Administrateur des Colonies
Bulletin du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'A.O.F.
Volume 21. No. 2 (avril-juin) 1938. pp. 177-289
Les traités passés par la France et la Belgique et la preuve que nous venions de donner de notre force n'eurent pas les effets heureux que l'on en attendait ; pendant quelques mois Nalous et Landoumans cessèrent de se battre puis, n'ayant plus sous les yeux nos soldats, ils oublièrent les châtiments qu'ils avaient reçus et revinrent à leurs habitudes de pillage et de violence.
En dépit des risques auxquels ils demeuraient exposés, de ce fait, les Français, toujours plus nombreux, ne cessaient d'étendre leurs affaires.
A Freetown, on voyait d'un très mauvais oeil que nous nous installions peu à peu au Nunez ; depuis les premières années du XIXe siècle, le gouvernement de Sierra-Leone avait toujours eu la prépondérance dans les rivières du Sud et maintenant les traitants français envahissaient le Nunez, le Pongo, la Mellacorée et ils venaient même s'établir dans les Scarcies aux portes de Freetown. Les Anglais ne pouvaient manquer de réagir ; prétextant quelques troubles, le Toazer fut envoyé à Rapass au début de 1850 dans le but d'obtenir la signature de traités avantageux ; le premier mars une palabre eut lieu dans la factorerie Bicaise ; Lamina, convoqué, arriva avec cinq ou six cents hommes ; dans la cour de la factorerie quatre-vingts soldats anglais étaient alignés; malgré cette manifestation de force, le chef des Nalous ne voulut prendre aucun engagement. A Wakrya les Anglais eurent plus de succès ; ils réussirent à faire croire à Tongo que nous l'avions dépouillé de tout son territoire ; il en eut une grande irritation et, alors qu'il nous devait tout, il promit à nos adversaires, ce qu'ils demandaient, mais ne signa rien. L'année suivante un autre bâtiment de guerre, Le Vulcano, remontait le Nunez et cette fois les représentants du gouverneur Macdonal parvinrent à conclure un traité d'amitié avec les Landoumans (19 mars 1851) et un autre avec les Nalous (21 mars 1851).
Les principales dispositions de ces accords concernent la possibilité pour les ministres chrétiens excellents agents de propagande de s'installer dans le pays, et le droit pour un agent anglais d'y voyager ou d'y résider afin de s'assurer que les stipulations du traité sont observées. En faveur du commerce il est prévu que la plupart des produits des pays nalou et landouman pourront entrer à Freetown sans avoir à supporter aucun droit d'entrée. Enfin des coutumes sont attribuées aux deux rois et c'est pour eux l'essentiel.
Ces interventions répétées montrent que le gouvernement de Sierra-Leone est bien décidé à ne pas se laisser évincer du Nunez mais, c'est le fait à retenir, son activité diplomatique ne se manifeste qu'à partir du moment où décroît l'activité commerciale de ses ressortissants. De là viendra finalement l'échec. Pour leur part les traitants français donnent sans cesse plus d'importance à leurs opérations et les navires de la station profitent de toute occasion pour entrer en rivière, y montrer notre pavillon et au besoin le faire respecter. En 1854, un originaire de Saint-Louis avait été molesté à Boké lieutenant de vaisseau Gennet, commandant Le Crocodile est envoyé sur place et, le 7 décembre, il fait, signer au roi Tongho un traité qui renouvelle les conventions de 1849 et qui dispose qu'en cas de différend entre indigène et traitant, jamais il ne sera fait justice sans qu'ait été entendu le Conseil des Traitants, devenu ainsi une sorte de tribunal.
Toutes ces conventions, si elles augmentent notre prestige, n'améliorent guère la situation et le Nunez reste livré à l'anarchie.
Le 13 février 1857, le comptoir de la maison Merle, Neveu et Cie, de Bordeaux, est pillé par les Landoumans ; les Nalous sous le commandement de Youra qui vient de remplacer son frère aîné Lamina, commettent de continuelles exactions. Plus grave encore est l'attitude des Foulahs, qui ont conservé leurs droits de suzeraineté sur le pays et qui en profitent pour rançonner les caravanes. Or, le commerce du Nunez repose en grande partie sur l'échange de tissus et de marchandises diverses contre les produits du Fouta Djallon notamment les cuirs et la cire ; couper la route du Fouta Djallon c'est paralyser le commerce du Nunez. D'autre part, occuper militairement un point quelconque du pays c'est aller au devant de conflits.
En 1850, le gouverneur du Sénégal, reprenant l'idée exprimée en 1837 par Dagorne, avait cherché à entrer en relations avec l'Almamy de Timbo ; sur son ordre, le lieutenant Hecquard était parti de Casamance, avait traversé la Guinée portugaise, du Nord au Sud, puis la région des Bowés, et il était arrivé enfin à Timbo où il avait séjourné quatre mois. Il y avait été bien accueilli, mais de son voyage ne se dégageait pourtant aucun résultat positif. Devant les plaintes des traitants du Nunez, le gouvernement du Sénégal voulut renouer les relations commencées par Hecquard. Le lieutenant Lambert désigné pour cette nouvelle mission, atteignit Bel-Air le premier mars 1860 puis se rendit à Boké dont il fait un tableau enchanteur.
« Rien n'est séduisant d'aspect comme les factoreries élevées par nos compatriotes. Vittoria, Rapa, Kakandé, ne demandent pour devenir de véritables établissements coloniaux, qu'un peu de sécurité à l'endroit des tribus noires qui les entourent. Kakandé surtout est un des sites les plus favorisés que j'aie jamais vus. Bâti en amphithéâtre au milieu des bosquets d'orangers, de bananiers, de manguiers au vert et lustré feuillage, ce village a derrière lui un rideau d'arbres immenses et, pour premier plan, les eaux calmes et profondes du Rio Nunez. Tous les produits de nos colonies réussiraient sur ce sol de promission, mais jusqu'à présent le commerce européen n'exploite guère que les arachides et l'huile de palme ».
Dès le début de son voyage il est étonné du prestige des Français auprès des indigènes. A Porédakha, Lambert est reçu par l'Almamy Ibrahima Sori qui lui témoigne ses sentiments amicaux à l'égard de la France ; après avoir pris contact avec quelques notables influents, il réussit à obtenir la ratification de la cession du plateau de Boké, et la promesse que les caravanes seraient dirigées de préférence vers nos comptoirs 1.
Un décret du premier novembre 1854 confiait le commandement de Gorée et des établissements situés au Sud de cette île à un Commandant résidant à Gorée, placé sous les ordres supérieurs du Commandant de la division navale des côtes occidentales d'Afrique ; il apparut très vite qu'il était impossible d'administrer de Gorée les établissements de la côte d'Or et du Gabon et en même temps les Rivières du Sud. Une nouvelle organisation, plus pratique, fut donc réalisée par le décret du 26 février 1859 qui restreignit à la côte d'Or et au Gabon l'administration confiée au Commandant de la Division navale ; Gorée et les établissements situés entre l'île et Sierra-Leone furent replacés sous l'autorité du Gouverneur du Sénégal et constituèrent le troisième arrondissement ; un commandant particulier, qui fut au début le chef de bataillon Pinet-Laprade, était installé à Gorée et servait d'intermédiaire entre le Gouverneur, les comptoirs de la Casamance et ceux des Rivières du Sud.
Depuis que Gorée et ses dépendances avaient été réunis à son gouvernement, le colonel Faidherbe attendait une occasion de parcourir la partie de la côte située au sud du Saloum. Il put enfin disposer du temps nécessaire et partit de Saint-Louis le 17 avril 1860 sur l'Etoile ; en passant à Gorée il prit à bord le commandant Pinet-Laprade et avec lui visita toute la côte jusqu'au Rio Pongo. Dans le rapport qu'il adressa au Ministre à la suite de sa tournée d'inspection, le colonel Faidherbe pose en principe que lorsqu'une nation européenne s'établit avec son pavillon sur un point de la côte, soit par achat de terrain, soit par conquête, elle a le droit d'y mettre en vigueur le régime commercial qui lui convient et que les autres nations doivent s'y conformer, mais il ajoute que ce régime ne doit être en vigueur que sur le territoire réellement et effectivement soumis. Si la nation qui a fondé un établissement n'est pas capable, à deux lieues de là, d'exercer une autorité complète, d'empêcher ou de réprimer par les forces dont elle dispose les violences indigènes, elle ne peut s'arroger des droits de suzeraineté sur ces territoires et y soumettre les autres nations ni les empêcher de s'y établir.
De cette idée très juste que le protectorat de droit ne peut s'étendre au delà du protectorat de fait découle le colonel Faidherbe ne le dit pas, mais le raisonnement s'impose la nécessité de faire acte d'occupation partout où nous entendons nous établir définitivement sans risquer d'être évincés par les nations concurrentes. Or, que voit-on dans le Nunez ? Tout le commerce est entre les mains des Français, mais il est aussi dans la Gambie qui est anglaise. La maîtrise du commerce n'attribue pas la souveraineté et celle-ci ne peut résulter que de l'occupation du territoire. Le Gouvernement indique dans son rapport qu'après
la Casamance, le point le plus important pour nous au point de vue du commerce
est le Nunez:
« J'ai trouvé six navires dans la rivière dont cinq français et un américain. La rivière a produit en 1859 plus de 3.550.000 kgs d'arachides et en 1860 (année regardée comme faible) 2.125.000 kgs. Il y a annuellement dans le Rio Nunez 20 à 25 navires français.
« Les maisons Griffon, Merle, Maurel, etc. y ont des représentants pour lesquels ont été créés des établissements importants sur différents points de la rivière jusqu'à Déboké inclusivement.
« Les positions les plus avantageuses et les plus importantes au point de vue topographique, commercial, politique et militaire m'ont paru être Victoria et Déboké ; Victoria, à l'endroit où la rivière cesse en quelque sorte d'être bras de mer et d'où part un marigot qui communique, dit-on, avec le Rio Compony, et Déboké dans un site magnifique sur une hauteur qu'on peut rendre très forte et à la limite de navigation des petits navires à vapeur. Diverses expéditions sur lesquelles je ne reviendrai pas ont eu lieu dans le Rio Nunez pour la protection du commerce européen par les Anglais, les Belges et les Français.
« A la suite de ces expéditions on a passe avec les chefs du pays des traités pour lesquels on a cherché surtout à régler les arrangements entre les traitants et les chefs des pays pour la location des terrains des factoreries.
« Ces traités sont passés à l'état de lettres mortes et les sommes payées par les traitants ne sont nullement en rapport avec celles qui y ont été stipulées.
« Ainsi M. Guimberteau paye son terrain de Victoria 1.000 francs par an. Un autre loue au roi des Nalous un terrain (sur lequel il est vrai, il y a des constructions appartenant à ce chef) 1.000 francs par mois. Chez les Landoumans on est soumis continuellement aux exigences et aux caprices des chefs indigènes, le roi va même jusqu'à faire payer par des traitants européens le tribut religieux que lui envoie chercher annuellement l'almamy du Fouta Djallon.
« Les droits d'ancrage seuls sont payés comme les traités l'exigent: ces inconvénients sont aujourd'hui inévitables puisque les commerçants sans protection, sont à la merci des populations.
« Le Rio Nunez a pour population dans le haut, les Landoumans, peu policés, tributaires du Fouta Djallon, à la suite d'une invasion de guerriers dans ce pays, contre laquelle ils ne se défendirent même pas, et ne s'étendant que très peu dans l'Est, au-dessus de Déboké.
« Après eux se trouve un pays désert, puis les premières provinces du Fouta Djallon. Dans la partie moyenne sont les Nalous dont les chefs sont des Soussous (Rio Pongo), plus policés que les Landoumans et dominant la peuplade des Bagas presque sauvages qui habitent le bas de la rivière. Les deux pièces ci-jointes no. 2 et no. 3 montrent que les commerçants du Rio Nunez désirent vivement l'occupation de Déboké 2. Je suis tout à fait partisan de cette mesure, nous avons les
mêmes raisons d'occuper le Rio Nunez que la Casamance et nous y trouverons les mêmes avantages. Un poste à Déboké destiné à permettre aux négociants français d'y avoir de beaux et vastes établissements bien approvisionnés, attirera davantage le commerce du Fouta Djallon et luttera contre les anglais de Sierra-Leone et les portugais de Géba.
« Quant aux traités à faire avec les indigènes, je trouve que là comme au Sénégal le Gouvernement s'interposait trop souvent entre les traitants et les indigènes pour leurs arrangements particuliers et se mêlait de choses auxquelles il aurait dû rester étranger. Le Gouvernement doit se borner à protéger le commerce contre les violences des indigènes et assurer la parfaite liberté d'échanges et de transactions entre les acheteurs et les vendeurs. Les prix de locations de terrains ou de services quelconques demandés aux chefs et aux propriétaires du pays doivent être entièrement libres : l'autorité petit seulement intervenir pour exiger l'exécution des marchés passés. Sous notre poste de Déboké les terrains seraient donnés ou vendus en concession aux commerçants européens et on ne laisserait subsister sur ce point protégé par notre pavillon aucune coutume annuelle.
« Les droits d'ancrage me semblent devoir être supprimés pour les navires français. Je trouverais aussi très juste que les Landoumans payassent eux-mêmes leurs tributs au Fouta Djallon.
« Une chose à laquelle il faut bien faire attention dans le règlement des affaires de la côte d'Afrique, c'est que dès qu'on met, sur un point, par une protection suffisante, les traitants à l'abri des exactions indigènes il faut immédiatement exercer sur eux-mêmes, la plus grande surveillance et réprimer sévèrement leurs premiers écarts car sans cela on n'aurait fait qu'intervertir les rôles : persécutés hier, ils seraient persécuteurs demain, et la liberté et la loyauté des transactions, si favorables au développement de la richesse du pays et du commerce, n'y auraient rien gagné.
« Nous sommes donc d'avis de faire un seul établissement à Déboké. Il faudrait y consacrer de 80 à 100.000 francs. Ce point connu sous le nom de Kakandy fut le point de départ de Caillié. Nous proposerions de nommer cet établissement Kakandy, et d'y élever un monument, une colonne, à la mémoire de ce voyageur français, le premier européen qui soit revenu de Tombouctou. Le moment de l'année propice pour créer cet établissement serait mars, avril, mai, on pourrait le faire en 1861 si les affaires du Cayor sont définitivement réglées au commencement de cette même année. J'ai fait faire un lever à vue en quelques instants de la position de Déboké. Je pense qu'il faudrait occuper le plateau par une redoute en terre qui aurait une bonne centaine de mètres de côté : parapet pour la fusillade, une pièce de canon dans chacun des bastions placée de manière à battre tout le terrain environnant. Cette redoute pourrait contenir en cas de troubles toute la population du comptoir, puis une caserne avec une cour entourée de murs formerait le logement de la garnison et le réduit de la redoute. Au moment où j'écris ce rapport, j'apprends que les Landoumans sont devenus plus forts, menaçant tous les traitants de Déboké. Depuis que j'y ai fait une tournée, ils pressentent que nous mettrons bientôt un terme à leurs violences et cela les exaspère. Il n'y aurait même rien d'étonnant à ce que les traitants se fussent dénoncés les uns les autres aux chefs du pays comme ayant demandé l'occupation de ce point. Ils ont l'habitude de chercher à se nuire ainsi les uns les autres par rivalité commerciale et ils continueront à le faire tant qu'ils seront à la merci des indigènes.
« Quoi qu'il en soit, tout en cherchant encore à apaiser le pays pour le moment, j'ai déjà écrit à Monsieur le Commandant particulier de Gorée à ce sujet. Je crois que les nouvelles fournies par M. Santon 3 feront comprendre à votre Excellence qu'il ne faut pas trop tarder à s'occuper sérieusement du Rio Nunez ».
Tout était encore à l'état de projet lorsque, au mois de novembre 1865, l'aviso Le Castor arriva devant Victoria. Le lieutenant de vaisseau Reguin qui le commandait venait de conclure au nom du Gouvernement du Sénégal un traité par lequel l'Almamy (sic) du Forecariah se plaçait lui et ses sujets sous la suzeraineté et le protectorat de la France. A Victoria il entra en rapport avec Youra et lui montra les avantages du protectorat ; grâce à l'influence du traitant Bicaise, devenu le défenseur des intérêts français, Youra, qui craignait d'être détrôné par Dinah, accepta de signer le 28 novembre un traité par lequel il reconnaissait la suzeraineté de la France sur le Naloutaye en même temps que le Gouverneur du Sénégal le déclarait seul chef des Nalous et lui accordait des appointements de 5.000 francs par an. Par l'article 3, le gouverneur et Youra se promettaient réciproquement leur appui militaire en cas de guerre dans le Nunez ; en outre, il était dit à l'article 4 que le Gouvernement avait le droit de créer des établissements où bon lui semblait sur le territoire nalou à la condition d'indemniser, s'il y avait lieu, les propriétaires des terrains et à l'article 5, que les particuliers, avant de disposer d'un terrain, devaient conclure des arrangements avec les propriétaires indigènes. Enfin, l'article 6 supprimait tous droits d'ancrage de traite ou autres consentis par les traités antérieurs au profit des chefs indigènes.
Les circonstances nous amenaient ainsi à établir le premier poste français au Nunez en dehors du seul territoire placé sous notre protectorat. Le colonel Pinet-Laprade qui avait succédé au général Faidherbe comme gouverneur du Sénégal, disposant enfin des crédits nécessaires, décida au début de l'année 1866 de faire occuper le plateau de Boké et il eut soin de donner au Commandant particulier de Gorée, chargé de l'opération, les instructions les plus détaillées. L'occupation de Boké devait faire le moins de bruit possible pour ne pas éveiller l'attention des autres puissances. Les troupes seraient embarquées sur les avisos Le Castor et Le Grand Bassam et sur la goélette La Fourmi ; pour que les indigènes ne connaissent nos projets qu'au dernier moment, elles resteraient couchées sur le pont pendant que les bâtiments remonteront la rivière. A Boké les troupes, aussi tôt débarquées, occuperaient le plateau où le poste devait être construit et elle procéderaient au montage d'un blockhaus. Cela fait on entreprendrait la construction du poste sans crainte d'être gêné. Avec le roi des Landoumans tout conflit devait être évité ; il faudrait lui dire que nous ne voulons que protéger notre commerce et s'il nous est favorable, passer de suite un traité plaçant le pays landouman sous la suzeraineté de la France. Lorsque le poste serait en état de défense, les bâtiments pourraient rentrer en laissant à Boké cinquante tirailleurs, vingt-cinq hommes d'infanterie et d'artillerie, avec trois mois de vivres ; l'aviso Grand Bassam devait rester jusqu'à nouvel ordre dans le Nunez. Enfin il était prescrit au nouveau chef de poste de faire le plus vite possible à Boké un approvisionnement de pierres suffisant pour la construction projetée d'une tour fortifiée qui permettrait plus tard de réduire les effectifs de la garnison.
Le 19 janvier 1866, Boké était occupé par nos troupes qui ne rencontrèrent aucune résistance ; trois jours plus tard le lieutenant de vaisseau Reguin concluait avec le roi Douka un traité qui plaçait le pays landouman sous la suzeraineté et le protectorat de la France, abolissait les droits d'ancrage et comportait pour le surplus les clauses analogues à celles du traité de protectorat passé avec les Nalous, avec cette différence toutefois qu'aucun traitement n'était accordé au roi Douka, ce dont il fut extrêmement mécontent. Quoi qu'il en soit, après les traités de 1865 et de 1866, les deux rives du Nunez se trouvaient sous le protectorat français, depuis Boké jusqu'à la région côtière où les Bagas restaient en dehors de toute influence européenne.
Au moment où le pays des Landoumans et des Nalous est placé sous notre protectorat, le commerce du Nunez est presqu'entièrement entre les mains des traitants français. Les statistiques montrent qu'en 1867 le tonnage exporté s'est élevé à 4.544 tonnes, ce qui place le Nunez, au point de vue des exportations, après Saint-Louis, Rufisque et la Casamance, mais avant le Pongo et la Mellacorée.
Les principaux produits exportés sont :
Arachides en coques | 1.250 tonnes |
Arachides décortiquées | 16 tonnes |
Amandes de palme | 165 tonnes |
Huile de palme | 13,700 tonnes |
Sésame | 64 tonnes |
Peaux de boeufs | 27 tonnes |
Cire | 8 tonnes |
Ivoire | 0,275 tonnes |
Coton égrené | 0,074 tonnes |
Café | 0,056 tonnes |
Les exportations d'arachides qui comprennent sans doute des graines venues du Fouta-Djallon, sont d'autant plus remarquables qu'à cette époque les sorties de Saint-Louis et Rufisque réunies, ne dépassaient pas 8.300 tonnes. Par contre, on s'explique mal que les exportations de café aient été aussi insignifiantes en 1867 alors qu'en 1840-1845 les traitants avaient tant insisté pour faire admettre en France au tarif minimum le café du Nunez, qu'ils représentaient comme un article important de leur commerce. Quoi qu'il en soit, un effort intéressant fut entrepris en 1868 pour développer les plantations de caféiers ; au mois de mai un sieur Lang, agent de cultures, réussit à découvrir dans le pays landouman des peuplements naturels de caféiers ; il entreprit à une demi-lieue de Boké, une plantation qui comptait déjà plusieurs milliers de pieds lorsque la maladie l'obligea à rentrer en France. Quelques commerçants suivirent son exemple et le chef du poste, le sous-lieutenant Bascans aménagea sur les pentes qui mènent du fortin au fleuve, une pépinière de deux cents caféiers. « La culture du café, écrit-il, prend beaucoup d'extension. Ce sera, à n'en pas douter, l'avenir et la richesse de la rivière ». Il n'est que trop vrai que le caféier serait aujourd'hui une des principales richesses du Nunez si l'initiative des Lang et des Bascans avait été suivie. Eux partis, tout fut abandonné et tout est à recommencer aujourd'hui.
En vertu d'une convention du 7 mars 1857, la France, lasse des querelles que lui valait le comptoir d'Albréda, en consentit la cession à l'Angleterre en échange des droits que celle-ci détenait à Portendick, et par une conséquence que l'on s'explique mal, ayant renoncé à défendre sa position séculaire en Gambie et affermi ainsi la situation de l'Angleterre, le Gouvernement français engagea ensuite des pourparlers avec Londres en vue de réaliser l'échange de la Gambie contre nos comptoirs de Grand Bassam, Dabou et Assinie.
Le ministre de la Marine et des Colonies, M. de Chasseloup-Laubat était favorable à cet échange mais entendait lui donner d'autres bases : le 15 février 1866, il indique à son collègue des Affaires Etrangères que la France est installée solidement dans les rivières du sud, principalement au Nunez et dans la Mellacorée et il ajoute :
« Il est possible que l'Angleterre nous demande aussi de ce côté et surtout dans la Mellacorée une compensation à la cession de la Gambie...
Mais nous avons des intérêts si considérables dans ces rivières et ils seraient si gravement troublés par les tarifs exagérés qui seraient la suite inévitable d'une occupation, que je ne pourrais sans de très vives répugnances conseiller l'abandon des droits que nous donnent les deux traités dont j'ai parlé. Je voudrais donc que, tout au moins dans le début de la négociation, notre ambassadeur déclarât que nous n'entendons donner dans le Rio Nunez et la Mellacorée que le traitement de faveur réclamé, par Lord Clarendon pour les sujets anglais. Toutefois si le Gouvernement anglais, à défaut des avantages qu'il recherche dans ces deux cours d'eau, ne voulait consentir à la cession de la Gambie qu'à la condition de comprendre le Gabon dans l'échange, je serais d'avis de céder sur la question de la Mellacorée d'abord et du Rio Nunez ensuite, parce qu'en cas de guerre maritime ou de reprise du recrutement à la côte occidentale d'Afrique nous ne pourrions nous passer du Gabon ».
Ainsi, d'un cur léger, M. de Chasseloup-Laubat acceptait de faire la troque des territoires où traitants et marins n'avaient réussi à établir notre suprématie qu'au prix de tant d'efforts, de tant de vies humaines ! Envisageant marchandages et combinaisons, il était d'avis avant toute discussion de céder sur la question de la Mellacorée d'abord et du Nunez ensuite. Le Foreign Office acceptait d'abandonner à la France la Gambie et d'y ajouter même les droits que l'Angleterre n'avait pas sur l'île de Boulam. Les propositions furent examinées avec une sage lenteur et n'aboutirent pas. Si nous avions eu la faiblesse de les accepter, nous serions aujourd'hui les maîtres du couloir de la Gambie et la Casamance ne serait pas séparée du reste du Sénégal, mais nous aurions été définitivement évincés de l'immense pays qui est aujourd'hui la Guinée française.
Notes
1. Rapport Flize. Feuille officielle du Sénégal et dépendances, 28 août 1860, et Arcin, Histoire de la Guinée française, t. 1, page 310. La ratification de la cession du plateau de Boké résulte officiellement du traité passé le 5 juillet 1881 entre les chefs Foulahs et le docteur Baillol.
2. Les pièces dont il est question sont deux lettres datées du 22 et du 27 avril adressées au colonel Faidherbe par les traitants qui demandent la construction d'un fortin à Déboqué.
3. Il est fait allusion ici à deux lettres du sieur Santon du 6 mai 1860, par lesquelles le commerçant signale l'effervescence qui a suivi le départ du Colonel. Il demande l'envoi d'un aviso dans la rivière.
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