demi-cercle allongé, couvre des zones disparates du point de vue géologique, topologique et culturel.

Du point de vue linguistique, on peut diviser le pays d'après les trois grandes familles linguistiques :

Les dialectes Poular sont parlés par divers groupes de Peuls, de Fula ou Fulani et de Toucouleur apparentés 3.
Les populations de langue Mel occupent la côte de Guinée :

Le Mandé comprend les langues mandingues principales (le noyau de Malinké avec les satellites :

En périphérie, se trouve un certain nombre de petits groupes linguistiques sans parenté avec ce qui précède ou avec une parenté très éloignée :

Cette région a été mêlée à certaines des périodes les plus glorieuses de l'histoire culturelle de l'Afrique de l'Ouest. Du 13ème au 15ème siècle, la Haute Guinée a été le centre politique d'un vaste et puissant empire, l'Empire du Mali, créé par l'union de plusieurs royaumes mandingues (Niane 1962). Les griots mandingues racontent l'héroique accession au pouvoir du grand Sundiata Keita, qui a triomphé de l'adversité pour devenir le premier empereur (Niane 1960). Certaines fouilles ont révélé des objets de céramique et de fer sur le site de Niani (Niane 1965, Filipowiak 1979).

Les Kissi de la région de la forêt appartenaient à une culture créée par les peuples de langue Mel, assez continue, qui s'était répandue par la Sierra Leone jusqu'à la mer depuis au moins le 12eme siècle jusqu'au 16eme, pour prendre fin probablement peu de temps après l'arrivée des Européens sur la côte. Cette culture comprenait des peuples dont descendent maintenant les Bullom et les Temné de la Sierra Leone. Au siècle dernier, des agriculteurs, des mineurs et d'autres habitants de la région ont découvert des centaines de figurines en pierre et quelques objets de style semblable en terre et en bois qui remontent à cette période (Neel 1913; Paulme 1954: chap. X; Lamp 1990).

La domination peule sur les plateaux du Fouta-Djalon a débuté vers la fin du premier millénaire, et au 18eme siècle, ils avaient établi une puissante hégémonie théocratique islamique qui s'étendait jusqu'a la côte. Cette domination a provoqué la migration générale d'autres populations autochtones du Fouta, notamment les Baga, les Nalou, les Landuma et les Temne. Elle a aussi instauré l'Islam comme religion dominante dans la région.

A partir du 15ème siècle, les Portugais et d'autres réseaux commerciaux européens ont commence a transformer l'aspect culturel de la région côtière, en introduisant la concurrence du christianisme ainsi que de nouvelles alliances culturelles et économiques. Les commerçants portugais se sont installes parmi les populations de la côte, ont pratique le mariage mixte et adopté les coutumes locales. Leur héritage se retrouve aujourd'hui dans le domaine linguistique et matériel.

Tels qu'ils se présentent au 20ème siècle, les arts se caractérisent par des différences importantes, parfois visibles entre groupes ethniques distincts, mais déterminées le plus souvent par des différences d'une région a l'autre, par-delà les frontières ethniques. Les premières études de l'art africain avaient tendance a regrouper les styles selon les frontières ethniques, en attribuant à chaque tribu un style définitif a partir duquel toutes les variantes étaient considérées comme un style secondaire d'un groupe ethnique donne. Cette méthode était une méthode normale et précieuse, a l'époque, pour classer le volume impressionnant d'objets qui se trouvaient dans les réserves de musées sans indication de provenance ni d'attribution suffisante. La plupart des experts conviennent maintenant que cette classification est parfois erronée et que les styles tendent plutôt a se développer autour d'artistes individuels et de leurs ateliers, dont certains avaient une large audience régionale et d'autres non. Cette école régionale suit souvent les frontières ethniques, mais dans d'autres cas elle dépasse les ethnies et n'est pas universelle au sein d'un groupe ethnique donne. Les centres artistiques décrits ici sont identifies par leurs désignation ethnique dominante, avec les réserves que nous venons d'indiquer.

Les traditions artistiques guinéennes se comprennent mieux articulées autour de trois groupes principaux.

A l'exception récente du troisième groupe, l'art des peuples de Guinée a été mieux étudié hors des frontières de ce pays qu'à l'intérieur, étant donné que la Guinée était devenue relativement inaccessible aux chercheurs de l'extérieur depuis l'indépendance. Ce phénomène se reflète dans la bibliographie à la fin de cet ouvrage.

Dans la première région, la zone de Guinée la plus étendue dominée par les traditions islamiques, des formes artistiques exceptionnelles se manifestent en architecture et en musique, dans la danse et les arts corporels. Les groupes qu'on y rencontre ont été rarement étudiés en Guinée, mais on trouve certains articles, pour les groupes culturels des Peuls et des Toucouleurs, sur les nombreux groupes Mandingues parmi lesquels se détachent particulièrement les Malinké 4, ainsi que ceux des Susu et des Djalonké 5.

Les Peuls sont particulièrement célèbres pour leurs énormes constructions en fibre à dôme, qui servent de mosquées et de résidences royales (Haselberger 1962, Poujade 1948. Prussin 1986). La coiffure Peule est légendaire, avec ses armatures, ses crêtes, ses accessoires et son ornementation (Bowald 1939:15,82 ; Renaudeau 1978 : 133).

Les villages Susu révèlent souvent sur les murs extérieurs des peintures abstraites remarquables exécutées par les jeunes hommes (Haselberger 1962).

La danse Susu, accompagnée par le balafon en bois ou en gourde, a eu beaucoup d'influence sur la côte et a été adoptée par les groupes voisins au cours de notre siècle. Bien qu'ils n'aient apparemment pas de tradition sculpturale, leur récit oral présente des images saisissantes. (Lestrange 1950).

Les Malinké sont célèbres pour leur style musical, puissant et distinctif, (qui entre maintenant sur la scène internationale) caractérisé par le son harmonieux de la gourde à cordes, la kora, et la voix puissante du barde (Bird. et al, 1974, Fodéba 1948). Ils sont aussi très respectés pour leur artisanat de cuir repoussé, aux ornements raffinés (fourreaux d'épée, sacs et talismans islamiques). Dans le passé, les Malinké ont pris une part active à la tradition sculpturale des Mandingues au Mali, mieux connue maintenant chez les Bamana (Bambara), surtout au sein de l'association de forgerons appelée Komo (Koma), avec ses terrifiants masques de justice zoomorphes (Cissé & Dieterlen 1972, Holas 1948, McNaughton 1979& 1988). Aujourd'hui, les traditions comme celles des marionnettes, du géant Waraba (le Lion) et Konkoba, encore plus imposant, avec ses assistants, continuent à animer les fêtes Malinké (Proschan 1980, Arnoldi 1988).

Dans l'étroite région forestière qui borde la Sierra Leone, le Libéria et la Côte d'Ivoire, il existait d'importantes traditions de masques chez les Kpellè, les Mano et les Kono de l'Est 6. Au coeur de l'organisation sociale on trouve l'association masculine du Poro, caractérisée par sa puissance, sa hiérarchie et l'extrême secret dont elle s'entoure ; elle se rattache historiquement à une tradition culturelle identifiable de sociétés masculines socio-politiques qui portent ailleurs le même nom. Poro, et qu'on retrouve dans la plus grande partie de la Sierra Leone et au nord du Libéria. Le corpus de représentation des esprits, qui comprend de petits masques faciaux en bois, des costumes de raphia et des éléments en tissu et une profusion d'insignes et de costumes de danse, appartient à un ensemble culturel et stylistique mieux connu cependant chez le peuple Dan au Libéria et en Côte-d'Ivoire, qui n'appartient pas au groupe Poro (Fischer & Himmelheber 1976).

La région maritime de l'Atlantique, à l'ouest, abrite une tradition qui est généralement attribuée simplement aux Baga qui habitent le long de la côte. Mais un certain nombre de petits groupes adhèrent à certains principes culturels centraux et forment un groupe rituel, notamment les Nalou au nord, les Landuma un peu plus vers l'intérieur, les Pukur, et les Buliņits (Appia 1943, Bowald 1939, Lamp 1985, Paulme 1958, Sampil 1961, da Silva 1956). Comme les lointains peuples de la forêt, ces peuples de la côte ont créé des masques faciaux avec des costumes, mais ils se sont davantage concentrés sur des coiffes en bois de grande taille qui pèsent souvent jusqu'à 50 kilos. Notons parmi eux plusieurs types différents de masques animaux portés à l'horizontale, certaines superstructures verticales immenses et un grand nombre de bustes féminins portés sur la tête du danseur pendant la danse, en général caractérisés par des motifs de couleur brillante. L'esthétique penche vers une forme de sculpture figurative plutôt naturaliste, qui se distingue par de gros yeux protubérants et un long nez aquilin, des caractéristiques qu'un peut retrouver avec des styles différents à travers un vaste corpus artistique. Les tambours figuratifs monumentaux sont également importants. Ces traditions n'ont jamais pénétré très loin vers l'intérieur, et étaient partagées par les villages isolés de la côte comme le principal moyen de créer une cohésion sociale et politique.

Plusieurs autres traditions des pays voisins passent très légèrement les frontières de la Guinée, quelques-unes méritent également d'être mentionnées parmi les arts de la Guinée. A l'extrême nord de la Guinée Moyenne, les Bassari et les Coniagui présentent une tradition artistique isolée qui se rattache aux peuples apparentés de l'autre côté de la frontière du Sénégal (Delacour 1912-1913 & 1947, Izart 1934, Lestrange 1955, Lestrange & Gessain 1976, Martin-Martinière 1949). Cette tradition consiste en une ornementation corporelle compliquée, notamment des costumes impressionnants en fibre et des superstructures de danse.
Les Limba s'étendent en profondeur de la frontière sud de la Guinée Moyenne jusqu'au nord de la Sierra Leone. Les Limba (Finnegan 1965, Ottenberg 1983, 1988a-b) ont une tradition artistique intéressante (DeCourse 1989, Hart 1989), qui comprend notamment des trompettes figuratives en bois utilisées par l'association des hommes Gbangbani (Lamp 1978), quelques masques en cuivre (Hart 1988), et un tissu rituel teint de boue, bien qu'il ne soit pas sûr que ces éléments apparaissent dans leur secteur guinéen, étant donné qu'aucune recherche n'y a été accomplie.

A la fin du 19ème siècle, la France avait établi son protectorat et commencé un programme énergique de transition culturelle. L'administration française dans toute la première moitié du 20ème siècle a mis en évidence les traditions artistiques par-delà les divisions ethniques, provoquant ainsi une certaine expansion culturelle. Mais surtout, les Français ont exporté des oeuvres artistiques en gros afin de satisfaire à la demande du marché florissant d'art primitif à Paris, ce qui a engendré une raréfaction d'objets de qualité pour l'usage local et un artisanat de faux artistiques.

Mais le changement le plus dramatique de l'histoire culturelle connue de la Guinée s'est produit pendant la période de 1955 à 1984, ironiquement avec le passage à l'indépendance, avec l'institution de l'Islam comme religion d'état, et la ruine de la base du pouvoir rituel autochtone. Le démantèlement des structures traditionnelles a commencé sur la côte en 1955-58 avec la conversion forcée des populations Baga et la confiscation presque complète des quelques objets rituels qui subsistaient encore. En 1959-60, un programme de démystification a été instauré, en vertu duquel des peines sévères pour les pratiques rituelles traditionnelles de toute sorte ont été appliquées au cours des deux décennies suivantes. Ce programme avait surtout pour cible la région de la forêt, et a provoqué la destruction complète de l'art rituel (Rivière 1969, & 1977 : 232-33).

Là encore, ironiquement, la politique de l'Etat a aussi encouragé l'intérêt pour les traditions folkloriques, accaparées par l'Etat marxiste et totalitaire, ce qui a permis de développer une troupe de danse nationale, les Ballets africains (Rouget 1956), qui jouit déjà d'une réputation internationale, et la construction d'un système de musées dans tout le pays. Au premier plan se trouve le Musée national de Conakry, placé sous le contrôle direct de la Direction du patrimoine, relevant plus généralement de la Direction nationale de la Culture, et finalement, du Ministère de l'Information, de la Culture et du Tourisme. Le Musée national et la Radio-télévision guinéenne ont encouragé les arts du spectacle par une programmation plutôt énergique.

Au moment où ces lignes sont rédigées, il est difficile d'apprécier si les changements des quarante dernières années seront extrêmement durables. Le régime au pouvoir depuis l'indépendance a été renversé en 1984 et les restrictions imposées à la religion autochtone ont été annulées. Sur la côte, les Baga ont entrepris une rapide reconstruction au moins de l'aspect artistique de leur culture traditionnelle, bien qu'il n'y ait pas grand chose à faire pour réinstaurer la structure rituelle. D'autres groupes ethniques se mettent aussi à réexaminer leur patrimoine culturel sous un angle plus positif.
Il reste à évaluer l'étendue et la profondeur de cette renaissance. Dans un nouveau climat de bonne volonté, la fierté culturelle renaît et la recherche objective sur l'art et les rituels est maintenant encouragée.

Dans cet ouvrage, nous nous pencherons plus attentivement sur deux des principales zones de production artistique en Guinée :

J'espère que le patrimoine artistique de la Guinée étudié dans ces brèves enquêtes encouragera d'autres chercheurs à entreprendre l'étude d'autres régions qui baignent également dans une riche tradition. Au dernier chapitre, je ferai quelques remarques personnelles sur l'importance d'une étude de ce genre et la valeur de l'enrichissement multiculturel de la Guinée.

Notes
1. Dans ce volume je suis David Dalby (1970) en utilisant Malinké pour le groupe ethnique de Haute Guinée et du Mali, Maninka pour leur langue, Mandingue pour le groupe qui a des liens linguistiques étroits, composé de Malinkè, de Kuranko, de Djola et d'autres populations, et Mandé pour désigner la famille linguistique plus vaste qui comprend les Sousou, les Kpellé, les Mende et beaucoup d'autres en plus du noyau Mandingue.
2. J'utilise l'orthographe des noms ethniques qui figure le plus souvent dans les ouvrages internationaux qui suivent au plus près l'équivalent phonétique de la prononciation indigène autochtone. Le mot Susu, par exemple, est écrit la plupart du temps dans les articles français sous la forme Soso, Sosoe ou Soussou, mais les articles guinéens récents en Français utilisent la forme internationale. Certains noms apparaissent rarement ailleurs que dans les articles en Français, c'est pourquoi j'ai conservé leur forme française habituelle, pour qu'ils soient plus facilement reconnaissables (par exemple, Oussoulounkè au lieu de Wasulunka).
3. Citons comme références d'ensemble importantes sur la culture Peule et Toucouleur : Balde 1939. Brito 1957, Dupire 1970. Guébhard 1909, Tauxier 1937. Vieillard 1939 et Wane 1969.
4. Sources générales importantes sur les groupes mandingues : y compris le Malinkè et les Kuranko. Cheron 1933, Cissé 1964, Hodge 1971, Jackson 1977 & 1982, Kersaint-Gilly 1919, Knight 1974, Laças 1933, Laing 1825. Noirot 1881 et Sayers 1927.
5. Sources générales importantes sur les Susu et les Djalonké : Bangui a 1972, Binet 1960. Laing 1825 et Sage 1913.
6. De nombreuses références se font concurrence sur ces divers groupes de la forêt et doivent faire l'objet d'une comparaison critique. Schwab est une des premières références complètes sur cette région. Pour des éludes particulières, sur les Loma, cf. Bouet 1910. Bunot 1950 et Eberl 1936. Pour les Kpellé, cf Bellman 1979 & 1980, Duffner 1934 et Gibbs 1965. Pour les Mano, cf Harley 1941 & 1950 (ses récits portent soi-disant sur les Dan de Libéria, mais abordent en réalité la tradition de base Mano) et Zetterström 1976 & 1980. Pour les Kono de l'est, cf Holas 1952 et 1954.


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