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Presse écrite


L'Economie guinéenne

Magazine de l'économie guinéenne - N° 07 - Juin 1998


“L'assitance technique de Pechiney coûtait horriblement chère !”
Interview de Aboubacar Demba Camara
Administrateur de Friguia


Economie Guinéenne: M. Aboubacar Camara, comment peut on qualifier la situation actuelle de la Compagnie Friguia?

Aboubacar Demba Camara. Administrateur de Friguia
Aboubacar Demba Camara
Administrateur de Friguia

M. Aboubacar Camara: Je vous remercie de l'opportunité que vous me donnez de parler de Friguia dans votre grand journal, le Magazine de l'Economie Guinéenne. Comme vous êtes sensé le savoir, Friguia a connu de nombreuses difficultés. Etant Conseiller juridique du Département, j'ai été chargé par le Ministre de suivre le dossier jusqu'à son aboutissement le 21 Décembre 1997 avec la signature d'un protocole d'accord. Pour revenir à votre question je dirai qu'il y a trois (3) critères fondamentaux pour qualifier la situation de la Compagnie.

  1. Critère juridique, avec la convention de base négociée en 1950 et modifiée en 1975; il faut se rappeler que les statuts de la société ont été adaptés à cette réalité-là. Notre objectif est de faire de Friguia une Société moderne dont les partenaires ont les mêmes préoccupations quant à son devenir.
  2. Critère de modernisation avec la rénovation de l'outil de travail. C'est un outil vieillissant installé depuis 1960. Ce facteur a retenu l'attention du syndic et des techniciens. Les conclusions de l'étude faite par le cabinet Kaiser pointent du doigt cette douloureuse réalité.
  3. Critère financier:' Friguia est une entreprise qui vit en permanence de découverts bancaires consentis par le Crédit Suisse de Zurich. Nous voulons changer cette donnée, car à la pratique cela devient intolérable. Friguia doit fonctionner comme les autres sociétés. Quand elle a besoin d'acheter son matériel ou ses consommables, qu'elle puisse le faire sans passer par les découverts du Crédit Suisse. Notre but n'est pas de mettre fondamentalement en cause la convention qui existe entre les partenaires et le Crédit Suisse mais nous voulons que les comptes de Friguia soient domiciliés en Guinée, ou à tout le moins dans des banques qui ont des filiales exerçant sur le territoire national.
Cheick Ahmed Tidiane Diallo
Cheick Ahmed Tidiane Diallo
L'Economie guinéenne

EG: Après les différents plans de réajustement, pensez-vous que les coûts actuels permettent d'envisager durablement la survie de la Socîétê?
AC: Celle-là dépend essentiellement de la rénovation de l'outil industriel. Si cette rénovation n'est,pas faite, il faut exclure toute survie de Friguia. Cette démarche entreprise dans des délais rapprochés, pourra assurer le fonctionnement de l'entreprise et pérenniser son existence. Les gisements de bauxites exploitables dans la zone de Fria permettent à l'Usine de tourner au moins 50 ans.

EG: Quels sont à votre avis les principaux facteurs qui ont bloqué l'expansion de l'usine?
AC: Les perspectives actuelles découlent de la volonté affichée par la Guinée, lors du dernier Conseil d'Administration, de changer le système et les méthodes de gestion. Nous avons constaté depuis longtemps que c'est le Groupe Pechiney qui fait tout:
achat des intrants, assistance technique, encadrement, vente de l'alumine etc.
Nous avons demandé de mettre un terme à cette méthode de gestion. La société Friguia connait la participation de la Guinée et du Groupe Frialco avec entre autres, Pechiney, ALCAN, Norsk Hydro etc.
La Guinée, avec 49%, est le principal actionnaire. Donc il est nécessaire pour une gestion sereine de l'entreprise, qu'il y ait un consensus absolu entre les diverses parties. La volonté de transparence dans la gestion et de remise en cause de l'assistance technique, a généré les problèmes actuels. Notre position est logique: il faut investir pour
assurer la pérennité de l'entreprise, agrandir l'usine, moderniser les équipements, augmenter la production et la productivité, réduire de façon drastique les coûts liés à l'assistance afin de rendre le produit fini plus compétitif. Pechiney, qui se sentait visée, a très mal pris la chose et de fil en aiguille elle a bloqué au niveau du Crédit Suisse tous les paiements. Résultat, les lettres de crédits en faveur des fournisseurs n'étaient plus honorées et les impayés s'accumulaient de façon vertigineuse, menaçant du coup d'asphyxier complètement la société. Constatant que Friguia était en état virtuel de cessation de paiement, le Gouvernement Guinéen a enclenché en tant qu'actionnaire majoritaire, la procédure de redressement judiciaire.

EG: Pourquoi des mesures n'ont pas été prises plutôt pour corriger toutes les distorsions constatées ?
AC: Véritablement, nous n'étions pas associés à cette dérive. La prise en charge du département par le Ministre Fofana Fassine nous a permis de toucher du doigt la tragique réalité de Friguia. M. Fofana Fassine est un très grand technocrate doublé d'un fervent patriote. Vous comprendrez donc qu'il s'attèle de façon déterminée à l'anomalie Friguia, qui était devenue une grosse verrue sur le visage économique de la Guinée.

EG: Au plus fort de la crise, le bruit a couru que certains partenaires voulaient se retirer?
AC: C'était leur volonté mais elle n'était pas nettement affirmée. Nos partenaires nous ont traduit devant une cour d'arbitrage, cela implique quelque part qu'ils cherchaient la conciliation. Mais au delà de cela, celui qui veut partir est libre de le faire. La partie Guinéenne est prête à racheter intégralement les actions libérées.

EG: Après l'accord auquel vous êtes parvenus avec vos partenaires, peut on dire que la Sopag dont on avait annoncé avec insistance la naissance est effectivement enterrée?
AC: Je dirai oui, car dans le protocole que nous avons signé le 22 décembre 1997, les différentes parties s'engagent à arrêter toutes les actions en justice. Donc l'action judiciaire menée par la Guinée et qui devait aboutir à la reprise des activités de Friguia par la Sopag est prescrite au même titre que la procédure en arbitrage engagée par le Groupe Frialco. Cela permet à la société de continuer à fonctionner. En tout état de cause, la Sopag a été créée pour éviter la fermeture de l'usine et répondre aux attentes des travailleurs, des 40.000 habitants de Fria et de tout le peuple Guinéen.

EG: Pensez-vous que l'alumine produite à Friguia est suffisamment attractive pour permettre une forte pénétration de nouveaux marchés comme le Nigeria ?
AC: L'alumine de Friguia est d'excellente qualité. C'est la raison pour laquelle il n'y a aucun problème d'écoulement.

EG: En tant qu'actionnaire principal, la Guinée n'a aucune dotation?
AC: C'est le résultat de la convention de base qu'avait signée en son temps le premier régime Guinéen. Cette convention accordait des privilèges exorbitants aux partenaires. On n'avait accès ni à la production, ni à la commercialisation. Maintenant avec le nouveau protocole qui vient d'être signé, nous avons droit à une dotation annuelle: 125.000 tonnes d'alumine en 1998 et 200.000 tonnes en 1999 que nous destinons à l'usine d'Electrolyse du Nigeria.

EG: Pensez-vous pouvoir écouler cette production sans problème au Nigeria?
AC: Toutes les options sont ouvertes. Si ce n'est pas le Nigeria, ce sera quelqu'un d'autre. Nous avons diverses demandes assez sérieuses. Nos préférences vont naturellement au partenaire Nigérian qui reste très solvable. C'est notre contribution à la coopération sud-sud.

EG: Avec le départ de l'assistance technique de PechineyPechiney, les cadres Guinéens qui ont assuré la relève ont-ils été à la hauteur des défis ?
AC: Bien sûr. C'est le lieu d'ailleurs de féliciter et remercier les employés et l'encadrement technique de Friguia qui ont travaillé nuit et jour avec courage et abnégation afin de surmonter cette crise. L!assistance technique de Pechiney coûtait très chère. Les résultats n'étaient jamais à la hauteur. Ainsi, après le départ des expatriés, Monsieur le Ministre a nommé

Tous les deux sont des membres de la cellule qui assure là gestion de l'entreprise. Ces cadres et leurs coIlaborateurs ont démontré leur capacité à assurer le bon fonctionnement de l'entreprise. Leur expertise s'est affirmée, car pendant la crise Friguia a dépassé ses prévisions de production et de qualité et a présenté les meilleurs résultats financiers des cinq dernières années.

EG: Qui dit rénovation dit moyens financiers et expertise technique. Peut-on connaître le montant des investissements nécessaires?
AC: L'évaluation par les syndics tourne autour de 90 millions de dollars US pour la rénovation de l'outil industriel. Ce qui est un montant assez substantiel, mais il ne faut pas oublier que l'extension de l'usine permettra de passer à 1.200.000 t/an d'alumine. C'est un volume minimum pour assurer la survie et restaurer la compétitivité et les grands équilibres de l'entité.

EG: Vous parlez de doubler pratiquement la production. A ce rythme les gisements pourront-ils tenir encore 50 ans ?
AC: Le potentiel minier dans le secteur de Fria est immense. Quand le Ministre Fassine Fofana a reçu récemment les syndicats, il les a rassurés, chiffres à l'appui, sur la durée minimale de vie des gisements de Kimbo et alentours.

EG: Toute restructuration a un coût social très élevé. N'envisagez-vous pas des suppressions d'emplois ou des licenciements secs ?
AC: Je vous dirai tout net qu'aucun licenciement n'est programmé. Evidemment, puisque nous sommes partie prenante dans les conventions collectives, les départs en retraite seront rigoureusement respectés. A part cela, il n'est pas question de licencier ou de compresser.

EG: La Compagnie Friguia sest désengagée des secteurs comme l'eau, l'électricité ou les soins médicaux qu'elle fournissait gratuitement à ses travailleurs. Comment se présente la situation aujourd'hui?
AC: Les coûts d'approvisionnement en eau et électricité et les soins médicaux gratuits grevaient énormément le prix de revient de l'alumine. La réduction des coûts de production qui s'inscrit dans la politique générale des entreprises minières est un impératif de survie. C'est pourquoi la gestion de ces services, qui ne sont pas le métier de base de ces sociétés, a été cédée à des opérateurs institutionnels comme la SEEG ou la SOGEL. Les travailleurs ont compris la nécessité de payer leurs différentes consommations domestiques. Ainsi l'entreprise se recentre sur son métier de base et les coûts induits baissent en conséquence. C'est bon pour le moral des employés et c'est bon pour l'entreprise.

EG: Sur le plan de la formation, que comptez-vous faire à court et moyen terme?
AC: Comme je vous l'ai dit tantôt, l'outil de Friguia est un outil vieillissant. Il en va ainsi de ses ressources humaines. Il faut rajeunir l'outil et les hommes afin de permettre dans le court terme d'injecter du sang neuf. Nous allons mettre en place un plan de formation qui tient compte de tous les aspects liés à la surqualification de ceux qui vont rester et à l'intégration judicieuse des nouveaux arrivants. Je peux vous affirmer que la préoccupation essentielle du Ministre Fassine Fofana est la formation, la qualification, la surqualification et le bien-être des travailleurs de Friguia, tout autant que leur sécurité matérielle et financière, bref leur avenir. Il est conscient que de leur avenir dépend fondamentalement l'avenir de Friguia.

Interview realisée par Cheick Ahmed Tidiane Diallo


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