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Presse écrite
L'Economie guinéenne
Magazine de l'économie guinéenne - N° 07 - Juin 1998
Une décantation salutaire
La Société d'économie mixte FRIGUIA vient de traverser une grave crise qui a failli l'emporter après avoir largement entamé la confiance entre ses actionnaires que sont l'Etat Guinéen et FRIALCO. Elle a heureusement résisté à cette crise qui a toutefois entraîné le processus de sa restructuration -privatisation, en cours.
C'est à la fin des années 50 que cinq (5) sociétés ont créé la société Fria afin d'exploiter les gisements de bauxite de Konkouré. La convention de longue durée conclue le 05 Février 1958 entre Fria, le territoire de la Guinée et le Groupe de territoires de l'AOF, fixe les conditions de cette exploitation. Plus tard, en 1973, Fria devient une société d'économie mixte dénommée FRIGUIA dont 51% du capital sont détenus par des actionnaires privés et 49% par la République de Guinée. Les actionnaires privés de FRIGUIA se sont ensuite regroupés au sein de la société FRIALCO, établie aux îles Caïmans, dont le capital est ventilé de la façon suivante:
- Aluminium PECHINEY (France): 30%
- Alcan (Canada): 20%
- Noranda (Canada): 20%
- Norst.Hydro (Norvège): 20%
La création de FRIGUIA, en 1973, répond à des impératifs à la fois politiques et économiques. En effet, il ressort de l'exposé des motifs de la convention de longue durée de 1973 que la création de FRIGUIA avait pour objet d'assurer une « meilleure adaptation des structures de l'entreprise aux options fondamentales de la République de Guinée ». La première convention de longue durée ayant été conclue en février 1958, il n'est guère surprenant que la Guinée, après s'être affranchie du colonialisme et engagée dans la construction d'un état socialiste, ait exigé cette adaptation. Aussi, pouvait-on désormais attendre de l'entreprise qui accumulait déjà quinze ans d'expérience, qu'elle améliorât rapidement sa productivité et sa rentabilité afin d'accroître ses moyens et de répondre à sa nouvelle vocation. Trois constats sous-tendent cette vocation:
primo, la bauxite constitue l'une des principales ressources du pays
secundo, FRIGUIA fait vivre toute une région et notamment une ville de plus de 40.000 habitants
tierso la survie d'un tissu industriel de petites sociétés et d'un ensemble d'activités diverses totalement liées à l'existence de FRIGUIA.
Ce sont ces trois réalités qui ont, en fait, commandé l'organisation et le fonctionnement de FRIGUIA :
- aux actionnaires privés, qui détiennent la puissance financière et la compétence technique d'assurer la gestion opérationnelle de l'entreprise
- à la République de Guinée d'apporter la concession des sites miniers et d'octroyer à FRIGUIA un régime fiscal et financier privilégié pour favoriser le développement de la société.
Cette organisation affecte ainsi la gestion opérationnelle de FRIGUIA, de façon quasi-exclusive, à FRIALCO qui l'a déléguée à l'Aluminium PECHINEY. Celle-ci est donc demeurée de tout temps la seule prestataire technique de FRIGUIA. De la même manière, FRIALCO est restée domicilié dans ses locaux en France. En outre, M. Anthony Bouthelier, président de FRIALCO, est aussi le Directeur de la Division Afrique du département Aluminium de PECHINEY. Il faut ajouter que l'hégémonie d'Aluminium PECHINEY dans FRIGUIA était telle que FRIGUIA était perçue de l'extérieur comme une simple succursale de la société française. La responsabilité d'Aluminium PECHINEY était donc pleine et entière dans la gestion opérationnelle de l'entreprise. De toute façon, aux termes des statuts de FRIGUIA, la République de Guinée ne possédait aucun rôle ni pouvoir opérationnel dans la gestion financière, commerciale et technique de l'entité. Cependant, elle a régulièrement garanti les rares investissements industriels réalisés au sein de l'entreprise. Aussi a-telle constamment accru les avantages financiers et fiscaux concédés à FRIGUIA afin de lui permettre d'être suffisamment compétitive sur le marché mondial. Force est d'admettre aujourd'hui que la gestion opérationnelle de FRIGUIA assurée au sein de FRIALCO par Alumînium PECHINEY en sa quaIitê de leader de ce groupe, s'avère désastreuse. En effet, il ressort des chiffres et de l'analyse des documents dont on dispose que la situation de FRIGUIA se caractérise par:
- Un passif important
Les dettes au 31 Décembre 1996 s'élèvent à 148,7 millions USD dont 78,1 millions USD à plus d'un an. On constate par ailleurs que la totalité des dettes à moyen et long terme est constituée par des dettes à l'égard de la République de Guinée, soit directement 43 millions USD et indirectement 36 millions USD. Le dernier montant correspond à des garanties sur la BEI (14 millions USD) et sur la CFD (22 millions USD).
- Un déficit structurel important et endémique
Les comptes d'exploitation de FRIGUIA pour 1995 et 1996 font respectivement apparaitre une perte de 1.620.585 dollars US et de 1.965.795 dollars US. Il faut ajouter que les comptes de 1996 n'ont même pas été approuvés par le Conseil d'Administration. On observe que la période 1992-1996 a été aussi marquée par un déficit constant. Il faut dire que la contre performance financière de FRIGUIA est liée, en grande partie, aux lourds frais d'assistance technique et des prix de vente largement inférieurs à 12% du: LME (c'est-à-dire à la norme sur le marché), depuis 1994. Ainsi, on constate que depuis 1992, l'assistance technique assurée par Aluminium PECHNINEY, a prélevé sur la société un total de 22,8 millions dollars US alors que pendant cette période les ratios techniques n'ont cessé de se dégrader. Il est intéressant de remarquer que ces mêmes ratios sont en nette amélioration depuis que les cadres guinéens assurent le management et la direction des opérations industrielles et techniques.
- Un sous-investissement industriel responsable de la forte dégradation de l'outil industriel
Il est établi que le montant total des amortissements techniques pour la période 19871995 est de l'ordre de 130 millions dollars US. FRIGUIA aurait donc dû investir dans l'ordre de 130 millions dollars US durant cette période pour renouveler son outil industriel et en améliorer la performance. Or, le montant cumulé des investissements de renouvellement et travaux neufs a été de l'ordre de 42,2 millions dollars US, soit un sous-investissement cumulé de 87,8 millions dollars US. Si l'on tient compte du solde net des amortissements et investissements des exercices de 1996 et 1997, le sous-invettissëment passe alors à 110 millions dollars US. On observe que dans la période de 1987-1995, les investissements non directement liés à l'entretien du site industriel sont de l'ordre de 60 millions dollars US. Par ailleurs, il est intéressant de noter que la totalité des financements des investissements a été assurée par des emprunts contractés par FRIGUIA avec la garantie de la République de Guinée, sans apport de FRIALCO. Le redressement à long terme nécessite aujourd'hui la rénovation de son outil industriel (90 millions dollars US) et l'extension de sa capacité à 1.200.000 tonnes/an. Ce qui précède explique l'état de délabrement de l'usine qui date, ainsi que ses installations, de 1960. En effet, on constate que bon nombre d'équipements ne sont plus fabriqués, ni réparables. Les pièces de rechange pour ces équipements obsolètes sont fabriquées à la demande (lorsque le fournisseur existe encore) à des conditions extrêmement onéreuses et des délais de livraison très longs. Faute de fournisseurs, les pièces sont fabriquées de manière approximative étant donné que l'usine ne dispose pas de plans d'ateliers, ni des spécifications des équipements en usage. Cette situation (passif et déficit importants, sous-investissement, forte dégradation des équipements) a naturellement conduit, ces dernières années, à des rapports conflictuels entre la République de Guinée et FRIALCO, mené par Aluminium PECHINEY. En sa qualité d'actionnaire, l'Etat guinéen considère que FRIALCO, dans la gestion de FRIGUIA, n'a pas rempli la mission qui lui était dévolue par les termes de la convention de longue durée de 1973, dans l'intérêt de l'ensemble des actionnaires. Pour sa part, FRIALCO a entrepris contre la République de Guinée une procédure arbitrale internationale aux fins de défendre ses intérêts. Finalement, le 13 mai 1997, le Président du tribunal a ordonné, sur requête du Président de FRIGUIA, la nomination de France-Fiduciaire Afrique, assistée de Fidu Inter Audit Guinée, pour procéder à un audit de l'entreprise. A l'issue de sa mission, l'administrateur provisoire a déposé un rapport dont les conclusions sont les suivantes:
- Sur le plan financier et à court terme, les besoins financiers de l'entreprise ont été évalués à 15 millions dollars US
- il est urgent et primordial de réenclencher le processus d'approvisionnement sous peine d'arrêt de l'usine avec des conséquences imprévisibles,
- la société est en état de cessation de paiements.
Sur la base de ce rapport et après avoir constaté qu'il a fallu l'intervention de la BCRG pour que les salaires du mois de mai 1997 soient payés, le tribunal de lère instance de Conakry a jugé le 02 juin 1997, en accord avec l'Administrateur provisoire et le Procureur de la République, que la société FRIGUIA est en cessation de paiement et a, en conséquence, ordonné le redressement judiciaire de l'entreprise. Il faut ajouter que le tribunal a par ailleurs nommé Audit Guinée et Fidu Inter Audit Guinée en qualité de syndics pour étudier et proposer toutes les mesures de restructuration économique, financière et industrielle nécessaires au redressement de la société, dans le cadre de son objet et proposer un plan de réorganisation et d'apurement du passif afin d'assurer la continuation des activités.
Ce jugement a eu pour conséquences un certain nombre de mesures transitoires. Aînsi, le contrat et la fiducie dont bénéficiaient le Crédit Suisse et la Banque Lazard Frères (remboursement par priorité de leurs prêts) a été résilié. Ont été aussi résiliés les contrats d'enlèvement d'Alumine conclus entre FRIGUIA et FRIALCO, qui avait bénéficié de conditions de prix inférieurs à la fois aux coûts de production et à ceux du marché mondial de l'aluminium. Il a été substitué à ce contrat un nouvel accord impliquant le Crédit Suisse, First Boston et FRIALCO, relatif aux conditions d'enlèvement et de paiement de l'Alumine, compatibles avec la nécessité d'assurer la continuité de l'activité jusqu'à la fin de la période transitoire (paiement comptant, conditions d'emploi des paiements, commandes conformes au calendrier). Il convient, par ailleurs, de préciser que pour pallier l'insuffisance des commandes de FRIGUIA, il s'est avéré nécessaire d'identifier de nouveaux débouchés et d'effectuer des livraisons à des tiers à des conditions satisfaisantes. Enfin, le Cabinet Deloitte & Touche a été requis pour procéder à l'analyse des flux financiers entre FRIGUIA et ses différents partenaires. Ce à quoi s'est d'ailleurs opposée la société Aluminium PECHINEY, mécontente de la dénonciation du contrat d'assistance dont elle bénéficiait et de la décision de redressement judiciaire de FRIGUIA.
Il résulte de ce qui précède que le conflit qui opposait la République de Guinée et FRIALCO, au sein de FRIGUIA était suffisamment grave pour que de simples solutions de compromis puissent y mettre fin. Trois scenaris ont été envisagés, dans la rcherche de solutions efficientes:
- le statu quo
- la liquidation
- la cession.
La mauvaise gestion de FRIGUIA, le délabrement de son outil industriel et l'attitude hostile de FRIALCO, notamment d'Aluminium PECHINEY, dans le conflit, écartent la première solution. La liquidation ne peut non plus être retenue, l'actif de FRIGUIA étant constitué de matériels totalement obsolète si bien qu'en l'absence de rénovation cet actif peut être estimé au, prix du poids de la ferraille, minoré des coûts de démontage et de transport. Seule la cession paraît pertinente et raisonnable. Elle permettrait de valoriser les actifs de l'entreprise et d'apurer progressivement son passif. Aussi, la cession répond à un intérêt stratégique dans la mesure où elle permet de sauvegarder et de développer une activité stratégique. A l'époque, la meilleure offre de reprise avait été soumise par la SOPAG (Société de Production d'Aluminium de Guinée). Mais, conscients des enjeux financiers, économiques et stratégiques que l'exploitation de la bauxite représentent pour les uns et les autres, les actionnaires de FRIGUIA ont fini par conclure un protocole d'accord, le 22 Décembre 1997.
Perspectives
Ainsi, ils conviennent que,
- par délégation du Conseil d'Administration de FRIGUIA, il sera mis en place un Comité de Crise chargé du suivi de la gestion de la Société. Ce Comité sera composé de
- deux représentants de la République de Guinée
- deux représentants de FRIALCO
- du Directeur Général Intérimaire de FRIGUIA.
- En plus du suivi de la gestion de la société, le Comité rédigera une nouvelle Convention de Base et de nouveaux Statuts, préparera l'augmentation de capital et l'entrée de nouveaux actionnaires. Durant la période transitoire, l'assistance technique requise par le Directeur Général intérimaire sera assurée par ICF Kaiser en association avec Alcan.
- Sous réserve que l'alumine produite soit de qualité satisfaisante, le contrat d'enlèvement à long terme d'alumine entre FRIGUIA et FRIALCO sera remis en vigueur. FRIALCO s'engage cependant, dans le cadre de ce contrat d'enlèvement à long terme à libérer en faveur de la République de Guinée, 135.000 tonnes en 1998 et 200.000 tonnes en 1999 pour les besoins de l'usine d'électrolyse du Nigeria. Le PPF (Prix Panier Friguia) actuel restera en vigueur jusqu'à la date d'entrée de nouveaux actionnaires. A cette date, un nouveau mécanisme de prix sera convenu entre FRIGUIA et ses actionnaires par référence au prix du marché et en prenant en considération la durée des obligations d'enlèvement à long terme.
- La restructuration/privatisation se fera par cession d'une partie des actions de l'Etat guinéen et par augmentation de capital avec l'introduction de nouveaux actionnaires. Le statut de société d'économie mixte dont bénéficie FRIGUIA sera abrogé et FRIALCO dissout.
- L'augmentation de capital servira à financer la modernisation de l'usine et l'expansion de la capacité de production.
- Une nouvelle Convention de Base entre la République de Guinée et FRIGUIA fixera les garanties dont bénéficiera la Société. Les dispositions de la Convention de Longue Durée qui n'auront pas été modifiées resteront en vigueur.
- Les statuts de FRIGUIA seront modernisés en vue de sa privatisation, indépendamment des modifications de l'actionnariat et/ou du capital.
- La délégation du Directeur Général et la passation de tout contrat d'assistance et de gestion de la société privatisée seront de la compétence du conseil d'administration de la société, à compter de la date de la modification de ses statuts.
- Afin de conforter le processus d'assainissement et de réorganisation structurelle de FRIGUIA, tels que prévus par les propositions de la partie guinéenne, le Gouvernement lancera le projet de doublement de la capacité de production de l'entreprise, à hauteur de 1.300.000 tonnes par an.
- La partie guinéenne pourra intéresser à ce projet tous les investisseurs de son choix, qu'ils soient financiers ou industriels sous réserve que les conditions d'augmentation de capital définies ci-dessus soient respectées.
- A ce titre, les actionnaires de FRIALCO se verront proposer de participer à l'opération. Les actionnaires qui ne participeront pas à l'extension ne devront pas être lésés.
« A quelque chose malheur est bon », dit-on. La crise de Friguia à mis fin à une époque et augure une nouvelle qui sera, il faut l'espérer, meilleure pour le pays.
Kayoko Doré