“Le prochain chaos en Guinée”
|
"La Guinée se prépare à un chaos qui va éclater dès que le président Conté quitte la scène politique que ce soit par inaptitude ou par mort." Telle est l'alarmante conclusion dans un rapport publié le 2 novembre par J. Peter Pham, un Vietnamien Américain, Docteur en Sciences politiques et éthiques et Directeur de l'Institut Nelson des Affaires Internationales de l'Université James Madison de Harrisonburg en Virginie.
Ce rapport alarmant fait suite à une série de rapport de Thinks Thanks américains tels Human Rights Watch, International Crisis Group, qui tous s'efforcent avertissent le gouvernement américain sur les dangers de déstabilisation de la Guinée "à la Libéria ou Sierra Léone", suite à la disparition de Lansana Conté de la scène politique. Selon des sources proches des services d'espionnage étrangers, Guinéenews a appris que le gouvernement américain suit de près la situation en Guinée et serait décidé à voir une transition post Conté, qui soit "conforme aux intérêts stratégiques et économiques des Etats-Unis dans la région" comme en témoigne l'importante ambassade américaine située sur un plateau stratégique de la capitale guinéenne, juste en face de la Maison de la Radio Télévision à Koloma. Selon ces sources, les services d'espionnages américains sont en contact étroit avec la hiérarchie miliaire, estimée cruciale pour la transition en cas de vacance de pouvoir.
Pour attirer l'attention des décideurs américains qui ne s'intéressent qu'aux intérêts stratégiques, Dr Pham commence par l'introduction : "Alors que la majeure partie des américains n'ont certainement pas entendu de la Guinée ou la confond avec la Papouasie Nouvelle Guinée, il y a de fortes chances qu'il y a plus de produits dans leur foyers contenant des matières premières originaires de la Guinée que de n'importe quelle autre nation. La Guinée non seulement possède la meilleure bauxite du monde mais aussi environ près du tiers des réserves mondiales de bauxite. La Guinée fournit près de 50 pour cent des importations nord américaines de bauxite."
"Une partie du problème", écrit Dr Pham, "est que le Général Conté a utilisé une politique machiavellique entre le favoritisme ethnique et une manipulation cynique entre les clans en présence à l'intérieur de son cercle de privilégiés. Il semble que cette balance délicate s'éboulera quand il (Conté) meurt ou devient physiquement incapable ce qui risque d'envoyer le pays dans une série de 3 vagues concentriques de conflits.
Premièrement une rivalité personnelle entre les membres du clan de civils proches de Conté incluant ceux qui sont alliés avec les deux femmes de Conté les plus en vues : Henriette et Kadidiatou.
Ensuite il y aura un affrontement entre les 400 Bérets rouges de la garde présidentielle et les 800 Rangers entraînés par les Forces Spéciales américaines entre 2000 et 2002 et qui sont basés à N'Zérékoré, et les éléments formés par la Chine en 2003 et basés à Kankan. Quoique les observateurs favorisent un avantage des Rangers formés par les Américains en cas de confrontation directe, ce bataillon est coupé physiquement de la capitale avec la rupture de pont sur les 1.000 kilomètres qui les séparent de Conakry.
Enfin, une troisième lutte pour le pouvoir opposera les Bérets rouges et les autres unités d'élite ainsi que la haute hiérarchie militaire, presque toute issue de l'ethnie Sousou et de la famille étendue du président Conté contre ceux qui estiment que leur progrès économique, politique et militaire a été bloqué parce qu'ils ne sont pas Sousou.
Connaissant la solidarité ethnique transfrontalière - par exemple les relations entre les Malinkés de Guinée, les Mandingos du Libéria et les Dioulas de la Côte d'Ivoire - une fois que le conflit de l'après-Conté commence, il peut rapidement se transformer en conflagration nationale et régionale menaçant la stabilité des autres pays de la sous-région : notamment le Liberia et la Sierra Leone, et exacerbant le conflit en Côte d'Ivoire."
L'Institut Nelson des Affaires Publiques a été crée en 1998 et a pour mission d'étudier la violence politique et le terrorisme. L'Institut porte le nom de Dr. William R. Nelson, ancien Vice Président des Affaires académiques de l'Université James Madison et fut responsable du premier cours sur le terrorisme. Dr Pham a écrit fréquemment sur le Libéria et a été diplomate en Guinée.
Pour en savoir plus, Guinéenews a interrogé Dr Pham sur le sujet.
Guinéenews : Pouvez vous présenter votre organisation, l'Institut Nelson des Affaires Internationales et Publiques de l'Université James Madison de Virginie, aux Guinéens qui ne la connaissent pas ?
Dr Peter Pham : L'Institut Nelson est une institution de recherche rattachée avec les Facultés de Sciences Politiques et de Droit de l'Université James Madison, une institution de l'état de Virginie avec environ 17.000 étudiants. Cet institut sous ma direction entreprend une série d'activités incluant la recherche et l'analyse (aussi bien pour le gouvernement que pour le monde universitaire) sur les sujets importants qui affectent les intérêts nationaux des États-Unis, en particulier dans les domaines du terrorisme et de la sécurité nationale, l'Afrique, la religion, et la politique globale, et le Droit et l'éthique internationale.
Q : Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce dossier ? Pourquoi cet accent sur la Guinée ?
R : J'ai été persuadé, il y a longtemps, que l'Afrique est d'un intérêt vital et stratégique pour les Etats-Unis pour une série de raisons : incluant les ressources naturelles, la sécurité, la géographie, la concurrence avec les autres puissances etc... Entre autres activités, j'écris dans une publication hebdomadaire, "Strategic Interests", qui met en exergue les sujets sur la sécurité en Afrique auxquels les preneurs de décisions politiques doivent être mis au courant. Cette chronique est publiée par le "World Defense Review " et est lue dans les milieux politiques, militaires et des services de renseignements.
Au cours des derniers mois, j'ai couvert un nombre de défis potentiels dans un certain nombre de pays incluant la Somalie, le Kenya, la Tanzanie, l'Ouganda, la RDC, le Nigéria, la Cote d'Ivoire, le Libéria et la Sierra Léone. Donc il était tout à fait naturel que je touche la Guinée, notamment après l'absence de Lansana Conté le 2 octobre 2006, qui a attiré l'attention encore une fois sur sa mortalité et les défis que cela va poser en Guinée.
Q : Vous avez vécu en Guinée comme diplomate. Quels souvenirs gardez-vous de la Guinée et des Guinéens?
R : Je garde beaucoup de souvenirs heureux des deux années, que j'ai vécu en Guinée. Je me rappelle avec affection, la chaleur des Guinéens et la beauté du pays. Toutefois, en rétrospective, je regarde maintenant et je vois qu'en ces temps, il y avait déjà des signes de ce que je perçois présentement comme étant une crise à venir.
Q : En quoi le sort de la Guinée doit intéresser le gouvernement américain qui est empêtré dans des crises plus pressantes comme l'Irak ou la Corée du Nord ?
R : Comme superpuissance planétaire - je pourrais dire, la seule superpuissance du monde - les Etats-Unis ont plusieurs intérêts et plusieurs demandes à son attention. En réalité, il existe une asymétrie: la demande des petits pays d'obtenir l'attention des Etats-Unis est toujours plus grande que la capacité des Etats-Unis de répondre à ces attentes ou même d'avoir un simple intérêt. De l'autre coté, comme superpuissance planétaire, les Etats-Unis ne peuvent ignorer aucun état, aucune crise, aussi petite relativement qu'elle soit.
Par conséquent, je considère qu'il y a trois principales raisons pourquoi je conseille le gouvernement des Etats-Unis de suivre l'évolution de la situation en Guinée en ce moment-ci.
Premièrement, comme je le mentionne dans mon article, l'importance des réserves de bauxite.
Deuxièmement comme il est noté dans le document Stratégie pour la Sécurité Nationale des Etats-Unis (2002): "les pays faibles ... peuvent poser un grand danger pour notre sécurité nationale aussi bien que les états forts. La pauvreté ne transforme pas les pauvres en terroristes ou meurtriers. Et pourtant la pauvreté, la fragilité des institutions, et la corruption peuvent rendre les états faibles vulnérables au sein de leur frontières, aux réseaux terroristes et aux réseaux de trafic de drogue." Les Etats-Unis ont des intérêts très important en Afrique de l'Ouest et un chaos en Guinée peut éventuellement menacer ces intérêts.
Troisièmement, à cause des liens historiques, culturels et géographiques dans la sous-région, toute crise en Guinée menace non seulement la Guinée, mais aussi, la Sierra Léone, la Côte d'Ivoire et le Libéria ou les Etats-Unis ont d'autres intérêts et engagements notamment au Libéria.
Q : Vous écrivez que la Guinée s'est "radicalisée sous l'influence des religieux islamiques appuyés par des organismes de charité du Moyen-Orient." Pouvez-vous donner des exemples spécifiques de manifestation de cette radicalisation?
R : Sans révéler des informations confidentielles, je parle de groupes financés par l'Arabie Saoudite et d'autres pays arabes étrangers qui font la promotion active de la branche Wahabiya de l'Islam en Guinée aussi bien que les madrasa liées à des mosquées "non-officielles" au Foutah-Djallon et ailleurs dans le pays, qui sont en fait supportées par des intérêts externes et qui, contrairement aux autres écoles privées, n'ont ni supervision ni reconnaissance officielle du gouvernement. Ce qui m'inquiète personnellement c'est que ces éléments exogènes ne sont pas simplement des philanthropes pieux. Au contraire, ce sont ces mêmes individus qui ont financé des institutions extrémistes en Asie Centrale et ailleurs en Afrique.
Q : La Guinée n'a jamais eu de guerre interethnique dans son histoire. Malgré des tentatives de manipulations politiciennes (Sékou Touré en 1957 et 1976, Conté en 1985 et 1998) les Guinéens se sont toujours refusés à se battre sur des bases ethniques et la cohabitation est généralement bonne. Même les partis politiques qualifiés de "régionaux" n'ont pas pu conduire à des violences interethniques en Guinée. Qu'est ce qui vous fait croire avec certitude qu'il y aura une guerre civile à connotation ethnique en Guinée advenant le départ de Lansana Conté ?
R : Quoique la Guinée ait été chanceuse, contrairement à d'autres pays africains, de n'avoir pas jusque là fait l'expérience d'un conflit externe ouvert, je maintiens que ceci a été un accident de l'histoire que l'on peut attribuer au régime de fer maintenu sous Sékou Touré et jusque là sous Conté. Toutefois, nous savons tous que le contrôle se défait et, comme dans plusieurs autres situations de "vacance de pouvoir", il devient très tentant - et facile - de manipuler les différences ethniques pour des raisons politiciennes.
Regardez les pays voisins de la Guinée, tel le Libéria. A travers son histoire, excepté le malaise des autochtones face à leur domination par les élites Américo-Libériens, ce pays n'avait pas de tension ethnique. Puis vinrent Samuel Doe et la guerre civile, et soudain, les chefs de guerre exploitent les différences ethniques dans leur course au pouvoir. Charles Taylor recevant son support des Gio et des Manos,Alhaji Kromahdes Mandingos, etc.
R : Vous estimez que les Rangers formés par les Américains peuvent battre militairement les Rangers formés par les Chinois ou les Bérets rouges. Sur quelle base repose cette affirmation?
R : Encore une fois, sans aller dans les détails, je vous suggère de regarder la qualité des armes fournies par la coopération militaire américaine et celle des armes fournies par la République Populaire de Chine aussi bien que la qualité des programmes de formation délivrés par les Forces Spéciales des Etats-Unis et celles de l'Armée Populaire de Libération.
Q : La Guinée avec toutes ces richesses minières a besoin d'investissement massif dans l'infrastructure énergétique et routière, dans la construction d'usines d'alumine, de raffineries d'aluminium, d'aciéries, etc. Il est prouvé, qu'avec le décollage industriel de la Chine le marché est là pour les matières premières du sous-sol de la Guinée. Ne serait-il pas plus opportun pour le gouvernement américain d'user de son influence pour que la Banque Mondiale appuie ces mégaprojets qui vont créer des emplois pour la sous région ainsi réduire la tentation de rébellion chez les jeunes de la région, sans compter le marché qui s'ouvrira pour les géants industriels américains?
R : Peut-être. Mais j'ai tendance à croire que les investissements massifs sont déconseillés tant que les conditions politiques dans un pays ne sont pas certains. La Guinée est un pays qui a une vraie richesse en ressources naturelles aussi bien qu'une beauté naturelle. Mais tant que la situation politique n'est pas résolue, elle sera un candidat peu probable pour les investissements encore moins pour le développement.
En dernière analyse, je crois que les Guinéens et les autres Africains font une grave erreur en comptant sur la Banque Mondiale au lieu de changer les conditions qui font que leur pays sont peu attractifs en termes d'investissements privés. Le capital-risque disponible dans le secteur privé dépasse de loin les pitances que la Banque Mondiale joue avec. Regardez les histoires à succès de développement en Asie et ailleurs. Ils ont compté beaucoup plus sur les investissements privés directs.
Q : La Chine fait de grandes percées en Afrique en insistant davantage sur les investissements dans les matières premières plutôt que sur des changements démocratiques ou ajustement structurels FMI style, comme en témoigne le récent sommet Chine-Afrique. La Chine a un intérêt marqué sur les matières premières qui se trouvent en Guinée comme la bauxite, le fer et peut-être le pétrole. Les compagnies américaines, en particulier, et occidentales en général risquent-elles d'être dépassées en Guinée et en Afrique ? Surtout si leurs investissements tarissent comme ils le sont actuellement dans les mines de Guinée malgré les annonces annuelles d'investissements, qui ne se sont jusque-là pas matérialisés en partie à cause de la réticence de la Banque Mondiale de les soutenir ?
R : J'ai largement analysé l'expansion - politique et militaire aussi bien que commerciale et économique - chinoise en Afrique. En fait, ceci est une des raisons pour lesquelles je conseille fortement un plus grand engagement dans la région du golfe de Guinée. Néanmoins, quoique la presse ait certainement couvert les dernières avances chinoises, la valeur globale des investissements et du commerce entre la Chine et l'Afrique subsaharienne n'est qu'une fraction des transactions entre les Etats-Unis et l'Afrique subsaharienne. La Chine elle-même compte sur les investissements américains pour maintenir la croissance chez elle.
En plus, quoique la Chine ait fait un énorme progrès ces dernières années, spécialement dans la croissance économique, elle fait face à des problèmes structurels qui en font un partenaire économique peu fiable pour les pays en voie de développement :
Premièrement, il y a une population qui vieillit rapidement en Chine sans la protection sociale développée en l'Europe et de l'Amérique du Nord.
Deuxièmement, à cause du programme "un enfant par couple" il y a un déséquilibre des sexes. Normalement dans la population humaine il y a 103 masculins pour 107 féminins, en Chine, il y a 119 masculins pour 100 féminins en général et un étonnant ratio de 133 masculins pour 100 féminins dans les zones rurales ce qui retarde la croissance économique à long terme.
En résumé, j'estime que l'expansion de la Chine en Afrique et ailleurs aura une croissance pour au plus 10 autres années. Ceux qui parient entièrement sur la Chine pour leur développement économique vont le regretter, tout comme des pays comme la Guinée ont misé sur le bloc soviétique pendant la Guerre Froide, et qui regrettent maintenant les opportunités ratées.
Q : Vous préconisez au gouvernement américain de s'impliquer en Guinée pour éviter une crise humanitaire consécutive à une guerre civile qui suivrait la disparition du président Conté. Estimez-vous qu'une pareille crise pourrait faire monter les prix de l'aluminium sur le marché. Quelles mesures particulières proposez-vous?
R : D'abord, je voudrais souligner que la menace de guerre civile, quoique réelle, n'est pas inévitable. Elle peut être évitée. Mais pour l'éviter, et les Guinéens et leurs partenaires internationaux doivent agir dès maintenant de façon préventive. La communauté internationale doit rendre clair qu'elle ne reconnaîtra pas un fait accompli créé en dehors de l'ordre constitutionnel et juridique au cas de l'absence du Général Conté. Elle doit aussi dès maintenant aider à faciliter le dialogue entre les différents groupes en Guinée - gouvernement, partis politiques, militaires et services de sécurité, leaders religieux, groupes de la société civile, etc.
Néanmoins, ces mêmes groupes de Guinéens doivent commencer par surmonter leurs différences et penser au bien de la nation - comme vous le savez, une chose difficile pour ceux qui sont préoccupés par eux-mêmes (et, j'ajouterai, l'égocentrisme) des leaders de organisations politiques. Ce qui pourrait rendre un conflit possible est l'existence des divisions au sein de la société guinéenne, particulièrement parmi les élites, ce qui va pousser une des factions militaires à penser qu'elle peut "sauver" la Nation.
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2013 Afriq Access & Tierno S. Bah. All rights reserved.